Je n’ai jamais publié d’articles ni sur les impôts, ni sur l’organisation administrative des finances publiques. Sur ces questions, j’ai été beaucoup influencé par les travaux de C. Nicolet1, et, par la suite, j’ai également été très attentif à ceux de J. France2.
Néanmoins, à plusieurs reprises, j’ai été amené à traiter de problèmes touchant aux finances publiques, plus ou moins directement. Les cinq articles réunis dans ce chapitre-ci concernent ces questions. Trois d’entre eux, qui se trouvent au début du chapitre, traitent des financements publics et de la manière dont ils influaient sur les flux monétaires entre l’Italie et les provinces. Cette question, je l’ai envisagée en relation avec les thèses de K. Hopkins et de H. U. von Freyberg, qui ont fait l’objet de débats au cours des années 1980 et 1990, surtout au Royaume-Uni. Le premier article du chapitre est un compte rendu du livre de von Freyberg, compte rendu publié dans la revue Gnomon.
Après ces articles, le chapitre 4 se termine par un article sur l’absence de dette publique dans le monde romain et par un article sur les crises financières et monétaires à la fin de la République romaine et au tout début de l’Empire.
Le livre de H. U. von Freyberg, qui a été publié en 1988, soulève plusieurs questions. Celle qu’il pose le plus directement concerne les rapports financiers et monétaires entre l’Italie et les provinces. La même question a été également posée par K. Hopkins dans son article de 1980 et dans deux ou trois articles postérieurs3. Moi, je n’ai pris connaissance du livre de von Freyberg que deux ans après sa publication en 1990. Quand A. Schiavone m’a demandé de participer au volume II, 1 de la Storia di Roma qu’il dirigeait, je me posais aussi la question des rapports financiers et monétaires entre l’Italie et les provinces, comme von Freyberg, mais je ne connaissais pas encore son livre. Le chapitre que j’ai rédigé pour cette Storia a été écrit sans que j’en aie pris connaissance4. C’est au cours de l’année que j’ai passée à Churchill College, à l’Université de Cambridge (entre septembre 1990 et juillet 1991), que j’ai étudié en détail le livre de von Freyberg.
Par la suite, je suis revenu à plusieurs reprises sur cette question des rapports financiers et monétaires entre l’Italie et les provinces. Il faut se reporter aux titres suivants : “L’Italie impériale et les provinces, Déséquilibre des échanges et flux monétaires”5 ; à l’intérieur du chapitre 5 de mon livre de 2010, les p. 185-1946.
Il en est également question dans deux articles plus récents, qui se trouvent l’un et l’autre de nouveau publiés dans le présent recueil : “L’économie romaine, l’armée, la monnaie : réflexions de méthode pour une entrée en matière” (article n°18) ; “Monumentalisation, finances publiques et vie économique” (article n°19)7.
D’un écrit à l’autre, j’ai très partiellement modifié mes jugements. Mais globalement, comme je l’explique dans l’article de 2014 (“L’Économie romaine, l’armée, la monnaie : réflexions de méthode pour une entrée en matière”), j’ai été à la fois défavorable et favorable à ces recherches de K. Hopkins et de H. U. Von Freyberg : défavorable à leurs aspects quantitatifs (et quantitativistes) et favorable aux idées directrices de leurs argumentations.
