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Un drame personnel
sur la « scène du monde »

À côté de ce véritable laboratoire poétique de construction d’un roman chevaleresque et de l’autoportrait flatteur qui se dégage de son premier recueil épistolaire, le Tasse se sert aussi de sa nouvelle publication de 1560 pour rendre notoire sur la « scène du monde », les difficultés qui furent les siennes après les événements de Naples. Pour ce faire, il y insère de nombreuses familiares1. Définir cette typologie se révèle tâche ardue en raison de sa fréquente combinaison avec d’autres catégories de lettres, mais elle est le plus souvent constituée d’écrits personnels, c’est-à-dire traitant d’intérêts privés ou d’un contenu banal, adressés à des amis ou des parents2 et parfois rédigés dans un style familier. Déjà représentée dans le volume précédent3, elle acquiert une tout autre dimension dans cette seconde publication. Des textes qui n’étaient traditionnellement pas considérés comme dignes de « l’onor della stampa »4 y sont divulgués en plus grand nombre, jusqu’à infléchir la tonalité générale de l’œuvre. Pareil choix révèle une intention différente, un rapport à l’écriture qui privilégie une composante confidentielle et affective. Ainsi, ce deuxième recueil épistolaire rend-il compte d’une autre conception de l’œuvre littéraire plus proche de l’autobiographie, fût-elle partielle et tendancieuse, que du modus scribendi.

Ainsi que cela a déjà été observé cette typologie est parfois difficile à cerner de façon univoque, car elle se confond parfois avec d’autres textes, notamment avec les lettres amicales qui répondent à la célèbre définition cicéronienne d’amicorum colloquia absentium :

Vorrei così come ho comodità di scrivervi più spesso, aver anco occasione di poterlo fare, che mi sarebbe di sommo piacere il ragionar con voi in quella guisa, che si può con gli amici lontani5.

Un autre cas de figure, où se mêlent lettre familiale et lettre de remerciements, est à l’origine de quelques écrits. Par exemple, lorsqu’il est envoyé en mission à la cour d’Henri II afin d’envisager une reconquête du royaume de Naples, Bernardo exprime sa reconnaissance aux intermédiaires qui lui permettent de recevoir des nouvelles de son épouse, Porzia de’ Rossi6. Son amour pour elle, qui est demeurée seule dans la cité parthénopéenne7, y transparaît clairement et motive son souci et son désir de la faire venir à Rome où il était parvenu à se réfugier en dépit de la sentence de bannissement qui pesait sur lui. Ces intentions sont confirmées par une lettre strictement familiale d’Affra de’ Tassi, sœur de Bernardo et religieuse dans un couvent à Bergame. Destinée à Porzia, elle évoque la douleur de son frère, son angoisse et son amour pour sa famille, puis incite la jeune épouse à s’en remettre à Dieu et à donner à Torquato et Cornelia l’éducation qu’ils méritent afin qu’ils grandissent sur le chemin de la vertu8. Même si le nombre de lettres envoyées à des membres de sa famille est très restreint, puisqu’on n’en compte que trois au total, ses proches sont très souvent cités lors des années douloureuses qui suivirent les tumultes de Naples, qu’il s’agisse de son épouse ou de ses enfants, et les craintes qu’il nourrit à leur sujet fréquemment évoquées.

Lettre familière et consolatoria se mêlent aussi dans la longue épître que le Tasse rédige pour sa sœur lors du décès de Porzia9. Le style élégiaque exprime sa douleur en même temps qu’il rend compte d’un sentiment de culpabilité, peut-être non dénué de fondement puisqu’il avait choisi de laisser sa conjointe à Naples de peur de perdre sa dot et ses biens. Cette affliction ne l’empêche au demeurant pas de faire œuvre littéraire, car ce texte à la rhétorique travaillée, orné de métaphores, constitue un véritable panégyrique de la disparue, dont les malheurs récents invitent à trouver quelque réconfort dans son départ10.

Outre les familiares et les consolatorie, ce nouveau livre accueille également des typologies traditionnelles comme des lettres de courtoisie, d’excuses, de remerciements, quelques lettres historiques ainsi que d’autres moins usuelles, comme des suppliques, des demandes de faveur, de recommandation et de subsides, ainsi que des textes qui retracent la dégradation de ses rapports avec le prince de Salerne. Ce recueil de 1560 se fait donc manifestement l’écho des bouleversements survenus dans son existence. À travers l’introduction de son expérience de vie dans des pages jusque-là destinées plutôt à un type de communication formel, Bernardo se construit une image qui n’est plus celle du secrétaire-diplomate des années antérieures, mais celle d’un auteur à part entière qui, tout en continuant à remplir ses fonctions auprès d’un seigneur, se débat au milieu de problèmes de poétique en même temps que de contingences matérielles fort pénibles. En bref, tandis que le caractère presque didactique des écrits du premier recueil, destiné à répondre à une instance modélisante, ne laissait guère de place à l’expression de ses affects ou de sa vie familiale11 et, qu’en dépit de quelques exceptions, la stratégie adoptée tendait plutôt à taire ce qui relevait de la vie privée, en 1560 au contraire, la tonalité dominante se fait l’écho des vicissitudes quotidiennes de l’auteur, des problèmes et difficultés de tous ordres qu’il affrontait en cette période.

L’émergence de cette dimension privée n’épuise pas le catalogue des sujets abordés puisque les nombreux écrits relatifs à l’élaboration de l’Amadis témoignent de l’intense activité de collaboration de notre auteur avec les écrivains les plus illustres de la Péninsule à ce moment-là. Les noms de de Gian Battista Giraldi, de Girolamo Ruscelli et de Sperone Speroni sont ceux qui reviennent le plus souvent, mais Bernardo correspond également avec Atanigi, Bolognetti, Molino, Papio, Pigna, Cataneo, Dolce, Giolito, Manuce, Varchi et avec son ami Vincenzo Laureo12. Ces échanges contribuent à valoriser ce recueil au plan culturel par l’affichage de correspondants illustres susceptibles de cautionner son entreprise littéraire.

Outre l’ostentation de noms célèbres dans le milieu littéraire transalpin de ce milieu de XVIe siècle, la comparaison des textes publiés en 1560 avec les lettres inédites qui virent le jour trois siècles plus tard grâce à Campori démontre que, manifestement, ici aussi, l’écrivain s’est livré à une véritable opération culturelle13 de sélection, voire de réécriture des faits. Cet aspect ayant déjà été analysé de façon exhaustive par Adriana Chemello14, on rappellera simplement que si, dans une lettre à Giacopo Gigli de février 1555, il s’excusait de n’avoir pas de lettres corrigées à lui envoyer15, cinq ans plus tard en revanche, il avait visiblement eu le temps d’effectuer le tri et l’épuration nécessaires à la constitution d’un nouvel ouvrage. Deux exemples de ces opérations sautent aux yeux. Un passage de la lettre à Gigli, dans lequel Bernardo critiquait de façon virulente la négligence de Lodovico Dolce dans sa révision de ses trois livres de poésie16 disparaît de l’édition Giolito et la même omission est à signaler dans sa lettre à Ruscelli où il détaille encore davantage ses motifs de grief17. Un autre exemple du même tonneau est fourni par l’élimination de la lettre adressée à Giraldi dans laquelle il livre son opinion sur l’Hercule et où, après les recusationes d’usage et sous couvert de protestations d’amitié, il n’hésite pas à éreinter le poème héroïque de son homologue ferrarais. Ces suppressions obéissaient très vraisemblablement à la nécessité de ne pas froisser des contemporains qui étaient parfois aussi des amis ou pour le moins des relations proches. Mais l’altruisme ou le sens de la diplomatie n’étaient pas les seuls motifs de ces exclusions. Ainsi, au moment de mettre sous presse son deuxième recueil épistolaire, il oublie soigneusement sa part de responsabilité dans le naufrage de son existence, qu’il reconnaissait pourtant dans sa lettre de 1557 à Giovanni Angelo Papio, restée inédite :

Signor mio, non vi deve essere uscito dalla memoria, ch’essendo voi in Roma, vi mandai la copia di quella mia lettera scritta al cardinale Tornone, sovra la pace, nella quale, trasportato dalla passione dissi molte cose contra l’imperatore più licenziosamente che non mi si conveniva. E perché conosceva che questo errore […] mi poteva portar grandissimo danno, vi pregai caldamente che non voleste mostrarla a persona […]. Ho dopoi saputo che l’istessa lettera fu letta in palazzo in loco dove si trovava l’arcivescovo d’Avignone, il vescovo di Catanea e l’arcivescovo d’Otranto di sorte che da loro penetrò agli orecchi dell’ambasciatore cesareo e degli altri ministri suoi, la qual cosa ho saputo per fidelissimi messi, che m’ha portato la maggior parte degli danni che mi sono successi dopoi18.

D’autres exemples de censure contribuent à prouver que, en dépit de sa touche plus intimiste, ce volume est bel et bien considéré par son auteur comme une œuvre littéraire à tous les effets, comparable aux précédentes et requérant donc les mêmes soins.

À l’origine de ses malheurs et de ceux de son fils, ainsi que de ce deuxième recueil, se trouvent les tumultes napolitains survenus en 1547. Deux lettres19, adressées respectivement au prince de Salerne et à un autre secrétaire, Vincenzo Martelli20, s’y réfèrent. Même si elles ne sont qu’allusives, elles revêtent un certain intérêt dans la mesure où elles mentionnent des soubresauts de l’histoire napolitaine lourds de conséquences dans la vie du prince de Salerne et, donc, dans celle de son secrétaire et de sa famille.

On sait qu’à partir de 1532, Charles Quint avait nommé un nouveau vice-roi, Don Pedro Alvarez de Tolède, dont le gouvernement autoritaire et sévère, voire cruel21, se caractérisait par son absolutisme. En 1547, il fut décidé d’instaurer dans la ville, sans doute à l’instigation des Inquisiteurs Généraux et en particulier du cardinal Gian Pietro Carafa22, un tribunal de l’Inquisition à la manière espagnole, c’est-à-dire une « inquisition dépendante du pouvoir politique qui pouvait instruire un procès et confisquer des biens »23, alors que jusque-là, depuis l’installation du gouvernement espagnol dans le sud de la Péninsule, ne fonctionnait que l’Inquisition ordinaire, c’est-à-dire celle qui était depuis très longtemps dévolue à chaque évêque24. Il semblerait même que lors de l’installation dans le Royaume de Consalvo de Cordoue, vice-roi au nom de Ferdinand le Catholique, la ville ait exigé que le jurement pour l’observance de ses privilèges mentionne explicitement celui qui concernait son immunité de l’Inquisition25.

Le prétexte26 de cette innovation fut fourni par la diffusion des thèses de Juan de Valdés dans les milieux napolitains cultivés et par leur propagation dans les couches populaires grâce aux sermons de deux de ses principaux disciples, Pietro Martire Vermigli et Marcantonio Flaminio auxquels s’ajoutaient ceux de Bernardino Ochino. Il s’agissait officiellement d’empêcher toute transmission des idées luthériennes dans une ville où des livres hétérodoxes circulaient déjà largement et où des édits relatifs aux hérétiques avaient déjà été promulgués27. En réalité, ce nouvel instrument répressif aurait grandement accru le pouvoir et l’autorité du gouverneur qui se trouvait confronté à la nécessité de dompter l’arrogance d’une noblesse napolitaine trop indépendante28, dont l’un des plus puissants représentants n’était autre que ce Ferrante Sanseverino qui, en 1532, avait déjà participé à une tentative de révolte des barons29.

Mais dès les premières rumeurs de création de ce tribunal, une grande partie de la population s’opposa à ce projet en invoquant le privilège d’exemption de toute juridiction inquisitoriale accordé par Ferdinand le Catholique. La menace provoqua la coalition du peuple et des nobles et l’agitation se mua en désordre puis en révolte en raison de la violence dont fit preuve alors le gouvernement espagnol. Ce furent de véritables émeutes qui durèrent pendant plusieurs mois et firent plus de deux mille morts. La cité parthénopéenne fut le théâtre d’authentiques scènes de guerre au cours desquelles les Espagnols retranchés dans le château bombardèrent la population30. Dans cette conjoncture, avant même le déchaînement de la violence du pouvoir31, le peuple et la classe nobiliaire décidèrent d’envoyer des ambassadeurs auprès de Charles Quint pour l’entretenir des affaires de la ville et se disculper de l’accusation de trahison formulée auprès de l’empereur par le vice-roi, qui invoquait de secrets accords des insurgés avec la France. Ainsi qu’il y a déjà été fait allusion plus haut, Don Placido di Sangro et Ferrante Sanseverino furent choisis pour représenter respectivement la population et l’aristocratie. C’est à ce moment-là que l’histoire de notre auteur se mêle à l’Histoire, car il semblerait que le prince ait pris conseil auprès de Bernardo Tasso qui lui recommanda d’accepter dans un écrit fortement marqué par les termes de « réputation », de « dignité » de « gloire » et d’« honneur » :

Come potrete voi con scusa che abbia né del ragionevole né dell’onesto ricusar questa andata? dalla quale dipende la riputazione, il beneficio e la salute universale di questo regno? […] Qual più onorata occasione e degna dell’intelletto e della grandezza vostra, vi potea portar la fortuna, di questa? […] Potrete mostrar la grandezza dell’animo vostro, con sodisfazione e beneficio della patria vostra, di tutto questo regno e con vostra reputazione e dignità […]. Qual beneficio può esser maggior di questo, donde depende la conservazione dell’onor, delle facultà e della vita? […] Chi adunque non potrà dire che voi non siate perfettamente glorioso?32

Alors que, sans avoir été consulté, son autre secrétaire, Vincenzo Martelli33, le dissuadait de s’engager dans pareille entreprise34, le prince choisit d’écouter Bernardo – vraisemblablement parce que ses suggestions allaient dans le sens de sa propre inclination en raison du fort antagonisme qui l’opposait au vice-roi depuis bien des années35 – et partit pour Augsbourg, où l’empereur ouvrait la diète du même nom le 1er septembre 1547. Il y fut précédé par l’envoyé du gouverneur, Gonzalez de Mendozza, ce qui détermina l’accueil plutôt froid auquel il se trouva confronté, même si celui-ci fut sans doute aussi dicté par les relations déjà existantes entre le vice-roi et l’empereur36. De fait, ce dernier fit attendre son neveu pendant un certain temps et, en fin de compte, intima aux Napolitains l’ordre de déposer les armes et de se soumettre à l’autorité du vice-roi avant de retenir à la cour le prince qui rappela alors Bernardo vers la fin du mois d’octobre 1547. En mai 1548, après avoir obtenu le pardon impérial et d’autres concessions mineures, les deux hommes revinrent à Salerne à un moment où Pedro de Tolède se livrait à une répression sans merci vis-à-vis de tous les chefs des émeutes.

Quelques jours plus tard, alors qu’il était de passage à Naples pour y rencontrer le vice-roi espagnol, Sanseverino, dont la popularité était grande à Naples, notamment en raison de la prodigalité dont il était coutumier37, fut accueilli en triomphe par la population38, ce qui augmenta sans doute l’irritation de Don Pedro. Un nouveau motif de désaccord fut provoqué bien involontairement par la princesse Isabelle qui, après de nombreuses années de stérilité, se crut enceinte. Or, la naissance d’un héritier était lourde de conséquences, car en l’absence de succession toutes les possessions du prince devaient revenir à la couronne. En dépit du caractère pour le moins injurieux du procédé, le vice-roi envoya donc des sages-femmes assister à l’éventuel accouchement de la princesse. Mais l’aristocrate napolitain ne commença vraiment à s’inquiéter que lorsque les avantages qu’il tirait depuis quarante-six ans de la douane de Salerne, l’une de ses principales sources de revenus, lui furent contestés par le fisc avec l’appui du vice-roi. Quel que fût son bon droit, rien n’y fit, pas même une lettre de l’empereur et, pendant deux ans encore, le harcèlement se poursuivit jusqu’à culminer dans une tentative d’assassinat, généralement attribuée au fils de Don Pedro, Don Garzia de Tolède.

