Lors du siège de la ville protestante de Sancerre par les troupes de Henri d’Anjou, en 1573, la famine extrême poussa ses habitants à ingérer les aliments les plus repoussants. Jean de Léry, dans son Histoire de Sancerre, écrite très rapidement après le siège, expose les étapes de la faim : les habitants en viennent à manger les ânes et les mulets, puis les chevaux, les chats, les rats, les taupes et même les chiens, « chose – ajoute Léry – que je ne crois avoir esté avant pratiquee1 », les cuirs et les parchemins, les herbes et les racines, jusqu’à la ciguë2, marque de la folie à laquelle mène la faim3, leurs propres excréments enfin. Il semble alors, à ce terme de la narration, qu’il n’y ait plus que la mort comme issue, mais Léry, ménageant le souffle narratif, prépare le sommet des péchés et des épreuves : les Sancerrois ont commis la plus grande des transgressions, celle du cannibalisme, et, pis encore sans doute, de la tecnophagie, qui consiste à dévorer ses propres enfants et dont la conception nous est si effroyable qu’elle est prise en charge par la mythologie et l’art, se substituant à la crudité du réel4. Jean de Léry, alors ministre du culte dans la ville assiégée, s’est trouvé être le témoin d’une scène terrifiante. Alerté par la rumeur – donc témoin second en réalité et relais d’un scandale déjà amorcé –, il se rend dans une maison de la ville qui a été le théâtre d’une scène atroce. La grand-mère La Feuille y a fait cuire sa petite fille morte quelques jours auparavant et l’a partagée avec la mère de l’enfant, qui, elle-même, en a donné au père. Léry détaille les reliefs du festin macabre : intestins délaissés par le trio infernal surpris, crâne bouilli. Lui qui avait assisté à maintes reprises aux repas cannibales des indigènes du Brésil, près de vingt ans plus tôt5, fut si violemment choqué par ce spectacle sancerrois qu’il en vomit. Il ne s’arrête pas cependant à cette première réaction physique et naturelle : il remet ensuite les cannibales aux mains des juges, faisant en cela un acte de ministre du culte et de citoyen, et écrit la relation de l’Histoire mémorable de la ville de Sancerre alors que celle du Brésil était encore en gestation – acte à la fois de pasteur, de témoin6, d’historien et de victime de cette vision dont il lui restait à faire la catharsis par l’écrit7. On a déjà écrit sur cet épisode des guerres de Religion, chargé d’horreur et de symbole, notamment pour comparer le cannibalisme tupi que connaissait Jean de Léry et le cannibalisme de nécessité : Frank Lestringant, qui a analysé l’épisode au cœur de son ouvrage Le Cannibale. Grandeur et décadence8, évoque plus précisément, avec René Vérard, le « scandale », dans la préface de l’ouvrage d’Abraham Malfuson, 1573. Sancerre. L’enfer au nom de Dieu9, sans s’attarder cependant sur la question de la définition, précisément, de ce « scandale » ; Géralde Nakam a commenté l’affaire dans son édition de L’Histoire de Sancerre10 ; Vincent Grégoire, en revenant à l’épisode, pense le cannibalisme symbolique par rapport au cannibalisme réel11, et j’ai moi-même eu l’occasion, dans leur sillage, de m’intéresser à cet événement12. Si j’y reviens aujourd’hui, c’est que l’écriture d’un crime si frappant et si révoltant, qui est présenté par Léry lui-même comme « le comble de toute misère & du iugement de Dieu13 », me semblait s’imposer à l’analyse des questions du scandale et de la mémoire des guerres de Religion. Or, l’entreprise de Jean de Léry est ici ambiguë, car elle prolonge le scandale et le pérennise dans la mémoire des hommes tout autant qu’elle permet de le dénoncer14 : d’une part les cannibales ont été jugés et brûlés avant l’écriture de l’épisode – sauf la grand-mère, morte en prison avant son supplice –, et son texte ne peut qu’aider à la diffusion d’une sombre histoire qui ne mériterait sans doute que d’être enfouie pour ne pas détourner les hommes de Dieu ; d’autre part, le style du passage, très dramatique, contribue à rendre l’acte certes révoltant, mais aussi bien fascinant.
Nous verrons comment Léry construit le scandale pour mieux le maîtriser par l’écrit. Il commence par le mettre en scène pour s’emparer ensuite de sa propre stupeur et traduire l’événement en termes judiciaires et moraux, avant de le situer dans la comparaison avec d’autres actes de cannibalisme, pour mieux le définir, le circonscrire et le maîtriser.
