Introduction
Parce qu’elles sont les filles de pères célèbres, la naissance en tant que cinéastes d’Albertina Carri et de Lucía Puenzo est systématiquement envisagée à partir de cette identité que certain·es prescripteur·rices du champ culturel considérèrent longtemps comme un augure. Si cette donnée autobiographique renforce l’hypothèse que la famille est la source-faille à partir de laquelle envisager les chemins de vie et d’art qu’elles ont empruntés, d’autres caractéristiques s’ajoutent et se combinent, en particulier leur rattachement générationnel au Nouveau Cinéma Argentin (NCA) et leur intérêt ou leur ralliement à la cause LGTBIQ+ et à la défense des droits humains. Retracer leurs trajectoires, non pas sur le mode de la comparaison, mais plutôt pour en souligner les particularités, permettra d’éclairer la genèse des trois films de fiction qu’elles tournèrent chacune, entre 2000 et 2013, et qui seront analysés dans les trois suivantes.
Albertina Carri : passe muraille
Dirigir es poner el cuerpo. Le corps à l’ouvrage
Née de l’engagement
Albertina Carri (1973) est la cadette des trois filles d’Ana María Caruso et Roberto Carri, cadres militants du péronisme révolutionnaire qui furent séquestrés par un groupe clandestin paramilitaire aux ordres de la Junte Militaire qui, entre 1976 et 1983, soutenue par une frange importante de la société, « réorganisa » le pays pour y rétablir l’ordre. Tous deux font partie des plus de trente mille personnes que la dictature fit disparaître au nom de la nécessaire éradication de la moindre trace de « chaos » et de subversion. Albertina est l’une des milliers d’orphelin·es qui construisirent leur identité à partir d’un traumatisme collectif et intime dont elle porte l’empreinte.
Inscrite en Lettres à l’université, elle se détourna de cette formation pour échapper à l’omniprésence de ses parents disparus sans cesse nommés par le corps enseignant – l’un des amphithéâtres de la Faculté de Sciences Sociales porte aujourd’hui le nom de son père, Roberto Carri. À la FUC (Fundación Universidad de Cine) où elle entra en 1992, dans la section scénario, elle découvrit que la réalisation, « hacer cámara », est une autre façon d’écrire. Son désir d’être cheffe opératrice et réalisatrice vient quant à lui de l’engagement physique que ces fonctions exigent, en plus d’un engagement intellectuel, une façon pour elle de « poner el cuerpo »1, qu’il convient de comprendre comme une totale implication du corps et de l’âme2.
Apprentie-assistante
Son premier stage eut lieu sur le plateau de tournage du seul film de fiction réalisé par Lita Stantic qui avant de devenir une figure incontournable du nouveau cinéma argentin fut une camarade de lutte de ses parents pendant les années 60. Un muro de silencio sortit sur les écrans en 1993, en plein ménémisme, c’est-à-dire à un moment marqué par la déconsidération des droits humains et de la mémoire de la dictature au profit d’un hédonisme amnésique qui fera long feu. Le film, peu vu au moment de sa sortie, fut réévalué dans le courant des années 2000 lors du boom de la mémoire3 car il traite la dictature de façon inédite et annonce une rupture formelle exploitée par la génération suivante, celle d’Albertina Carri.
L’étudiante eut également le privilège d’apprendre le métier sur le dernier tournage de
María Luisa Bemberg4. Héritière de la grande bourgeoisie immigrée argentine devenue paria après avoir divorcé, celle-ci décida sur le tard de se lancer dans une carrière artistique pourtant inenvisageable pour une femme, de surcroît de son origine sociale, et fonda en 1981, avec Lita Stantic, une société de production, GEA Film, qui lui permit de produire ses longs-métrages de fiction dont les scénarios sont explicitement féministes. Momentos (1981), Señora de nadie (1982), Camila (1984), Miss Mary (1986), Yo la peor de todas (1990) et De eso no se habla (1993) – auquel participa Albertina Carri – ont en commun de mettre en lumière le travail des normes, ce que Judith Butler appelle la performance ordinaire du genre, pour susciter une insurrection contre les interdits et la loi, et ainsi créer les conditions de leur remise en question (Mullaly, 2012).
Son apprentissage auprès de ces deux pionnières devenues figures d’autorité au sein
de l’industrie cinématographique nationale fut complété par son expérience d’assistante de plusieurs cinéastes précurseurs de la génération NCA (Nouveau Cinéma Argentin). Ceux-ci se lancèrent contre toute attente et en plein marasme économique dans la réalisation de films dont la production, le tournage et le montage relevaient d’un bricolage de plusieurs mois et parfois de plusieurs années. Martín Rejtman – qu’elle assista à la réalisation – est l’une des figures de proue de ce moment où s’opéra une bascule du sens et de la forme, lui à qui il fallut environ cinq ans pour que son film Silvia Prietosorte sur les écrans. Carri raconta qu’à ses débuts, le véritable dénominateur commun des premiers films du NCA était le désir de fabriquer un film de façon radicalement différente de ce qui s’était fait jusqu’alors, une conception qui illustre aussi un changement idéologique en cours. La rupture avec l’hédonisme néolibéral des années 80 étant consommée, il n’était pas non plus possible de renouer avec les grands récits, les épopées collectives et les croyances sociales et parfois utopiques de la génération de leurs parents.
se creía en el gesto social, en las sinfonías, en las masas caminando por las calles que iban a tomar el poder y a salvar el mundo. Estamos ahora en una época muchísimo más individualista, minimalista, las cosas se espían por detrás de la ventana, nadie se fía de nada, la gente se queda en sus casas. Eso inevitablemente tiene que modificar la mirada. (Miranda, 2006, sp5)
Ce déplacement éthique et esthétique imprègne Pizza, birra, faso de Israel Adrián Caetano et Bruno Stagnaro, Mundo grúa (1999) de Pablo Trapero, et Bolivia (2001) de Adrián Caetano, des films surgis du besoin de montrer la survie contemporaine en milieu urbain, de représenter la fragilité des existences de celles et ceux que des logiques globalisées traitent comme des rebuts ou des parias et relèguent aux marges des énoncés hégémoniques dans la rubrique « faits divers » ou dans les chiffres deshumanisants du chômage et de la délinquance.
Pour Albertina Carri, cela se traduisit sur le terrain cinématographique par une philosophie consistant à elle à faire avec les obstacles et même mieux, à faire de ceux-ci des outils de la représentation car elle eut très tôt une conscience aigüe des liens étroits entre la forme et le fond, entre la production et la réalisation. D’innombrables facteurs périphériques, souvent très éloignés de l’intention artistique, interviennent en effet dans le long processus de fabrication d’un film qui ne peut exister en dehors de tout circuit.
Los aspectos estéticos del cine no son necesariamente más importantes que las cuestiones de producción o de orden cultural. El cine no está hecho sólo de imágenes, sino que forman parte de él organismos institucionales, productores y trabajadores, escuelas de cine y festivales, críticos y espectadores. Ninguno de estos hechos es exterior al film como fenómeno artístico, cultural o industrial. La producción de un film, por ejemplo, se introduce en cada uno de los diferentes pasos de la realización de una película (idea original, escritura del guión, rodaje, posproducción, distribución), y entre las virtudes de la nueva generación de cineastas está el haber comprendido que sin una transformación en la industria del cine no hay posibilidad alguna de sostener un proyecto personal. (Aguilar, 2005 : 13-14)
Le format de production de chacun de ses films témoigne ainsi d’une recherche d’indépendance qui s’avère parfois coûteuse sur le plan de la diffusion mais aussi qui ouvre d’autres voies et d’autres formes de collaboration entre des cinéastes, des technicien·nes et des acteur·rices.
La mémoire au travail, une question d’identité
Séquences d’enfance
Les premiers pas de la cinéaste révèlent une quête identitaire personnelle traversée par des enjeux de société dont la mémoire de la dictature et le deuil impossible de ses parents qu’elle n’a plus revus depuis ses quatre ans et qui hantent son parcours. Son exploration des zones de tensions et des conflits générés par le boom de la mémoire, au tournant des années 2000, se matérialisa dans les représentations audiovisuelles qu’elle construisit à partir et autour des questions d’identité qu’elle envisagea au pluriel en faisant émerger des identités brisées ou conditionnées par la violence d’état sous toutes ses formes.
Sélectionné et primé au Festival de cinéma indépendant de Rotterdam en 1999, son court-métrage intitulé Secuencias put alors être post-produit. Toutefois, après sa participation au Work in Progress de la première édition du Festival de Cinéma indépendant de Buenos Aires, le BAFICI, avec le court-métrage intitulé Niños, elle décida d’investir tout l’argent de son héritage pour tourner son premier long-métrage de fiction qui deviendra No quiero volver a casa (2000). Elle y capte en noir et blanc l’atmosphère raréfiée d’un Buenos Aires décadent où elle était revenue vivre à l’âge de dix ans. Le film exprime son intention d’en découdre avec les violences de la vie mais, plutôt que de les dénoncer, elle choisit d’énoncer autrement les conflits qui la traversent dans une société hostile où elle est sommée d’occuper une place prédéfinie. À vingt-cinq ans, elle fit preuve d’une capacité d’autoréflexivité et d’une indocilité éthique et esthétique qui deviendront sa marque de fabrique.
L’éclat des blonds
À sa façon, Albertina Carri se confronta à l’oubli et au devoir de mémoire, dont elle explora les facettes les plus problématiques et les plus douloureuses dans Los rubios (Les blonds, 2003), dont le dispositif d’énonciation rompt avec les codes du documentaire autant qu’avec la charge morale qui caractérisait alors le témoignage des survivant·es. Documentaire hybride hors du commun tourné au début des années 2000 et sorti en 2003, Los rubios renoue le dialogue intergénérationnel entamé dans les années 70 par les acteur·rices de la résistance et qui trouva un prolongement grâce aux survivant·es de la dictature, dans les années 90. La problématique de la mémoire implique à la fois la nécessité de sortir du silence et l’impossibilité de raconter, de filmer l’absence. Dans Los rubios, Carri se confronta aux possibilités qu’offre le langage cinématographique dans un film inclassable qu’elle-même qualifia de « fiction documentée sur la mémoire ». En effet, plutôt que de rendre hommage à la mémoire de ses parents disparus, dont les corps n’ont toujours pas été retrouvés, elle s’attacha à déconstruire les codes d’un cinéma documentaire militant fondé sur la valeur absolue des témoignages des survivant·es.
Los rubios fit grand bruit dans le champ culturel argentin, comme en témoigne une très vaste webographie internationale, car il contrevenait au devoir de fidélité réclamé par les autorités institutionnelles, et dont la commission de l’INCAA devint l’emblème dans le film, dans un contexte mémoriel conflictuel. La gestation du film correspond aux années de crise qui atteignit un climax en 2001 réveillant le souvenir des atteintes aux droits humains portées par la dernière dictature et qui suscita un sursaut sociétal face aux injustices. L’arrivée de Nestor Kirchner à la présidence de l’État argentin en 2003, après trois années de chaos et de crise économique et politique, fut marquée par un changement de la politique mémorielle et culturelle. Celui-ci s’accompagna, sur le plan légal, de l’annulation des lois Punto Final et Obediencia Debida (Point Final et Devoir d’Obéissance) en 2005, ainsi que de l’instauration du Día nacional de la Memoria y la Justicia (Jour National de la Mémoire et de la Justice) le 24 mars, de la réouverture de procès contre les responsables militaires et civils ayant pris part au Proceso de reorganización Nacional (Processus de réorganisation Nationale), et de nombreux actes commémoratifs. Après le silence des années précédentes signalant « l’absence de conditions sociales favorables qui autorisent, sollicitent ou offrent une possibilité d’écoute6 », l’Argentine connut un boom du témoignage et de la biographie durant le kirchnérisme (2003-2015) qui s’appropria et institutionnalisa la revendication de « mémoire, vérité et justice » et plus particulièrement le militantisme politique des années 70 dont il était lui-même issu.