Le noble napolitain ne fut que légèrement blessé, mais en butte à de continuelles vexations, à d’injustes procédures – le gouverneur lui intentait un procès en l’accusant d’hérésie, de vices abominables et de complicités avec des bandits39 – et craignant désormais non plus seulement pour ses possessions, mais pour sa vie même, il décida de quitter la région et de se rendre à nouveau auprès de Charles Quint afin de dénoncer les persécutions40 dont il faisait l’objet.

De passage à Padoue, il reçut un ordre de l’empereur lui intimant de se présenter devant lui. Craignant un piège, il envoya un ambassadeur pour s’excuser et obtenir des garanties pour sa sécurité. Cependant, le monarque se jugeant insulté par sa demande, refusa d’y accéder. Sanseverino se réfugia alors à Venise où, pour conjurer toute accusation de trahison, il renonça officiellement devant le Sénat de la Sérénissime à toutes ses possessions dans les États de Charles Quint. C’est lors de cette halte qu’il fut approché par des exilés napolitains qui lui démontrèrent l’inutilité de sa démarche41 et lui conseillèrent de passer au service d’Henri II lequel, d’après eux, était résolu à lancer ses troupes sur Naples. De fait, le souverain français, qui s’apprêtait à revendiquer les armes à la main le Royaume, avait besoin de capitaines dont le nom pouvait faire autorité auprès des troupes. Après avoir tenté de sonder les intentions de l’empereur, sollicité par les promesses d’Henri II, Ferrante Sanseverino opta ainsi pour le camp français. À la nouvelle de sa défection, le Conseil d’État, sans tenir compte de la renonciation faite à Venise, le condamna comme rebelle et confisqua tous ses biens. Il termina son existence en France, presque pauvre en dépit du gouvernement de Tarascon et de Beaucaire et d’une provision de deux cents ducats qui lui avait été allouée. Les critiques s’accordent à dire qu’il épousa une Avignonnaise et se convertit au protestantisme avant de mourir dans la cité des papes en 1568, à l’âge de soixante-et-un ans42.

Entre-temps, face à la perspective d’un nouvel éloignement, Bernardo choisissait d’établir ses proches à Naples vers la fin de l’année 1550 ou le début de 1551, avant de suivre son protecteur dans la Sérénissime43. De ce fait, il fut inclus dans la sanction édictée par le gouvernement espagnol et il perdit toutes ses rentes et possessions à l’exception de celles de son épouse. Sur le moment, il espéra sans doute pouvoir les récupérer ou les compenser grâce au projet d’invasion française44, dont l’imminence ne semblait faire aucun doute dans les cours de la Péninsule. Le prince accorda au demeurant suffisamment de crédit à ce dessein pour l’envoyer à la cour de France en septembre 1552 avec mission d’insister sur la nécessité d’une expédition de reconquête45.

De son côté, il s’évertua à gagner le patriciat de la Sérénissime à sa cause et trempa dans une conjuration dont l’un des buts était l’assassinat du vice-roi et la récupération du Royaume grâce aux armées françaises et à l’aide des Turcs46. Il semblerait que, dans un premier temps, Henri II ait accepté ses services et accueilli favorablement son projet de reconquête du royaume de Naples. Bernardo aurait obtenu que son mécène fût nommé capitaine général de l’expédition et, en cas de succès, vice-roi de la cité parthénopéenne. Il aurait également acquis, à vie, la seigneurie de Tarascon et de Beaucaire sur le Rhône ainsi qu’une provision de vingt-cinq mille ducats jusqu’à la conquête de Naples47. La correspondance de cette période entre le prince et son secrétaire montre que Henri II était favorable à ce projet, mais que ses conseillers et la cour en général s’y opposaient, en particulier à cause des actions militaires qui étaient déjà engagées en terre italienne contre les Espagnols48. De fait, après deux ans de permanence à la cour de France, le secrétaire-ambassadeur comprit que cette campagne n’aurait pas lieu et décida de rentrer dans la Péninsule. Il connut une fin de vie plutôt malheureuse, voire misérable, conséquence des événements napolitains de 1547 et, peut-être49, du funeste conseil qu’il donna alors à Ferrante Sanseverino, qui lui aussi perdit la plus grande partie de ses biens dans cette aventure et termina ses jours en exil.

La lettre destinée à convaincre le prince d’accepter la proposition qui lui avait été faite de représenter ses pairs auprès de l’empereur est mise en relief dans l’économie du recueil, puisqu’elle ouvre le Terzo libro delle lettere di M. Bernardo Tasso. Après un exordium placé sous le signe de l’humilité, dans lequel il se défend de vouloir conseiller son protecteur, le secrétaire aborde son sujet par une maxime qu’il développe sur une dizaine de lignes, sans doute afin de donner plus de poids à son propos : « Non credo, Illustrissimo Signor mio, che sia alcuna persona di giudizio, che non sappia, che dopo Iddio, niuno obbligo è maggior che quello che abbiamo alla patria »50.

Il entre ensuite dans le vif du sujet, comme si, et c’était probablement le cas51, la question était déjà entendue et qu’il lui fallait surtout magnifier les actions passées du prince et repousser les raisons de ne pas partir pour la cour impériale. Il invite son protecteur à suivre le chemin de la vertu en appuyant ses dires sur l’autorité de l’Antiquité, en particulier sur l’histoire de la République romaine :

Non so se maggiore o tale fosse il beneficio che fece Cicerone alla romana repubblica, allora che scoperse la congiurazione di Catilina, nondimeno meritò d’esser da quel prudentissimo Catone, padre della patria nominato52.

Sans qu’elles soient très précises, des allusions permettent quand même d’évoquer la mission diplomatique qui a été confiée à son mécène53 :

Così li nobili come li popolari, come persona che più amano, di cui più si fidano, che più stimano degna d’onore e di riverenza, v’hanno eletto a questa impresa54.

Les tumultes populaires sont presque passés sous silence55, car le but est visiblement de convaincre grâce aux ressources d’un art oratoire propre à magnifier une résolution dénigrée par l’autre fidèle conseiller du prince, tout en insistant sur des concepts encore d’actualité dans cette Italie de seigneuries et de cours imprégnées de littérature et d’esprit chevaleresque. Ainsi le secrétaire fait-il miroiter à son prince la gloire assurée qui, selon lui, l’attend :

E s’abbiamo letto nelle antiche memorie e visto nel presente secolo, […], dalle repubbliche o dalle città bene instituite, in segno di gratitudine, porsi statue e colossi a perpetua memoria de’ loro benefattori, qual beneficio può esser maggior di questo?56

Il poursuit son argumentation sur une quinzaine de lignes au cours desquelles il développe la thématique de la renommée en recourant au substantif « gloria » à deux reprises, une fois à l’adjectif « glorioso » et une autre fois à l’expression « onorata memoria ». Après ce passage, en quelque sorte de rigueur dans un processus de laudatio, il aborde ensuite le thème du service rendu tant à Dieu qu’au roi, en l’occurrence l’empereur, en soulignant ses capacités de discernement, le bien-fondé de l’ambassade et l’absurdité qu’il y avait à introduire l’Inquisition dans une ville comptant parmi les plus fidèles de l’empire au catholicisme. Il n’hésite pas à encenser la dévotion du peuple napolitain dans un passage qui n’est pas sans rappeler la tonalité de la lettre à Giovanni Battista Peres :

Questa città è delle più antiche che conobbero Cristo e quella che di secolo in secolo, confermandosi nella sua fede e nella sua religione, ha con tante operazioni cristiane e piene di fede e di carità dato esempio all’altre […]. Qual’è quella città, non pur in Italia, ma in tutta Europa, dove sieno tante chiese bene institute e governate, tanti luoghi pii, dove si facciano tante elemosine, tante opere caritative e cristiane?57

En dépit d’une prétérition58, le secrétaire prolonge son raisonnement en invoquant le topos de la nécessaire dichotomie entre « beneficio universale » et « utile » particulier : « E voi come cavaliero magnanimo e virtuoso avete da preporre il beneficio universale al privato »59, en l’étayant par des considérations sur le crédit que son seigneur pourrait de la sorte acquérir auprès de l’empereur. Un récapitulatif des bienfaits qu’il retirerait de son voyage à Augsbourg semble clore la litanie des motifs invoqués en faveur de ce départ.

Cette longue argumentation étonne par sa détermination à obtenir du prince qu’il entamât un périple qui s’annonçait pour le moins risqué – et la suite des événements le prouva − autant pour lui-même que pour ses proches. Le lecteur est également intrigué par une insistance manifeste, qui n’était sans doute pas nécessaire au vu de l’antagonisme existant entre Don Pedro et le prince, lequel ne pouvait pour lors que se réjouir à la fois de participer à une éventuelle disgrâce de son ennemi et de remonter dans l’estime de l’empereur pour avoir été choisi comme ambassadeur en des temps aussi troublés60. D’autant que, même si on écarte l’hypothèse d’un complot politique qu’il aurait ourdi et qu’on ne retienne que celle d’une réaction des barons aux exactions du vice-roi61, il n’était aucunement nécessaire d’inciter le prince à partir pour la cour impériale, comme il ressort de la lettre du Tasse à Vincenzo Martelli62.

Une telle accumulation d’arguments, une telle volonté de persuasion ne s’expliquent donc pas seulement par une rivalité avec l’autre secrétaire du prince, mais peut-être par une implication personnelle dans cette affaire. De fait, si l’on s’en tient au texte, seul l’honneur de son mécène semble mouvoir Bernardo63 ; cependant, l’expression « grazia di Dio » qui apparaît au détour d’une page64 pourrait être lue comme un léger rappel de l’hétérodoxie et du nicodémisme éventuels, mais non prouvés à ce jour, de son auteur. Ajoutés aux lignes qui louent de façon aussi dithyrambique que formelle la piété des Napolitains, ces trois mots, caractéristiques du lexique de l’évangélisme sans contenir pour autant la moindre notion hérétique, pourraient faire écho au fait que Naples avait été, entre 1534 et 1541, le siège du mouvement religieux créé par l’érudit et humaniste espagnol Juan de Valdés, qui y organisa des « coloquios espirituales » auxquels participèrent certains des personnages les plus en vue de la société napolitaine, aussi bien hommes que femmes, laïques qu’ecclésiastiques, ainsi que plusieurs évêques italiens65. Parce que le Tasse avait côtoyé nombre de grands de ce monde connus pour leur sympathie envers la religion réformée et s’était lié d’amitié avec certains des membres les plus en vue du valdésianisme, on a supposé que lui aussi, à l’instar de bien des personnages appartenant aux plus hauts degrés de la hiérarchie sociale, avait aspiré à une réforme de la vie morale, religieuse et ecclésiastique66.

À partir de là, même en l’absence de documents, il faut se demander si l’appartenance présumée au cénacle évangéliste qui se réunissait autour de Valdés à Naples n’expliquerait pas l’insistance avec laquelle il pousse son mécène sur la route d’Augsbourg, car l’institution d’un nouveau tribunal ecclésiastique, significative d’une volonté de contrôler directement et davantage les procès en matière de foi67, aurait représenté une grave menace pour lui, pour ses amis proches et pour le prince lui-même. De fait, même si le vice-roi était étranger à cette tentative d’introduction de l’Inquisition espagnole, les procès pour hérésie lui servirent à abattre ses adversaires68. Cette stratégie répressive incita vraisemblablement Sanseverino à accepter la proposition qui lui était faite de partir comme ambassadeur. Il ne s’agit certes là que d’une hypothèse, mais le contexte historique et religieux pousse vers cette interprétation. Dans tous les cas, quand bien même ne la retiendrait-on pas, il est légitime de présumer que, ici comme ailleurs, Bernardo a voulu soigner son image de secrétaire en proposant un texte étayé sur une solide argumentation, orné de références littéraires et historiques et se présentant comme un parangon de lettre « de persuasion ». Pour ce faire, il y a inclus deux exemples de « virtù » dans l’acception humaine et religieuse du terme ; celle du mentor qui prodigue ses conseils et celle de l’homme qui, en l’écoutant, passera à la postérité tout en servant à la fois Dieu et son roi.

La lettre suivante69 est adressée à Vincenzo Martelli, lui aussi au service du prince de Salerne70 et ancien ami de Bernardo71. Envoyée de la cour impériale, elle contient plusieurs rappels72 des raisons du voyage entrepris. Il s’agit d’un long texte, dans lequel, afin de se justifier (le mot « giustificazione » se rencontre à deux reprises et le participe passé « giustificata » apparaît une fois), il tente de dissiper un malentendu entre Martelli et lui-même et procède en même temps à un règlement de comptes en bonne et due forme au cours duquel il renvoie son destinataire à ses responsabilités. Sur un fond historique, les émeutes napolitaines de 1547 et les morts qu’elles causèrent73, se greffe en fait une rédaction très personnelle dans laquelle il se défend d’être à l’origine de la brouille qui l’opposa alors à son interlocuteur épistolaire. Leur dissension serait due à un écrit de Martelli à l’origine de sa disgrâce parce qu’il déconseillait au prince de se rendre à la cour impériale. En effet, après une observation attentive de la réalité européenne de ces années-là, contrairement au Tasse, dans une longue lettre très détaillée74, Martelli avait tenté de dissuader son protecteur de ses intentions en analysant tous les inconvénients qui découleraient d’un départ pour Augsbourg. Partant de l’analyse des effets de la Réforme sur les équilibres politiques, sociaux et religieux de l’aire germanique qui avaient abouti à la bataille de Mühlberg en 1547, au cours de laquelle les troupes de Charles Quint avaient défait les protestants de la ligue de Smalkalde, il démontrait que les tensions qui parcouraient la société allemande ne pouvaient pas ne pas apparaître comme une préfiguration de la situation du sud de l’Italie, et exposait les risques que le prince allait courir :

Perché e’ diranno che le novità di Germania hanno avuto il principio da queste sette, e che in questo regno non mancan faville per nutrir questo fuoco, e che l’ufficio d’un principe prudente è di rimediare a’ principi. […] Con la fresca memoria della vinta Germania, piuttosto s’irriterebbe l’altezza della sua natura [di Carlo Quinto], che si placasse. […] Non ottenendo [la grazia richiesta], vedete in che pericolo vi ponete […] di non aver soddisfatto alla città, avere offeso il Vicerè, non servito a Sua Maestà intrinsicamente; oltre agli altri incomodi che ne sentiranno i vassalli e i servidori e le vostre facultà75.

Son raisonnement portait aussi sur les velléités politiques des féodaux du vice-royaume – à savoir l’affaiblissement considérable de leur autorité face à la puissance de l’empire espagnol – et tendait à prouver que cette mission diplomatique se trouvant au cœur d’un conflit qui opposait le prince de Salerne au vice-roi n’avait pour lors aucune chance de succès :

Né vi persuadete poterci andare di consenso, né aperto, né tacito del Vicerè, perché si va diretto contro di lui, sendo l’intenzion di chi manda, e l’ufficio di chi va, la conservazione de’ capitoli dalla quale nasce, o la privazione del Vicerè, o la diminuzione in maggior parte della sua autorità, e quasi in tutto della sua riputazione, sicchè non v’è mezzo di compiacere all’uno senza estremo dispiacere dell’altro76.

