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Au terme de cette présentation, nous espérons que d’autres chercheurs sauront mettre en perspective le document que nous éditons et qui fait parcourir plusieurs étapes : – les cessions de dîmes c. 1240-1290 ; – leur confirmation par Clément V en 1309 ; – mise en ordre des droits épiscopaux vers 1520 et enfin le travail des archivistes ecclésiastiques au XVIIIe siècle. Une telle entreprise impliquerait une comparaison avec d’autres diocèses de la France méridionale, tant du point de vue de la cession des dîmes que de la mise au net des droits épiscopaux du XIIIau XVIe siècle.

Quant à la question des dîmes, alors que le cas du diocèse d’Agen s’apparente nous l’avons vu à celui d’Albi, sans doute faudrait-il s’enquérir systématiquement de tous les délaissements par fractions énièmes opérés par de petits seigneurs, alleutiers ou non. Cela vaut au premier chef pour le Midi languedocien. La crise “hérétique” y procède en partie du dominium de l’Église grégorienne qui, en s’appesantissant, a mis en cause les droits ancestraux de groupes de “propriétaires”1. La Gascogne, peu touchée par l’hérésie, vaut aussi d’être envisagée car la possession des dîmes, voire dans la zone pyrénéenne la mainmise des communautés sur les affaires paroissiales, s’inscrivent dans la longue durée2. Proche du diocèse d’Agen, le diocèse de Bordeaux n’offre que peu de ressources documentaires sur ces points mais le “cartulaire” copié à la fin du Livre velu du chapitre cathédral3 comporte une quinzaine de cessions de parties de dîmes par des personnages de la petite aristocratie dans le premier tiers du XIIIe siècle, et au-delà les renseignements font défaut.

Les quelques textes édités avec le bullaire pour le compléter, les Preuves d’Argenton qui mentionnent de nombreux originaux tirés des archives de l’évêché mais aussi de pièces tirées d’un cartulaire épiscopal soulignent que le recueil G/C 1 s’inscrit dans un ensemble documentaire complexe. À en juger par les extraits copiés dans les Preuves, le cartulaire épiscopal ne comportait pas de pièces antérieures à 1226, la plupart se situaient entre 1246 et 1295, les actes plus tardifs s’avèrent très rares4 ; les cessions de dîmes ne paraissent pas dans ce recueil, comme nous l’avons déjà remarqué, mais la coïncidence approximative entre cette “cartularisation” et la fourchette chronologique des cessions de dîmes enregistrées dans le bullaire montre que l’action volontariste des évêques pour prendre possession des dîmes aux mains de laïcs et cette récollection de textes, possiblement opérée peu après 1295, procèdent d’un même effort de construction administrative du diocèse. L’inscription des remises temporaires de dîmes à des ecclésiastiques dans le cartulaire révèle l’attention portée à ce type de revenus à la fin du XIIIe siècle, mais les délaissements de dîmes consentis par les laïcs n’ont pas été consignés dans le seul cartulaire épiscopal qui subsistait du temps d’Henri Argenton ; l’évêque a préféré leur faire conférer une authenticité et une durabilité bien plus sûres que l’enregistrement dans un cartulaire qui n’était jamais intégralement exempt du moindre soupçon. 

Ces deux initiatives administratives et juridiques amènent à souligner l’importance de l’épiscopat de Bertrand de Got (1292-1313), alors que l’on ne voit généralement en lui que l’oncle de Clément V et qu’il ne parait même plus dans les Rôles gascons après 1303 : Fabrice Ryckebusch souligne du reste par trois fois dans la notice qu’il lui a consacrée que l’on sait peu de choses sur son activité dans le diocèse5. Or, à l’évidence, il s’est montré attentif aux dîmes alors qu’elles devaient représenter une part importante des revenus de l’évêché6. Cet évêque avait été archidiacre d’Agen en même temps qu’il remplissait des missions administratives pour le roi-duc ; devenu évêque, il avait nommé archidiacre Arnaud de Canteloup dont la promotion ensuite comme cardinal et camerlingue tient certainement à des liens familiaux mais aussi à une compétence administrative reconnue7. Les droits et revenus de l’évêché d’Agen étaient entre des mains capables. 

En outre, nous l’avons vu, Bertrand de Got a lancé le grand chantier de la cathédrale d’Agen car le pape, en mai 1309, l’autorise, ainsi que son chapitre, à percevoir la première annuité de revenu des bénéfices qui allaient se trouver vacants dans son diocèse pour financer cette construction8. Enfin, on s’accorde à reconnaitre dans le Bréviaire choral à l’usage de l’Église d’Agen9, un monument commandité par lui. La ville d’Agen a récemment fait l’acquisition d’une page venant de la dislocation de ce volume.