Retracer l’effacement dans le court-métrage et la série télévisée
Quelques années plus tard, répondant à l’invitation faite à vingt-cinq cinéastes par la Secretaria de Cultura Argentina de célébrer le Bicentenaire de l’Indépendance de l’Argentine, dans un programme intitulé « 25 regards, 200 minutes, sur une même histoire », Albertina Carri tourna Restos (2010), un court-métrage expérimental dédié au cinéma militant et à ses protagonistes disparu·es, corps et œuvres depuis7. Ce poème audiovisuel trouva un prolongement dans la série unitaire télévisée 23 pares, la sangre habla (23 paires, le sang parle) dont le contexte de production et de diffusion témoigne des avancées politiques considérables.
Rappelons que l’Argentine actuelle constitue un véritable laboratoire dans lequel sont inventés de nouveaux droits et de nouvelles normes de l’humain, à partir des luttes de différents secteurs de la population : celles des militantes de gauche et de leur famille, à la recherche des corps « disparus » de toute une génération massacrée par la dernière dictature militaire (1976-1983) ; celles des minorités sexuelles systématiquement réprimées par des autorités dont l’idéologie patriarcale, catholique et martiale, est violente et rigide ; enfin celles des femmes qui luttent pour leurs droits (l’avortement n’est pas encore dépénalisé en Argentine et la violence de genre est très élevée), mais qui sont également très actives dans les deux secteurs précédents, puisque les « Mères de la place de Mai » ont été à l’initiative des défis contre la dictature militaire et les lesbiennes sont très dynamiques dans les organisations qui intègrent la fédération LGBTIQ. (Soriano, 2016 : 140-1418)
Il convient aussi de signaler que Restos et la série 23 pares sont le fruit d’une intime collaboration avec Marta Dillon (19669), journaliste emblématique du quotidien Página 12, fille de l’avocate et militante Marta Taboada « disparue par » la dictature, activiste des droits humains et écrivaine (Aparecida, 2015). La fiction télévisée aborde les questions de l’archive génétique, de la mémoire et de la justice, mais aussi de la reconnaissance des corps et des sexualités non normées10. L’écriture de chaque épisode crée une dynamique intergénérationnelle en reliant la mémoire des corps disparu·es à l’existence de celles et ceux qui, survivant·es ou descendant·es, s’affirment comme des corps qui comptent et (se) racontent.
Lorsque Carri et Dillon s’attelèrent à ce projet, elles étaient déjà connues pour leur indépendance et identifiées comme faisant partie de l’élite progressiste qui avait les faveurs du kirschnérisme. Elles prirent la fiction sérielle au sérieux, la considérant non seulement comme un outil d’investigation du réel (Coulomb-Gully, 2012 : 38) mais aussi comme un outil d’intervention et de résistance au sein du cadre hégémonique télévisuel. Les aléas intimes, familiaux et professionnels des deux sœurs protagonistes, héritière du laboratoire d’analyses génétiques fondé par leurs parents décédés, et tutrices de leur frère constituent le cadre de la série qui dont l’ambition est d’interroger les différentes façons de concevoir la famille, l’identité et l’histoire. Le but de la série n’était pas de mettre en scène la résolution de cas mais de sensibiliser un public large à des situations impensées et longtemps impensables grâce à l’empathie des deux sœurs dont le situation personnelle et familiale est une source de récits seconds riches en rebondissements et en émotions. Les enquêtes génétiques qu’elles mènent en offrant un accompagnement juridique et humain à chaque client·e mettent en scène des profils très variés dont le point commun est de faire valoir le droit à l’identité. La quête de connaissance et de reconnaissance soulève des aspects complexes liés d’une part à la quête de vérité scientifique et d’autre part aux crises existentielles que les « secrets de famille » dévoilés provoquent. La série 23 pares, en plus de l’exigence répétée de justice et de réparation des victimes, créé
une communauté discursive d’appartenance par des opérations répétées de défigement11 qui conduisent à la construction de conflits d’interprétation neutralisant ou au moins se superposant aux interprétations portées par des représentations sociales figées. Cette mécanique qui se répète à chaque épisode rend possible la reconfiguration de notre perception du monde : les différents cas sont traités comme autant expériences humaines ce qui facilite l’adhésion à des schémas nouveaux et le détachement d’univers familiers. (Mullaly, 2018, n.p.12)
Vivre et créer avec ses fantômes
En 2015, Albertina Carri redéploya la réflexion menée dans le court-métrage Restos dans une installation intitulée Operación fracaso y el sonido recobrado (Opération échec et le son retrouvé) présentée au Parc de la Mémoire (Monument aux victimes du terrorisme d’état) et qui fut accompagné d’un catalogue dont elle rédigea le texte inaugural. J’ai choisi de le citer intégralement parce qu’il illustre les qualités d’écriture de la cinéaste et permet de mesurer le chemin parcouru depuis Los rubios :
Los restos de mis padres aún no han aparecido, tampoco ha sucedido el juicio por su secuestro y posterior desaparición forzada, todavía no se ha demostrado el homicidio. Yo ya soy mayor que ellos en el momento de su muerte ; las cosas que he escuchado sobre ellos, las que he leído, ahora significan otra cosa, son las palabras de unos jóvenes eternos, son los pensamientos de dos brillantes jóvenes que me acompañarán de por vida, como hacemos los padres y las madres con nuestros amados hijos. Los míos serán siempre lozanos, rebeldes de cabellos sueltos y ropa desaliñada, hermosos, rebosantes de esa belleza que da la juventud y, también, la muerte. Ana María y Roberto, mis padres muertos, mis padres asesinados, mis padres desaparecidos, vivirán en mí por siempre, y su enorme ausencia también habitará mi cuerpo, mi mirada del mundo, mi felicidad y mi desdicha, por el resto de mi vida.
Convivo con sus fantasmas desde muy pequeña, exactamente desde los cuatro años, y creí durante casi treinta y cinco que las personas, a los cuatro, ya éramos grandes, identidades estructuradas listas para enfrentar el mundo. Hasta que fui madre y vi a mi pequeño hijo de cuatro años ser lo que hemos sido todos a esa edad, pequeñas personas que apenas dejan de ser bebés, totalmente vulnerables y extremadamente necesitadas de confianza y cariño. Después de descubrir esto, me hice más vieja que mi madre y que mi padre, y los recuerdos, todo eso que está guardado detrás de los párpados, como dice Mekas, aparecieron, afloraron de otras muy distintas formas.
El objetivo de estas obras audiovisuales es plasmar ese recorrido incansable de la memoria : esa espeluznante capacidad que tenemos las personas para crecer y ser otras, cada vez. Caminar por los abismos de los recuerdos y también bailar con ellos una danza insólita y desprejuiciada, dejarse llevar por su influencia y apagarlos cada vez que sea necesario. ¿ Pero se puede apagar el recuerdo ? ¿ Se puede vivir sin recordar ? Quizás a veces se puedan extinguir las imágenes, pero los sonidos que quedaron en lo profundo, detrás de los párpados, son imposibles de acallar. Los ríos de la memoria no siempre son caudalosos, pero, aunque corra una pequeña línea de agua por su lecho, ella es tan obstinada, que modificará la tierra por la que pasa, aunque tan solo sea por el paso del tiempo mismo. Quiero ser ese lecho, quiero ser esa tierra, quiero contarle al mundo sobre ese poder que tiene el hecho de estar acá y seguir recordando. (Carri, 2015 : 5)
Il ne s’agissait donc pas d’un point final mais plutôt d’une étape dans son processus mémoriel marqué à la fois par une tentative d’affranchissement et une affirmation intime et politique quant à sa responsabilité esthétique. Carri témoignanit une nouvelle fois de la nécessité de se risquer à déployer, dépasser et expérimenter les possibles mises en forme du réel avec, comme horizon, sa transformation. La preuve en est que dès l’année suivante, en 2016, elle reprit un projet plusieurs fois avorté, un film inabouti de son père et de plusieurs compagnes et compagnons de résistance consacré au cuatrerismo13.
Le défi consista cette fois pour la fille Albertina d’exhumer un vaste corpus paternel égaré, un matériel perdu, retrouvé, amputé, démonté, un document clandestin, en errance, et longtemps introuvable. Remonté, réécrit depuis le présent, chargé des intentions d’un passé inaccessible et pourtant toujours palpitant, Cuatreros constitua un nouvel objet, inclassable, comme toujours, et marqua le franchissement d’un cap dans l’expérimentation formelle et la réflexion autour de la politique de l’archive. La mise en tension des discours de la mémoire mais aussi des potentialités et des limites du cinéma comme re-présentation et re-création, est au cœur de sa proposition audiovisuelle dont la dimension expérimentale renoue avec l’avant-garde documentaire. La facture discursive est d’autant plus perturbante que la démultiplication par le split screen et la juxtaposition des lignes narratives mêlant des histoires passée et actuelle, autobiographique, militante, intime et collective, fragmentent le régime de vérité et dissémine le sens. Comme pour se prémunir contre toute évidence et toute forclusion, Carri n’apporte pas de réponses, mais toujours plus de questions. Héritière iconoclaste, elle produisit par un montage vertigineux une forme devibration et de scintillement des archives perdues et soudain réanimées, tissant de nouveaux liens entre des corps et des corpus filmiques défaits qu’elle cherchait à réveiller plutôt qu’à réparer.
Lumières des parias
Déchirer le voile des apparences
À chaque nouveau projet et quel qu’en soit le support et le format, Albertina Carri se soucie de rendre possible une relation avec les spectateur·rices qui ne relève toutefois pas de l’adhésion immédiate par l’émotion mais d’un détachement critique symbolisé par la posture brechtienne. En déchirant le voile de la représentation hégémonique qui obture les coutures pour mieux absorber le public dans les plis de son modèle de représentation institutionnel (Burch, 1999), elle pose la question de la fondation de l’identité et de sa transformation à partir des conditions réelles d’existence et non d’un idéal illusoire ou abstrait. Pour cela, la forme expose brutalement l’artifice pour réveiller les sens, la conscience, et maintenir à distance des émotions envahissantes dont elle-même semble soucieuse de se préserver ainsi que le public. Il y a selon moi un désir de contagion par la vulnérabilité re-signifiante (Mullaly, 2015) né de la conscience précoce de l’imbrication de multiples facettes constituant l’identité et qu’elle formulait en ces termes en 201214 :
soy mujer, latinoamericana, huérfana, madre lesbiana e hija de desaparecidos – entre otras tantas cosas – y todas esas identidades me pertenecen, soy todas y cada una de ellas, todas identidades vulnerables, que a mí me afianzaron como persona y me estructuraron como ciudadana, me dieron un lugar (vulnerable) en la realidad, reflejo de la televisión. Y en esa realidad es que estas identidades se configuran como vulnerables porque para hablar de ellas, cuando no se las menciona de forma despectiva, se habla de convivencia, se las menciona aclarando que se incluyen o se aceptan, dando por sentado que son identidades de las que se puede prescindir o sencillamente no aceptar. (Carri, 2014 : 248)
Sa critique de la télévision argentine, alors traversée par une crise politique autour d’enjeux de pluralité, pointe sans concession et avec humour une normativité médiatique qui traque les identités vulnérables et leur assigne une place qui redouble en fait le stigmate, c’est-à-dire « la situation de l’individu que quelque chose disqualifie et empêche d’être pleinement accepté par la société » (Goffman, 1975 : 7). Depuis son expérience située, Albertina Carri affirmait alors embrasser toutes les identités qui avaient forgé sa citoyenneté mais dénonçait le mépris autoritaire que recouvre l’inclusion sous condition des gens ordinaires mais a-normaux, dont l’apparition à l’écran ne produit pas de l’acceptation mais un renforcement des catégories disqualifiantes. « Femme, latino-américaine, orpheline, mère lesbienne et fille de disparu·es, parmi bien d’autres choses encore », Albertina Carri fit très jeune l’expérience de l’exclusion·sociale et politique, et son souci des personnes stigmatisées, inintelligibles ou illégitimes se traduit dans ses créations par l’exhibition des marques de la suspicion et de l’infériorité sociale produite historiquement.