Un scandale mis en scène
La situation d’énonciation semble fondamentale dans l’appréhension de ce qui peut se définir ici comme un scandale, sans pourtant en porter le nom explicitement. Le narrateur adopte une position de témoin, revendiquée dans un texte qu’il constitue en hypotypose. Jean de Léry insiste, car l’enjeu est double, judiciaire et mémoriel : « m’estant acheminé prés le lieu de leur demeurance, & ayant veu », « ayant veu aussi », « y en a-on veu ». Lorsque le témoin dévoile ces parents qui « mangeoyent de si grande avidité » leur fille (p. 92), la scène suscite à la fois le dégoût et donc le rejet violent qui s’exprime de manière corporelle, la frayeur métaphysique qui saisit et fige avant de pouvoir être interprétée en ces termes, la pitié enfin envers cette fille dont les parents, devenus loups, ne sont plus parents, s’ils l’ont jamais été15. Léry exprime les « grand estonnement & frayeur de tous ceux qui entendirent [l’histoire] » (p. 93), l’imagination transformant la vue en vision, par le biais de l’enargeia du récit. Jean de Léry exprime sa réticence et son dégoût lorsqu’il installe le contexte de la scène, celui d’une ville dévastée par la famine, dans laquelle les habitants « se paissoyent de la fiente des hommes & des bestes », et « au reste amassoyent toutes sortes d’ordures & vilenies par les rues, grattans sur les fumiers, y cherchans les vieux os, vieilles cornes » ; il se présente lui-même en relais d’un dégoût suprême, qui atteint profondément le corps, lorsqu’il se dit « si effroyé & esperdu que toutes [ses] entrailles en [sont] esmeues ». Le spectateur est donc bien présent : c’est le narrateur lui-même, qui se fait également prologue dans une poétique de la lamentation : « helas ! ô Dieu eternel ».
Le rythme de la phrase soutient la dramatisation orchestrée dans la mise en scène. En effet, l’annonce du comble des péchés se fait dans une longue protase16 préparant l’annonce du « crime prodigieux, barbare & inhumain », dans un double effet de distanciation : le rythme repousse la vision et fait ainsi sortir l’acte cannibale du champ des actions humaines. Là est sans doute tout le paradoxe du choix narratif de Jean de Léry : la dimension théâtrale, l’illusion scénique, figent la scène et l’encadrent comme pour l’ériger en symbole absolu du mal, mais les prismes par lesquels passe Léry obligent le lecteur au détour. Ainsi, de la mise en scène et de l’écriture naissent les parallélismes religieux. Celui avec le Deutéronome est explicite17, celui avec les Lamentations de Jérémie également18. L’intertexte avec la Genèse et le péché d’Adam et Eve est transparent19 ; la structure même de la phrase évoque le style biblique : « Et lors la vieille & luy en mangerent les premiers, & luy en ayant baillé elle en mangea aussi » (p. 93). Léry, en bon ministre, laisse à penser que le péché de la grand-mère est immédiatement puni par la main de Dieu, cette dernière mourant le lendemain en prison ; il ne précise pas que c’est sans doute de faim. Cependant, dans une vision anagogique, ce détour, s’il est stylistiquement effectif, ne serait-ce que par la lenteur du rythme qui s’instaure dans ces parallèles, n’en est pas véritablement un. La référence biblique vient au contraire rendre d’autant plus réelle la scène. Jean de Léry, traduisant la justice divine, se fait alors le relais de ce scandale qui est une nouvelle révélation du péché des hommes. La réalisation des prophéties bibliques advient dans l’horreur.
Seulement, Jean de Léry ne peut en rester au stade du dévoilement, qui ne fait que rendre présent un scandale qu’il ne pouvait cacher. Il doit par la suite neutraliser ce dernier, et c’est pourquoi le texte se prolonge, tout d’abord dans une exposition des effets de la justice terrestre, ensuite dans une nouvelle série de parallèles avec des épisodes récents et pourtant différents de cannibalisme.
Échapper aux conséquences du scandale
Il ne faudrait pas que ce scandale dévoilé donnât de mauvaises idées, non pas aux affamés de Sancerre – le siège étant terminé depuis plusieurs mois lorsque le livre est publié –, mais aux probables affamés à venir dans le contexte des guerres de Religion. Il faut donc neutraliser le scandale, après l’avoir mis en évidence. C’est là que la justice terrestre a une part fondamentale et que Jean de Léry, en tant que témoin et en tant qu’auteur, joue un rôle décisif. Le crime doit être jugé pour que le scandale soit non pas étouffé, caché, mais que ses effets soient maîtrisés et que la punition du crime remplisse son rôle dissuasif. On peut comprendre en ce sens le récit de Jean de Léry comme une duplication du procès, une monstration du châtiment : de la même manière qu’on pend les criminels au gibet ou que l’on brûle les hérétiques sur les places publiques, il s’agit de prévenir d’autres crimes et d’autres conversions au mal. Cependant, Jean de Léry affiche au cœur de son récit des convictions qui semblent contredire celles qu’il émet dans la préface de son livre. À l’orée de Histoire de Sancerre, il écrit : « Qui osera dire […] que les habitans de Iuda, les uns contraincts par la faim, comme tesmoigne Ieremie, iusques à manger leurs propres enfans […] ayent eu le tort20 ? » Et plus loin : « Il n’y a iuste occasion de donner le tort à ceux de Sancerre, parce qui leur est advenu, ni le droict aussi21. » Lui qui ne veut s’aventurer à interpréter les mystères de Dieu ni à juger à sa place de la culpabilité des hommes, s’emploie pourtant à faire du crime tecnophage des Potard et de la grand-mère La Feuille une faute dont ils sont pleinement responsables : en effet, l’exposition de leur crime semble avoir rendu l’argument de la tentation envoyée par Dieu difficile à soutenir, comme si Dieu lui-même ne pouvait envisager pareille mise à l’épreuve. Dès lors c’est la responsabilité et la culpabilité qui s’ensuit qui donne corps au scandale. L’excuse de la faim n’en est pas une :
Ils avoyent eu l’ausmone d’un potage d’herbes, & du vin competemment, (car de pain on n’en parloit point lors) & que, veu la necessité où chacun estoit reduict, cela estoit suffisant pour passer ceste iournée (p. 93).