Bertrand de Got devait tenir à son évêché, car après l’avoir cédé à son petit-neveu Bernard de Farges et avoir été transféré au siège prestigieux de Langres, il y revint quand son jeune parent fut bien vite nommé archevêque de Rouen. Les requêtes faites par lui au pape pour garantir les droits épiscopaux sur les dîmes se situent précisément dans cette dernière phase de son épiscopat qui n’est donc pas une morne fin, sans rien à signaler qu’un évêque ou malade ou trop vieux. 

Le pays a connu pendant la vingtaine d’années où il siège à Agen une période globalement faste, probablement celle de la plus forte prospérité économique de la cité au Moyen Âge10. L’activité n’a que peu souffert de la guerre de Gascogne et Agen a poursuivi son développement, manifeste lors de la seconde moitié du XIIIe siècle avec l’implantation de quatre couvents d’ordres mendiants chacun au cœur d’un nouveau quartier11 et avant les grands travaux des fortifications dont le lancement est attesté en 132812, après l’obtention de droits de pavage et de barrage pour servir aux réparations du pont en 132513.

Ainsi l’épiscopat de Bertrand de Got doit-il être réévalué. Dans un contexte favorable, il n’a pas brillé par son action pastorale mais a su se monter attentif aux revenus de son siège, à son administration et on lui doit un investissement documentaire visant à pérenniser ses droits tous en rehaussant la dignité de la liturgie dans sa cathédrale. Il a mesuré l’importance de l’écrit pragmatique et symbolique.

Nous n’avons pas trouvé à ce jour d’équivalent à la série de confirmations obtenue en 1309 par l’évêque d’Agen de son parent, le pape. Comme le bullaire de Valier, est associé à un pouillé, nous avons recherché dans les introductions des pouillés des provinces d’Auch, Narbonne, Toulouse et de Bordeaux édités dans le Recueil des Historiens de la France, des éléments indicatifs qui montrent à l’évidence des évêques qui se souciaient de faire le point sur leurs droits, et ce dès la seconde moitié du XIIIe siècle. Un état des dîmes de trois archidiaconés du diocèse d’Auch serait daté de 1265 d’après une copie de dom Louis-Clément Brugèles (1679 -† après 1746)14 ; en 1269, l’évêque de Carcassonne Bernard de Capendu et son chapitre cathédral ont fait dresser une liste de leurs revenus décimaux et temporels15 ; un peu plus tard vers 1300, l’évêque d’Aire disposait d’un état de ses droits sur les dîmes de son diocèse16. Pour Lodève nous ne trouvons rien de tel mais Bernard Gui (1324-1331) a ordonné la compilation de quatre forts volumes reliés avec des documents tant anciens que nouveaux de son temps, touchant aux reconnaissances de fiefs, de châteaux, villages, manses et usages, avec d’autres annexes quant aux droits de l’évêché et de l’évêque de Lodève17. Dans la province de Bordeaux, on relèvera surtout le cas de Poitiers où Gautier de Bruges fait recenser vers 1302-1307 les églises de dono episcopi pleno jure, les procurations épiscopales et un pouillé général détaillé du diocèse18. L’initiative de Bertrand de Got prend place dans un temps d’affermissement administratif de l’autorité épiscopale dans chaque diocèse, que ce soit du point de vue de la collation des cures ou des prélèvements décimaux ou autres. L’ensemble des bulles, puis le bullaire et le pouillé marquent aussi la construction d’une territorialité ecclésiastique rigoureuse19.

Ce dossier documentaire soulève aussi la question de la transmission des archives et de leur traitement au fil du temps, en particulier à la fin du Moyen Âge. Nous n’avons pas trouvé beaucoup d’indications sur les années 1480-1520 mais là aussi d’autres que nous saurons certainement réunir une documentation plus nourrie sur la période de reconstruction suivant les désordres consécutifs aux guerres, au Schisme, et aux tiraillements entre le roi et le pape après la Pragmatique Sanction. Signalons juste que Pierre Soybert, évêque de Saint-Papoul, nommé en 1427, a eu d’abord le souci de reconstruire son palais, de récupérer des titres dispersés et ensuite, en 1443, de faire une grande compilation sur les saints, les abbés puis évêques de son diocèse20.

Vers 1480-1520, les clercs de l’évêque d’Agen, dans un but qui n’a rien à voir avec un intérêt pour l’histoire mais pour fonder les droits temporels comme ecclésiastiques de leur prélat, copient des textes remontant parfois à la fin du XIIe siècle ; ils s’essaient, au moins deux reprises, à coter les bulles de Clément V ; rien n’indique une entreprise analogue systématique pour d’autres pièces au même moment, mais une vingtaine d’années plus tard,   commence la compilation d’un registre de collations, qui reprend des actes vieux parfois de 20 à 40 ans21. Les clercs de l’évêché travaillant à l’aube de l’époque moderne n’ont certainement pas utilisé les annotations déjà portées au dos de petits originaux pour se lancer dans leur inventaire détaillé. Pour la fin du XVIIIe siècle, que l’on peut appeler l’époque d’Argenton et de ses successeurs aux archives de l’évêché, la question mérite d’être posée car les analyses figurant au dos de certaines pièces pourraient être le corrélat d’un inventaire comme c’est le cas pour les annotations portées de la main qui les a recopiées sur le catalogue de 1790. Un examen systématique de ce dossier serait sans doute nécessaire. Le mode d’administration et de classement de ces archives anciennes a conditionné leur transmission, tout comme le souci d’érudition historique propre à quelques-uns des clercs ayant en charge ces fonds anciens. Les ultimes étapes de la transmission des archives ecclésiastiques avant leur saisie mériteraient sans doute, aussi, une attention spécifique. 