Pour la professeure de théorie politique et d’études de genre Eleni Varikas, « le mépris, l’insulte, le rejet, la honte, qui accompagnent l’exclusion et la mise à part » distinguent le paria des autres figures de l’oppression15. Je reprends à mon compte sa démonstration selon laquelle percevoir ce que recouvre le fait d’être paria, c’est-à-dire le fait d’être désigné·e autre par un·e autre que soi, d’une part, et faire l’expérience d’être paria et de découvrir que cette position d’altérité hétérodéfinie prive simultanément de l’humanité qu’on partage avec les autres membres de la communauté politique et de sa propre singularité, c’est-à-dire de ce qui nous différencie de tous les autres, est à la source de la subjectivité d’Albertina Carri et c’est aussi là l’origine de son cinéma. On en trouvait une traduction dans Partes de lengua, 2011, sa première vidéo-installation au Museo del Libro y de la Lengua où elle questionnait la langue dite maternelle16. Mais cette subjectivité s’exprime sous bien d’autres formes depuis ses débuts.
Violence de genre : l’enfance nue
En 2006, Albertina Carri réalisa un téléfilm financé par Canal 7 – alors chaîne publique de télévision argentine – en prévision du Bicentenaire de l’Indépendance de la Nation, mais, dans un contexte national agité par les mobilisations et les débats portant sur l’accès à l’éducation sexuelle et la dépénalisation de l’avortement, elle décide de se confronter à l’Histoire des abus contre les femmes depuis deux cents ans. Pour relever son premier défi télévisuel, elle construisit avec la comédienne Cristina Banegas un récit classique dans sa forme, une fable, mais inédit dans sa mise en scène, théâtralisée à la façon de Dogville (Lars von Trier). Le téléfilm Urgente s’inspire d’un fait divers relaté dans la presse, la grossesse d’une écolière de onze ans qui s’était suicidée dans les toilettes de l’école de son village dans la province de Jujuy. Carri et Banegas déplacèrent la tragédie dans un petit village de la province de Misiones, de sorte que, « aux rapports de genre vont s’ajouter les discriminations et oppressions qui procèdent des rapports de classe et des processus de racialisation » (Soriano, 2013 : 56). Elles recréèrent les heures précédant le suicide de l’enfant violée dont la grossesse avait été appropriée par sa famille et les notables. Le minimalisme et la radicalité formelle exhibent la violence patriarcale et le sexisme religieux, le machisme naturalisé et la soumission des femmes par l’ensemble de la communauté qui contrôle et confisque jusqu’à l’amour maternel. En effet, la famille, l’école et l’Église qui ont pourtant la charge de protéger les corps vulnérables, commettent des abus de pouvoir sur l’enfant innocente et doublement condamnée dont même la mort sera éclipsée par un autre évènement, l’arrivée du câble. Le téléfilm Urgente témoigne de l’implication de Carri et Banegas dans les débats publics et les campagnes en faveur de la dépénalisation de l’avortement et de son accès légal, libre et gratuit menées sans relâche. Il faut ici rappeler qu’en 2018, le projet de loi relatif à l’IVG fut bloqué au Sénat17 mais que le président péroniste catholique Alberto Fernández, qui avait promis pendant sa campage éléctorale, de soutenir sa légalisation, le promulga après son vote historique – l’intensité des débats et des mobilisations – au Parlement et au Sénat, le 30 décembre 2020, faisant de l’Argentine l’un des rares pays d’Abya Yala18, après Cuba, la Guyanne, l’Uruguay et deux régions du Mexique, à reconnaître le droit des femmes à disposer de leur corps.
Barbie et les mille et une jouissances
Ce qui fut peut-être d’abord pour Albertina Carri l’intuition d’une condition féminine inappropriée, c’est-à-dire non conforme aux patrons d’une hétérosexualité sociale et sexuelle dominante (Delphy, 1999) qu’Adrienne Rich appelle le régime hétérosexuel obligatoire (1980, 2010) devint une affirmation politique dans ses réalisations. C’est le cas de Barbie también puede eStar triste. Melodrama pornográfico (Barbie aussi peut être triste. Mélodrame pornographique, 2001), un court-métrage d’animation post-pornographique, pro sexe et queer de vingt-quatre minutes tourné en stop motionavec des figurines Barbie et Ken. Celle qui était encore une apprentie cinéaste joua à la poupée avec la plus célèbre d’entre elles pour déconstruire les codes de la pornographie mainstream et du mélodrame, deux genres peu portés à l’émancipation féminine et encore moins à celle des minorités sexuelles. Elle y renversa les stéréotypes et la violence des relations genrées, racistes, classistes et hétérosexuelles sur un mode parodique qui dérangea d’autant plus que les figurines, et en général l’animation, étaient alors encore largement destinées à un jeune public. L’imaginaire sexo-générique se trouva ainsi troué de toutes parts par l’irruption de situations inédites de corps jouissant librement une fois désaliénés de l’oppression entretenue par le patriarcat capitaliste suprématiste blanc hétérosexuel (bell hooks, 1984).
Dans un autre registre, Albertina Carri s’embarqua, avec Diego Trerotola et Martín Peña dans l’aventure d’Asterisco* Festival internacional de cine sobre diversidad sexual, dont elle fut la directrice artistique et qui avait pour ambition de célébrer les différentes façons d’aimer et d’être au monde :
ASTERISCO es un festival de cine cuyo lugar natural es Argentina donde la ciudadanía alcanza a todas y todos, un país al que el mundo mira por haber consagrado derechos de vanguardia a través de la ley de matrimonio igualitario, la ley de identidad de género y de fertilización asistida universal. Leyes que sin haber restringido los derechos de nadie ampliaron el reconocimiento para sectores históricamente marginados como es la población de lesbianas, gays, trans, bisexuales e intersexuales. Leyes que necesitan para su plena aplicación de cambios culturales profundos y es ahí donde las expresiones culturales y artísticas pueden colaborar a socavar las fronteras simbólicas que todavía separan a nuestra sociedad entre minorías y mayorías. (Carri, 2015)
Le texte de présentation du festival rédigé par la cinéaste rappelle combien un projet de cette envergure est tributaire d’un contexte idéologique porteur et du soutien institutionnel sans lequel elle et ses co-équipiers n’auraient pu mener à terme les trois éditions (2014-2015-2016). Toutefois, ces conditions favorables n’entamèrent pas pour autant sa critique envers les gouvernements kirchnéristes successifs qui faiblir sous la pression de l’Église catholique opposée à l’avortement. Diego Trerotola et Martín Peña l’accompagnèrent dans ce projet soutenu par la politique d’intégration du Ministère de la Justice et des Droits Humains (2015). Celui-ci avait auparavant contribué à la promulgation de la Ley de Matrimonio Igualitario (Loi du mariage égalitaire, dont l’équivalent en France sera, trois ans plus tard, la loi sur le « mariage pour tous ») votée le 14 juillet 2010, puis à celle de la loi 26.743 de Identidad de Género (sur l’identité de genre) promulguée par le Sénat Argentin en 201219.
Douze ans après Barbie, Albertina Carri explora de nouveau l’archive pornographique avec Pets (2013), un court-métrage qui produisit un profond malaise, à la hauteur de l’intention politique exprimée dans cette intervention de et sur la représentation de la sexualité, et dont Michèle Soriano a livré une analyse très pointue20.
En 2016, dans la foulée de plusieurs marathons de lecture-projection-performance, Carri co-organisa et anima avec Rosario Castelli un atelier théorico-pratique intitulé « Archivo pornográfico ¿ sadismo o posporno ? » (Archive pornographique : sadisme ou post pornographie ?21). Considéré comme un manifeste porno-terroriste – Pornoterrorismo est le titre de l’essai de Diana J. Torres paru en 2011 –, Pets fut par la suite réarticulé pour s’intégrer dans la vidéo-installation intitulée Animales Puros projetée lors de la Biennale de Performance de Buenos Aires en 2017.
La même année, dans le cadre du festival Asterisco*, elle fit alliance avec Sebastian Freire et Daniel Link et proposa au nom du Colectivo Quri Kanchaune performance vidéo-installation sur la jouissance, l’amour et le désir22. La manifestation « Archivos del goce » (« Archives de la jouissance »), interdite aux personnes mineures, fut produite par Plataforma futura et hébergée sur le site web officiel du Ministère de l’Éducation, de la Culture, de la Science et de la Technologie23[23].
Enfin, en 2018, Carri tourna Las hijas del fuego (Les filles du feu) un long-métrage de fiction post-pornographique lesbien féministe qui célèbre, comme autant d’anomalies créatrices, des façons de jouir, d’être, d’aimer et de vivre non normée. La sororité « paria » se veut joyeusement contagieuse et propice à l’émergence de nouveaux paradigmes. Le film, présenté en avant-première mondiale lors de la XXe édition du festival BAFICI, remporta le prix du Meilleur Film Argentin puis entama sa transhumance festivalière en marge des circuits hégémoniques : le Filmfest de Hambourg, fin septembre 2018, la dixième édition du festival parisien Un état du monde24, en novembre 2018, etc.
Changement de paradigmes
Albertina Carri répond donc par la pratique cinématographique et audiovisuelle à la transformation du patriarcat que les philosophes féministes étudient, parmi lesquelles sa compatriote María Luisa Femenías25. Celle-ci a démontré que le paradigme patriarcal est invisible et excluant, « trans-époqual » et bi-catégoriel, et qu’il opère comme un présupposé asymétrique et hiérarchisant à partir duquel les personnes se construisent, se reconnaissent et sont socialisées (1990 et 2004). Elle constate aussi que malgré la production de savoirs accumulés en Argentine depuis plus d’un demi-siècle, les nouvelles normalités et les nouvelles valeurs normatives ne parviennent pas à générer un véritable changement de paradigme. Albertina Carri s’attèle à la fois à le dénaturaliser et à naturaliser l’existence avérée des anomalies paradigmatiques attestées dans la société argentine par les nouvelles normes légales, comme le mariage égalitaire ou la reconnaissance de l’identité de genre :
Ce travail d’écriture qui décompose les genres, les formes et les codes, s’efforce de nous arracher à la panoplie d’émotions programmées, normées, destinées à naturaliser la violence des rapports de domination en invisibilisant leurs pratiques discriminatoires, l’injustice et les humiliations qui les caractérisent. (Soriano, 2013)
C’est dans cet esprit que Marta Dillon et Albertina Carri fondèrent la maison de production Torta La Productora (2010) et qu’elles écrivirent, produisirent et réalisèrent deux programmes télévisuels où l’émotion occupe une place décisive dans le processus de légitimation de l’anomalie. Visibles(2011), une série de cinq émissions de cinquante minutes chacune, propose un regard alternatif pluriel et décalé par rapport au traitement spectaculaire habituellement réservé à ce que la majorité considère comme « les minorités sexuelles » et la diversité sexuelle26. Diffusé sur la Televisión Digital Abierta(TDA) en 2013, cet espace-temps télévisuel construit comme un cocon accueillit les témoignages de personnes étiquetées LGTBIQ+27 dans le but de dépolariser l’hétérosexisme et le stigmate patriarcal du regard dominant en offrant un cadre bienveillant aux « différences », présentées comme des vulnérabilités créatrices.