Comme cela a été vu, Bernardo fut d’un tout autre avis et c’est lui que Sanseverino choisit d’écouter77. On comprend donc qu’il cherche à démontrer son innocence en se réfugiant derrière l’autorité du prince et l’obéissance qu’il lui doit78, avant d’accuser nommément un troisième personnage d’avoir délibérément jeté le trouble et semé la discorde entre eux79. Dans le corps de la lettre, il met en avant son souci de l’honneur de l’aristocrate napolitain et récuse toute responsabilité éventuelle, d’autant que d’après lui, ce dernier n’avait nul besoin de conseil :

Essendo Sua Signoria risoluta d’andare e non avendo, né in questa, né in altra sua deliberazione bisogno d’altrui consiglio, che s’operi lo sprone a cavallo che volontario corre80.

Pareille assertion prête à sourire au vu du soin avec lequel le secrétaire avait choisi et développé son argumentation afin de convaincre son protecteur, mais elle acquiert une tout autre résonance si on se remémore les opinions religieuses plus ou moins voilées de ce dernier, la stratégie répressive du vice-roi et le rôle que ces éléments ont joué. Après quelques considérations moralisatrices, le raisonnement aboutit à la mise en accusation de son antagoniste81 puis à la réprobation de son ingratitude, voire de sa bêtise.

Voi sete di natura troppo più sospettoso […] e certo eziandio che in voi non abbia loco quella universale opinione che la sospizione nasca da ignoranza, nondimeno ne sarete sempre piu tosto ripreso che lodato82.

En dépit du caractère assez personnel de la deuxième partie de ce texte, son auteur parvient à lui conserver une tonalité très littéraire grâce à de longues métaphores83 destinées non seulement à son antagoniste, mais aussi à son futur public, car à partir du moment où elle est publiée, une lettre s’adresse à un lectorat aux yeux duquel le courtisan souhaitait se disculper tout en prouvant sa maîtrise de l’écriture. Ainsi, l’expression « che ‘l mondo conosca » qui comparaît à la fin de l’exordium, signale-t-elle clairement qu’il est conscient du pouvoir de sa plume auprès du public cultivé que l’édition touchera.

Ces lettres représentent deux rares témoignages de la participation indirecte et sous-jacente de l’érudit bergamasque aux événements napolitains de 1547 ainsi que, de façon plus voilée, aux débats religieux qui enflammaient la Péninsule en cette première moitié de XVIe siècle. Dans la constatation de leur divergence d’opinion comme dans le reproche qu’il adresse à son rival (« voi caminaste per la strada dell’utile e io per quella dell’onesto »84), la formulation exprime efficacement le propos de fixer son image d’homme que guide la seule vertu et non l’intérêt. En admettant que ses conseils aient pu déterminer le prince à partir, mais rien n’est moins sûr, le résultat concret obtenu, à savoir l’exil et la pauvreté à plus ou moins longue échéance, prouve que, malheureusement, les conceptions morales du Tasse prenaient parfois le dessus sur l’analyse froide et objective d’une situation, telle qu’elle avait été faite par son ancien ami. C’est sans doute à cet aveuglement en quelque sorte éthique que l’on doit ces textes qui, malgré le peu d’allusions qu’ils contiennent – le secrétaire feint d’ignorer la diffusion du valdésianisme, comme il ne mentionne qu’indirectement les événements auxquels il est mêlé – nous éclairent sur l’importance de ces troubles pour la suite de sa carrière et de son existence.

Au moment de clore ce chapitre, force est de constater que, bien qu’ayant très fortement infléchi le cours de sa vie dans une direction qui n’était certainement pas souhaitée, ces événements napolitains sont résumés, dans le recueil de 1549, en deux textes. Ils tranchent cependant sur les autres par leurs dimensions respectives de six et huit pages qui les font figurer parmi les plus longs du volume. L’un d’entre eux, la lettre CCCVII, occupe aussi une place déterminante par sa position en ouverture du troisième livre. Celle qui suit, envoyée plus tardivement, alors que le courtisan se trouvait déjà à Augsbourg, n’est pas moins importante puisqu’elle dévoile l’antagonisme des deux secrétaires ainsi que l’arrière-plan de la décision prise par Sanseverino. Cette absence de références, ce vide par rapport à une période qui a pourtant si fortement conditionné son existence, étonnent à première vue, mais il convient de se rappeler que, même s’il contient parfois des détails, ce recueil épistolaire se veut plutôt formel, voire impersonnel. Notre auteur ne cherche pas à raconter son époque, sauf lorsqu’il fait intentionnellement œuvre de chroniqueur et d’historiographe afin de montrer au « teatro del mondo » l’étendue de ses capacités.

Dans ce contexte et quelle qu’ait pu être son importance dans son parcours, le soulèvement de 1547 ne saurait constituer autre chose qu’un thème sur lequel il choisit de faire ses gammes au profit de son image dans l’opinion publique. Si on met ces quelques lettres en parallèle avec le corpus relatif à la guerre dans le Montferrat, on s’aperçoit de la différence de traitement des sujets, puisque les comptes rendus de cette campagne militaire fourmillent de précisions historiques, voire pratiques, alors que rien ou presque ne transparaît des émeutes parthénopéennes. Une nouvelle comparaison, mais avec les dépêches qui ouvrent le recueil in medias res sur le conflit franco-espagnol entre 1525 et 1527 et sur la bataille de Pavie, amène à la même constatation. Maintenant, dans ces exemples, le secrétaire-ambassadeur livre à ses lecteurs des groupes de lettres et non pas des textes isolés et le but recherché est différent par rapport aux missives plus personnelles qui ouvrent le troisième livre.

Il n’en demeure pas moins que pareil contraste laisse soupçonner que, sur un sujet aussi brûlant que le refus de l’introduction de l’Inquisition espagnole à Naples, l’auteur fait preuve d’une retenue bien compréhensible pour un homme qui, sans trop s’exposer personnellement, sert un prince qui accueille à sa cour des persécutés religionis causa et fréquente nombre de spirituels ou de partisans de la Réforme. D’autant qu’au moment de la parution du recueil, il avait pu constater autour de lui que les autorités civiles et religieuses étaient fort vigilantes depuis plusieurs années85 et il ne pouvait aucunement ignorer combien la situation du prince de Salerne devenait précaire autant pour sa posture de chef de file de l’opposition aristocratique que pour son orientation dogmatique en matière de foi86.

La prudence qui présida à l’élaboration de son recueil épistolaire fut un peu tardive et ne lui permit pas de racheter l’erreur que constitua peut-être son conseil au prince d’accepter le rôle d’ambassadeur qui lui était proposé. Il est impossible de savoir si les exhortations de la lettre CCCVII furent déterminantes ou si le prince serait de toute manière parti pour la cour impériale. Dans tous les cas, les conséquences de cette décision se révélèrent déplorables pour Bernardo qui, abandonné par Sanseverino et séparé de sa famille, connut la pauvreté, voire l’indigence, et l’errance de cour en cour jusqu’à sa mort au service des Gonzague. Quand ses déplorables conditions de vie l’amenèrent à rompre avec le prince, celui qui avait compté parmi les grands intellectuels du XVIe siècle écrivit ainsi avec amertume, mais non sans un sursaut d’orgueilleuse dignité : « Voi avrete goduto le fatiche de la mia gioventù e altri comprarà un caval vecchio, per tenerlo per riputazione in stalla »87.

Découlant directement de cette situation, trois lettres du Tasse à d’éminents serviteurs de sa majesté le roi d’Espagne s’inscrivent dans la catégorie des defensorie88, autrement dit des plaidoyers pro domo sua. Les deux plus importantes, destinées respectivement à Ruy Gomez, prince d’Eboli, et à Antoine Perrenot de Granvelle, évêque d’Arras, tous deux membres du conseil d’État du roi espagnol, sollicitent leur intercession afin d’obtenir le pardon du monarque. Pour ce faire, le Tasse s’y présente comme un homme vertueux contraint à suivre le triste sort de Ferrante Sanseverino et victime à la fois d’une « maligna fortuna » et de l’injuste rigueur des juges89, en oubliant, comme on l’a vu précédemment90, qu’il avait en partie provoqué les événements. Dans une intention de supplique manifeste, il offre ici à son lecteur des écrits rhétoriquement très élaborés avec un exorde, une proposition comprenant généralement une brève narratio vitae, une argumentation et une péroraison suivie d’une conclusion. Afin de disposer ses interlocuteurs à la clémence, il orne ses propos de captatio benevolentiae, d’aphorismes et autres maximes et sentences, d’anaphores du verbe « confesser » de manière à suggérer un confiteor91, de métaphores92, mais aussi de nombreuses formes interrogatives destinées à produire un effet stylistique :

Era io, Signor Eccellentissimo, vassallo ligio di Sua Maestà? aveale io giurato fede o omaggio? avea forse conspirato contra la sua persona propria? Se non, con che giustizia vogliono a me e a’ miei figliuoli dar quella istessa punizione che dispongono le leggi contra chi fosse in sì infame e detestabile error caduto? Non sa ciascuno che il giusto giudice dà il castigo secondo il peccato? e se così è, merito io quella istessa pena che meriterebbe uno di questi scelerati?93

La troisième, adressée à Consalvo Perez, écrivain espagnol et secrétaire de Charles Quint puis de Philippe II, reprend à peu de choses près le même argumentaire94, en y ajoutant un passage sur l’Amadis. Elle donne au Tasse l’occasion de développer le thème de la renommée que les auteurs peuvent procurer aux puissants en expliquant que son roman a été composé à la louange et à la gloire du souverain et de la cour espagnole.

Ces écrits sont précédés de plusieurs autres destinés à de hauts personnages susceptibles eux aussi d’obtenir des autorités espagnoles la révocation ou l’allègement de sa peine95. Elles développent une même tonalité pathétique en opposant régulièrement l’innocence de ses malheureux enfants aux coups d’un fatum résolument adverse et sa fidélité au prince à la rigueur des juges96 afin de susciter la compassion de ses lecteurs, qui est accrue par un lexique où la misère, tant affective que matérielle, occupe la plus grande partie du champ sémantique. Au-delà des demandes d’intercession habituelles97, pour ne pas dire banales, il envoie d’abord et intègre ensuite ces requêtes dans son volume de manière à rendre publiques ses vicissitudes et à contraindre indirectement de la sorte chacun de ses correspondants à l’aider pour ne pas faire piètre figure vis-à-vis des autres et de l’opinion publique. Il s’agit bien là d’une véritable stratégie épistolaire dans laquelle lettre de recommandation et lettre personnelle se combinent. L’exemple le plus marquant est peut-être celui de la lettre à Americo Sanseverino, parent de Ferrante et ami du Tasse, dont la motivation se dévoile après la narration de ses tourments :

Io so che voi ch’avete un animo nobile e generoso […]; non solo piangerete con un vostro servidore le sue infelicità, ma procurarete con ogni forza che chi deve, vi doni rimedio98.

Bernardo sollicite de la même manière plusieurs personnes, toutes susceptibles de se connaître, du moins nommément, de manière à tisser une véritable toile épistolaire ayant pour objectif d’engluer ses illustres correspondants dans un réseau de demandes croisées. La publication de ces noms relève elle aussi de cette même stratégie, car leur insertion dans le cadre d’un compagnonnage littéraire de haut niveau constitue une forme de remerciement public envers ses donateurs, dont par exemple le duc della Rovere :

Mentre […] mi trovavo a Pesaro, dove da quel cortese e magnanimo principe sono stato onoratamente molti mesi trattenuto […] dall’obbligo ch’io ho all’eccellentissimo Signor duca suo fratello, in me nacque un ardentissimo desiderio d’onorar Vostra Eccellenza [Giulia Estense della Rovere]99.

Le même cas de figure se présente pour ceux qui intercédèrent en sa faveur, tel le cardinal de Trente100 :

Io non voglio offerirle per tanta grazia altro ricompenso, perché la qualità del mio stato presente nol sopporta e essa non si muove a queste opere di cortesia e di beneficienza con speranza d’averne altro premio che quello che gli dà l’opinione de’ prudenti giudici e la conscienza sua d’aver fatto un atto pieno di pietà e di virtù. Del quale ne farò quell’onorato testimonio a’ posteri che potranno gli scritti miei101.

Un autre groupe d’une douzaine de lettres102, plus dilué dans le temps puisqu’il concerne les années 1554 à 1558, évoque plus précisément ses relations avec Sanseverino, témoigne de la détérioration des relations entre les deux hommes et laisse deviner la rancœur que le secrétaire nourrit envers celui qu’il tient pour responsable de tous ses maux. Ainsi la lettre XLV – qui appartient au volume de 1560 même si elle a peut-être été rédigée en 1544 – est-elle la première à mentionner un désaccord entre les deux hommes. Accumulant maximes et sentences par lesquels le courtisan sermonne, voire réprimande, son destinataire au sujet d’une décision à prendre, cette lettre prend pour prétexte l’affection qui l’unit à son seigneur. De fait, le terme « affezione » revient par trois fois ; dans les deux premières occurrences, il se rapporte aux sentiments que Bernardo dit éprouver vis-à-vis de Ferrante Sanseverino, mais dans la troisième, il fait allusion aux résultats concrets qu’il espère en obtenir :

Aspetto con altrettanto bisogno quanto desiderio di veder con effetti l’affezione che mi portate103.

Ce sous-entendu laisse deviner une altération du rapport à son mécène. Non daté, l’écrit ne peut être aisément situé, mais son contexte et ses intonations invitent à croire qu’il marque le début d’un processus de dégradation et d’une longue liste de suppliques.

Dix ans plus tard, la lettre XLIX104, datée du 1er juin 1554 et adressée au prince de Salerne, appartient à un corpus de lettres familières qu’il est malaisé de définir, car à mi-chemin entre sollicitation et réprimandes. De fait, elle inaugure la série des suppliques du courtisan et une nouvelle attitude de « mendicité littéraire »105 qui alterne ironie et prière :

Io rendo infinite grazie a l’Eccellenza vostra de l’amorevole consiglio ch’ella mi dà […] e s’io non avessi più bisogno d’aiuto ne l’esecuzione che di consiglio ne la deliberazione, io sarei di già ridotto a quella vita e in quella patria dove voi ora mi persuadete ch’io mi ritiri […]. Supplico [Vostra Eccellenza] come cristiano, come cavaliero, come principe grato che voglia proveder tosto a le necessità presenti, le quali sono tali che non mi danno un’ora di quiete106.

D’autres prières pressantes vont rythmer sa correspondance et marquer, comme autant d’étapes, la détérioration de ses relations avec son ancien mécène par un processus de dramatisation grâce auquel le lettré représente sur la scène du monde le spectacle de son malheur. La lettre LX, datée du 18 février 1556 et envoyée à Americo Sanseverino, évêque et comte d’Agde, parent de Ferrante du même nom et ami proche de l’auteur, comporte des accents pathétiques qui, tout en dénonçant l’abandon qu’il subit, ne sont pas encore vraiment explicites :

Pensate Signor mio qual vita sia la mia e in che stato d’infelicità e di miseria si ritrovi questo povero e infelice vostro servitore. […] Se le mie disgrazie non trovano compassione in chi la deve avere e, in un certo modo, è cagione di tutte queste mie calamità, io dirò che non è né pietà, né gratitudine in uomo del mondo. […] io prego Dio che a me dia pazienza e a chi deve pensiero di proveder a le mie sciagure. […] chi non ha compassione de le mie miserie non è uomo e chi non avrà memoria de’ miei servizi, sarà ingratissimo107.