L’espoir des auteurs de cet ouvrage est de susciter d’autres travaux pour réduire les zones d’ombre qu’ils ont laissées dans le champ de l’histoire locale et d’offrir une occasion parmi d’autres de découvrir une société rurale où, au XIIIe siècle, la terre est aux mains de centaines de possesseurs de rang très moyen et où chevaliers, damoiseaux et bourgeois cousinent de plus ou moins loin. Nous nous sommes aussi efforcés de contribuer par un exemple particulier aux courants historiographiques montrant la réalité protéiforme et évolutive de l’institution ecclésiastique : elle ne s’inscrit bien dans les principes grégoriens sur le dominium de l’Église qu’avec un retard sensible et toujours dans un ajustement pragmatique avec les contingences locales. Elle a arraché, pour ne pas dire confisqué, des revenus patrimoniaux aux laïcs au prix de décennies de harcèlement juridique et moral mais en sachant laisser des contreparties, attestant d’une culture du compromis avec des familles de possédants dont le clergé était issu. Malgré la perte d’information due au processus d’analyse, le bullaire de Valier offre une riche matière documentaire que nous avons voulu rendre accessible.

Notes

  1. Théry 2011 ; Théry & Biget 2020.
  2. Cursente 2004, 285-305. S. Brunet dans sa thèse Les prêtres des montagnes (Val d’Aran et Comminges, vers 1550-vers 1750), Cursente B., “Chronique des thèses”, Annales du Midi, 1998, p. 107-108, souligne que la possession des dîmes par les communautés paroissiales s’est mise en place au tournant des XIIIe et des XIVesiècles “comme une forme de résistance au mouvement de restitution des dîmes”.
  3. Arch. dép. de la Gironde, 4 J 73 f. 52v, 55r-57r, 60 r, 63 v, 104r.
  4. Arch. dép. de Lot-et-Garonne, 91 J 3, p. 18, 25-44, 47, 50, 98-100.
  5. Ryckebusch 2001, 95-98.
  6. Si l’on en juge par le cas du monastère du Paravis, les dîmes jouent un rôle structurant et déterminant dans l’ensemble des possessions. Et stable car ces dîmes acquises pour l’essentiel au XIIIe siècle représentent au XVIIe siècle 45 % des revenus du couvent (Simon 1987, 322).
  7. Ryckebusch 2001, 133.
  8. Clément V, n° 4276.
  9. BnF, NAL 2511.
  10. Même si une disette est attestée en mai 1305, Chartes Agen, 240-241 (n° 132).
  11. Lavaud 2017, t. I, 162-164.
  12. Ibidem, t. I, 166.
  13. Chartes Agen, 312 (n° 155).
  14. Perrin et al., éd. 1972, 3-9.
  15. Ibidem, 169-173.
  16. Ibidem, 55.
  17. Ibidem, 141.
  18. Le Maresquier-Kesteloot et al., éd. 2020, 58-61.
  19. Lunven 2014, Mazel 2016 ; Mazel & Noizet 2021.
  20. J. de Font-Réaulx et al., éd. 1972, p. 258.
  21. Bibl. Mun d’Agen, ms. 9, Liber collationum.
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Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782356135063
ISBN html : 978-2-35613-506-3
ISBN pdf : 978-2-35613-508-7
ISSN : en cours
5 p.
Code CLIL : 3377; 3438
licence CC by SA

Comment citer

Lainé, Françoise, Simon, Pierre, “Perspectives”, in : Lainé, Françoise, Simon, Pierre, avec la collaboration d’Ézéchiel Jean-Courret, Bullaire de l’évêché d’Agen, compilé par Jean Valier vers 1520. Les cessions de dîmes à l’évêque d’Agen, c. 1240-1290, Pessac, Ausonius éditions, collection Textes @quitains 1, 2023, 133-138, [en ligne] https://una-editions.fr/perspectives-bullaire-valier [consulté le 06/11/2023].
10.46608/textesaquitains1.9782356135063.7
Illustration de couverture • Dos du bullaire de Valier ; signature de Jean Valier 1520 ©Archives départementales du Lot-et-Garonne.
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