Bien au contraire, les circonstances de l’acte sont aggravantes, puisque le péché est bien ici un comble de péché, commis par cette famille réputée pour ses mauvaises mœurs. Ils sont « mal renommez », « tenus pour yvrongnes, gourmands, & mesmes cruels envers leurs enfans » (p. 93), et – chance pour Jean de Léry et le parti protestant – ils ont en réalité été excommuniés par le consistoire pour avoir contracté un mariage alors que le premier mari de la dame incriminée n’était pas mort, et pour s’être mariés chez les catholiques. Potard est en outre convaincu d’avoir tué un homme, mais qu’importe finalement : ces monstres ne sont plus protestants, la communauté est sauve. Lorsque le mot « scandale » est mentionné dans ce contexte, c’est à propos d’un acte concernant spécifiquement le domaine religieux. L’exemple mauvais de celui qui fait ouvertement, sciemment un affront à Dieu, réalisant par là-même un scandale actif, risque d’être pour d’autres personnes une « occasion de chute » : « ils s’allerent espouser à la papauté : pour lesquels scandales22 ils avoyent esté plusieurs fois appelez ». Jean de Léry insiste donc sur l’exclusion du couple – si ce n’est du trio – infernal de l’Église protestante ; il va plus loin en faisant planer le doute sur leur appartenance à la communauté humaine, ou du moins en les rendant monstrueux. Jean de Léry scande cette éviction, duplication de l’excommunication, en trois termes réunis dans l’expression « cruauté barbare & plusque bestiale » qui fait passer les Potard du côté des lycanthropes plus que des cannibales. S’ensuivent la condamnation en justice, le feu pour purifier, et le traitement infâme (« trainez sur une claye ») pour ces nouvelles figures d’homo sacer, séparées des hommes et livrées à la vindicte publique. Conformément à la justice de l’époque, l’exposition dans le discours de Léry sert à exhiber l’exemple à ne pas suivre.
Le scandale s’inscrit dans une logique anagogique mais doit être fermement dénoncé et pris en charge par la justice terrestre. Il doit également être situé par rapport aux autres cas de cannibalisme de l’histoire et des temps quasi contemporains. C’est l’occasion pour Jean de Léry d’évoquer une anecdote similaire qui s’inscrit dans l’histoire temporelle, pour mieux marquer les similitudes et les différences, et de parler de son expérience dans le Nouveau Monde, de façon brève et relativement allusive pour le moment, en attendant le grand œuvre.
La Bible, Abbeville et l’Amérique :
historicisation, rationalisation, judiciarisation
L’épisode cannibale prend son rang dans une histoire qui va des temps bibliques à l’époque contemporaine, et vient attester la véracité de la Bible davantage encore qu’il n’est confirmé par cette dernière. Pour soutenir le poids de cette image insoutenable qu’il se remémore sans cesse et que l’écrit réactive pour la conjurer, Jean de Léry rappelle les épisodes bibliques, en ouvrant son chapitre sur la famine : « la famine de Samarie », « l’histoire tragique & prodigieuse durant le siege de Ierusalem », « ce qui advint à Numance estant assiegee » « ne seront plus revoquees en doute23 ». Le narrateur prévient alors ainsi ses lecteurs : ces histoires ne mettront pas les hommes « en plus grande admiration » que celle qu’il s’apprête à conter. On mesure à nouveau l’art du suspens qui attise l’intérêt du lecteur, et la façon dont Jean de Léry empêche toute contestation de la vérité du fait. Le terme d’« admiration » dénote la stase qui est le point de départ du scandale, cet arrêt du cours normal de la vie, qui peut, dans la perte des repères qu’il entraîne, provoquer l’occasion de pécher, selon le premier sens donné par le dictionnaire de Cotgrave : « A scandall, offence, occasion or cause of another mans sinning24 ». Le lecteur est tout d’abord saisi d’étonnement, d’effroi, puis se ressaisit et ce ressaisissement se fait dans la contagion par la rumeur, par l’écrit. Vient alors une autre signification du scandale, le désordre second, troisième sens donné par Cotgrave : « a slurre, tumult, uprore », le tumulte25. La forme de cet écrit est alors décisive. Tout en avouant, soulignant, transmettant cet effroi, Jean de Léry le contient et le réfrène dans une écriture qui se veut factuelle et historique, faisant appel à la raison plus qu’aux passions. Le cannibalisme fait partie de l’histoire des hommes, la Bible le prouve, les exemples plus proches ne manquent pas non plus, en France ou dans le souvenir pas si éloigné du voyage en Amérique.