Dans le message suivant, qui est destiné au prince, les récriminations se font plus précises et commencent à prendre le dessus sur les prières. Le Tasse l’accuse à présent ouvertement d’être responsable de ses malheurs :

La cagione perché sia caduto in questa miseria non vi deve esser nascosta, poi che è manifesta a tutto il mondo. Io mi trovo in stato che chi non ha compassione di me non ha spirito né di pietà, né di virtù alcuna in sé, e se in voi è ancora una minima parte di quella grandezza e generosità d’animo, di quella gratitudine che con tanti onorati esempi avete mostrata verso i vostri servidori, n’averete ancor voi pietà e cercarete di sollevarmi dal fondo di questa miseria, dove io per servizio vostro sono caduto108.

Une lueur d’espoir parcourt encore la conclusion, mais elle semble bien mince au vu du constat de rupture consigné en ces lignes. Ces accents réprobateurs se muent en une dénonciation en règle avec la lettre LXV à Americo Sanseverino109. Après la mort de son épouse, le secrétaire met en cause l’attitude du prince lors d’une véritable litanie de remontrances sur son silence épistolaire, la longueur de son service, les différentes pertes qu’il avait subies et l’absence de toute légitime compensation :

Io ho scritto […] un’infinità di lettere al Signor principe e a voi, né mai d’alcune di quelle né da voi, né da Sua Eccellenza ho avuta risposta alcuna, il che accresce di maniera la miseria e infelicità de lo stato mio, ch’io sono in quell’ultimo grado di disperazione che può esser uomo vivente. Non sperava io dal Signor principe, il quale ho servito ventiquattro anni con tanta lealità e per lo quale ho perduto quanto avea con tanti miei pericoli e fatiche onoratamente guadagnato, sì fatto guiderdone, che non lo merita la mia servitù, la mia fede, né si conviene a prencipe che sia tenuto in opinione del mondo per signor virtuoso e grato110.

Le comportement de l’aristocrate est ensuite résolument dénoncé par une accusation d’ingratitude et, plus discrètement, par l’évocation de ce qu’il n’est pas ou de ce qu’il n’est plus, c’est-à-dire « grato e virtuoso »111. Notre auteur en vient ensuite à décrire le malheur qui s’est abattu sur lui et sur sa famille avec une intensification du pathos qui se faisait déjà sentir dans les textes précédents, par un choix de substantifs qui recoupent ceux qu’il avait déjà utilisés112 et qui, couplés à des adjectifs poignants113 et à l’évocation de ses enfants ainsi que du décès de Porzia de’ Rossi, concourent à une véritable dramatisation de l’écrit. En vérité, le terme de « théâtralisation » serait peut-être plus exact dans la mesure où l’auteur recourt au thème du « monde », c’est-à dire d’un public. Évoqué dès la dédicace du premier volume114, puis de nouveau dans différentes lettres115, comme dans d’autres textes116, cet auditoire occulte est placé sous les feux de la rampe dans l’explicite dénonciation qui occupe le corps de la lettre en dépit de la prétérition initiale :

Io non voglio rimproverar, connumerando a Sua Eccellenza i servizi miei, perché sarebbe più debito suo di rimunerargli, che ufficio mio di ricordarlegli. Sua Eccellenza lo sa, lo sa Vostra Signoria, lo sa il Mondo, al quale quasi comedia recitata in un teatro, è manifesto la fedeltà de la mia servitù117.

Le jeu théâtral s’opère ainsi à deux niveaux, tout d’abord par la simple élection du texte parmi les matériaux destinés à la publication118, alors qu’on sait aujourd’hui grâce au travail sur les archives des chercheurs du XIXe siècle119 que, pour construire ce recueil, Bernardo a procédé à des choix très stricts et à nombre de rejets dans le circuit de la correspondance privée, ensuite par cette forme d’appel au jugement et à l’opprobre du monde, voire de Dieu.

Lo sa Iddio a cui non si può nascondere il secreto de’ nostri cuori, il quale sì come ha visto che né con più fede, né con più affezione si poteva servire un principe di ciò che ho fatto io lui, così lo prego che inspiri Sua Eccellenza a guiderdonare i miei servizi con quella liberalità d’animo che deve un grato e virtuoso principe, o a me dia pazienza per sopportare tanto torto e modo da proveder a le mie necessità120.

Non content de stigmatiser l’avarice de son protecteur, il se livre également à une véritable mise en scène d’un drame dont il est le protagoniste et Sanseverino l’antagoniste par le truchement d’une opposition entre sa propre droiture et l’incorrection du prince :

Pensate Signor mio, in che stato di miseria io mi ritrovo e se ho bisogno di consolazione e d’aiuto; e vi prometto che più mi dà molestia l’ingratitudine ch’usa il Signor principe verso me che tutte queste altre perdite e adversità mie. Una sola soddisfazione d’animo mi resta, la quale è la candidezza de la mia coscienza, fedele testimonio de le mie operazioni, che non pensai mai se non a servirlo e onorarlo, ne la quale non sento rimordimento alcuno né pur una minima macchia di sospizione che turbi la sua nettezza121.

À l’indifférence coupable de celui auquel il a tout sacrifié, le vieil homme oppose la pureté de sa conscience et, dans ce contexte, le couple de termes antinomiques « ingratitudine » et « fedeltà » contribue à une représentation presque plastique d’un autoportrait de serviteur fidèle et zélé, injustement victime du destin et de la malveillance humaine. Le choix de s’adresser non point au noble napolitain en personne, mais à l’un de ses parents et amis pour l’astreindre à la générosité relève de cette même volonté de théâtralisation. En d’autres termes, l’ancien courtisan met en scène un véritable chantage littéraire consistant à menacer implicitement Ferrante Sanseverino de le diffamer aux yeux de tous et non pas simplement au sein de sa propre famille. À bien y réfléchir, cette attitude constitue l’envers de la gloire que les écrits des poètes sont censés apporter aux mortels122 et, en l’occurrence donc, en se posant en arbitre des réputations, en se servant de sa plume pour flageller ce prince qui ne subvient plus à ses besoins, en faisant indirectement appel à l’opinion publique, le Tasse imite bel et bien l’Arétin.

Pareille diatribe ne l’empêche pas cependant de conclure sur une nouvelle demande de soutien financier où la réprobation succède aux implorations :

Ora torno a ripregarla con quella maggiore caldezza e efficacia ch’io posso […]; fra tanto io mi consiglierò in questo caso ciò ch’io avrò da fare affine che sì come Sua Eccellenza m’ha fatto perder la robba, non mi faccia anco perder l’onore123.

Dans la lettre CXLVIII, datée du 14 avril 1558 et écrite à son ami Giovanni Angelo Papio, le rapport de service existant entre le Tasse et Sanseverino n’est pas encore définitivement rompu, puisqu’il est question du paiement d’une provision, même si, apparemment, celle-ci s’avère insuffisante pour pourvoir à l’impression de l’Amadis. En dépit de ce versement, ses attaques contre son ancien mécène se font plus dures, la présence sous-jacente du monde est encore attestée et le choix des mots dénote une forte exaspération :

Signor Papio, dura cosa è l’aver servito ventisei anni de la mia più utile età un prencipe tanto onoratamente, come sa il mondo, che ho fatto io, l’aver perduta tanta facultà, moglie e figli in servizio suo e vedermi in vecchiezza in stato che mi bisogni, con questo misero figliuolo andar mendicando il vivere e abbandonato da chi mi dovrebbe aiutar col sangue se bisognasse124.

Le Tasse semble ici considérer que ses dernières années avaient été dépensées en faveur du prince, puisqu’il ne mentionne plus vingt-quatre ans de service comme en 1556, mais bien vingt-six. Ce faisant, il n’hésite pas à se contredire par rapport à ce qu’il écrivait dans ses dépêches à destination des grands de la cour d’Espagne ou de ceux qui pouvaient avoir l’oreille du souverain125, dans lesquelles il affirmait au contraire avoir tronqué tout rapport avec le rebelle dès son séjour romain en 1554, sans doute afin d’obtenir la révocation de son bannissement et la restitution de ses biens :

Tosto che l’Eccellentissimo S. duca d’Alba mosse guerra a Sua Santità, avendo già al mio partir di Francia rinunziati a tutti i negozi del principe, restituite le ciffre e solutomi di attender a vivere e a li studi miei, mi partì da Roma126.

Dans les lettres suivantes l’accusation d’ingratitude devient récurrente127 :

I miei nuovi fastidi causati dall’ingratitudine del principe, il quale del tutto dimenticatosi della mia lunga e fedel servitù e non attendendomi ciò che a bocca e con lettere e con testimonio di vive voci m’aveva promesso e deveva osservarmi, m’ha posto in necessità in questa età e dopo l’averlo servito venticinque anni, di pigliar nuova servitù con questo Eccellentissimo duca, certo con onoratissima condizione128.

Più vergogna mi sarebbe a lasciar tanti amici che, cortesissimamente, m’han sovvenuto ne le mie avversità, che lasciar il servizio del principe, il quale con tanta ingratitudine ha riconosciuta la mia lunga e fedele servitù e non solo non ha ricompensato ma ne anco mostrato d’aver desiderio di ricompensare in parte il grave danno mio129.

Elles autorisent l’évocation d’une situation financière visiblement calamiteuse et le Tasse n’est pour lors guère avare de détails chiffrés130 qui témoignent de l’intrusion dans la typologie des familiares d’éléments pour le moins matériels. Même s’il n’adopte pas le ton de la satire ou de l’invective et se place plutôt sur le terrain de sa propre vertu revendiquée dès son premier volume et en fin de compte bien mal récompensée, sa dénonciation de la pingrerie des nobles fait écho à celles de l’Arétin.

La lettre CL, adressée à son ami Vincenzo Laureo le 10 juin 1558, reprend la litanie de ses griefs et brosse le tableau de son dénuement131 en mentionnant ses dettes, les frais qu’il devrait engager s’il se rendait à Avignon pour voir le prince, ainsi que la récente suppression d’une pension qui lui était allouée jusque-là :

Che posso io più sperare da lui se trecento scudi che m’aveva consignati con fede di notari sovra la provisione de la sua compagnia, con certe colorate scuse si ha ritolti?132

Il en conclut qu’il a payé son dû, se trouve libre de tout engagement et par conséquent susceptible d’accepter une proposition de service qui est, selon toute probabilité, celle que le duc Della Rovere lui fit à cette même époque :

Io son certo d’aver pagata tutta l’obligazione ch’io gli aveva con aver perduta la facultà, la moglie, la quiete de l’animo e de la mia vecchiezza e fatta perdere a’ miei poveri figliuoli la robba de la madre […] per seguir la sua fortuna e che questo atto sia di tanta forza che, essendo io libero d’ogni obligo di fedel servitore, oblighi lui come grato padrone al remunerarmi e a l’emenda del danno mio133.

Comme le précédent134, ce texte apparemment accusateur est en réalité destiné à motiver son prochain changement d’alliance du parti français au parti espagnol, ainsi qu’à rejeter sur le prince la responsabilité d’un état de fait auquel il avait pourtant contribué. En juillet, sa décision est prise puisque, dans sa lettre CLIV à Benedetto Varchi, il motive explicitement ses hésitations puis son changement de cour, de camp et de dédicataire de l’Amadis135 par une longue recapitulatio de toutes ses années de service auprès du prince, de ses bons offices et des sacrifices accomplis au nom de sa fidélité :

Signor mio, io non poteva senza grandissimo biasimo e senza giustissima nota d’ingratitudine, avendolo servito ventitre anni136 ne la prospera fortuna e trovandomi beneficiato da lui, abandonarlo ne l’adversa […]. Onde per non mancar a l’onor mio, volsi perder tanta facultà, abbandonar la moglie sovra tutte le cose del mondo amata, i figliuoli piccioli, tant’altre cose […] sperando pur, che avendo io con questo atto non solo pagata tutta l’obligazione che io aveva a Sua Eccellenza, ma di debitore che io le era, di molto maggiore obligo divenuto suo creditore137.

Dans sa dernière missive au prince, qui porte le numéro CLVII et qui est datée du 5 août 1558, quelles qu’en aient été les raisons réelles ou psychologiques138, le divorce est désormais inéluctable et le poète demande son congé. Articulée comme les précédentes autour des concepts antinomiques de

« dévotion » et d’« ingratitude », elle arbore des accents poignants dans le choix des termes, comme celui de « faim » situé presque en ouverture, ou comme celui du verbe « mendier » appliqué à son fils. Ce lexique lui confère une tonalité d’autant plus déchirante que d’autres témoignages de sa réelle pauvreté parcourent les écrits volontairement relégués dans le circuit de la correspondance privée. À une rapide récapitulation des faits, succède une insolite peroratio au cours de laquelle le courtisan reproche à son ancien maître son égoïsme, invoque le juste courroux divin, en appelle à sa pitié et invoque le jugement du monde139 en recourant à la métaphore animalière citée plus haut140.

Par ce raccourci saisissant destiné à choquer et émouvoir son lecteur, le secrétaire motive sa décision de passer au service d’un autre puissant et résume l’état de ses affaires. Jusques et y compris dans ces lignes de rupture, il réitère toutefois ses demandes de subsides et la tonalité pathétique induite par la forme verbale « supplico » est étayée par l’évocation d’éléments matériels qui dénotent une situation financière des plus fragiles :

Vi supplico perché ho in pegno quante robbe tengo, che mi facciate grazia de li trecento scudi ch’io avanzo de la provisione di quest’anno; affine che volendo pagare i miei debiti con la provisione ordinaria che mi sarà data, non sia sempre in necessità141.

Cette fois-ci, elles sont immédiatement suivies, dans la recusatio finale, d’une vague menace de rétorsion. En effet, au moyen d’une prétérition, il fait remarquer au noble napolitain comme au lecteur, qu’il serait éventuellement en mesure de dévoiler les manèges politiques et diplomatiques dont il a connaissance. Cependant, en fidèle et probe serviteur, il écarte aussitôt cette hypothèse inconvenante, ce qui constitue une nouvelle et habile manière de se présenter à la face du monde comme un homme intègre142 et comme un bon secrétaire soucieux du devoir de réserve qui est le sien.

Après une vingtaine d’années passées au service de Ferrante Sanseverino, vint pour cet homme déjà âgé le temps de l’errance ; il se réfugia d’abord auprès de Guidobaldo II della Rovere à Urbin, où il ne demeura qu’un an, avant d’accepter une nomination de chancelier de l’Accademia della Fama à Venise, où son séjour n’excéda pas non plus une année environ, puis de passer au service du cardinal Louis d’Este de 1561 à 1563, pour finir ses jours en 1569 sous la tutelle des Gonzague à Mantoue. Dans toutes ces cours, ses principales activités furent d’ordre diplomatique bien plus que littéraire. Les Gonzague notamment lui laissèrent fort peu de répit en l’accablant de tâches et en le contraignant à de très nombreux voyages, tant et si bien qu’il ne put compléter que dix-neuf des trente-quatre chants prévus pour son Floridante qui, comme bien d’autres tentatives épiques de cette époque, demeura inachevé143 jusqu’à ce que Torquato le reprenne.