En 2012, La bella tarea. Parir y nacre (La belle œuvre. Accoucher et naître) une série de quatre documentaires consacrés au libre choix de l’accompagnement et du mode d’accouchement militait pour le droit des femmes de disposer de leur corps et d’être traitées dignement. Entre 2007 et 2012, Carri et Dillon, depuis leur position d’artistes et d’intellectuelles médiatisées et privilégiées, interpellèrent ainsi le gouvernement et les institutions pour que s’applique enfin et complètement la Ley nacional de Parto Humanizado (Loi sur l’accouchement humanisé) approuvée en 2004.
Présentes aux côtés des milliers de femmes qui répondirent à l’appel du 3 juin 2015 lancé par plusieurs associations féministes sous la banderole commune transnationale #Ni una menos (Pas une de moins), elles participèrent sur les réseaux et dans différents lieux culturels et publics, à l’immense vague de mobilisation exigeant l’application des lois et des mesures contre le féminicide, le viol, et toutes les formes que prend la violence de genre et réclamant le financement de l’accès à l’éducation sexuelle, à l’IVG libre et gratuit, à l’égalité quotidienne et aux droits à une existence digne. La praxis filmique est pour Albertina Carri une praxis féministe.
Lucía Puenzo : voyageuse en eaux troubles
Lucía Puenzo déclare aimer voyager sans tout planifier car c’est pour elle une forme de dérive qu’elle savoure aussi bien à l’occasion de ses nombreux déplacements professionnels que dans son quotidien, lorsqu’elle écrit. Lectrice assidue et romancière prolixe, la littérature lui permet de se laisser emporter par une atmosphère, une phrase, un paysage. Son écriture parle de sa curiosité pour les êtres, les choses et les atmosphères : « hay algo como de pozo negro : lo que absorbes en la vida se filtra en la escritura, te convertís en un cazador de imágenes y de líneas de diálogos »28. Mon hypothèse est que cette déclaration, formulée 2017 à l’occasion de la publication d’un recueil de trois nouvelles écrites entre 2000 et 2015, En el Hotel Cápsula, pourrait s’appliquer à l’ensemble de sa production romanesque, ainsi qu’à ses films.
Des rives de la fiction
Romancière avant tout
Lucía Puenzo naquit le 28 novembre 1976, quelques mois après que le général Raphael Videla et l’amiral Emilio Massera eurent destitué la présidente de la République, Isabel Perón, pourtant favorable à l’extrême droite et aux paramilitaires infiltrés dans l’appareil d’État et unis dans l’Alliance anticommuniste argentine (Triple A). À compter du 24 mars 1976, une répression systématique accompagna le « processus de réorganisation nationale » entamée par la dictature civico-militaire, accueillie favorablement par une partie de la classe dirigeante, et qui s’acheva officiellement, quelques mois après la défaite de la guerre des Malouines, le 14 juin 1982, avec l’élection de Raúl Alfonsín en octobre 1983. Ces circonstances socio-historiques ne sont évoquées de façon explicite ni dans ses fictions romanesques ni dans ses fictions audiovisuelles. Elles constituent néanmoins la toile de fond de plusieurs de ses romans dans lesquels Lucía Puenzo a toujours revendiqué son désir d’explorer des thèmes et des personnages qui indisposent, en particulier des adolescent·es hors normes29.
L’originalité du récit initiatique El niño pez (2004), son premier roman, où une adolescente issue des quartiers riches de la capitale portègne, la zona Norte, Lala, amoureuse de sa domestique paraguayenne, la Guayi, transgresse les normes de race, de classe, de genre et de sexualité naturalisées, repose surtout sur sa prise en charge par un narrateur inhabituel, le chien bâtard Séraphin, dont l’oralité insolente et le regard décalé revisitent les stéréotypes et facilitent la traversée des frontières et des territoires. Lucía Puenzo y explora également les migrations linguistiques en insérant des fragments en guaraní et en organisant la fuite des deux adolescentes vers la maison rêvée du lac d’Ypacaraí, royaume mythique de l’enfant poisson.
Le roman à clé La maldición de Jacinta Pichimahuida offrit à sa sortie en 2007 un portrait acerbe de la culture médiatique des années 90 à travers le parcours initiatique dramatique du groupe d’enfants prodiges propulsés par un programme télévisé quotidien très populaire de la fin des années 70 et du début des années 80 : Señorita maestra. Le personnage principal est inspiré d’un de ces enfants, figurant fugace qui ne parvint pas à concrétiser le rêve de sa mère de devenir une célébrité dans une société du spectacle où la gloire était devenue une valeur absolue et dévorante et où le sort réservé à celleux qui échouaient était la solitude et le rejet. « El tema de la orfandad está presente también y la literatura aparece para cubrir ese vacío de los progenitores, que aunque están vivos, y en muchos casos omnipresentes, en realidad son monstruosos, abandónicos y ausentes.30 » Les dangers de la gloire y sont explorés à travers la figure d’une mère monstrueuse, aveuglée par son ambition et qui maltraite son enfant, le livrant à la folie des autres adultes responsables du programme télévisé, dont le personnage de Santa Cruz, le véritable créateur du programme, celui qui écrivit la vie et signa l’arrêt de mort de ses tout jeunes participant·es, et qui, à un niveau métatextuel, officie comme alter ego de la jeune romancière. La furia de la langosta (2010) s’inscrit dans la même dynamique référentielle mais il s’agit cette fois de la reconstitution fictionnelle de l’affaire Yabrán, un entrepreneur mafieux de l’époque ménémiste dont la chute et le suicide furent largement médiatisés. La quatrième de couverture dit ceci :
Cuando llega la época de los huracanes, las langostas de las Bahamas migran hacia aguas más profundas. Durante esa migración recorren fondos de arena muy lisos en los que quedan expuestas. Por eso se juntan, forman fila y se entrelazan entre sí, con las antenas de una protegiendo el abdomen de la que va adelante. Así, escondidas, avanzan, lejos de la furia de los huracanes. Comen todo lo que hay en el fondo y si no encuentran nada se convierten en caníbales. La langosta ahogada en jerez es el plato preferido de Razzani, un empresario argentino que vive huyendo, acusado de una serie de delitos económicos. (Puenzo, 2010)
Le mélodrame ménémiste est raconté par Tino, son jeune fils, victime de l’inconséquence paternelle et des règlements de compte entre adultes31. Le roman suivant, Wakolda (2010), échappe à la logique de l’écriture au présent, le cadre socio-historique n’étant plus lié à celui de Lucía Puenzo mais au début des années 60. Enfin, Los invisibles (2018) développe l’histoire qu’elle avait abordée dans un court-métrage tourné en 200532 où elle mettait en scène « un mundo infantil bastante punki y sexual33 », des enfants et des adolescent·es issu·es d’un milieu défavorisé qui s’infiltrent sans laisser de traces dans les maisons d’un quartier riche grâce à un agent de sécurité.
Cabinet de curiosités
Quoique filtrée par la fiction, la mémoire des voyages de la cinéaste constitue le fil conducteur des trois nouvelles du recueil En el Hotel Cápsula (2017). Dans « Tai Toom », la nouvelle inaugurale, la narratrice Lucía Puenzo, raconte ses aventures au Japon, où elle fut invitée à un festival de cinéma, à Tokyo. Accueillie par l’ambassadeur argentin, qui se trouve être le père de Tiano-Taï, un·e adolescent·e intersexuel·le en pleine crise identitaire, dont elle fait la connaissance. Tiano se sent fille depuis l’enfance et se fait appeler Taï depuis son arrivée à Bangkok avec son père. On apprend par ailleurs que dans une phase préparatoire à l’écriture du scénario de XXY, la cinéaste avait fait des recherches sur ce qu’on appelle en Thaïlande le troisième sexe. Le kathoey est, selon un mythe thaïlandais, le premier hermaphrodite créé par la « grande mère » – un équivalent féminin du Dieu judéo-chrétien – en même temps que la première femme et le premier homme : « una figura tan ambigua como potente : el primer asesino, el que tiene que ser convencido de hacer las paces con el hombre y la mujer, dejándolos vivir su amor en paz para que el mundo pudiera ser poblado. » (Puenzo, 2017 : 17) Lucía Puenzo avait contacté Nong Toom, la championne nationale de Muay Thai – un mélange de boxe et d’art martial – devenue une légende vivante pour avoir remporté tous ses combats par knock-out en conservant une apparence « féminine » mais en se présentant comme non binaire34.
Nous plongeons alors dans l’univers des kathoey où Taï conduit Lucía, la narratrice, qui assiste à un combat sanglant et victorieux de Nong Toom. « Tenía la fuerza de ese primer hermafrodita, tan imprevisible y salvaje que ningún hombre podía hacerle frente. » (Puenzo, 2017 : 44) Ce commentaire semble cristalliser le désir et les intentions de la romancière-cinéaste mais résonne aussi comme une sentence immémoriale dont on ne comprend pas bien la source d’énonciation. En fait, en dehors de quelques dialogues ponctuant sa rencontre avec Nong Toom et surtout la confidence de Tiano-Taï, la narratrice intra-diégétique s’avère être non seulement l’observatrice privilégiée mais aussi la source presque exclusive de l’énonciation. Mais alors, depuis quel savoir et depuis quel statut profère-t-elle cette observation : « Elle avait la force du tout premier hermaphrodite, si imprévisible et sauvage qu’aucun homme ne pouvait lui résister. » ? En effaçant toute trace de subjectivité, la narratrice s’auto-institue comme la messagère chargée de transmettre une vérité absolue concernant l’hermaphrodite au monde occidental. L’ambigüité qui se signale au détour de ce récit est la marque d’une tension, voire d’une contradiction fondatrice que l’on retrouve dans ses trois films de fiction.
À l’origine de son écriture romanesque, cinématographique et aussi audiovisuelle, on retrouve en effet son goût pour le voyage perçu comme une quête de sensations répondant au désir d’être transportée dans un espace-temps étranger, inquiétant ou même dangereux. L’aventure est cependant sans risque pour l’autrice qui est ici la narratrice dans la mesure où elle sait qu’elle reviendra saine et sauve, riche de l’expérience d’un déplacement éphémère et c’est précisément cette confiance qui garantit sa bonne disposition envers « la différence ».
la sensación de cruce umbral, esto es de estar en otro lugar, era tan fuerte que después nunca más volví a mirar de la misma manera a los chinos y los japoneses que les sacan fotos a un kiosco, porque yo misma había estado sacándole fotos a los kioscos en su mundo, porque todo es tan diferente que realmente eso son los viajes en los que uno tiene la ajenidad, la otredad más absoluta, en los que un paquete de golosinas es estar visitando otro planeta35.
La solitude et l’éloignement que lui offre la possibilité de voyager partout dans le monde lui donnent accès à une sensation combinant la possession et la pénétration, celle d’être à la fois au seuil et au carrefour, et, au niveau de la création, c’est-à-dire en tant que romancière et cinéaste, d’être le seuil et le carrefour, le réceptacle et le filtre réfléchissant, autrement dit le medium du reflet entr’aperçu lors de son expérience qu’elle met en scène à travers son point de vue privilégié.