Le premier exemple contemporain évoqué par Jean de Léry ramène le lecteur à un temps lointain mais non immémorial, celui de la famine de 1483, près d’Abbeville, sans doute consécutive à l’épidémie de peste qui y sévit. Dans ce contexte, une femme aurait capturé des enfants pour les manger. On est à la fois très proche de l’univers du mythe et ramené à la réalité par Jean de Léry. La mention de cet épisode semble avoir pour fonction de mesurer la faute, de ramener le scandale de l’acte des Potard à un crime évaluable et jugeable. Ainsi, si l’ogresse d’Abbeville, qui fut brûlée, semble plus condamnable que le trio sancerrois dans la mesure où elle mettait à mort, elle est aussi plus excusable parce que la faim constituait une circonstance atténuante. Elle est déjà connue aussi, en un sens, et intégrée dans la culture, comme pendant féminin des ogres médiévaux issus du monde des contes et légendes26.
Le cas américain, quant à lui, pose la question d’un cannibalisme d’une autre nature, car il amène à le penser de façon très pragmatique. L’exemple apparaît de façon incongrue, car il n’est pas exposé, pas développé, ne fait pas l’objet d’un éloge paradoxal comme ce fut le cas par la suite sous la plume de Montaigne, ou auparavant sous celle de Bartolomeo de
Las Casas27. Jean de Léry ne le mentionne que pour donner un peu plus de consistance et de réalité au cas Potard, tout en se posant à nouveau en témoin :
[…] I’ay observé estant avec les Sauvages Ameriquains, que les vieilles femmes de ces pays là sont beaucoup plus friandes, appetent & souhaittent plus de manger de la chair humaine que les hommes, ny que les ieunes femmes & enfans (p. 94).
Si les grands-mères mangent donc volontiers de la chair humaine, c’est en raison de leur tempérament : une histoire d’humeurs et de physiologie. Le fait scandaleux n’est pas un fait incroyable, et c’est bien pour cela qu’il est extrêmement dangereux : le scandale est attesté même s’il fait horreur et il faut lui conserver sa charge horrible. La grand-mère La Feuille concentre l’ambiguïté du cas sur sa personne, car elle porte le poids de son tempérament tout en incarnant le péché comme forme seconde du serpent édénique, et le diable comme sorcière aux sordides potions. L’observation cependant apparaît comme une parenthèse sur laquelle Jean de Léry ne met pas l’accent, affirmant qu’il « laisse ceste dispute aux Medecins » (p. 94).
Le dernier cas évoqué par le ministre est une tentative de cannibalisme avortée. Il surgit dans le texte sous forme de question et de conclusion, par l’intermédiaire d’« un quidam », sans doute plus construction rhétorique que personne réelle, dont la morale vacille. La faim l’amène à relativiser le crime de cannibalisme, puisqu’il le pense en termes logiques et non en termes moraux : il a faim ; cet homme, qu’il désigne, est mort, sa fesse serait nourrissante ; peut-il donc en manger ? Léry aurait répondu en comparant le quidam aux bêtes sauvages. On voit ici que le ministre oscille entre la considération d’un cannibalisme comme fait humain, et la relégation de ce dernier au rang d’acte bestial. Il convient pour le lecteur de comprendre que de telles horreurs ont bien lieu, et qu’elles n’en sont pas moins horribles parce que réelles. Le cannibalisme est la marque du mal, et le scandale commence par la banalisation du péché. L’inscrire dans l’histoire ne revient pas à le rendre acceptable, mais permet de pouvoir s’en saisir en refusant de s’arrêter au stade du pur scandale, dont on ne sait que faire sinon être scandalisé. Face aux actes cannibales, on peut agir, et Léry semble établir une casuistique du scandale, en distinguant entre le cannibalisme de nécessité, allant jusqu’à la bestialité de l’ogresse et le cannibalisme plus raffiné, ritualisé, admettant le temps de la cuisine et le partage diabolique. Ce dernier ferait franchir un degré supplémentaire dans l’offense à Dieu, et partant, dans la sévérité de la punition.
Ainsi le mot « scandale » est employé pour désigner un acte – celui du mariage de protestants dans une autre confession que la leur, alors que le premier mari n’est pas mort – qui semble caractérisé par plusieurs traits : c’est un affront fait à la religion, affront qui est public et scellé par une obstination dans le péché. Le scandale serait donc ici à la fois ce qui fait parler, ce qui délie la langue mauvaise, ce qui cause du tumulte, et, au sens premier cité ci-dessus, ce qui peut inciter à pécher par l’exemple ou à se détourner de Dieu. L’histoire elle-même – et donc l’acte cannibale qui est en son centre – est qualifiée quant à elle de « piteuse » (p. 94) et non de « scandaleuse ». Jean de Léry s’est trouvé être un maillon de la chaîne du scandale menant de l’acte « d’une moindre rectitude fournissant une occasion de chute28 », dans son acception thomiste, à sa banalisation.