L’analyse, même sommaire, de ces quelques familiares, montre donc que le but ultime de certaines d’entre elles est d’obliger son ancien protecteur à s’acquitter de ses dettes en faisant pression sur lui par l’intermédiaire de la « scène du monde », c’est-à-dire de ce public varié et nombreux qui avait assuré le succès et la longévité du recueil de lettres de 1549. La théâtralisation qui les singularise les transforme en autant de dénonciations. Le Tasse s’érige ainsi en juge et victime du prince de Salerne dans la représentation implicite d’un procès imaginaire, au cours duquel il s’adresse autant à l’accusé qu’aux témoins nommément indiqués dans les en-têtes des lettres : Americo Sanseverino, Giovanni Angelo Papio, Vincenzo Laureo et Benedetto Varchi. Les termes qu’il a soigneusement choisis contribuent à dramatiser une expérience autobiographique. Mais en réalité, avec la publication de son recueil, c’est son lectorat tout entier qui est invité à compatir à son sort et à celui de ses enfants, ainsi qu’à blâmer le comportement du prince dépeint comme un monstre d’indifférence, tandis que l’auteur tend à perpétuer en revanche de lui-même : « un’immagine tutta disegnata a lettere maiuscole »144. Au moyen de cette dynamique de manipulation, il transmet un autoportrait d’honnête et fidèle serviteur dont les vertus sont mises en relief par l’ingratitude d’un noble à qui il a pourtant donné les meilleures années de sa vie.

A contrario, il n’hésite pas à édifier une image de Ferrante Sanseverino qui a tout d’un repoussoir livré en pâture à un public comptant dans ses rangs les personnages les plus importants de la Péninsule dans les milieux aristocratiques, politiques et littéraires. Cette opposition entre un modèle d’homme vertueux, injustement abattu par un sort inique, et une caricature d’aristocrate froid et insensible confère au recueil sa tension émotive mais doit être comprise pour ce qu’elle est, à savoir une manœuvre qui s’appuie sur la force du « mondo », une tentative d’extorsion en bonne et due forme, à peine travestie par l’élégance d’une rhétorique cicéronienne. L’ensemble des textes accusatoires et défensifs met en évidence une stratégie épistolaire qui, à l’instar de celle de l’Arétin, tend à renverser l’habituel rapport de dépendance qui existe entre un lettré et son protecteur en faisant peser sur ce dernier toute la puissance de sa plume pour lui soutirer quelque argent.

Cette interprétation ne suffit peut-être pas à rendre compte des intentions du Tasse lorsqu’il inséra ces lettres familières dans son ouvrage et il se pourrait bien qu’au-delà de cette forme de revanche, de ce jeu de construction littéraire d’une peinture flatteuse pour lui145 et déshonorante pour l’aristocrate napolitain, il poursuive un but second. En effet, à une lecture plus globale, les lettres en question semblent venir s’ajouter aux defensorie évoquées plus haut dans lesquelles il implore la clémence des autorités espagnoles afin d’obtenir la révision de son jugement et la restitution de ses biens. Pour ce faire, à un portrait de fidèle serviteur, innocent en raison même de son statut, à son image de parangon de vertu, de vivante incarnation de la fidélité, le poète-courtisan adjoindrait alors une magistrale mise en accusation de son protecteur, de manière à faire encore mieux ressortir ses propres mérites tout en insistant sur l’iniquité de la double peine qu’il endure, à savoir son abandon de la part du noble napolitain et la perte de ses biens confisqués par les autorités espagnoles. C’est également une façon habile de se poser en victime en rejetant la responsabilité d’un changement de camp sur les épaules de son ancien seigneur.

Ainsi, au terme de cette analyse, si l’on s’en tient à présent aux faits historiques attestés et non plus seulement au compte rendu littéraire d’un parcours chaotique et malheureux, il faut bien reconnaître que, tout au long de sa carrière, le Tasse lui-même n’a pas hésité à changer d’alliances en fonction des opportunités. De fait, il commença par travailler pour le camp français en servant Guido Rangone puis Renée de France, demeura ensuite longuement sous la bannière impériale, avant de repartir à la cour du roi de France (Henri II, cette fois-ci), puis de s’enrôler de nouveau dans le camp espagnol en faisant allégeance au roi Philippe II146. Or, on a beau savoir que de tels allers-retours étaient alors fréquents, ne serait-ce qu’en raison de la position souvent instable des intellectuels salariés, il n’en demeure pas moins que le Tasse se soucie de s’en disculper aux yeux de ses contemporains dès la dédicace du premier recueil de lettres à l’évêque d’Arras147. C’est également le cas dans certains des textes publiés en 1560148, en particulier dans une des familiares dont il a été question plus haut où la nécessité de se justifier est mentionnée à deux reprises, une fois au début de la péroraison et une fois à la fin, ce qui suggère que, même en des temps où elles étaient courantes, ces fluctuations pouvaient lui attirer la désapprobation de ses pairs, voire de son public :

Et eziandio ch’io sappia che con niuna persona di giudizio come sete voi, sia di mestieri di giustificare questo mio esilio […] mi gioverà però di scrivervene queste poche parole […]. Quest’è quanto per giustificazione e soddisfazione mia son stato necessitato di dirvi149.

Dans tous les courriers examinés plus haut, il semble aussi oublier qu’il a été, au moins partiellement, l’artisan de son propre malheur. De fait, sans aucunement préjuger du bien-fondé de ses critiques, il faut quand même se souvenir de sa participation bien réelle aux éléments déclencheurs de son infortune. Dans la fameuse lettre au prince qui prélude au Terzo libro delle lettere di M. Bernardo Tasso au sein du volume de 1549-1559, un texte fort élaboré où il appuyait ses dires sur l’autorité de l’Antiquité romaine au nom de la bonne réputation et de la dignité du prince150, il cherchait visiblement à convaincre. Et on est déconcerté par sa capacité d’oubli moins de dix ans après des événements qui ont bouleversé toute sa vie et celle du prince, lequel, pour l’avoir écouté, dut fuir le royaume de Naples, se mettre au service du roi de France et terminer ses jours dans une relative pauvreté après avoir perdu tous ses biens lors de ces funestes années 1547-1552.

Joint aux observations sur la teneur des lettres familières, ainsi qu’aux préoccupations matérielles qui semblent l’obséder – et on ne saurait passer sous silence une attitude de mendicité littéraire assez répandue dans les lettres du second volume et dénoncée par Dionisotti151 – ce rappel des faits conduit à envisager qu’en raison de sa misère et de l’inconfort moral dans lesquels il passa la fin de sa vie, en raison aussi de l’impression qu’il a depuis longtemps d’avoir perdu ses plus belles années152, le Tasse cristallise sa rancœur sur Ferrante Sanseverino et n’hésite pas pour lors à le transformer en bouc émissaire de tous ses malheurs. Même si, en réalité, il avait effectivement une part de responsabilité dans ce naufrage commun, le désespoir qui était le sien et son état d’indigence l’amènent à réclamer et à menacer celui qu’il considère comme fautif. Son ressentiment s’explique peut-être aussi par un code d’honneur auquel il se sent intimement lié – d’après ce qu’on peut déceler de sa personnalité dans ses écrits – qui n’admet pas de transgressions et le porte à profondément s’offusquer de ce qu’il considère comme une trahison.