Trajectoire éditoriale
Il me semble utile de s’intéresser à la place qu’occupe Lucía Puenzo dans le panorama littéraire argentin actuel pour comprendre son cinéma car sa trajectoire éditoriale illustre un processus de construction d’une légitimité nationale et internationale. Ses premiers romans, El niño pez (2004) et Nueve minutos (2005), publiés chez l’emblématique Beatriz Viterbo Editora, fondée en 1991, ainsi que La maldición de Jacinta Pichimahuida, d’abord publié chez Interzona (2007), furent ensuite transférés chez Emecé Editores, éditeur historique fondé en 1939 dont le catalogue fut racheté en 2002 par le Groupe Planeta, qui récupéra en 2013 tous les droits des romans de Puenzo. La furia de la langosta, publié en 2009 par Mondadori Buenos Aires, filiale du groupe de presse multinational d’origine italienne dont la majorité du capital était alors détenue par une entreprise de Berlusconi, fut réédité quatre ans plus tard par Duomo Ediciones dont le siège est en Espagne. Il en alla de même pour Wakolda, d’abord publié par Emecé/Planeta en 2011 et qui fit l’objet d’une réédition espagnole en 2013 après le succès de son adaptation cinématographique.
Il est difficile de parler de plan de carrière au sens où on l’entendait avant le virage numérique qui accéléra des processus de rachat-fusion et autres regroupements depuis les années 90-2000. Néanmoins, l’évolution des contrats éditoriaux de ses romans témoigne d’une acceptation des règles du marché dont les transactions s’opèrent au gré des rachats de groupes de presse, à une échelle planétaire, interférant avec les politiques éditoriales. L’attachement de Lucía Puenzo à ses repères nationaux et à la défense d’une certaine idée de la culture « locale » latino-américaine va de pair avec un désir de conquérir un marché globalisé. Cette stratégie s’illustra en 2017 et 2018, quelques mois d’écart à peine séparant la publication d’une part de Los invisibles chez Tusquets Editores36 et d’autre part celle de En el Hotel Cápsula chez Mansalva, une maison d’édition argentine indépendante dont la logique d’autogestion signale la résistance contre les critères commerciaux de plus en plus uniformisés par la promotion d’une littérature d’expérimentation formelle en lien avec les autres arts.
Écritures du présent
En 2010, Lucía Puenzo fut présentée par la revue anglaise Granta comme l’une des vingt-deux promesses de la littérature hispano-américaine âgées de moins de trente-cinq ans, parmi lesquelles figuraient sept de ses concitoyen·nes : Matías Néspolo, Pola Oloixarac, Andrés Neuman, Patricio Pron, Oliverio Coelho, Federico Falco et Samanta Schweblin, – la deuxième femme citée37.
En 2014, la revue de critique littéraire latino-américaine Katatay38 revint, dans un numéro double, sur un débat initié en 2006 à propos des nouvelles formes narratives argentines, soulignant un déplacement de l’écriture littéraire vers d’autres modalités et temporalités de réalisation, de consommation et de reconnaissance. Cette recomposition coïncide en partie avec celle du champ cinématographique entamé au tournant du millénaire avec le NCA. En plein chaos économique, les maisons d’édition indépendantes se multiplièrent et dans le même temps plusieurs auteur·rices suscitèrent une attention particulière intérêt à l’étranger où leurs textes furent rapidement traduits. Alors que dans le champ de la critique littéraire argentine, les querelles battaient leur plein à propos des archives littéraires, du patrimoine culturel et de la mémoire politique alors très conflictuelle, d’autres pratiques plus actuelles et promouvant d’autres valeurs s’en détachèrent et cherchèrent à pénétrer de nouveaux circuits de consécration eux-mêmes en pleine métamorphose. Conscientes de leur biais générationnel mais désireuses d’ouverture, certaines doyennes de la critique, parmi lesquelles Josefina Ludmer (1939-2016), Beatriz Sarlo (1942) et Nora Catelli (1946), constatèrent et parfois célébrèrent la transformation du panorama littéraire ainsi que l’emergence de nouvelles pratiques d’écriture et de lecture ainsi que l’augmentation du nombre de femmes publiées. Lucía Puenzo fait partie de ce paysage littéraire national des narratrices actuelles39 qui bénéficia de l’engouement critique lié au surgissement de petites maisons d’édition indépendantes40, voire autogérées, ayant pris la relève des grandes maisons multinationales qui s’étaient désengagées pendant ou peu après la crise économique, monétaire et financière, pour échapper à la dévaluation du peso argentin. Comme pour le NCA, de nouvelles revues, dont Lamujerdemivida, Mil mamuts ou El interpretador contribuèrent à renforcer la présence de ces jeunes plumes ayant grandi dans l’environnement de crise du modèle néolibéral qui transforma le pays. Lucía Puenzo confirmait cette tendance dans un entretien de 2010 :
Mi sensación es que, así como en el cine el lugar fundamental de cierta sacudida violenta que ocurrió en relación a los roles fue las escuelas de cine, en literatura el lugar fundamental de esa sacudida fue el de las editoriales independientes. Hay algo de la rigidez de los catálogos de las grandes editoriales que las independientes entraron con absoluta frescura a romper con eso41.
L’accélération du rythme des traductions de ses romans à partir de 2010, dans plusieurs langues, et leur publication en français chez Stock par sa traductrice désormais attitrée, Anne Plantagenet (L’enfant poisson en 2010, La malédiction de Jacinta en 2011, La fureur de la langouste en 2012, Wakolda en 2013 et Invisibles en 2019), témoignent néanmoins d’une position privilégiée qu’elle partage avec très peu d’autres romancières de sa génération.
Le plaisir narratif audio-visuel
Entourée d’artistes et d’écrivain·es dont elle est une fervente lectrice, Lucía Puenzo fut encouragée par son compagnon, l’écrivain scénariste et cinéaste Sergio Bizzio qui appartient à la génération précédente (1956)42, à se libérer de toute forme de fidélité pour adapter au cinéma sa nouvelle « Cinismo »43. En écrivant le scénario de son premier long-métrage de fiction, XXY (2007), elle s’éloigna d’ailleurs de la dimension mythologique de l’hermaphroditisme pur et privilégia le déploiement dramatique de l’éveil sexuel et de la crise identitaire adolescente pour en souligner la portée universelle. Mais avant d’en arriver là, elle fourbit ses premières armes à la télévision où les cadences et les contraintes n’ont rien à voir avec la temporalité de l’écriture romanesque et où l’efficacité et la capacité d’adaptation aux formats de production dictent leurs lois.
Narratrice tout terrain
En quelques années de travail acharné, elle occupa différents postes tout en se spécialisant rapidement dans l’écriture scénaristique et sérielle. Après Tiempo final, suspensión, acción, intriga, une mini-série en trois épisodes (2001-2002, Telefe), elle enchaîna sur Disputas (onze épisodes), Sol negro (treize épisodes) et Malandras, trois séries tournées en 2003 pour Canal 9. En 2004, sollicitée par son père pour écrire le scénario de La puta y la ballena, elle intégra parallèlement l’équipe qui réalisa Sangre fría, une série de treize épisodes mêlant thriller, horreur et mystère, sorte de remix adapté à la culture argentine du succès japonais Battle Royal (2000) produite par Telefe44. En 2005, elle intègra l’équipe de Hombres de honor, produit par Pol-Ka Producciones dont le format se rapproche du culebrón ou de la telenovela puisqu’il compte cent cinquante-deux épisodes d’une heure chacun. Avec Leonel D’Agostino, elle enchaîna sur A través de tus ojos (2006) produit par Mateína Producciones, l’année où fut publié son deuxième roman, Nueve minutos et l’année encore où elle fut accueillie en résidence à la Cinéfondation… Et lorsqu’en 2007, XXY, tourné entre-temps, obtint le Grand Prix de la Semaine Internationale de la critique à Cannes, elle travaillait comme scénariste d’une comédie espagnole Lo que tiene el otro de Miguel Perello, puis assura la promotion de son troisième roman édité en Argentine La maldición de Juanita Pichimahuida.
Lucía Puenzo circule entre les formes de narration, les personnages et les ambiances, cultivant avec le public auquel les séries s’adressent un goût pour l’immédiateté qui facilite l’identification et pour la maîtrise des codes de genres dont elle est une adepte :
Me divierte meterme en los géneros. A mí los géneros me gustan mucho ; hacer filmes con la marca de autor pero que atraigan un público diverso, hacer contacto con los espectadores sin que el director se traicione. Nosotros queremos que nuestros filmes sean vistos.45
La traversée des genres et des formats est une habitude prise très tôt, de même que la translation d’un medium à un autre, comme ce fut le cas de son court-métrage Los invisibles co-scénarisé en 2008 avec Leonel D’Agostino et qui donna lieu, dix ans plus tard, à une version longue sous la forme d’un roman.
Il n’y a ni frontières ni hiérarchie dans sa façon d’appréhender ses collaborations multiformes qui soulignent une appétence particulière pour les projets en équipe et une complicité avec son entourage proche – ses frères, son père et son compagnon – ainsi qu’avec une tribu d’actrices et d’acteurs (ré)apparaissant dans ses courts ou long métrages et dans les séries télévisées dont elle devint maîtresse d’œuvre. En 2009, l’année de la sortie sur les écrans de El niño pez, Lucía Puenzo collabora à la production de Codicia, un court-métrage co-écrit et tourné avec Sergio Bizzio. L’année suivante, elle fit partie des vingt-cinq cinéastes convoqué·es par la Secretaría de la Nación pour célébrer le Bicentenaire de l’Indépendance du pays et tourna, cette fois en collaboration avec son frère, Más adelante, qui met en scène sous une forme parodique en hommage au cinéma primitif la construction et surtout l’appropriation de la République argentine par son oligarchie. En 2014, elle co-écrivit avec Leonel D’Agostino et Gianfranco Quattrini le scénario de Planta madre, qui raconte les péripéties d’une bande de rock argentin pionnier des années 70 partie au Pérou vivre une expérience psychédélique46. Dans le même temps, elle collabora avec Sergio Bizzio, Fernando Molnar et Sabrina Campos à l’écriture du scénario de Showroom, dont l’interprète principal est Diego Peretti – déjà présent dans Más adelante et qui interprètera le père de Lilith dans Wakolda. Elle tourna également Comodoro, un court-métrage commandité par la Secretaría de la Nación pour rendre hommage à la guerre des Malouines (Malvinas 30 miradas, Los cortos de Nuestas Islas) dont elle avait écrit le scénario avec D’Agostino. Précisons qu’elle fut, avec Paula de Luque, Sandra Gugliotta, Sabrina Farji et Lucía Cedrón, l’une des cinq réalisatrices sur un total de vingt personnalités argentines auquel s’ajoutèrent dix réalisateurs provenant du reste du continent latino-américain dont la péruvienne Judith Vélez.
En 2015, elle co-écrivit pour la Télévision Publique et avec Bizzio, D’Agostino, Camilo Torres et son frère Nicolás, la série télévisée Cromo qu’elle co-réalisa avec Pablo Fendrick et Nicolás Puenzo. Elle assura la production de ce drame et thriller scientifique en douze épisodes avec son frère et Martín Jauregui et put compter sur plusieurs techniciens récurrents, parmi lesquels Fernando Soldevila, son ingénieur du son depuis ses débuts. Son travail prit un nouveau tournant après le succès de la série Cromo à propos de laquelle elle avait déclaré :
En una época, tal vez podíamos hablar de las diferencias de calidad que existían entre el cine y la televisión, pero hoy hay un estándar de calidad que trasciende a los formatos y a los medios. A Cromo la siento totalmente cinematográfica. De hecho, nos ofrecieron la posibilidad de convertirla en película.47
Entre 2016 et 2017, elle écrivit avec Bizzio et Caetano Gotardo le scénario de O silêncio do Céu, adaptation du roman de Bizzio Era un cielo par le brésilien Marco Dutra, collabora à l’écriture du scénario de El faro de las orcas de l’espagnol Gerardo Olivares ainsi qu’à celui de Los últimos, un drame de science-fiction tourné par son frère48 et interprété notamment par Natalia Oreiro, Luis Machín et Germán Palacios, qui comptent parmi sa troupe d’acteur·rices récurrent·es. En 2018, elle fut sollicitée pour faire partie de l’équipe de réalisation de la deuxième saison de la série mexicaine Ingobernable, diffusée sur Netflix, qui racheta les droits de diffusion de XXY et de Cromo, puis co-réalisa avec Nicolás Puenzo, Marialy Rivas et Sergio Castro une première saison de huit épisodes de La jauría produite par Amazon et diffusée d’abord exclusivement en Amérique latine et en Espagne à partir de juillet 2020.