Jean de Léry risque d’être « prenant matière de scandale29 » et il se doit donc de poser les faits, de les situer, de les condamner. L’indignation est marquée dans le texte, et la poétique du récit de faits scandaleux est caractérisée par l’importance fondamentale de la présence de l’énonciateur exprimant sa répulsion par l’hypotypose ainsi que par sa dimension religieuse et morale. L’appréhension du scandale dans cet épisode fameux des guerres de Religion n’est pas sans poser problème. Selon toute évidence, le style de Jean de Léry contribue à ancrer profondément l’événement dans la mémoire des guerres de Religion. Cependant la narration est ambiguë car elle oscille entre mise à distance, mise en scène de l’horreur et tentative d’explication. Il semble que, ce faisant, Léry souligne le danger de l’épisode scandaleux, à la fois horrible et fascinant, inaudible et fameux, humain et bestial, extraordinaire et tristement banal, risquant de faire tomber l’homme du côté de sa part animale. Le récit contribue certes à fabriquer le scandale, mais surtout, il met en lumière son fonctionnement et se pose de ce fait en barrière contre le mal et sa propagation.
ANNEXE
• Jean de Lery, Histoire memorable de la ville de Sancerre. Contenant les entreprises, siege, approches, bateries, assaux & autres efforts des assiegeans : les resistances, faits magnanimes, la famine extreme & delivrance notable des assiegez. Le nombre des coups de canons par iournées distinguées. Le catalogue des morts & blessez à la guerre, sont à la fin du Livre, Genève, [s.n.], 1574.
[129] Reprenant le propos un peu de plus loing (sans poursuyvre si exactement par l’ordre du temps & des mois que iay faict aux autres matieres) ie deduiray en ce chapitre la grande famine, extreme cherté, & quels ont esté les vivres ordinaires de la pluspart du peuple dans Sancerre environ trois mois : chose non moins veritable qu’admirable, non ouye, ni pratiquee de peuple quel qu’il soit, dont la memoire & les histoi [130] res facent mention. Tellement que la famine de Samarie (dont la saincte histoire tesmoigne) où les meres mangerent leurs enfans, & où les testes d’asnes & fientes de pigeons se vendoient grande somme d’argent. L’histoire tragique & prodigieuse durant le siege de Jerusalem, où ceste mere & femme honorable, dont Iosephe fait mention, s’armant contre les loix de nature, occit & mangea le propre fruict de son ventre, avec horreur des plus cruels qui virent ce spectacle : Ce qui avint à Numance estant assiegee par ce preux & vaillant Capitaine Scipion, & autres histoires touchant les miserables & deplorables necessitez, dont plusieurs ont esté affligez, ne seront plus revoquées en doute, & ne mettront les hommes en plus grande admiration que ceste-ci.
[…]
[144] Il semble qu’on ne pourroit rien [145] adiouster pour descrire l’estat miserable d’une pauvre ville assiegée, voire si bien environnée, tranchée & circuite de toutes parts, qu’il estoit bien malaisé & presques impossible d’en sortir, ny d’y entrer, & moins y apporter ou amener vivres. Mais helas ! ce que dit le Prophete Ieremie au livre de ses Lamentations des habitans de Jerusalem, lesquels ayans accoustumé de manger les viandes delicates, perirent par les rues, & se paissoyent de la fiente des hommes & des bestes, durant le siege : n’a il pas este veu & pratiqué dans Sancerre ? Car ie puis affermer que les fientes & excremens humains y ont esté amassez & recueillis pour manger. Et y en a-on veu qu’ayans rempli leurs escuelles de fiente de cheval, la mangeoyent de si grande avidité, qu’ils disoyent la trouver aussi bonne qu’ils eussent faict du pain de son : & au reste amassoyent toutes sortes d’ordures & vilenies par les rues, grattans sur les fumiers, y cherchans les vieux os, vieilles cornes, & autres choses, impossibles à croire à ceux qui ne l’on veu : car seulement la puanteur de ces choses estoit assez pour empoisonner ceux qui les manioyent, & par plus forte raison ceux qui les mangeoyent. Mais ô Dieu eternel : voicy encores le comble de [mg Levitiq. 26 Deutero. 28] [146] toute misere & du jugement de Dieu. Car comme il proteste en sa Loy qu’il reduira ceux qui n’obeiront à ses Commandemens en tel estat, que durant le siege il fera que les meres mangeront leurs enfans. Les enfermez dans Sancerre (combien qu’ils fussent assaillis, non à cause de leurs pechez, ains pour sa querelle, & pour le tesmoignage de sa parole) n’ayans pas bien faict leur profit de la cognoissance qu’il leur avoit baillée, ny assez profité sous ses autres verges, & chastimens, & quoy que c’en soit par le bon vouloir de Dieu, ont veu commettre ce crime prodigieux, barbare & inhumain, perpetré dans l’enclos de leurs murailles. Car le vingt unieme de Iuillet il fut descouvert & averé qu’un vigneron, nommé Simon Potard, Eugene sa femme, & une vieille femme qui se tenoit avec eux, nommée Philippes de la Feüille, autrement l’Emerie, avoyent mangé la teste, la cervelle, le foye & la fressure d’une leur fille aagée d’environ trois ans morte toutesfois de faim & en langueur.