Notes

  1. Le terme est ici utilisé pour désigner une typologie épistolaire qui s’oppose aux variantes comme celles de la « lettre de divertissement » ou de la « lettre amoureuse ». Voir Giacomo Moro, « Selezione, autocensura e progetto… », p. 69-70.
  2. Jeanine Basso, « La lettera “familiare”… », p. 59 : « Pare che siano [le lettere familiari] essenzialmente, anche se non esclusivamente, scritte a nome proprio, personali, cioè d’interesse privato, indirizzate ad amici più che a parenti o, per lo meno, a persone con le quali lo scrivente abbia qualche dimestichezza, fossero pure queste i suoi padroni o signori ».
  3. Le Tasse fait partie des écrivains qui intègrent des familiares dans leur correspondance en mentionnant leur famille, voire leurs affaires privées. Dans ce premier recueil se rencontrent ainsi plusieurs lettres amicales (Lettere, I, XVI, p. 45-46 ; XXIV, p. 58-60 ; XXVI, p. 61-62 ; XLVI, p. 89-90 ; XLVIII, p. 91-92 ; LVIII, p. 105-106, etc.), de remerciements (Lettere, I, XXXVIII, p. 78-79 ; LXIII, p. 115-116, etc.), concernant ses affaires privées (Lettere, I, XCVI, p. 172-173 ; XCVII, p. 173-174 ; XCVIII, p. 174-175 ; CXVIII, p. 210-211 ; CXXVI, p. 227-230 ; CXXVII, p. 230-234 ; CLVI, p. 289-291 ; CCXI, p. 384-385, etc.) et familiales (Lettere, I, CXL, p. 255-258 ; CXCIX, p. 352-359 ; CCXIII, p. 386-387 ; CCXIV, p. 387-388, etc.).
  4. Cf. Giacomo Moro, op. cit., p. 71.
  5. Lettere, II, XVI, p. 55, A M. Sperone Speroni : « De même que j’ai la possibilité de vous écrire plus souvent, je voudrais aussi avoir l’occasion de pouvoir le faire, car il me serait très plaisant de pouvoir discuter avec vous comme on le fait avec les amis lointains ».
  6. Lettere, II, A Girolamo Bulli, XVII, décembre 1552, p. 57-60.
  7. Ibid. : « È donna virtuosa, amorevole del marito e de’ figliuoli, abbandonata non pur dagli altri, ma da’ propri fratelli ».
  8. Les dernières phrases de ce texte ne sont d’ailleurs pas sans rappeler la tonalité moralisatrice et vertueuse d’une précédente et fort célèbre lettre du secrétaire à Porzia. Voir Lettere, I, CXIX, p. 352-359.
  9. Lettere, II, LXVI, p. 186.
  10. Le lecteur contemporain ne pourra cependant que s’étonner de la promptitude avec laquelle l’auteur met fin à cet éloge pour entrer de plain-pied dans le détail des projets de mariage de sa fille Cornelia et des questions matérielles relatives à son héritage.
  11. Jeanine Basso, « Quelques réflexions… », vol. I, p. 43.
  12. Sur la fréquence de ces lettres, cf. Rosanna Morace, Dall’ «Amadigi» al «Rinaldo», p. 87.
  13. Lettere, II, p. XIV-XVII. Se rapporter également au contenu de II, LII, p. 145-147.
  14. Adriana Chemello, Lettere II, Introduction, p. XIV-XV. Ses remarques sont amplement reprises par Rosanna Morace, Dall’ «Amadigi» al «Rinaldo», p. 86-87.
  15. Lettere, II, LII, p. 145-147 : « Io non potrò, per ordine de’ medici, per un mese ancora, dar opera ad alcuno essercizio de l’intelletto. Mandarvele [le lettere] così in confuso non è bene e dubitarei di non cader in quell’errore istesso che m’accennate ch’io sia caduto per le lettere stampate, l’original de le quali […] mandai a M. Dionigi con speranza, anzi promessa che le dovesse rivedere e corregere. Io non le ho viste […] ma mi doglio estremamente ch’egli non abbia fatto quell’ufficio ch’io sperava e del quale le lettere avevano bisogno ».
  16. Comparer Lettere, II, LXIV, p. 175-176, avec Lett. Camp., XIX, p. 113-118 : « Signor mio, […] avendo amicizia con messer Lodovico Dolce […] lo pregai che volesse fare opera con Messer Gabriello Giolito, che insieme col quarto libro delle rime mie non più stampate facesse imprimere li tre altri e perché io mi trovava indisposto dell’animo e del corpo […] lo pregai che volesse pigliar questa fatica […]. Dopoi o per non pigliar la fatica o per negligenza o per altra cagione ch’io non so imaginare, lasciò uscir l’opra tutta confusa e piena di mille errori che non erano nella copia ».
  17. Comparer Lettere, II, XCV, p. 285-290 et Lett. Camp., XXV, p. 145-155. La deuxième commence ainsi : « Avendo omai sono due anni, della diligenza del Dolce fidandomi […], procurato che il Giolito stampasse i miei tre libri degli Amori, aggiuntovi il quarto dedicato alla Serenissima Margherita sorella del Re cristianissimo, gli mandai la copia assai ben corretta; ma per la infermità che allora mi teneva oppresso non puntata come avrei desiderato, supplicandolo particolarmente che con la sua diligenza supplisse a questo mio difetto, gli fece (vo’ dir così) per negligenza, non possendo creder per malignità, stampar tali che me ne vergogno; e se subito non vi rimediava, mi faceva cadere in un errore di poca prudenza più degno di riprensione che di scusa ». Le Tasse poursuit sur le même ton quatre pages durant.
  18. Ce texte est récupéré par Campori dans ses inédits. Cf. Lett. Camp., XXXIII, p. 182-186 : « Monseigneur, vous devez avoir encore en mémoire que, lorsque vous demeuriez à Rome, je vous envoyai la copie de la lettre que j’avais écrite au cardinal Tournon, à propos de la paix, dans laquelle, emporté par la passion, je disais bien des choses contre l’empereur de façon plus inconvenante qu’il ne m’était permis. Et comme je savais que cette erreur […] pouvait me porter grandement dommage, je vous priai chaudement de bien vouloir ne point la montrer à quiconque […]. J’ai su par la suite que cette même lettre avait été lue au palais en un endroit où se trouvaient l’archevêque d’Avignon, l’évêque de Catane et l’archevêque d’Otranto si bien que, par leur intermédiaire, elle parvint aux oreilles de l’ambassadeur impérial et de ses autres ministres, ce qui, j’ai l’ai su grâce à de très fidèles messagers, a occasionné la plus grande partie des ennuis que j’ai connus par la suite ».
  19. Ce sont des textes situés à mi-chemin entre la prose d’art et le document historique, voir Nicola Longo, « De epistola condenda. L’arte di “componer lettere” nel Cinquecento », Amedeo Quondam, Le «carte messaggiere»…, p. 181.
  20. Lettere, I, CCCVII et CCCVIII, p. 501-506 et 506-514.
  21. Sous son gouvernement plus de dix-huit mille personnes furent exécutées. Cf. Alessandro Fava, « L’ultimo dei baroni… », p. 57-84 et en particulier la p. 66.
  22. Sur la responsabilité controversée du vice-roi et plus généralement sur cet épisode de l’histoire napolitaine, voir l’étude de Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro di Toledo et les émeutes napolitaines de 1547 », Fra Italia e Spagna. Napoli crocevia di culture durante il vicereame, a cura di Pierre Civil, Antonio Gargano, Matteo Palumbo, García Encarnacìon Sánchez, Naples, Liguori Editore (Critica e letteratura, 98), 2011, p. 181-209, n. 45. À consulter également ; Lett. a F.S., passim ; Alessandro Fava , « L’ultimo dei baroni… », passim ; Giuseppe Coniglio, Il regno di Napoli…, p. 256-261 ; Umberto Folieta, I moti napoletani…, passim ; Pasquale Lopez, Inquisizione stampa e censura nel regno di Napoli tra ‘500 e ‘600, Napoli, Edizioni del Delfino, 1974 ; Vittorio Gleijeses, La storia di Napoli, Napoli, ed. Del Giglio, 1987, p. 579 ; Luigi Amabile, Il Santo Officio…, op. cit. ; Anderson Magalhães, « All’ombra dell’eresia… », p. 159-218.
  23. Cf. Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro de Tolède… », p. 22.
  24. Même si, en principe : « Venuti gli spagnuoli a Napoli e nel Regno, funzionarono tre maniere d’Inquisizione; 1°, l’Inquisizione della Curia Arcivescovile come in ogni altra Diocesi; 2°, l’Inquisizione delegata da Roma a’ domenicani provveduta volta per volta dell’asseno Regio; l’Inquisizione che, all’occorrenza il Governo commetteva a qualche suo ufficiale laico, secondo le antiche Costituzioni del Regno ». Cf. « Il tumulto napoletano dell’anno 1510 contro la Santa Inquisizione; memoria letta all’Accademia Pontoniana nelle tornate del 2 e 16 dicembre 1888 dal socio residente Luigi Amabile », Atti dell’Accademia Pontoniana, vol. XIX, Napoli, Tip. della Regia Università, 1888, p. 14-15.
  25. Ibid., p. 5-6 et n. 1.
  26. Et ce n’était qu’un prétexte, car une volonté politique répressive dans le domaine religieux préexistait aux faits de 1547. Cf. Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro de Tolède… », p. 24.
  27. Pasquale Lopez, Inquisizione stampa e…, p. 24-28.
  28. Pasquale Lopez, Inquisizione stampa e…, p. 33 : « Ciò che spinge il Toledo ad interessarsi attivamente dei fermenti ereticali […] è da trovarsi […] nella ferma volontà di eliminare tutti gli ostacoli all’affermazione dell’autoritarismo regio nell’Italia meridionale […] e di controllare o sopprimere qualsiasi elemento o voce che possa rinfocolare il residuo spirito autonomistico del Regno ». Voir aussi p. 35-36 et Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro de Tolède… », p. 29.
  29. Avant même ces événements, le vice-roi nommé par Charles Quint était très contesté par l’aristocratie locale, qui lui reprochait sa vénalité et ses abus de pouvoir, et par le prince de Salerne auquel l’opposait une véritable rivalité. Voir Juan Carlos D’Amico, op. cit., p. 19 ; Alessandro Fava , « L’ultimo dei baroni… », p. 64 : « Tanto è vero che il Vicerè mandò un corriere a Marzio Colonna, suo agente in corte, perchè facesse intendere all’Imperatore ‘come il Principe di Salerno aveva fatto Napoli ribelle, e come con loro avevano mutinati ancora li Spagnoli’ », p. 67-68 et Luigi Amabile, Il Santo Officio…, p. 208.
  30. Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro de Tolède… », p. 35 ; Umberto Folieta, I moti napoletani…, p. 79.
  31. Umberto Folieta, I moti napoletani…, p. 69-70 ; Alessandro Fava, « L’ultimo dei baroni… », p. 71-72 ; Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro de Tolède… », p. 30.
  32. Lettere, I, CCCVII, p. 502-506 : « Comment pourrez-vous par quelque excuse qui ne serait ni raisonnable ni honnête refuser ce départ dont dépendent la réputation, la félicité et le salut universel de ce royaume ? […] Quelle occasion plus honorable et plus digne de votre esprit et de votre grandeur pouvait vous présenter le destin ? […] Vous pourrez montrer la grandeur de votre âme à la satisfaction et au bénéfice de votre patrie, de tout ce royaume et pour le plus grand bien de votre réputation et de votre dignité […]. Quel bienfait peut-être plus grand que celui-ci dont dépend la défense de l’honneur, des biens et de la vie ? […] Qui donc pourra dire que vous ne vous êtes pas couvert de gloire ? ».
  33. Même si la variété des correspondants dans le recueil de 1560 tend plutôt à s’effacer au profit de leur qualité d’hommes de lettres, il n’est peut-être pas innocent que le Tasse omette de citer le nom de son rival (lui-même lettré de renom), alors que ce dernier était le destinataire de huit lettres dans le volume de 1549.
  34. Lett. Com. 1, p. 570-574 : « E perché fra tutte le deliberazioni che voi avete avuto a far fin qui, non è passata a giudizio mio cosa di maggior considerazione, che questa d’andare alla Corte, m’è paruto, come servidor interessato nella vostra grandezza, ancorché senza richiesta alcuna, scrivervi queste poche parole ».
  35. Alors que le début de leurs relations, au moment de l’arrivée de l’envoyé impérial dans la cité parthénopéenne, avait été plutôt bon. Mais le caractère orgueilleux et la volonté de suprématie des deux hommes avaient rapidement détérioré leurs rapports. Cf. Laura Cosentini, Una dama napoletana…, p. 80-83. Sur la discorde existant entre le vice-roi et le puissant baron napolitain, voir Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro de Tolède… », p. 19, ainsi que Luigi Amabile, Il Santo Officio…, p. 208. Dans sa biographie du prince de Salerne, Fava relate deux épisodes où le prince avait été obligé de se justifier devant l’empereur, lors de la révolte des nobles en 1532 et à la mort du marquis de Polignano qu’il fut accusé d’avoir tué, cf. Alessandro Fava, « L’ultimo dei baroni… », p. 63-64 et 69.
  36. On se souvient que c’est lui qui avait nommé Don Pedro Alvarez à Naples et qu’il avait été reçu de façon enthousiaste dans le Royaume lors de son passage en 1535-1536, à son retour de l’expédition de Tunis. Cf. Charles Brandi, Charles Quint et son temps, Paris, Payot, 1951, p. 364.
  37. Laura Cosentini, Una dama napoletana…, p. 87-88 : « Egli divenne […] popolarissimo, e coloro che egli aveva beneficati, quelli che avevano speranza di ritrarne il loro utile, ed altri a lui legati da ragioni meno ostensibili, ma forse più forti, gli formavano attorno una numerosa clientela, sicché una fitta schiera di cittadini, nobili e plebei, a cavallo ed a piedi, moveva ad incontrarlo sin fuori le mura della città sulla via che doveva percorrere ogni qualvolta da Salerno egli faceva ritorno in Napoli ». Consulter aussi Luigi Amabile, Il Santo Officio…, p. 208.
  38. Luigi Amabile, Il Santo Officio…, p. 208 ; Laura Cosentini, Una dama napoletana…, p. 95.
  39. Cf. Luigi Amabile, Il Santo Officio…, p. 208 ; Alessandro Fava, « L’ultimo dei baroni… », p. 78 ; Lett. a F.S., p. 10.
  40. Bien réelles, car le vice-roi tentait à la fois d’étayer sa thèse d’un complot politique mené par Sanseverino et de l’abattre par tous les moyens, elles s’échelonnent sur les années 1549 à 1551. Voir Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro de Tolède… », p. 42-43 et Alessandro Fava, « L’ultimo dei baroni… », p. 76-77.
  41. En lui faisant observer que la précédente n’avait pas obtenu les résultats escomptés sans prouver la moindre solidarité du monarque à son égard. Cf. Lett. a F.S., p. 9 : « Sebbene fosse stato dall’imperatore emanato un indulto, la città fu però multata in 100 000 ducati d’oro e il vicerè non fu per allora allontanato ».
  42. Laura Cosentini, Una dama napoletana…, p. 121-122.
  43. Cf. Angelo Solerti, Vita di di Torquato Tasso, p. 14 : « Bernardo, mentre queste cose avvenivano, pensando di dover novellamente seguire il Principe e rimaner lontano da’ suoi forse a lungo, in sul finire del 1550 o sul principiare del 1551 trasportò la sua famiglia a Napoli, ove tolse un appartamento, che fornì di mobili assai, nel palazzo Gambacorti, della qual famiglia era […] la madre di Porzia ».
  44. Cf. Angelo Solerti , Vita di Torquato Tasso, p. 15-16 ; Alessandro Fava, « L’ultimo dei baroni… », p. 80.
  45. Bernardo lui-même devait être convaincu de l’imminence d’une nouvelle invasion française puisqu’il conseilla à Porzia de se réfugier à Sorrente en cas d’assaut. Voir Lettere, II, XXIV, p. 78-83. Pour les détails de l’épisode, se rapporter à Edward Williamson, Bernardo Tasso, p. 31.
  46. Cf. Giuseppe Coniglio, Il regno di Napoli…, p. 256-261 ; Lett. a F.S., p. 11.
  47. Lett. a F.S., p. 11.
  48. Lett. a F.S., p. 17.
  49. Comme on le verra, le prince n’avait nul besoin d’être incité à accepter et peut-être le Tasse l’a-t-il tout au plus conforté dans son opinion.
  50. Lettere, I, CCCVII, p. 501 : « Je ne crois pas, très illustre Seigneur, qu’aucune personne avisée ne sache que, après celle que nous avons envers Dieu, il n’est pas d’obligation plus grande qu’envers notre patrie ». L’importance de la patrie, au sens qu’un courtisan du XVIe siècle pouvait donner à ce mot, est soulignée à plusieurs reprises. Voir Lettere, I, LXI, p.112-113 ; LXXI, p. 128 ; LXXVI, p. 131-132, 134.
  51. Lettere, I, CCCVII, p. 502 : « Non voglio ripigliar le ragioni che vi potrebbono dissuadere da questa impresa ».
  52. Lettere, I, CCCVII, p. 503 : « Je ne sais trop si plus grand ou égal fut le service que Cicéron rendit à la république romaine lorsqu’il découvrit la conjuration de Catilina : néanmoins il mérita d’être nommé père de la patrie par le très prudent Caton ».
  53. Lettere, I, CCCVII, p. 502-506.
  54. Lettere, I, CCCVII, p. 503 : « Ainsi, les nobles comme les roturiers vous ont choisi pour cette entreprise, comme la personne qu’ils aiment le plus, en laquelle ils ont le plus confiance, qu’ils estiment le plus digne d’honneur et de considération ».
  55. Lettere, I, CCCVII, p. 504 : « Non andate per offendere Sua Maestà […] ma per […] acquetare i tumulti ».
  56. Lettere, I, CCCVII, p. 504-505 : « Et si nous avons lu dans l’histoire ancienne et vu dans le siècle présent, […] qu’afin d’en perpétuer le souvenir, les républiques ou les villes bien gouvernées érigeaient des statues et des colosses en signe de gratitude envers leurs bienfaiteurs, […], quel bienfait peut-il être plus grand que celui-ci ? ».
  57. Lettere, I, CCCVII, p. 504-505 : « Cette ville compte parmi celles qui connurent le Christ depuis l’Antiquité et elle est celle qui, affermissant sa foi et sa religion de siècle en siècle, a par de nombreuses œuvres chrétiennes pleines de foi et de charité donné l’exemple aux autres […]. Quelle est cette ville, non seulement en Italie, mais dans toute l’Europe où il y a autant d’églises bien constituées et gouvernées, autant d’endroits pieux où l’on fait autant d’aumônes, d’œuvres de charité et chrétiennes ? ».