L’adaptation cinématographique du roman d’Amélie Nothomb, Barbe bleue, initiée en 2015, fut plusieurs fois reportée, entre autres, en raison de la première grossesse de Lucía Puenzo, mais entre-temps elle et son frère furent engagés pour encadrer l’écriture et la réalisation (on parle aujourd’hui de show runner49) d’une série présentée comme un thriller dystopique, Futuro desierto, produit par Gaumont qui finance également son prochain film consacré à Tina Modotti.
Lucía et le cinéma
Le regard décomplexé et très optimiste que posait Lucía Puenzo en 2017 sur la place des femmes dans le cinéma semble contredire le constat dressé dans la première partie à propos d’une profession qui demeure un bastion difficile d’accès pour celles-ci.
Yo creo que lo que pasa con las escritoras de una generación y también con las directoras de cine, que para mí está todo muy hermanado, incluso más en el cine te diría, es que tenemos una cercanía de mostrarnos lo que estamos escribiendo, lo que estamos editando, lo que estamos por filmar, aun siendo muy distintas en lo que hacemos. Sobre todo, esto pasa con las directoras de mi generación. Y veo que ya no hay mayor dificultad si sos mujer para filmar, cosa que celebro. Las que hoy tenemos cuarenta y ni hablar de las más jovencitas tenemos las mismas dificultades que los varones. Y creo que esto pasó en el cine claramente con la irrupción de las escuelas de cine, ese fue el corte, en que las mujeres empezaron a quedarse con los puestos históricamente asignados a los hombres, como la dirección de fotografía. Hubo un cambio radical en los últimos veinte años. (León 2017, web. Je souligne.)
Son opinion concernant l’égalité des chances qu’elle considère comme un fait acquis semble influencée par sa réussite personnelle. Sa formation et son parcours au sein de l’industrie audiovisuelle argentine témoignent d’un travail acharné, mais aussi d’opportunités qui ne se présentent pas si souvent aux femmes de sa génération et qui sont liés à sa famille de sang, qui est une puissante famille de cinéma.
Lucía Puenzo fit des études de Lettres à l’Université de Buenos Aires (UBA) et des études de Cinéma au CEC (Centro de Experimentación Cinematográfica) de Buenos Aires, renommé ENERC (Escuela Nacional de Experimentación y Realización Cinematográfica), qui compte aujourd’hui quatre antennes dans différentes provinces du pays, et dont elle sortit diplômée en 2000. Elle étudia également à l’École de San Antonio de los Baños, à Cuba, entre 2005 et 2009, où elle participa notamment au dernier atelier d’écriture de Gabriel García Márquez, qui fut interrompu lorsqu’il tomba malade, et qui lui inspira la nouvelle Cohiba (En el Hotel Cápsula, 2017).
Lucía Puenzo fit toujours fait preuve d’éclectisme et d’une capacité de travail hors du commun, se destinant à l’écriture de scénarios dont elle acquit une grande maîtrise au fil de ses nombreuses collaborations télévisuelles et cinématographiques. Sa première expérience en tant que co-scénariste du documentaire d’Andrés Habegger, Historias Cotidianas (h), tourné en 1999 et sorti en 2001 fut très significative. Celui-ci fut l’un des premiers à prendre la caméra pour faire surgir dans l’espace public le témoignage de six enfants de détenu·es-disparu·es50, et revivifier la mémoire d’un passé destiné à sombrer dans l’amnésie collective pendant le ménémisme. Produit par David Blaustein, le film de ce fils de disparu·es se caractérise par sa posture intimiste et la valorisation d’une histoire individuelle, deux traits qui caractérisent la trajectoire de Lucía Puenzo, par ailleurs très influencée par celle de son père, le cinéaste et producteur Luis Puenzo (1946).
Le clan Puenzo
Son enfance se déroula dans une réalité où se construisait de la fiction et où la fiction faisait partie de la réalité. Ainsi, en 1984, quelques mois à peine après la chute de la junte militaire, Lucía partagea prêta sa chambre pour quelques scènes à la toute jeune actrice qui devait avoir le même âge qu’elle et interprétait une enfant volée par la dictature dans La historia oficial dont le tournage se déroula dans un climat de grande tension pour toute l’équipe du film, menacée à plusieurs reprises.
Aujourd’hui encore, Lucía Puenzo mentionne systématiquement son père, devenue une figure puissante du cinéma argentin à partir de la fin des années 80. En entretiens, les relations fille-père sont évoquées, toujours valorisées et rapidement évacuées. Si l’on considère leurs deux trajectoires, on peut déduire que Luis Puenzo lui a transmis le désir de toucher un large public avec une ambition auctoriale et qu’il a certainement facilité son accès à un milieu traditionnellement exclusif. Le curriculum de Lucía Puenzo atteste d’une implication professionnelle précoce bien antérieure à la sollicitation de son père pour le scénario de La puta y la ballena (2005).
Le cinéma est une affaire de famille chez les Puenzo puisque Lucía et ses deux frères, Esteban et Nicolás, co-dirigent la maison de production Historias cinematográficas Cinemania, et ont également développé une société de production publicitaire Hermanos Puenzo tout en collaborant depuis ses débuts, aux films, séries et programmes télévisés qu’elle a réalisés51 :
Desde XXY [Nicolás] es camarógrafo de casi todos mis trabajos. Trabajo siempre en equipo, generalmente con amigos ; nos movemos como una pequeña tribu. Con Nicolás tenemos varios proyectos por encarar, en algunos meses va a filmar su primera película sobre una historia que escribimos juntos. De alguna manera seguimos haciendo lo que hacíamos de chicos, jugamos a que hacemos cine. (Scherer, 2015)
Cette entente familiale s’est révélée florissante sur tous les plans : économique et symbolique. En tant que réalisatrice et scénariste, Lucía Puenzo obtint en effet une reconnaissance internationale dès son premier long-métrage XXY, sélectionné et primé au Festival de Cannes, où elle obtint en 2007 le Grand Prix de la critique, suivi par le Goya du Meilleur Film étranger en Espagne. El niño pez fut sélectionné par le Festival de Berlin où il fit l’ouverture de la Section Panorama en 2009. Wakolda El médico alemán, fit partie de la sélection officielle du Festival de Cannes et du Festival de San Sebastián en 2012 et remporta une vingtaine de prix dans le monde entier. Ses trois films furent distribués en Europe, aux États-Unis, en Asie et en Amérique Latine. Comme son père il y a plus de trente ans, elle poursuivit sa carrière en Argentine et en Amérique Latine plutôt que de répondre à l’appel des sirènes de l’Amérique du Nord où, après deux nominations aux Oscars et une quantité non négligeable de prix internationaux, elle fut sollicitée comme la digne fille de Luis Puenzo, le premier cinéaste argentin à avoir remporté l’Oscar du Meilleur Film étranger en 1986.
Je voudrais enfin présenter une hypothèse qui n’a pas encore fait l’objet d’un examen attentif et concerne l’histoire de l’antisémitisme. Le dernier film de Lucía Puenzo, Wakolda. El médico alemán (2013) dialogue en effet avec l’œuvre de son père, en particulier La historia oficial (1984), La peste (1992)52, une adaptation libre du roman d’Albert Camus revisité comme une fable nationale, et Algunos que vivieron, un documentaire d’une heure réalisé en 2001, le premier d’une série de cinq documentaires tournés respectivement par le polonais Andrzej Wajda, le russe Pavel Chukhraj, le hongrois Janos Szasz et le tchèque Vojtech Jasny, à l’invitation de Steven Spielberg qui, après le tournage de La liste de Schindler en 1993, créa la Fondation Shoah (Survivors of the Shoah Visual History Foundation) pour recueillir le témoignage des survivant·es53. Chacune des pièces de ce puzzle historique contemporain international consacré à la mémoire de la Shoah intitulé Broken Silence fut produit ou co-produit par les États-Unis et fit l’objet d’une diffusion télévisuelle internationale pendant l’année 2002-2003. Tout au long de sa carrière de cinéaste, Luis Puenzo aborda l’antisémitisme et la dictature comme deux formes de peste jamais complètement éradiquées et toujours susceptibles de s’enflammer. La question de la responsabilité et de la complicité, causes de la contagion, y occupent une place centrale, et sont évoquées sur un mode métaphorique dans La peste lorsque le personnage du docteur, interprété par William Hurt, assiste impuissant à la propagation du mal :
Los microbios y las enfermedades son normales, aunque la gente crea que no. Hay un poco de la peste en todos nosotros. Algunos no lo saben, pero otros lo convierten en su forma de vida. Los que lo sabemos debemos procurar en los rostros de otras personas, no distraernos ni un momento. El hombre honrado es el que procura no distraerse. (La peste, 1992)
L’étude du film El médico alemán sera l’occasion de revenir sur ce questionnement et de l’inscrire dans un réflexion plus large portant à la fois sur la position de la cinéaste et sur les rapports entre politique et esthétique.
Ouverture : à propos du regard féminin
Dans son état des lieux de la littérature produite par les femmes de moins de quarante-cinq ans dont elle réunit les textes dans deux anthologies, Elsa Drucaroff54 remarquait :
la construcción de una “mirada femenina”, esos “ojos otros” que permiten revelar perspectivas nuevas, visibles en los modos de concebir los paisajes y los cuerpos, los ciclos temporales y lo histórico, en la aparición de formas y temáticas disruptivas respecto a lo que el sentido común espera que haga, y escriba, una mujer; en la exploración del humor, la insolencia, la soberbia, el esnobismo intelectual y otros tonos usualmente reservados a los varones; en el trabajo irreverente con la tradición y los tópicos literarios ya consagrados. (Drucaroff, 2014 : 51)
Les guillemets signalent que le « regard féminin » et les « yeux autres » renvoient ici à des catégories pré-établies par le sens commun dont les impositions sont identiques à celles de la nomophatique (Le Doeuff, 1998) : on attend des femmes qu’elles écrivent d’une certaine façon et sur certains sujets, exclusivement. Or, selon Drucaroff, c’est précisément la sortie de ce cadre qui est en jeu et à l’œuvre dans le corpus réuni, dont l’innovation repose sur le surgissement de formes et de thématiques qui débordent les assignations cantonnant et contraignant l’écriture des femmes. L’irruption et l’exploration de territoires, de poses, de postures et de tons « réservés » aux hommes s’auto-instituant dans une appréhension sexuée de la création, revient à démythifier le geste et le génie créateur masculinistes et à dessentialiser la spécificité de la littérature des femmes (Courau, 2019 : 334). J’envisage à mon tour la question de la spécificité d’une écriture cinématographique féminine comme le signal, non pas d’un épiphénomène propre au changement de millénaire, mais d’une irruption qui interpelle les acteur·rices du champ cinématographique, ses prescripteur·rices et la critique, à commencer par les universitaires. Considérer la spécificité de l’expérience des femmes ne vise pas à essentialiser ou à reconduire l’« éternel féminin » mais à examiner la construction d’une représentation située, la capacité à concevoir autrement le réel en bousculant les rapports entre identité sexuée et création.La désobéissance par rapport aux canons, le franchissement des limites instaurées par une différenciation hiérarchisante et le questionnement des normes et des genres sont autant de manifestations d’une volonté d’intervenir dans l’espace public culturel, social et politique. L’étude des films d’Albertina Carri et de Lucía Puenzo prétend mettre en perspective leur position respective par rapport à la « tradition » et leur degré d’irrévérence. Elle a aussi pour ambition de révéler le potentiel du cinéma à (re)politiser à la fois les corps de celles qui produisent des récits et les corps dont elles se font les porte-voix discursifs.