Ce qui ne fut pas sans grand estonnement & frayeur de tous ceux qui l’entendirent. Et certes m’estant acheminé prés le lieu de leur demeurance, & ayant veu [147] l’os, & le test de la teste de ceste pauvre fille, curé, & rongé, & les oreilles mangées, ayant veu aussi la langue cuite, espesse d’un doigt, qu’ils estoyent prests à manger, quand ils furent surpris : les deux cuisses, iambes & pieds dans une chaudiere avec vinaigre, espices & sel, prests à cuire & mettre sur le feu : les deux espaules, bras & mains tenans ensemble, avec la poitrine fendue & ouverte, apareillez aussi pour manger, ie fus si effroyé & esperdu, que toutes mes entrailles en furent esmeues. Car combien que i’aye demeuré dix mois entre les Sauvages Ameriquains en la terre du Bresil, leur ayant veu souvent manger de la chair humaine, (d’autant qu’ils mangent les prisonniers qu’ils prennent en guerre) si n’en ay-ie jamais eu telle terreur que i’eus frayeur de voir ce piteux spectacle, lequel n’avoit encores (comme je croy) iamais esté veu en ville assiegée en nostre France.
Le pere, la mere & la vieille furent prins prisonniers : lesquels sans tergiverser confesserent le faict : bien nierent-ils d’avoir tué & advancé la mort à leur enfant, comme on les accusoit : & [148] outre dit la mere qu’à son grand regret on l’avoit ainsi decoupé : car l’ayant faict ensevelir, & laissé sur un coffre, & s’en estant allée à la ville à quelque affaire, elle esperoit de le faire enterrer à son retour : mais estant revenue elle trouva le corps de sondict enfant decousu du linge où elle l’avoit enveloppé, lequel estoit ouvert & fendu, la fressure & les tripes ostées hors du ventre, la teste & la langue dans un pot pres le feu, qui bouilloit. Ce que remonstrant à son mary il luy dit, qu’il avoit esté incité à ce faire par ladicte Philipes, laquelle luy avoit dit que ce seroit dommage de mettre pourrir ceste chair en terre : & outre ce, que le foye estoit fort bon pour guerir son enflure. Et lors la vieille & luy en mangerent les premiers, & luy en ayant baillé elle en mangea aussi.
La vieille mourut le lendemain en prison. Et d’autant qu’il fut cogneu par les Iuges que le mesme iour que ledict Potard, sa femme, & ladicte vieille avoyent commis cest acte prodigieux, ils avoyent eu l’ausmone d’un potage d’herbes, & du vin competemment, (car de pain on n’en parloit point lors) & que, veu la necessité où chacun estoit reduict, cela estoit suffi [149] sant pour passer ceste iournée : brief que non seulement la famine, mais aussi un appetit desordonné leur avoit faict commettre ceste cruauté barbare & plusque bestiale : le mary & la femme estans aussi de long temps mal renommez, tenus pour yvrongnes, gourmands, & mesmes cruels envers leurs enfans, donnerent occasion de rechercher leur vie passée. Et ainsi par un iuste iugement de Dieu sur eux, on trouva en premier lieur, & apparant par le registre du Consistoire, que des l’année 1563. encores qu’ils fussent incertains, & qu’ils n’eussent nul tesmoignage de la mort du premier mary de ladicte Eugene, nommé Sacré, ils avoyent promis mariage ensemble.
Ce que leur estant remonstré par l’ordre de l’Eglise reformée, & exhortez de desister iusques à ce qu’ils eussent faict enqueste, & eussent esté asseurez de la mort dudict Sacré, ils ne mespriserent pas seulement cela, ains parce qu’on ne les voulut recevoir à ladicte Eglise, ils s’allerent espouser à la papauté : pour lesquels scandales ils avoyent esté plusieurs fois appelez, admonestez, & censurez au Consistoire, tant que le tout n’ayant de rien servi pour [150] les amener à la cognoissance de leur faict, & finalement on avoit esté contrainct de les excommunier & retrancher de l’Eglise & estoyent ainsi demeurez obstinez depuis dix ans.
Item ledict Potard fut convaincu d’avoir tué un homme depuis la ville investie, lequel ayant esté constitué prisonnier par le Conseil, parce qu’on le soupçonnoit d’estre espion, n’estant neantmoins trouvé coulpable, ains declaré innocent de ce faict, fut eslargy par ledict Conseil : mais comme il s’en alloit, & fut hors la ville, ledict Potard le suyvit, & luy bailla un coup de cousteau en la mammelle, puis fut assommé, & jetté dans un puits, & ses habits rapportez à la ville. Ce que ledict Potard confessa librement : comme aussi d’avoir desrobé un cheval depuis le siege, duquel il fut trouvé saisi. Pour tous lesquels crimes, le tout estant meurement advisé au Conseil, eu esgard au temps & au lieu, ledict Potard pere fut condamné à estre bruslé vif, sa femme estranglée, & son corps, & celuy de la Vieille qui fut deterré, bruslez aussi. Ce qui fut executé le vingttroisieme dudict mois. Le mary & la femme & le corps de ladicte Vieille deterré, trainez de la pri [151] son sur une claye iusques au lieu du supplice.