  58. Lettere, I, CCCVII, p. 505 : « Io non voglio muovervi molte altre ragioni da poter persuader Sua Maestà, perché sono tante ».
  59. Lettere, I, CCCVII, p. 505 : « Et vous en tant que chevalier magnanime et vertueux, vous devez préférer le bien de tous à votre intérêt particulier ».
  60. Sur les raisons de l’acceptation du prince, voir Alessandro Fava, « L’ultimo dei baroni… », p. 72-74.
  61. Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro de Tolède… », p. 43.
  62. Lettere, I, CCCVIII, p. 506-514.
  63. Lettere, I, CCCVII, p. 502.
  64. Lettere, I, CCCVII, p. 505.
  65. On comptait parmi les proches du réformateur de nobles dames comme Giulia Gonzaga ou Vittoria Colonna, des représentants de l’Église comme le prédicateur et général des capucins, Bernardino Ochino, l’évêque de Bergame, Vittore Soranzo et, même, après le schisme anglican, le cardinal anglais Reginald Pole, soit les principaux représentants de la vie religieuse de l’époque dans la Péninsule.
  66. Voir le chapitre sur les lettres évangélistes.
  67. Giovanni Romeo, « Una città, due inquisizioni: l’anomalia del Sant’Ufficio a Napoli nel tardo ʼ500 », Rivista di storia e letteratura religiosa, XXIV (1988), p. 46-47.
  68. Cf. Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro de Tolède… », p. 40-45.
  69. Lettere, I, CCCVIII, p. 506-514.
  70. Il fut son secrétaire entre 1538 et 1549.
  71. Voir Lettere, I, CCLIX, p. 214, ainsi que l’introduction de la lettre CCCVIII, p. 507 : « Un’ amicizia di tanti anni con tanti uffici di benivolenza et di gratitudine confirmata fra noi, non si dovrebbe per una semplice sospizione o per informazione di persone di poca virtù, rompere senza volerne intendere la verità ».
  72. Lettere, I, CCCVIII, p. 507-509 : « Essendo le cose di Napoli in quel termine che voi sapete » : « Come sapete, Sua Signoria non volse pigliar questo peso, allor che il Sig. Carlo Brancatio li venne a parlare in nome della città, se non con condizione di non aver a negoziar cosa che fosse in pregiudizio dell’Illustrissimo signor Viceré, né altra in pregiudizio della patria, fuorché l’osservazione de’ capitoli e che non si parlasse d’Inquisizione ».
  73. Lettere, I, CCCVIII, p. 509 : « La morte di quei tre ». Le Tasse fait peut-être allusion à l’exécution de trois jeunes patriciens de la cité. Cf. Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro de Tolède… », p. 31 et Umberto Folieta, I moti napoletani…, p. 72-73.
  74. Voir Lett. Com. 1, p. 570-574, transcrite dans Annexes 2.
  75. Ibid., « Parce qu’on dira que les nouveautés allemandes ont tiré leur origine de ces sectes, et que, dans ce royaume, il ne manque pas d’étincelles pour alimenter ce feu et que le devoir d’un prince prudent est de résoudre les conflits dès leurs débuts. […] En ayant en mémoire le souvenir de l’Allemagne vaincue, sa nature hautaine [de Charles Quint] s’irriterait au lieu de se calmer. […] Si vous n’obteniez pas [la grâce demandée], voyez le danger auquel vous vous exposez […] de ne pas avoir satisfait la ville, d’avoir offensé le vice-roi, de ne pas avoir principalement servi Sa Majesté ; sans compter les autres dommages dont se ressentiront vos vassaux, vos serviteurs et vos biens ».
  76. Ibid., p. 572 : « Ne croyez pas pouvoir y aller avec le consentement manifeste ou tacite du vice-roi, car on agit directement contre lui, puisque l’intention de ceux qui envoient un ambassadeur et le devoir de celui qui part est la conservation des édits en vigueur. La destitution du vice-roi ou l’affaiblissement d’une grande partie de son autorité et de presque toute sa réputation en découlent, si bien qu’il n’y a pas moyen d’être agréable à l’un sans déplaire extrêmement à l’autre ».
  77. Et ce en dépit des vives protestations d’amitié qu’il adressait dans une de ses lettres à son autre secrétaire. Cf. Lettere, I, CCCI, p. 490-492.
  78. Lettere, I, CCCVIII, p. 508-509 : « Io […] era piu tosto tenuto d’obedir alla loro volontà » ; « Essendo obligato… » ; « Essendo io stato piu tosto ministro dell’altrui volontà, che essecutore della mia ». Ce sont à peu près les mêmes termes que ceux qui figurent dans l’excusatio de la dédicace du livre destinée à justifier sa parution.
  79. Lettere, I, CCCVIII, p. 509 : « E se quel vostro amico Enrico […] col tosco della sua malignità volse sparger di veleno la nostra amicizia […] devevate più credere à gli buoni effetti della mia integrità che alle triste parole della sua malizia.[…] Egli è di sua natura maligno e […] non ha maggior dilettazione che allor che semina discordia e odio fra li amici ». Ce processus de justification ressemble fort à celui qu’il met en œuvre dans une lettre similaire adressée au prince quelques années auparavant puisque, dans les deux cas, il accuse une tierce personne de malveillance et reproche à son correspondant de lui avoir prêté foi en dépit de l’amitié qu’il lui avait témoignée. Cf. Lettere, I, LXXXI, p. 143-148.
  80. Ibid., p. 509 : « Puisque Sa Seigneurie avait résolu de partir et qu’elle n’avait, ni pour cette décision, ni pour une autre, besoin des conseils d’autrui, pas plus qu’il n’est nécessaire d’utiliser des éperons sur un cheval qui galope volontiers ».
  81. Lettere, I, CCCVIII, p. 512 : « Io so che avete visti molti effetti della mia affezione e della mia fede i quali non sono però stati di sì poco momento che vi debbano esser caduti della mente senza grandissimo vostro biasimo ».
  82. Lettere, I, CCCVIII, p. 513 : « Vous êtes d’une nature trop soupçonneuse […] même s’il est certain que l’opinion universelle selon laquelle la suspicion naît de l’ignorance n’est pas justifiée chez vous, vous en serez toutefois toujours plutôt blâmé que loué ».
  83. Ibid., p. 513 : « E averrà a voi, come spesse volte la state suole avenire che, essendo l’aria ancora che chiara sparsa di picciole e rare nubi, benché l’una dall’altra lontane, tanto a poco a poco si vanno avicinando che insieme congiunte alla fine, o in grandine, o in pioggia si risolvono. Ogni picciola nube di suspizione che vi caggia nell’animo causa ch’ogni altra nube, ancor che lontana dal vero, tirata e congiunta con la causa della vostra suspizione, si risolve poi o in pioggia di mala opinione o in grandine d’ingiuste querele e lamentazione ».
  84. Lettere I, CCCVIII, p. 508 : « Vous cheminâtes sur la voie de l’utilité et moi sur celle de l’honnêteté ». Il s’agit d’une formule déjà expérimentée. Cf. Lettere, I, XX, p. 52-53 et CXXVI, p. 228.
  85. Dès février 1536, au terme de son séjour napolitain, Charles Quint promulgua un sévère décret concernant les relations avec les hérétiques ; au mois d’août, l’archevêché fit arrêter quelques personnes soupçonnées d’hérésie. Le premier bûcher de livres impies fut allumé à Naples en 1543. En octobre 1544, le vice-roi interdit la vente et la possession de tous les livres de théologie et d’écriture sainte sans approbation des autorités religieuses. Quatre ans plus tard, plusieurs disciples de Valdés furent traduits en justice. À partir de 1550, un nouvel édit mit sous contrôle tous les livres, quelle que fût leur nature, et ordonna de ne rien imprimer ou vendre sans l’autorisation du vice-roi. Cf. Pasquale Lopez, Inquisizione, stampa e…, p. 27-31, et Juan Carlos D’Amico, « Charles Quint, Pedro de Tolède… », p. 40. Plus généralement dans la Péninsule : en 1542, Flaminio était soupçonné par l’Inquisition, le prédicateur augustinien Pietro Martire Vermigli contraint à se réfugier à l’étranger et l’humaniste Aonio Paleario accusé d’hérésie. En 1547, seule sa mort permit à Vittoria Colonna d’échapper à un tribunal ecclésiastique et Giovanni Antonio Clario, humaniste originaire d’Eboli, dut subir un procès en raison de ses propositions hérétiques. En 1549, après avoir été l’un des premiers spirituels à s’enfuir, Ochino se réfugia en Angleterre. Lors de cette même année, Carnesecchi partit prudemment pour la France et Vergerio prit lui aussi le chemin de l’exil.
  86. Voir le chapitre sur les lettres évangélistes.
  87. Lettere, II, CLVII, p. 508-510 : « Vous aurez profité du labeur de ma jeunesse tandis qu’un autre achètera un vieux cheval et le gardera à l’écurie pour son prestige ».
  88. Lettere, II, p. LVI.
  89. Lettere, II, CLXXIV, p. 558-567 ; CLXXV, p. 567-574 ; CLXXVI, p. 574-579.
  90. Voir chapitre 3, Le volume de 1560. Sanseverino et les événements napolitains.
  91. Lettere, II, CLXXV, p. 571 : « Io confesso d’esservi andato [a capitular col re di Francia], […] confesso d’aver […] de l’invitto imperadore con la lingua e la penna disservito, come correndo io quella fortuna, era necessitato di fare. Confesso medesimamente d’aver al re di Francia, in ricompensa del danno e de la perdita mia, caso che conquistasse il regno, un officio dimandato ».
  92. Lettere, II, CLXXIV, p. 564 : « Né per altro la natura, prudentissima madre di tutte le cose, avendo creato il re de le api di forma più grande, più vaga e più leggiadra di loro, l’ha privato di quel pungente aculeo di che esse armate diffendono le ricchezze loro, che per darci a divedere (sic) che al principe l’esser clemente si convenga ».
  93. Lettere, II, CLXXIV, p. 558-567 : « Étais-je, Votre Excellence, homme-lige de Sa Majesté ? lui avais-je juré foi ou prêté hommage ? avais-je conspiré contre sa propre personne ? Sinon, avec quelle justice veut-on nous infliger, à mes enfants et moi-même, cette même punition que les lois prévoient contre ceux qui commettent une faute si infâme et si détestable ? Ne sait-on pas que les juges justes assignent un châtiment correspondant au péché commis ? Et s’il en est ainsi, mériterais-je la même peine que celle méritée par l’un de ces scélérats ? ».
  94. Elle se limite à résumer des positions exprimées dans les deux précédentes où « equità » et « rigore » sont les notions que le Tasse oppose, dans un dualisme rhétorique, à la bienveillance et à la clémence de ses destinataires.
  95. Voir Lettere, II, LXVIII, p. 196-199, a Battista l’Olmo ; LXIX, p. 200-204, al cardinal di Trento ; LXX, p. 204-207, al duca d’Alva.
  96. Lettere, II, LXX, p. 204-207 : « La prego dunque quanto posso che si contenti d’aver per raccomandata l’innocenza di questi poveri figliuoli, basti d’avergli privati de le facultà del padre, che ora volerli ancora privare di quel poco antifato che gli è solo rimasto per sostegno de la vita loro […] e perché i giudici sono più tosto inchinati al beneficio de la corte […] che a usar equità, supplico Vostra Eccellenza che con la sua auttorità voglia rimediare a questo diffetto ».
  97. Voir par exemple Lettere, II, LXVIII, p. 196-199 ; LXIX, p. 200-204 ; LXX, p. 204-207 ; LXXIII, p. 220-223 ; LXXIV, p. 223-225.
  98. Lettere, II, LIX, p. 159-163 : « Je sais que vous avez une âme noble et généreuse […] ; non seulement vous pleurerez avec un de vos serviteurs ses malheurs, mais vous presserez de toutes vos forces celui qui y est tenu, d’y remédier ». Le « chi deve » déjà mentionné à deux reprises fait clairement allusion au prince, de même que toutes les accusations voilées qui sont contenues dans cette lettre.
  99. Lettere, II, A la Illustrissima Signora Donna Giulia Estense Da La Rovere, p. LXVII-LXIX : « Pendant que je me trouvais à Pesaro, où je fus honorablement reçu plusieurs mois durant par ce prince courtois et magnanime […] ; en raison de l’obligation que j’ai envers l’Excellentissime seigneur duc votre frère, naquit en moi le très ardent désir d’honorer Votre Excellence [Giulia Estense della Rovere] ».
  100. On ignore en réalité si le prélat intervint auprès de la cour espagnole, mais étant donné la soigneuse révision dont le volume fit l’objet et dont témoignent les lettres renvoyées à l’obscurité des archives, il est assez vraisemblable que ces remerciements soient publiés en toute connaissance de cause.
  101. Lettere, II, LXIX, p. 200-203 : « Je ne veux vous offrir pour tant de bienfaits d’autre récompense, parce que mon état présent ne le consent pas et que vous n’accomplissez pas ces œuvres de courtoisie et de bienfaisance dans l’espoir d’en avoir une autre reconnaissance que celle que vous donne l’opinion des hommes sages et votre conscience d’avoir commis une action pleine de piété et de vertu. Dont je rendrai à la postérité l’illustre témoignage que pourront livrer mes écrits ».
  102. Ce sont les Lettere, II, XLV, p. 126-131 ; XLIX, p. 137-140 ; LIX, p. 159-162 ; LX, p. 163-165 ; LXV, p. 177-180 ; CXLVIII, p. 481-484 ; CL, p. 486-490 ; CLIV, p. 498-504 ; CLVII, p. 508-510 ; CLXXIX, p. 583-587 ; CXC, p. 613-617 ; CXCII, p. 619-621. En règle générale, elles unissent des lamentations sur son sort à une dénonciation de l’ingratitude de son protecteur (ou ex-protecteur, selon la date).
  103. Lettere, II, XLV, p. 130-131 : « J’attends avec autant de besoin que de désir de voir les effets de l’affection que vous me portez ».
  104. Lettere, II, XLIX, p. 137-140.
  105. Je traduis ici au moins mal la très belle expression « accattonaggio letterario » utilisée par Salvatore Bongi, Annali di Gabriel Giolito de’ Ferrari da Trino di Monteferrato, stampatore in Venezia […], vol. II, Roma, p. 104-105 et reprise par Dionisotti dans son « Amadigi e Rinaldo a Venezia… », p. 23.
  106. Lettere, II, XLIX, p. 137 : « Je rends infiniment grâce à votre Excellence de l’affectueux conseil qu’elle me donne […] et si je n’avais pas davantage besoin d’aide dans l’exécution que de conseils dans la délibération […] j’en serais déjà réduit à la vie et à la demeure en la contrée où vous me persuadez de me retirer […]. Je supplie [Votre Excellence] en tant que chrétien, que chevalier, que prince reconnaissant de pourvoir au plus vite à mes nécessités présentes, qui sont telles qu’elles ne me laissent pas une heure de répit ».
  107. Lettere, II, LIX, p. 159 : « Songez Monseigneur quelle vie est la mienne et dans quel état de malheur et de misère se retrouve votre pauvre et malheureux serviteur. […] Si mes tribulations ne suscitent pas de compassion chez celui qui y est tenu et qui, d’une certaine façon, est la cause de toutes ces calamités, je dirai qu’il n’y a ni pitié, ni gratitude en aucun homme au monde. […] Je prie Dieu qu’il me donne la patience nécessaire et à celui qui y est tenu l’intention de remédier à mon infortune. […] Celui qui n’a pas de compassion pour ma misère n’est pas un homme et celui qui ne gardera pas en mémoire mes services sera fort ingrat ».
  108. Lettere, II, LX, p. 163-165 : « La raison pour laquelle je suis tombé dans cette misère ne doit pas vous être inconnue, puisqu’elle est manifeste à tout le monde. Je me trouve en un tel état que celui qui n’éprouve pas de compassion pour moi n’a aucune disposition à la pitié ni à quelque vertu que ce soit en lui et s’il y a encore en vous la moindre part de cette grandeur et de cette générosité d’âme, de cette gratitude dont vous avez fait montre envers vos serviteurs avec tant d’exemples louables, vous aurez vous aussi pitié de moi et essaierez de m’arracher à la misère profonde dans laquelle je suis tombé pour votre service ».
  109. Lettere, II, LXV, p. 177-180.
  110. Lettere, II, LXV, p. 177-180, expédiée de Rome à une date imprécisée, mais de toute manière postérieure au 13 février 1556, jour du décès de son épouse et antérieure à son départ de la ville pontificale en 1557 : « J’ai écrit […] une infinité de lettres à Monseigneur le prince et à vous-même, et je n’ai jamais eu aucune réponse ni de votre part, ni de la part de Son Excellence, ce qui accroît de telle sorte la misère et le malheur de mon état, que je suis parvenu au dernier degré du désespoir qui peut être atteint chez un homme en vie. Je n’espérais pas de Monseigneur le Prince, que j’ai servi vingt-quatre ans avec tant de loyauté et pour lequel j’ai perdu tout ce que j’avais honorablement gagné au prix de tant de périls et de tant d’efforts, pareille récompense, car ni mon service ni ma dévotion à son égard ne la méritent, pas plus qu’elle ne sied à un prince considéré par tous comme un seigneur vertueux et reconnaissant ». Les mêmes termes ou presque reviennent dans sa lettre à Angelo Papio d’avril 1558. Cf. Lettere, II, CXLVIII, p. 481-484.
  111. Un même binôme lexical réapparaît quelques lignes plus loin, mais dans une phrase affirmative cette fois-ci : « Così lo prego [Dio] che inspiri Sua Eccellenza a guiderdonare i miei servizi con quella liberalità d’animo che deve un grato e virtuoso principe ». Cf. Lettere, II, LXV, p. 179.
  112. Comme « miseria » (deux fois), « infelicità », « disperazione » (deux fois), et « ruina ».
  113. Ibid. : « infelice » (moglie), « total » (ruina), « miseri » (figliuoli).
  114. Lettere, I, dedica al Sig. principe di Salerno, p. 7 : « Io sarò pronto così a sodisfare al vostro desiderio […] pur che il mondo conosca che più dai vostri comandamenti sforzato, che dal mio proposito persuaso, a ciò fare risoluto mi sia ».