Au début des années 1990, j’étais fortement impressionné par l’ensemble des argumentations de H. U. von Freyberg, même si je comprenais que son livre était trop rapide sur plus d’un point. J’étais alors moins favorable aux conclusions de K. Hopkins qu’à celles de von Freyberg. Pourquoi ? Parce que les schémas de K. Hopkins étaient davantage fondés sur des suppositions quantitatives et reposaient en outre sur la volonté des contribuables des provinces non militarisées : il fallait que ces contribuables décident de produire pour payer leurs impôts. À l’inverse, von Freyberg essayait de montrer que les résultats décrits se produisaient nécessairement, en fonction d’une logique totalement économique, indépendamment de la volonté des agents. Cette différence n’a pas disparu, mais j’y suis maintenant moins sensible, et j’observe en revanche que la vision de Hopkins est plus ample et mieux articulée. En effet, il inclut le domaine démographique et le domaine des émissions monétaires, et il distingue deux catégories de provinces au lieu d’une seule. Mais les deux séries de déductions m’intéressent et me paraissent utiles. L’article que j’ai rédigé pour le livre publié en 2014 sous la direction de M. Reddé, De l’Or pour les braves !, me paraît le plus proche de ma pensée actuelle.
Quant à l’article de l’ouvrage Monumental !, je dois faire une remarque sur les limites de l’Aquitaine. En 2015, une réforme territoriale est intervenue en France, et, à partir du 1er janvier 2016, la région Aquitaine a cédé la place à la région “Nouvelle Aquitaine”, qui comprend douze départements au lieu de cinq pour l’ancienne Aquitaine. Cette région nouvelle résulte de la fusion de trois anciennes régions : ancienne Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes. Quand il m’arrive, dans l’article, de parler de l’“Aquitaine actuelle”, il faut comprendre qu’il s’agit de l’ancienne Aquitaine, dans ses limites d’avant 2016, et non pas de la “Nouvelle Aquitaine”. D’ailleurs, ni les limites de la première (l’Aquitaine d’avant 2016), ni celles de la seconde ne coïncident exactement avec celles de l’Aquitaine antique.
Dans la Préface du chapitre 3, j’ai expliqué, à propos des Mercuriales, comment j’ai été tenté, dans les années 1990, de me consacrer à des institutions ou à des phénomènes qui existaient en Europe occidentale médiévale et/ou moderne, et qui ne semblent pas avoir existé dans l’Antiquité. Cette sorte de recherche négative, de réflexion sur l’absence, pouvait se justifier de deux façons. Elle pouvait s’inscrire dans une optique extrêmement primitiviste, pour montrer combien l’Antiquité était éloignée des divers aspects de la modernité économique et sociale. Mais elle pouvait aussi inciter à rechercher le pourquoi de telles absences, et à identifier les autres phénomènes qui jouaient, dans l’Antiquité, les rôles de ces institutions et pratiques absentes. C’est cette seconde façon de poser le problème qui m’intéressait le plus, et c’est elle qui continue à m’intéresser. Je me suis occupé des Mercuriales, comme on le voit au chapitre 3, et de la dette publique. C’est à l’absence de la dette publique que j’ai prêté le plus attention, et j’ai suscité la réunion d’un colloque organisé par le Centre de Recherches Historiques, – colloque qui a eu lieu en 20018. Pour ses conclusions, je renvoie à la publication du colloque, dont mon article est extrait.
Il ne faut pas confondre la Dette publique avec l’ensemble des formes de l’Emprunt public. On ne peut commencer à parler de Dette publique que lorsque les emprunts des pouvoirs publics, de plus en plus nombreux, se chevauchent les uns les autres, de sorte que la cité ou l’État soient désormais en permanence débiteurs et considèrent leurs créances comme une seule dette globale. Les pouvoirs publics ont alors tendance à “consolider” la dette, c’est-à-dire à substituer aux dettes flottantes des créances à moyen ou à long terme, ou même des titres de rente perpétuelle (des créances dont l’échéance n’a pas été prévue au moment où l’emprunt a été conclu). Ces titres à long terme, ou même perpétuels, ne sont appréciables aux yeux des créanciers que s’ils comportent des intérêts, et s’ils peuvent être cédés à titre onéreux, ou transférés par héritage.