Si quelqu’uns trouvent ceste sentence trop rigoureuse on les prie de considerer l’estat où estoit lors reduicte la ville de Sancerre, & combien la consequence estoit dangereuse de ne punir à telle rigueur ceux qui avoyent mangé de la chair de cest enfant : car si on allegue qu’il estoit mort, & que ne l’ayant tué, cela estoit supportable en ceste urgente necessité : On respond, que si on eust laissé passé cela, ou bien chastié de quelque legere epine, il estoit à craindre (comme on en voyoit desja assez d’indices) que la famine croissant les soldats & le peuple ne se fussent pas seulement addonnez à manger les corps morts de mort naturelle, & ceux qui eussent esté tuez à la guerre ou autrement, mais qu’on se fust tué l’un l’autre pour se manger. Ceux qui n’ont point esté en ces extremitez, ne peuvent pas si bien comprendre toutes les circonstances de tel faict, & de telle matiere, que ceux qui les ont veu, & que Dieu en a retiré.
A ce propos on lict en quelque histoire que durant l’aspre famine qui advint l’an 1438. il y eut une femme paysane en [152] un village aupres d’Abbeville, laquelle n’ayant que manger, desroba plusieurs petits enfans, & les demembrant par pieces les saloit comme on faict les pourceaux. Et parce que sa maison estoit un peu à l’escart des autres du village, il y logea un soir quelques brigands qui trouverent des pieces de ces petis corps salez : dont eux estans tous esperdus accuserent ceste homicide.
Elle estant prinse & interroguée, confessa qu’elle en avoit occis & salé plusieurs secretement en sa maison, qui furent trouvez au saloir en petites pieces, comme elle avoit confessé : à cause dequoy elle fut aussi condamnée à estre bruslée toute vive : & fut ainsi executée. Ce que je pense que nul ne trouvera mauvais : ains plustost tous diront qu’elle meritoit un plus dur supplice, s’il s’en fust peu excogiter. Mais quant au faict susdict, n’estant pas semblable, on dira tousiours que Potard & sa femme ont esté punis trop rigoureusement : sinon qu’on ait esgard à ce qui a esté dit de leur meschante vie passée : & qu’on pense bien toutes les circonstances qui ont esté touchées.
Et faut encores noter sur cest exemple que nous venons d’alleguer de ceste paysane [153] d’aupres d’Abbeville, que combien qu’elle n’eust que manger, cela n’empescha ses Iuges de la condamner d’estre bruslée vive. Or pour retourner à Potard, lequel dit à sa femme que la vieille l’avoit solicité de manger de son enfant : i’ay observé estant avec les Sauvages Ameriquains, que les vieilles femmes de ces pays là sont beaucoup plus friandes, appetent & souhaittent plus de manger de la chair humaine que les hommes, ny que les ieunes femmes & enfans. Car d’autant (comme i’ay dit cy devant) qu’ils mangent les prisonniers prins en guerre, si tost qu’elles en voyent un, elles ne cessent de pourchasser qu’on le tue (avec la solennité qu’on y observe) mesmes la chair estant sur le BOUCAN, qu’ils appellent, cest à dire, sur un gril de bois eslevé de trois pieds, elles sont tousiours aupres & alentour pour lecher la graisse qui degoutte le long des bastons, & disent en leur langage, YGATOV, c’est à dire, il est bon. Mais ie laisse ceste dispute aux Medecins : & diray pour la fin de ceste piteuse histoire, que dés le vingtcinquieme de Iuin un quidam pressé de faim me demandant à Sancerre, s’il ne feroit point mal, & n’offenseroit Dieu de manger en ceste extre [154] me necessité de la fesse d’un homme qui avoit esté tué laquelle luy sembloit si belle. Ceste demande me sembla si odieuse, que le laissant au scrupule & remords de sa conscience, ie luy alleguay les bestes pour exemples, & les loups qu’on dit qui ne se mangent l’un l’autre.
Notes
- Jean de Léry, Histoire mémorable de la ville de Sancerre. Contenant les entreprinses, siège, approches, bateries, assaux & autres efforts des assiégeans ; les résistances, faits magnanimes, la famine extrême & délivrance notable des assiégez. Le nombre des coups de canons par journees distinguees. Le catalogue des morts & blessez à la guerre, sont à la fin du livre, Genève, s.n., 1574, p. 134.
- Ibid., p. 141.
- Ibid., p. 141-142 : « car encores qu’en leur voyant cueillir & arracher on leur remonstrast le danger où ils se mettoyent, cela estoit parler à des sourds, leur ventre n’y voulant point entendre ».
- Ainsi le dîner de Térée et le repas de Saturne se présentent spontanément à notre imaginaire culturel.
- Il ne contera ce voyage qu’après avoir narré le siège de Sancerre : Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, autrement dite Amérique, Genève, Antoine Chuppin, 1578 ; rééd. augmentées 1580, 1585, 1599-1600, 1611.
- Il doit raconter car nul qui n’a pas vu ne peut comprendre. Voir infra, p. 94 : « Ceux qui n’ont point esté en ces extremitez, ne peuvent pas si bien comprendre toutes les circonstances de tel faict, & de telle matiere, que ceux qui les ont veu, & que Dieu en a retiré. »
- Voir Frank Lestringant, Le Cannibale. Grandeur et décadence, Paris, Perrin, 1994, p. 137 : « Nécessaire au salut de la communauté, l’exorcisme l’est aussi au plan personnel. […] La mise en mots, qui objective et distancie, apporte une délivrance réelle. »
- Frank Lestringant, Le Cannibale, op. cit., p. 134-142.
