Le terrain se travaille en fonction des individus rencontrés et des collègues universitaires, des compétences et des appétences de ceux-ci, par le réseau du chercheur et par le bouche-à-oreille, en fonction des disponibilités et des volontés… Notons que les individus intégrés au groupe de travail peuvent à la fois être issus du monde académique, du monde professionnel, mais aussi du terrain lui-même. Aussi, ce ne sont pas seulement les caractéristiques individuelles qui priment sur l’implication des personnes, mais bien la synergie du groupe, qui implique d’entretenir les relations sur le long terme et de réadapter, encore une fois, les pratiques envisagées et les objectifs que l’on s’est fixés.
Afin d’aborder le terrain argentin en tenant compte de sa dimension culturelle, organisationnelle et médiatique, les porteurs du projet Fabcom ont souhaité rassembler des profils variés dans l’équipe de recherche : nous étions quatre chercheurs.ses et deux professionnels de l’image (un photographe et un graphiste). Chacun et chacune s’était vu confier une mission : mener des entretiens, observer les pratiques des collectifs autogérés, consigner des notes ethnographiques, s’assurer de la cohérence des observations avec les spécificités de l’Argentine, tenir un carnet de bord du terrain… Il s’agissait de consolider l’approche de l’équipe Fabcom par la richesse de nos profils, d’aiguiser mutuellement nos regards et de croiser nos compréhensions respectives du terrain.
Cependant, les relations humaines qui devaient se tisser autour de cette mission n’étaient pas uniquement celles de notre équipe : nous devions également créer des liens avec les Argentins qui acceptaient de nous accueillir. J’ai donc entrepris de contacter les médias que nous avions préalablement identifiés, mais aussi des chercheurs ou chercheuses argentins qui travaillaient déjà sur les médias alternatifs en Argentine ou encore des responsables de services de communication de certaines villes. Certains de ces échanges ont été rendus possibles grâce à des collègues de l’université Bordeaux-Montaigne, ou encore par la rencontre de certaines personnes qui nous ouvraient leur carnet d’adresses et nous introduisaient auprès d’interlocutrices et interlocuteurs pertinents. Sans être sur le terrain, nous le travaillions déjà, à distance. Le « contact » avec le terrain n’était alors pas lié à la proximité géographique, mais se révélait au détour des résistances ou adhérences que nous rencontrions au fur et à mesure de la préparation.
La chronologie des deux terrains et de la pandémie a permis un tournant dans ma conception du « travail de terrain ». Celui de Cenon avait été préparé une première fois avant la pandémie. En parallèle et successivement, nous avions planifié notre départ en Argentine. Les confinements ayant stoppé l’ensemble de ces missions, je me suis rendu compte qu’il fallait reconstruire entièrement mon approche du terrain cenonnais… En l’abordant avec davantage de souplesse. C’est grâce à la préparation de l’Argentine que j’ai pu prendre du recul sur ma propre posture.
En tant que doctorante, cette première expérience aux côtés de chercheur et chercheuses plus aguerris m’a permis, pour Cenon, de tenir compte de la dimension collective d’une recherche… Ainsi, je n’abordais plus le travail de terrain comme étant le fruit du seul travail du chercheur. Au lieu de me penser « à distance » ou « en surplomb » du terrain que je souhaitais observer, j’accordais une place importante au réseau et aux interactions des différents acteurs et actrices cenonnais.
Avant le premier confinement, j’avais déjà initié un premier travail avec le service communication de la ville de Cenon. Au fil de nos réunions et en raison des délais ajoutés par la pandémie, j’ai compris que j’allais devoir tisser des liens avec d’autres acteurs du terrain : des associations de quartier, des représentants de la métropole de Bordeaux, des bibliothécaires, des bailleurs sociaux, des représentants de la métropole bordelaise… Et bien entendu, des habitants – qui se sont avérés être les principaux moteurs de cette recherche.
Les individus tenaient alors une place plus importante dans cette recherche et les relations de chacune avec chacun étaient primordiales. Plutôt que de lister un ensemble de compétences pour chaque acteur, je préférais m’attarder sur les relations et leurs dynamiques possibles. La « matière » du terrain devenait vivante, l’équipe Fabcom n’était plus « extérieure » au terrain, mais bien « actrice » de celui-ci. Enfin, le projet de recherche n’était pas « à côté » du terrain, mais pris dans son écosystème. Les individus s’ajoutaient ou se succédaient au fur et à mesure de la préparation et j’acceptais d’envisager le terrain avec souplesse et résilience.