  115. Lettere, I, XXIII, p. 57 ; I, LXXVII, p. 135-136 ; LXXXI, p. 143-148 ; XCIII, p. 167-170 ; CXXIV, p. 224-225 ; CCXL, p. 417-418 ; Lettere, II, LX, p. 164 ; CLVII, p. 508-510 ; CXXVI, p. 579.
  116. Cf. Anton Francesco Doni, La libraria, Venezia, Giolito, 1550, c. 13v, citée par Amedeo Quondam, Le «carte messaggiere»…, p. 46 : « I duo libri di lettere che nuovamente sono usciti fuori del Tasso, m’hanno fatto quasi ripigliar la disputa de’ titoli tradotti, perché leggendole le mi son parute in lingua toscana e non bergamasca né italiana; e per non saper dire quel che meritano simil buone lettere, le lascerò nel giudizio del mondo, che gnene darà quelle lodi che se gli convengono dello stile, dottrina, sentenze, giudizio e invenzione » ; et Lettere volgari didiversi nobilissimi huomini et eccellentissimi ingegni scritte in diverse materie, Libro primo, in Vinegia, in casa de’ figliuoli di Aldo, 1543, p. 2 : « Mi sono imaginato di raccogliere e fare stampare alcune lettere d’uomini prudenti, scritte con eloquenza in questa lingua volgare italiana […]. Però mi persuado che gli auttori di queste lettere non avranno a male ch’io dimostri al mondo i fiori dell’ingegno loro con utilità comune, perché così porgeranno ardire all’industria di quei che sanno; e quei che non sanno, loro averanno obligo, potendo da questi essempi ritrarre la vera forma del ben scrivere ».
  117. Lettere, II, LXV, p. 179 : « En les énumérant, je ne veux pas reprocher mes services à Son Excellence, parce que ce serait plutôt à lui de les rémunérer qu’à moi de les lui rappeler. Son Excellence le sait, Votre Seigneurie le sait, le monde entier, à qui comme une comédie jouée en un théâtre ma fidélité à son service est connue, le sait aussi ».
  118. De nombreuses lettres sont exclues du deuxième volume. Cf. Lettere, II, p. XVI-XXI où Adriana Chemello, en citant Giacomo Moro (op. cit., p. 67), parle de « manipolazione sistematica ».
  119. Les archives conservent trace de dizaines de lettres expurgées parfois pour des raisons d’ordre diplomatique au sens large du terme, afin de n’offusquer ni amis ni relations, parfois en raison du caractère particulièrement secret des missives concernées. Voir le chapitre consacré aux deux recueils de lettres.
  120. Lettere, II, LXV, p. 179 : « Dieu à qui on ne peut cacher le secret de nos cœurs le sait, et comme il a vu qu’on ne pouvait servir un prince ni avec plus de foi, ni avec plus d’affection que ce que j’ai fait envers lui, je le prie d’inspirer à Son Excellence le désir de récompenser mes services avec cette libéralité de l’âme à laquelle est tenu un prince reconnaissant et vertueux ou de me donner la patience de supporter un pareil tort et la manière de pourvoir à mes nécessités ».
  121. Lettere, II, LXV, p. 178 : « Songez Monseigneur, dans quel état de misère je me retrouve et si j’ai besoin d’aide et je vous promets que l’ingratitude dont fait preuve Monseigneur le prince à mon égard m’afflige davantage que toutes mes autres pertes et que toute cette adversité. Il ne reste au fond de moi qu’une seule satisfaction, l’intégrité de ma conscience, fidèle témoin de mes actes, qui n’éprouve aucun remords, pas même la moindre tache de suspicion qui entame sa pureté, car je n’ai jamais pensé à autre chose qu’à le servir et à l’honorer ».
  122. Sur ce lieu commun de la littérature à la Renaissance, voir Ludovico Ariosto, Orlando furioso, vol. II, cht. 35 : « Ma come i cigni che cantando lieti/ Rendeno salve le medaglie al tempio,/ Così gli uomini degni da’ poeti,/ Son tolti da l’oblio, più che morte empio./ Oh bene accorti principi e discreti,/ Che seguite di Cesare l’esempio,/ E gli scrittor vi fate amici, donde/ Non avete a temer di Lete l’onde ».
  123. Lettere, II, LXV, p. 179-180 : « À présent, je vous prie de nouveau avec toute l’ardeur et toute l’éloquence que je puis […] ; entre-temps je prendrai conseil sur ce que je dois faire en pareil cas, afin que tout comme Votre Excellence m’a fait perdre mes biens, elle ne me fasse pas aussi perdre mon honneur ».
  124. Lettere, II, CXLVIII, p. 482-483 : « Seigneur Papio, qu’il est dur d’avoir servi aussi honorablement pendant vingt-six de mes meilleures années un prince comme le monde sait que je l’ai fait, d’avoir perdu tous mes avoirs, mon épouse et mes enfants à son service, et de me voir, à présent que je suis vieux, en tel état qu’il me faille aller mendier ma pitance avec ce pauvre enfant, abandonné par celui-là même qui devrait m’aider avec son propre sang s’il le fallait ».
  125. Il s’agit des lettres à Ruy Gomez, prince d’Eboli (Lettere, II, CLXXIV, p. 558-567), à Antoine Perrenot de Granvelle, Monseigneur d’Arras (Lettere, II, CLXXV, p. 567-574) et à Consalvo Perez, chancelier de Philippe II (Lettere, II, CLXXVI, p. 574-579).
  126. Lettere, II, CLIV, p. 498-504 : « Aussitôt que l’Excellentissime seigneur duc d’Albe déclara la guerre à Sa Sainteté, comme j’avais déjà, lors de mon départ de France, renoncé à toutes les affaires du prince, restitué le chiffre et résolu de me consacrer à ma vie et à mes études, je quittai Rome ». Voir également Lettere, II, CLXXV, p. 567-574 et Lettere, II, CLXXIV, p. 558-567 : « Non volendo essere ostinato nel male, […] restituendogli le ciffre e a tutti i suoi negozi rinunziando, me ne venni a Roma e posto che mi sia alquanto di tempo, non avendo altro modo da sostentare questa povera vita, con la provisione trattenuto, ch’egli m’aveva assignata, gli son più tosto stato servitor di nome che d’effetti, il ché esser vero si può facilmente conoscere, avendo egli, come tutta la corte romana sa, mentre ch’io vivea in Roma, tenutovi un agente ».
  127. Lettere II, CXLVIII, p. 481-484 : « Io so le sue spese e le sue necessità e ciò che potria far Sua Eccellenza se le fosse caro e mi tenesse in quella stima che voi mi scrivete ».
  128. Lett. Com. 3, 36, Al molto eccellente sig. mio osservandissimo, il sig. Speron Speroni, p. 132-134 : « Mes nouveaux soucis causés par l’ingratitude du prince, qui oubliant totalement mon long et fidèle service et ne respectant pas ce qu’il m’avait promis verbalement, par lettre et par témoignage de vive voix, et qu’il devait tenir, m’ont mis dans la nécessité, à mon âge et après l’avoir servi pendant vingt-cinq ans, de prendre de nouveau du service auprès de cet Excellentissime duc, à des conditions certes fort honorables ». La lettre est datée du 7 novembre 1558, à un moment donc où le Tasse pouvait compter vingt-six ans de service auprès du noble napolitain et non pas vingt-cinq.
  129. Lettere II, CL, p. 487 : « J’aurais davantage honte de quitter tant d’amis qui, tout à fait courtoisement, m’ont soutenu dans l’adversité que de quitter le service du prince, qui a reconnu mon long et fidèle service avec autant d’ingratitude et qui, non seulement ne m’a pas récompensé, mais n’a pas même montré le désir de compenser en partie mes graves pertes ». Voir aussi Lettere II, CLIV, p. 498, où il va jusqu’à qualifier son ancien mécène d’« ingratissimo signore » en évoquant : « L’ingratitudine del Principe […] che mi lasciava morir di fame ». Dans la CLVII, p. 509, il le met en accusation : « Dio giustissimo giudice delle nostre operazioni, non avrà piacer che facciate andar mendicando questo povero e infelice figliuolo e che voi abbiate, a guisa di fuoco, con l’ingratitudine vostra arso tutto il frutto col quale deveva sostentare la vita sua ». Voir aussi Lettere, II, CL, p. 486-490. À la lumière de ces quelques lignes, il semble possible, voire probable, que le Tasse, qui connaissait très bien le train de vie du prince et l’état de ses finances, règle des comptes que nous ignorons mais qui pourraient justifier son indignation.
  130. Lettere, II, p. 483 : « Io di questi pochi danari ho pagato alcuni creditori importuni », « Non mi sono rimasti più che quattordici scudi », « Sua eccellenza mi promise cento scudi d’aiuto ».
  131. Lettere, II, CL, p. 486-490 : « Ma con che onore potrei partire d’Italia […] senza pagar i miei debiti? […] Debbo io più lungamente col volto ogni or rosso di vergogna, andar affrontando questo e quello e consumarmi ne gli interessi e ne le usure per vivere? ».
  132. Lettere, II, CL, p. 486-490 : « Que puis-je encore espérer de lui s’il a repris, sous de fallacieux prétextes, trois cents écus qu’il m’avait consignés chez un notaire sur la provision de sa compagnie ? ». Cette volte-face du prince rappelle un précédent désaccord entre les deux hommes pour un motif semblable, lorsque deux cents ducats des revenus de la chancellerie, dont la charge avait été attribuée au secrétaire, avaient été conservés par le prince pour remédier à l’état désastreux de ses finances. Cf. Raffaele Colapietra, I Sanseverino di Salerno…, p. 179-180.
  133. Lettere, II, CL, p. 488 : « Je suis certain d’avoir payé toute ma dette envers lui en ayant perdu mes biens, mon épouse, la paix de l’âme et de ma vieillesse et après avoir fait perdre à mes pauvres enfants les biens de leur mère […] pour suivre sa fortune et je suis aussi certain que cette décision est d’une telle conséquence qu’elle me libère de toute obligation de fidélité à son service et qu’elle l’oblige à se montrer reconnaissant à mon égard en me rémunérant et en compensant mes pertes ». Ce passage implique un rapport de courtisanerie entendu, comme souvent, en termes de débit et de crédit, de services rendus et de récompenses. Il est d’ailleurs explicité dans d’autres lettres comme la II, CLIV, p. 499.
  134. Lettere, II, CXLVIII, p. 482-483.
  135. Ce changement répond à des exigences tout aussi matérielles que politiques. En offrant son poème à Philippe II d’Espagne, dont le duc d’Urbin était l’allié, le Tasse espérait s’attirer les faveurs du monarque et trouver une solution au problème de la confiscation des biens de son épouse dans le royaume de Naples, ce qui lui aurait permis de sortir de l’état de nécessité qui était le sien et d’assurer, au moins partiellement, l’avenir de son fils.
  136. S’agissant d’une lettre envoyée en juillet 1558, le décompte des années de service semble décidément fluctuant. À moins que le Tasse n’inclue ou n’exclue la période qui s’était écoulée entre son séjour romain et la date de la lettre en fonction des destinataires de celle-ci. L’hypothèse semble corroborée par la CLVII, destinée au prince, dans laquelle le total de ses années de travail pour le noble napolitain se monte à vingt-sept ans.
  137. Lettere, II, p. 499 : « Monseigneur, je ne pouvais sans risquer d’être grandement blâmé et fort justement traité d’ingrat, l’abandonner dans l’adversité après l’avoir servi vingt-trois ans dans sa bonne fortune et avoir profité de ses bienfaits […]. Ainsi, pour ne pas porter atteinte à mon honneur, j’ai choisi de perdre tous mes avoirs, d’abandonner mon épouse que j’aimais plus que tout au monde, mes enfants encore petits et tant d’autres choses […] en espérant quand même avoir par cette décision, non seulement payé toutes mes dettes envers Son Excellence, mais de débiteur que j’étais, être devenu son créditeur et de beaucoup ».
  138. Voir l’interprétation de Adriana Chemello dans Lettere, II, p. LV : « L’obbligo di fedel servitore », invocato da Tasso per giustificare il protrarsi della relazione (ormai inesistente) col Sanseverino, diventa un utile ma penoso schermo, nell’impossibilità di accettare le avversità del destino. Mancando delle doti di stoico, sopraffatto dai disagi, dalle avversità naturali (le ripetute malattie), dall’indigenza, dallo stato di bisogno acuito dall’insicurezza dei tempi, nonché dalle diffidenze e inimicizie degli uomini, Tasso non trova altro riparo che schermarsi dietro l’immagine del segretario fedele, ribadita ad oltranza fino alla lettera di commiato ».
  139. Lettere, II, CLVII, p. 508-510 : « Esaminate bene la vostra conscienza e considerate quanto mi sete tenuto e il giudizio che farà il mondo di voi ».
  140. Lettere, II, CLVII, p. 508-510 : « Voi avrete goduto le fatiche de la mia gioventù e altri comprarà un caval vecchio, per tenerlo per riputazione in stalla ».
  141. Ibid., p. 510 : « Parce que j’ai engagé tous les biens que je possède, je vous supplie de me faire grâce des trois cents écus qui me restent de la provision de cette année afin que si je paye mes dettes avec la provision ordinaire qui me sera donnée, je ne sois pas toujours dans la nécessité ».
  142. Lettere, II, CLVII, p. 508-510 : « E stia secura, che se io sapesse tutti i maneggi che avete o avete avuti nel Regno, il che non so, che non farò mai, né dirò cosa, che non debba dire o fare un onorato gentiluomo ».
  143. Marina Beer, « Poemi cavallereschi, poemi epici e poemi eroici negli anni di elaborazione della Gerusalemme Liberata (1559-1581). Gli orizzonti della scrittura », Torquato Tasso e la cultura estense, a cura di Gianni Venturi, Olschki, 1999, p. 61 et p. 63 : « Sembra […] essere tipica di questo periodo la produzione di poemi non finiti ».
  144. Expression empruntée à Adriana Chemello, Lettere, II, p. LI : « Une image entièrement tracée en lettres majuscules ».
  145. Voir plus haut toutes les citations au cours desquelles le courtisan mentionne explicitement sa fidélité, sa loyauté, sa prudence, son honneur, les nombreuses années consacrées au service de Sanseverino et ainsi de suite. Dans la recapitulatio de la lettre CLVII, p. 508-510, il expose à nouveau les sacrifices auxquels il a consenti pour le prince : « Io aveva consumato gli amici, impegnate le robe, perduto il credito, sofferto di molti disagi » en soulignant ses qualités : « Vi ho servito ventisette anni con quella fede e con quell’amore che si devrebbe servir a Dio » avant de conclure que : « Non meritava già questo guiderdone la mia leale e lunga servitù, né la perdita ch’io ho fatta per seguire la vostra fortuna ».
  146. Peut-être non sans regrets, si l’on en croit Lettere, II, CLXXIII, p. 547-557, où il semble déplorer le passage du duc d’Urbin dans le camp espagnol.
  147. Lettere, I, p. 5 : « Spinto io dalla povertà dello stato mio […] di servir vari signori m’è stato di mestieri, et io ufficio giudico d’uomo prudente e virtuoso, mentre che al servizio di un padrone si vive, correre con quella medesima fortuna e per quella medesima strada col suo desiderio caminare, che egli camina ».
  148. Lettere, II, CLIV, p. 498-504 ; CLVII, p. 508-510.
  149. Lettere, II, CLIV, p. 498-504 : « Et tout en sachant qu’il n’est nul besoin avec une personne avisée comme vous l’êtes, de justifier mon exil […] il me sera toutefois utile de vous écrire ces quelques mots […]. Voilà ce que j’ai été obligé de vous dire pour me justifier et satisfaire à ma conscience ».
  150. Lettere, I, CCCVII, p. 503.
  151. Carlo Dionisotti, « Amadigi e Rinaldo a Venezia… », p. 23.
  152. L’évocation des services rendus, des voyages accomplis et du temps de sa vie qui s’est ainsi écoulé au détriment de l’otium littéraire constitue pratiquement un leit-motiv des lettres envoyées de Sorrente à partir de 1542. Lettere, I, LXXXI, p. 143-148 : « La mia partenza poi e lunga e quasi continua lontananza […] lasciata la vita attiva e quelle faticose e travagliate operazioni » ; I, LXXXII, p. 148-152 : « La mia lunga e quasi continua peregrinazione, la quale a guisa di corriero or questa, ora quell’altra parte del mondo mi faceva andar cercando » ; I, LXXXIII, p. 152-153 : « Eziandio che’l servizio del principe mio Sig. m’abbia fatto, come desideroso peregrino, diverse e lontane parti del mondo cercando, parte della migliore e più bella etade in continue fatiche consumare » ; I, LXXXIV, p. 154-155 : « Dopo sì lunghe fatiche posso vivere a me solo vita tranquilla e riposata » ; I, LXXXV, p. 155-156 : « Sin qui, impedito dalla varietà de’ tempi e dalle molte occupazioni che mi soprastavano » ; I, LXXXVI, p. 156-160 : « Vi dico che, con bona grazia del principe mio, lasciata la vita attiva e quelle faticose e travagliate operationi, mi son ritirato a Sorrento ». Voir aussi I, CXXXIII, p. 242-244 ; CXXXVI, p. 250-251 ; CXL, p. 255-258.
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Pessac
Livre
EAN html : 9791030008227
ISBN html : 979-10-300-0822-7
ISBN pdf : 979-10-300-0810-4
ISSN : 2743-7639
26 p.
Code CLIL : 3387; 4024 ; 3345
licence CC by SA

Comment citer

Fratani, Dominique, « Un drame personnel sur la “scène du monde” », in : Fratani, Dominique, Virtù et Servitù : Bernardo Tasso ou les tribulations d’un humaniste du XVIe siècle, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, collection S@voirs humanistes 3, 2023, 225-251 [en ligne] https://una-editions.fr/un-drame-personnel-sur-la-scene-du-monde/ [consulté le 07/12/2023].
10.46608/savoirshumanistes3.9791030008227.9
Illustration de couverture • Portrait d'un gentilhomme à la lettre, Moretto da Brescia, Pinacothèque Tosio Martinengo – Brescia.
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