Notes
- Lire l’entretien avec Albertina Carri « Dirigir es poner el cuerpo » (« Réaliser un film c’est s’engager physiquement », je traduis), dans Tránsitos de la mirada. Mujeres que hacen cine, Paulina Bettendorf et Agustina Pérez Rial (eds.), Buenos Aires, Libraria, 2014, p. 154-167.
- Laurence Mullaly : « Albertina Carri : cinéaste de l’inconfort », Cinémas d’Amérique latine, (20), Toulouse, 2012, p. 163-171 ; « El cine de Albertina Carri: la vulnerabilidad resignificante », Ámbitos Feministas, Revista crítica multidisciplinaria anual de la coalición Feministas Unidas Inc., Vol. V Monográfico, otoño 2015, Western Kentucky University, p. 129-146.
- Máximo Eseverri et Fernando Martín Peña lui consacrèrent un livre-dialogue, accompagné du DVD du film Un muro de silencio dans une version remasterisée : Lita Stantic, El cine es automóvil y poema, Buenos Aires, Eudeba, 2013.
- Laurence Mullaly, « María Luisa Bemberg : la figuration de soi », Femmes, écritures et enfermements en Amérique Latine (coord.) Cecilia Gonzalez, Caroline Lepage, Laurence Mullaly, Antoine Ventura, Bordeaux, PUB, 2012 ; « Les bonnes femmes du cinéma argentin », Le Nouveau du Cinéma Argentin, Paris, Cinémaction, Éditions Corlet, 2015, p. 138-145.
- María Eugenia Miranda, Mujeres cineasta argentinas jóvenes, Buenos Aires, Tesina de grado, Universidad Nacional de General Sarmiento, Biblioteca Nacional, 2006.
- Michael Pollack, L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale, Paris, Métailié, 1990, (cité en note 1, p. 80, par Elizabeth Jelin, Los trabajos de la memoria, Madrid, Siglo XXI Editores, 2002). Voir aussi Michael Pollack, Memoria, olvido, silencio. La producción social de identidades frente a situaciones límite, La Plata, Ediciones Al Margen, 2006.
- J’ai publié à leur sujet « Génesis y renacimiento de la filiación en Restos de Albertina Carri », Les générations dans le monde latino-américain, I. Tauzin-Castellanos (dir.), Pessac, MSHA, 2017, p.217-226 ; « Cinéma et mémoire de la violence politique en Argentine : du devoir à la dissidence », Constructions comparées de la mémoire, Littérature et cinéma post-traumatiques des années 1980 à nos jours, Bleton, Godeau, Dumontet, Coelho Ferreira (dir.), Lyon, Hermann, 2018, p. 269-286.
- Michèle Soriano « Cinéma féministe argentin : les questionnements épistémologiques et politiques d’Albertina Carri », Genre en séries : cinéma, télévision, médias, n° 3, p. 131-156.
- Marta Dillon fut sa compagne à partir de 2005 ; la triple filiation de leur enfant, Furio, conçu avec le graphiste Alejandro Ros et né en 2008, fut reconnue par la loi en 2015.
- J’ai consacré un article à leur collaboration : « Expansión de la militancia argentina de los años 60-70 en el siglo XXI : las hacedoras de memoria », Cecilia González Scavino y Aránzazu Sarría Buil (eds.), Militancias radicales. Narrar los sesenta y los setenta desde el siglo XXI, Madrid-Buenos Aires, Postmetropolis-Prohistoria ediciones, 2016, p. 295-316.
- Jean-Claude Soulages, « Le plafond de verre dans le discours publicitaire », L’assignation de genre dans les médias, Béatrice Damian-Gaillard, Sandy Montañola et Aurélie Olivesi (dir.), Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 111-124.
- C’est ce que je tentai de démontrer dans une intervention non publiée « Archives (in)interrompues : les liens du sang et au-delà », Journée d’études CHISPA (org. Laetitia Biscarrat et Amélie Florenchie), La fabrique du genre dans la fiction sérielle espagnole et hispano-américaine, MSHA, UBM, 11 octobre 2018.
- L’essai de Roberto Carri, Isidro Velázquez. Formas prerrevolucionarias de la violencia (1968), considéré comme un manifeste de la pensé politique et de l’action révolutionnaire se fonde sur une lecture du cuatrerismo comme une source de rébellion populaire capable de lancer une action politique et une pensée militante.
- Cette conférence fut prononcée lors du colloque De cierta manera : Identités plurielles et normes de genre dans les cinémas latino-américains, qui eut lieu les 28-29 et 30 mars 2012 à Toulouse et publiée dans De cierta manera : cine y género en América latina, Laurence Mullaly et Michèle Soriano, Paris, L’Harmattan, 2014. Entre temps, les responsables de la revue Cinémas d’Amérique latine nous demandèrent de traduire le texte et l’autorisation de le publier en français et en espagnol dans le numéro suivant. https://doi.org/10.4000/cinelatino.146 Albertina Carri, « Question d’image », Traduction de Laurence Mullaly et Michèle Soriano, 21, 2013.
- Eleni Varikas « La figure du Paria : une exception qui éclaire la règle », Tumultes, vol. 21-22, no. 2, 2003, p. 87-105.
- La cinéaste a mis gratuitement à disposition plusieurs de ses courts-métrages et certaines vidéos qui constituent une trace, un document d’archive provenant de ses installations, dont Partes de la lengua : https://vimeo.com/208714124
- Alors que le projet de loi relatif à l’IVG avait été approuvé par 129 voix pour et 124 contre à la Chambre des député·es le 15 juin 2018 sous la pression de milliers de personnes venues de tout le pays – dont des très jeunes filles et femmes mais aussi des grands-mères de la Place de Mai – et arborant un foulard vert, il fut refusé au Sénat le 9 août 2018. Les débats que les mobilisations populaires enfin largement médiatisées suscitèrent alors n’entamèrent pas la détermination des associations militantes qui convoquèrent le 28 septembre suivant, dans toute l’Amérique Latine, une journée de lutte pour conquérir le droit à l’avortement légal, sûr, gratuit et volontaire.
- Abya Yala est le nom qu’utilisent de plus en plus de personnes dans une perspective décoloniale visant à se dégager de l’emprise du terme Amérique latine forgé par les conquérants et colonisateurs à la fin du XVe siècle en même temps que l’idéologie raciste qui, de la Péninsule ibérique au Nouveau Continent, permit de justifier les expulsions, les persécutions et les exécutions, les appropriations des biens et des corps et l’esclavage de groupes altérisés par les Espagnols catholiques « au sang pur ».
- Elle reconnaissait « la vivencia interna e individual del género tal como cada persona la siente, la cual puede corresponder o no con el sexo asignado al momento del nacimiento, incluyendo la vivencia personal del cuerpo ». Selon les articles 2 et 3, « Esto puede involucrar la modificación de la apariencia o la función corporal a través de medios farmacológicos, quirúrgicos o de otra índole, siempre que ello sea libremente escogido. También incluye otras expresiones de género, como la vestimenta, el modo de hablar y los modales. Toda persona podrá solicitar la rectificación registral del sexo, y el cambio de nombre de pila e imagen, cuando no coincidan con su identidad de género auto percibida. » (Ley 26.743, 2012)
- Michèle Soriano, « Représenter la sexualité, repenser le sexe : Pets (2012) d’Albertina Carri », Líneas, Les paradigmes Masculin/Féminin, Partie 2 – Études analytiques. https://revues.univ-pau.fr/lineas/1101.
- Les cinq rencontres se déroulèrent au Centro de Investigaciónes Artísticas de Buenos Aires, entre le 6 octobre et le 3 novembre 2017, Rosario Castelli s’y présentant ainsi : « activista lesbiana feminista, antropóloga, [y] trabaja temáticas vinculadas al movimiento feminista y de disidencias sexuales, la autodefensa, la lucha antirracista, la violencia de género y las violencias institucionales. Integra el colectivo Antroposex y ha trabajado en los últimos años en la organización de muestras, intervenciones y performance porno y posporno en Buenos Aires. »http://www.ciacentro.org.ar/node/1990
- Le projet se presente ainsi : « La pregunta sobre cómo el cuerpo guarda memoria remite a una dimensión de lo viviente que se intersecta con el archivo. Una puesta en escena como una indagación metodológica sobre nociones como cuerpo, archivo, corpus, colecciones, serie, figuras y diagramas. Meditaciones audiovisuales sobre el modo en que el archivo contiene y constituye epistemes que a su vez integran cuerpos (y cada pieza que se incorpora al archivo es un fragmento de cuerpo), prácticas y subjetividades. Es el pensamiento como archivo, y también el cuerpo como pensamiento y archivo, porque en determinados documentos se “han jugado”; vidas reales : no se trata de que esas vidas estén aquí representadas, sino que en cierta medida al menos esas palabras decidieron sobre su libertad, su desgracia, con frecuencia sobre su muerte y en todo caso su destino. Estos discursos han atravesado realmente determinadas vidas. Esta performance-videoinstalación- películapornográfica pretende auscultar la articulación entre dos nociones, la mutua implicación entre determinados juegos del lenguaje o figuras, y lo viviente (las formas de vida, o también: la vida como potencia, como gesto). Todo texto (y toda imagen) debería considerarse como una figuración de lo viviente (no sólo, no tanto, la vida como texto, sino sobre todo: el texto como gesto). » Del cuerpo al archivo (el cuerpo y lo viviente), http://posgrado.filo.uba.ar/del-cuerpo-al-archivo-el-cuerpo-y-lo-viviente
- « Plataforma Futuro es un dispositivo de apoyo al proceso creativo experimental. El objetivo del programa es promover el cruce de disciplinas y la autoría colectiva. Está destinado a artistas emergentes y consagrados y cuenta con cuatro líneas de trabajo, que otorgan subsidios económicos, además de tutorías a cargo de reconocidos referentes de diversas disciplinas artísticas. »https://www.cultura.gob.ar/plataforma-futuro-en-buenos-aires_4985/
- Un état du monde se présente comme un festival iconoclaste et engagé qui permet de redécouvrir les enjeux de nos sociétés contemporaines au prisme du regard croisé de cinéastes et de personnalités du monde entier.
- Pour comprendre l’importance du travail de la philosophe, on peut lire Michèle Soriano, « Entretien avec Maria Luisa Femenías : “Por un feminismo mestizo” », Amerika [Online], 16, 2017. DOI : https://doi.org/10.4000/amerika.8153
- http://albertinacarri.com/fotos/Visibles_Prensa.pdf
- « LGTBIQ+ son las siglas que designan colectivamente lésbico, gay, bisexual, trans, intersexual, queer, incluyendo a través del + cualquier otra identidad que se quede en el medio de todas ellas o en ninguna parte. » https://www.pnitas.es/lgtbiq-diversidad-sexual-genero/ Les néologismes qui circulent témoignent d’un volonté de modifier la perception des réalités : « Pour reprendre un cadre d’analyse bourdieusien, les divers néologismes en présence relèveraient d’une tentative de prise de possession d’un certain pouvoir symbolique par les principaux groupes intéressés (les groupes dominés), qui proposent eux-mêmes une appellation dans le but de revendiquer l’identité de chaque individu ne s’identifiant pas aux identités de genre ou orientations sexuelles traditionnelles. », Mireille Elchacar, Ada Luna Salita, « Les appellations des identités de genre non traditionnelles. Une approche lexicologique », Langage et société, 2018/3, n° 165, p. 139-165.
