Si le chercheur doit un jour entrer en « contact » avec sa matière, il s’avère que
la distance est un critère important dans l’appréhension de cette dernière. Le corps
du chercheur est entièrement impliqué dans le travail du terrain, car il s’agit de
prendre ses marques avec sensibilité. Pourtant, la distance n’empêche pas toujours
la proximité (et vice versa).
Distance et proximité représentent des notions dialectiques dans la mesure où elles
se définissent par l’espace qui relie une identité à une A(a)utre (personnes, points
géographiques, traditions, etc.). En effet, tout éloignement ou rapprochement présuppose
le rapport à une altérité oscillant entre étrangeté et familiarité.
L’intérêt de Fabcom pour le terrain argentin était centré sur la dynamique des pratiques autour des processus de co-construction. Or, il s’agissait également de se tourner vers un espace lointain qui invitait à la découverte, imprégné d’un certain exotisme pour des personnes étrangères à sa culture. Pour construire ce terrain, les contraintes spatiales ont rendu les communications difficiles, car il a fallu, dans un premier temps, attirer l’attention des interlocuteurs et interlocutrices, « créer » des envies de collaboration, maintenir les liens dans le temps. Si les messages par courriel ont permis de briser la glace dans un premier temps, d’autres techniques m’ont permis de me rapprocher du terrain : les appels téléphoniques, les messages vocaux sur WhatsApp, les appels vidéo, etc. Ces échanges se sont avérés chronophages, mais nécessaires pour établir un lien de confiance avant le voyage. J’ai ainsi été amenée, par exemple, à parler deux heures au téléphone avec une interlocutrice qui tenait à me raconter son parcours de recherche ou bien à téléphoner, à la demande de son directeur, à la radio de Pampa del Indio pour parler de la France. Si l’Argentine était une destination exotique pour la plupart des membres de l’équipe, pour nos interlocuteurs argentins, l’exotisme parlait français. L’étalement géographique marqué par la distance entre le terrain et la France, mais surtout entre les quatre régions que l’on comptait visiter représentait un vrai défi logistique et un enjeu de décentralisation et de prise en compte de la diversité.
Du côté de Cenon, les échanges étaient facilités par la proximité géographique. C’est ainsi que nous avons pu entretenir une relation à long terme. Comme nous l’avons vu, de nouvelles rencontres se sont ajoutées aux premières relations entretenues avec le service communication de la ville de Cenon. Grâce à la proximité du terrain, il a été très aisé de s’y rendre afin de préparer l’expérimentation. C’est ainsi que j’ai pris part à plusieurs évènements : des « diagnostics en marchant » réalisés dans le cadre du plan de renouvellement urbain, des expositions photos réalisées avec le centre social et culturel, des projections filmiques au sein même de l’appartement d’une habitante, des balades photographiques dans le quartier Palmer, etc. Il était donc plus simple de s’accorder sur la préparation de l’expérimentation en prenant en compte les objectifs de chacune des parties prenantes.
Pourtant, cette proximité « sur le papier » ne m’assurait pas de l’être avec les Cenonnais et Cenonnaises. Plus j’appréhendais le terrain, plus j’envisageais la distance sociale, culturelle et économique qui me séparait de ses acteurs et actrices, en grande majorité allophones et issus de parents immigrés. Mon statut de chercheuse approfondissait la distance vis-à-vis de ces personnes, souvent stigmatisées, qui pouvaient se méfier de mon intérêt pour elles.