- Abraham Malfuson, 1573. Sancerre. L’enfer au nom de Dieu, préface Frank Lestringant et René Vérard, Orléans, Regain de lecture, 2008, p. 8 : « La comparaison [avec le cannibalisme tupi] tourne vite en faveur du sauvage […]. Pour dire ce scandale et pour témoigner de ce paradoxe, Jean de Léry, dans les derniers jours de Sancerre, se fait historien. »
- Géralde Nakam, Au lendemain de la Saint-Barthélemy. Guerre civile et famine. Histoire memorable du siège de Sancerre (1573) de Jean de Léry, Paris, Anthropos, 1975.
- Vincent Grégoire, « Jean de Léry. Un monde non cannibale est-il possible ? », Sens-dessous, 12, 2013, p. 75-94.
- Mathilde Bernard, « “Ton sang retournera où tu as pris le laict” : La figure de la mère cannibale de Flavius Josèphe à Agrippa d’Aubigné », dans Sandrine Dubel et Alain Montandon (dir.), Mythes sacrificiels et ragoûts d’enfants, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2012, p. 423-437.
- Jean de Léry, Histoire mémorable de la ville de Sancerre, op. cit., p. 145-146.
- Sur la question de la valeur paradoxale d’un scandale nécessaire dont les protestants se demandent « à quel point il faut en tenir compte », se reporter à l’article d’Anne-Pascale Pouey-Mounou, dans ce recueil, p. 27-39.
- Agrippa d’Aubigné a dû songer à Jean de Léry tout autant qu’il a pensé au Deutéronome, lorsqu’il a écrit cette scène de « Misères » dans laquelle il évoque la mère devenue cannibale en ces termes : « Tout est troublé, confus, en l’âme qui se trouve/N’avoir plus rien de mère et avoir tout de louve. » (Agrippa d’Aubigné, Tragiques (1616), éd. Jean-Raymond Fanlo, Paris, Champion, 2003, t. I, livre 1, v. 551-552, p. 292). Sur ces parallèles, je renvoie à mon article cité supra.
- De « Mais ô Dieu eternel » jusque « par le bon vouloir de Dieu », p. 92.
- Voir infra, p. 92. Les malédictions suprêmes du Deutéronome consistent en ces épisodes tecnophages, abomination des abominations et surtout abomination des désolations. Deut. XXVIII, 53-57 : « Tu dévoreras le fruit de tes entrailles, la chair de tes fils et de tes filles, ces présents de l’Éternel, ton Dieu, par suite du siège et de la détresse où t’étreindra ton ennemi. L’homme le plus délicat parmi vous et le plus voluptueux verra d’un œil hostile son frère, sa compagne et le reste d’enfants qu’il aura encore, ne voulant donner à aucun d’eux de la chair de ses enfants, qu’il mangera faute d’autres ressources ; tellement tu seras assiégé et cerné par ton ennemi dans toutes tes villes. La plus sensible parmi vous et la plus délicate, si délicate et sensible qu’elle n’aurait jamais risqué de poser la plante de son pied sur la terre, verra d’un œil hostile l’homme qu’elle serrait dans ses bras, et son fils et sa fille, jusqu’au nouveau-né sorti de ses flancs, jusqu’aux jeunes enfants dont elle est la mère, car, dénuée de tout, elle se cachera pour les dévorer. »
- Voir infra, p. 92. Lm IV, 10 : « De tendres femmes ont, de leurs mains, fait cuire leurs petits : ils leur ont servi d’aliment dans le désastre de la fille de mon peuple. »
- Ainsi Frank Lestringant écrit dans Le Cannibale, op. cit., p. 134-135 : « Sollicité de manière aussi habile par cette nouvelle Eve sur le retour, le mari a goûté du fruit défendu. À son tour, il va tenter sa femme, jusqu’alors absente. »
- Jean de Léry, Histoire mémorable de la ville de Sancerre, op. cit., f. a4 v°-a5.
- Ibid., f. a5 v°.
- Je souligne.
- Jean de Léry, Histoire mémorable de la ville de Sancerre, op. cit., p. 130. Voir supra, p. 92.
- Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English tongues (1611), London, Adam Islip, 1615.
- Le deuxième sens est celui de calomnie, impliquant à la fois la transmission et l’erreur volontaire, afin de blesser.
- Elle n’est pas sans rappeler la gravure sur bois d’une attaque de loup-garou par Lucas Cranach l’Ancien, de 1512, célèbre à l’époque, car elle se retrouve sur des bas-reliefs. Cependant, la féminisation de la figure de l’ogre et du cannibale, concomitamment à l’imprégnation des esprits par les images et textes de femmes cannibales participant avidement aux festins du Nouveau Monde, a sans doute contribué à préparer la chasse aux sorcières qui a marqué les décennies suivantes.
- Bartolomeo de Las Casas, Très Brève Relation de la destruction des Indes (1552), trad. Fanchita Gonzalez-Battle, Paris, La Découverte, 1979.
- Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIa, IIae, q. 43, De Scandalo ; trad. par Vincent Vergriete : Somme théologique. La Charité, éd. Henri-Dominique Gardeil, Paris/Tournai/Rome, Cerf, 1957, t. III, p. 160.
- Voir infra, p. 94.