- Gonzalo León, entrevista a Lucía Puenzo, escritora y directora de cine « No hay nada más estéril que pensar algo desde el tema. » 19/06/2017 https://www.eternacadencia.com.ar/blog/contenidos-originales/entrevistas/item/no-hay-nada-mas-esteril-que-pensar-algo-desde-el-tema.html
- Nueve minutos (2005) est la seule exception, la famille hétérosexuelle y étant tout de même le support bancal dont les contradictions font exploser la psyché de ses membres.
- Verónica Bondorevsky, Página 12, 13/05/2007.
- Voici les premières lignes du roman : « Después de cinco intentos de secuestro en doce meses, reforzaron la seguridad: de tres a seis guardaespaldas, uno por cada miembro de la familia. La regla era informarle a Bruno, su custodio, sobre cualquier cosa rara. Por cosa rara se entendía miradas de extraños, palabras de extraños, llamados de extraños y todo contacto con alguien que no fuera de su círculo, la palabra preferida de su familia. La usaban para hablar de los amigos, las empresas y el hípico donde entrenaban tres veces por semana los pura sangre que les mandó un tío desde Texas. Aquel día, a Tino le partieron dos dientes en el colegio; Maia le pegó una piña y le cortó el labio con el anillo de Twitty que él mismo le había regalado. –Mi papá dice que sos un ladrón hijo de puta –dijo. Sus amigos la ayudaron a pegarle; gritaban lo mismo : Ladrón » (Puenzo, 2010 : 10)
- Le court métrage est visible sur https://vimeopro.com/user4960389/lucia-puenzo/video/103175432
- https://www.eternacadencia.com.ar/blog/contenidos-originales/entrevistas/item/no-hay-nada-mas-esteril-que-pensar-algo-desde-el-tema.html
- En France, même si son usage n’est pas encore reconnu par l’Académie, l’emploi de pronoms non genrés par les personnes qui se déclarent non binaires pallie à l’absence de genre neutre, non binaire, et se propage, l’une des formes en voie de stabilisation étant « iel ».
- Gonzalo León, blog 19/06/2017, entrevista a Lucía Puenzo (Je souligne). https://www.eternacadencia.com.ar/blog/contenidos-originales/entrevistas/item/no-hay-nada-mas-esteril-que-pensar-algo-desde-el-tema.html
- Tusquets editores, fondée en 1969 à Barcelone, peu après Lumen, fondée par Esther Tusquets, a plusieurs filiales en Argentine depuis les années 80 et au Mexique depuis les années 90. Sa particularité, dans le contexte des années 2000, est d’avoir conservé une certaine autonomie – après avoir vendu 40 % de ses parts en 1995, elle les a rachetés au groupe Planeta – et de publier des textes étrangers, de la philosophie et des essais scientifiques. http://www.filosofia.org/bol/bib/tusquets.htm
- Les autres consacré·es en provenance d’Amérique Latine étaient cette années-là Alberto Olmos, Alejandro Zambra, Andrés Barba, Andrés Felipe Solano, Andrés Ressia Colino, Antonio Ortuño, Carlos Labbé, Carlos Yushimito del Valle, Elvira Navarro, Javier Montes, Pablo Gutiérrez, Rodrigo Hasbún, Santiago Roncagliolo et Sonia Hernández, soit une proportion de deux femmes pour treize hommes.
- Miriam Chiani, « Algunas coordenadas (más) sobre narrativa argentina del presente », KATATAY Revista crítica de literatura latinoamericana, año IX, n° 11/12, septiembre de 2014, p. 6-79. Dirigé par Teresa Basile et Enrique Foffani, le volume de deux cent pages rend compte de la présence et du dialogue de femmes écrivaines et de critiques et de la dynamique intergénérationnelle passionnante et complexe qui anime le champ littéraire argentin. https://edicioneskatatay.com.ar/system/items/fulltexts/000/000/021/original/Kataty_N_11-12_2014.pdf
- Dans leur article intitulé « Chicas del setenta. las narradoras hoy », Miriam Chiani et Silvina Sánchez mentionnèrent Florencia Abbate, Beatriz Actis, Inés Acevedo, Laura Alcoba, Selva Almada, Clara Anich, Gisela Antonuccio, Gabriela Bejerman, Pía Bouzas, Sonia Budassi, Gabriela Cabezón Cámara, Susana Campos, Julia Coria, Esther Cross, Mariana Dimópulos, Marisa Do Brito Barrote, Marina Docampo, Romina Doval, Mariana Enríquez, Paloma Fabrykant, María Fasce, Claudia Feld, María García, Fernanda García Curten, Fernanda García Lao, Mariela Ghenadenik, Mercedes Giuffré, Betina González, Violeta Gorodischer, Moira Irigoyen, Paola Kaufmann, Betina Keizman, Fernanda Laguna (Dalia Rosetti), Alejandra Laurencich, Josefina Licitra, Gabriela Liffschitz, Laura Meradi, Natalia Moret, Jimena Néspolo, Ana Ojeda, Pola Oloixarac, María Laura Pace, Susana Pampín, Romina Paula, Cecilia Pavón, Mariana Eva Pérez, Paula Pérez Alonso, Gisel Pica, Ángela Pradelli, Ingrid Proietto, Lucía Puenzo, Andrea Rabih, Patricia Ratto, Paula Ruggiere, Samanta Schweblin, Lara Segade, Ana-Kazumi Stahl, Patricia Suarez, Cecilia Szperling, Paula Varsavsky, Beatriz Vignoli, Shila Vilker, Alejandra Zina. Katatay, 2014, p. 45-79.
- On trouve parmi celles-ci Interzona, El Cuenco de Plata, Mansalva, Entropía, Libros del Tamarisco, Clase Turista, Funesiana, Eterna Cadencia, Tantalia, Pánico el pánico, mais aussi Adriana Hidalgo, Simurg, Libros del Zorzal, Santiago Arcos, Bajo la Luna Nueva, Beatriz Viterbo Editora ou, dans un registre plus radical encore, Eloisa Cartonera.
- Patricia Carbonari, « Entre la pluma y la cámara », Cinémas d’Amérique latine, 18, 2010, http://journals.openedition.org.ezproxy.u-bordeaux-montaigne.fr/cinelatino/1332
- Plusieurs textes de Sergio Bizzio ont été traduits en français, en particulier La realidad (2009), publié chez Christian Bourgeois en 2014 et qui évoque la télé-réalité et la célébrité médiatique.
- La nouvelle fait partie du recueil Chicos, Buenos Aires, Interzona, 2004.
- Lucía Puenzo la présentait ainsi en 2004 : « Es un certamen que hace una universidad exclusiva, que selecciona jóvenes entre los 30 mejores promedios, y se los llevan a vivir al sur, en la Patagonia, durante tres meses. Lo que nadie sabe es que en ese mismo certamen, unos años antes, desapareció una chica en circunstancias muy misteriosas. Hay un secreto en torno de lo que pasó con esa chica, si está viva o muerta, y en cuanto a lo que esconde ese pueblo. Los chicos empiezan a percibir que están ahí por otras razones, a partir de algunas muertes supuestamente accidentales. Cuando quieren escapar, no pueden hacerlo » (Friera, 2004).
- Ileana Margarita Rodríguez Martínez, « Narrar desde la otredad o desde el lado misterioso de las cosas. Entrevista con Lucía Puenzo », 12/01/2015. Cette année-là, Lucía Puenzo fut Jury du Festival de cinéma latinoaméricain de La Havane.
- Le film est réalisé par Luciano Cáceres et produit par César Fajardo, Sandro Frezzan, Esteban Puenzo, Luis Puenzo – son frère et son père –, Gianfranco Quattrini et Rosanna Seregni.
- Fabiana Scherer, entrevista, « Lucía Puenzo : el gran salto », El Planeta urbano, noviembre de 2015. À propos de Cromo : « El thriller científico que fue filmado en la Base Marambio, el Perito Moreno, El Calafate y los Esteros del Iberá, entre otros lugares de gran belleza natural de la Argentina, […]. Con una gran carga de actualidad ecológica, tiene como eje la extraña muerte de una bióloga en el medio de una investigación. » http://elplanetaurbano.com/2015/11/el-gran-salto-3/
- L’ambition de cette co-production argentino-chilienne qui réunit Historias Cinematograficas Cinemania, Color Monster, Demente Producciones Chile, Puenzo Hermanos et Tieless Media, est de toucher un public transrégional.
- D’après la revue européenne des médias numériques, aux États-Unis on nomme ainsi la ou le créateur·rice d’une série TV, généralement un·e scénariste de télévision expérimenté·e qui supervise chaque étape du processus de création audiovisuelle, de la conception originale au dernier épisode produit et dont le nom apparaît au générique en qualité de producer. https://la-rem.eu/2014/04/showrunner/
- Ces témoins sont Cristian Czainick (acteur), Florencia Gemetro (activiste de H.I.J.O.S), Victoria Ginzberg (journaliste), Martín Mortola Oesterheld (petite fille du créateur de El Eternauta), Úrsula Méndez (employée) et Claudio Novoa (frère d’un des membres du groupe de ska-reggae Los Pericos).
- La seule référence que j’ai trouvée concernant sa mère se trouve dans un entretien de Rosario Bléfari intitulé « El inquilino » : « Lucía Puenzo aún tiene en los ojos el reflejo del Amazonas y la afinación que produce la unión de los armónicos que emiten todas las especies que habitan la selva, ese sonido ensordecedor que luego produce la calma más profunda. Viene de visitar a su madre que trabaja como fisioterapeuta en una eco-aldea alejada de la civilización tecnológica. », Página 12, 13/09/2013.
- Tous deux firent l’objet d’une restauration numérique et d’une diffusion et distribution internationales à partir de la projection à Cannes en 2015 de La historia oficial.
- Le synopsis de Algunos que vivieron indique : « El film entrelaza relatos personales de sobrevivientes del Holocausto radicados en la Argentina y Uruguay con imágenes documentales de la Shoah. En sus testimonios, los sobrevivientes cuentan tanto sobre el clima de creciente antisemitismo en Europa en los años anteriores a la Segunda Guerra Mundial, como los sufrimientos que padecieron durante la misma y en la etapa posterior a ella. El director ensambla esos testimonios con los episodios más oscuros de la historia argentina reciente, logrando un efecto singular. »
- Après un premier volume intitulé Los prisioneros de la torre. Política, relatos y jóvenes en la postdictadura (Émécé, 2011), consacré à la naissance des formes narratives depuis les années 90, l’écrivaine, essayiste et universitaire Elsa Drucaroff récidiva avec Panorama Interzona.Narrativas emergentes de la Argentina (Interzona, 2012) dont elle rédigea le prologue, Lo que se viene : « Algunos han nacido y crecido en la postdictadura y las fechas 19 y 20 de diciembre de 2001 o el conflicto campero de 2008 son las efemérides que sintetizan, tal vez, el alumbramiento de su conciencia política. Otros eran niños durante la masacre de la última dictadura y su llegada a la conciencia ciudadana está marcada por Malvinas y 1983. En algunos casos, la postdictadura es una marca de pertenencia: la “democracia de la derrota” ; es decir, la de una nación atravesada por la impunidad y los fantasmas – muertos insepultos – , que acumuló frustraciones hasta tocar un fondo nunca antes imaginado; un país que hasta hace muy poco pareció condenado. En otros casos, la marca tal vez esté precisamente en algo opuesto: un cambio de clima social que lenta pero persistentemente fue imponiéndose y que comenzó a resignificar la política y el debate sobre un proyecto de nación. » https://fundaciontem.org/prologo-panorama-interzona-narrativas-emergentes-de-la-argentina/