Les cités grecques antiques ont assez souvent contracté des emprunts publics, que L. Migeotte a analysés avec beaucoup de précision et d’acuité9. Mais elles n’ont pas connu de dette publique. Le monde romain non plus. Qui plus est, mon article montre que la cité, puis l’Empire romain ont cherché à ne jamais contracter d’emprunt. Comment s’explique le fait qu’ils y soient presque toujours parvenus ? Je suis convaincu que la pratique des confiscations ne suffit pas à expliquer l’absence de la dette publique, et même des emprunts.
Je vais terminer cette préface par quelques remarques relatives à l’article n°21 sur les crises financières et monétaires, et par quelques indications bibliographiques sur ces crises.
En plus du groupe de recherche “Dons, monnaies, prélèvements”, dont j’ai parlé dans la Préface du chapitre 2, j’ai fait partie, depuis les années 1993-1994 et jusqu’à maintenant, d’un autre groupe de recherche, lui aussi pluridisciplinaire, mais coordonné par des économistes, et qui s’est consacré à divers aspects de la théorie institutionnaliste de la monnaie. Depuis le début des années 1990, ce groupe a organisé une série de cycles de séminaires, qui ont successivement porté plusieurs titres : “Confiance et légitimité de la monnaie”, “La monnaie souveraine”, “La monnaie dévoilée par ses crises”, “Souveraineté monétaire et souveraineté politique”, “La monnaie entre unicité et pluralité”, et actuellement “Politiques de la monnaie”. Ces dernières années, ses séances se tiennent à l’Université Denis Diderot (Paris 7).
Ce groupe vise à accueillir les travaux portant sur la monnaie en tant qu’institution fondamentale des économies marchandes et aborde le fait monétaire sous l’angle de l’ensemble des sciences humaines et sociales – l’anthropologie, l’économie politique, l’histoire, la philosophie, la science juridique, la science politique, la sociologie (cette phrase est extraite du programme que le groupe a présenté de son activité au début de l’année universitaire 2017-2018).
J’ai suivi les travaux de ce groupe avec plus ou moins d’assiduité selon les époques ; au cours des années 2010, je les ai suivis avec beaucoup moins d’assiduité qu’auparavant. J’ai présenté deux exposés devant ses membres. Le premier de ces exposés date des années 1990, et le groupe était alors coordonné par A. Orléan et M. Aglietta. Ses coordinateurs ont proposé à des chercheurs et enseignants-chercheurs de sciences humaines et sociales qui n’étaient pas économistes d’y participer, pour venir discuter de questions précises. Par exemple, ils proposèrent à Daniel de Coppet d’y participer pour parler des monnaies “primitives” d’Océanie, et à moi de venir y parler du census romain, parce qu’ils avaient lu avec beaucoup d’intérêt ce qu’avait écrit à ce propos Claude Nicolet. Il y avait en général une séance par mois, qui durait environ trois heures. Chaque fois, un exposé d’une heure et demie était prévu, à la suite duquel on discutait de l’exposé. Mon exposé traitait des modalités et de la signification du census romain. Il a été publié deux fois : d’abord dans une version provisoire, une version de travail10, et ensuite, trois ans plus tard, dans sa version définitive11. À la fin des années 1990, le travail du groupe a en effet fait l’objet de deux volumes successifs, dont le second a consisté en un nouvel examen des questions étudiées dans le premier. Des séances étaient consacrées à ce nouvel examen, et d’autres séances à la rédaction, plus ou moins collective, des introductions des volumes.
Au cours des années 2000, alors que le groupe était coordonné par B. Théret et s’intéressait à “La monnaie dévoilée par ses crises”, j’ai présenté un autre exposé, sur les crises monétaires et financières dans la Rome antique, qui a ensuite été publié en 200712. C’est le texte de cette publication que l’on trouvera ci-dessous. Je tiens à mentionner ici quelques livres et articles que je n’ai pu utiliser dans l’article de 2007 parce qu’ils n’avaient pas encore été publiés ou avaient été publiés depuis trop peu de temps13.
Notes
- Voir notamment : Nicolet 1976b ; 1977 ; 1979 ; 2000.
- Voir notamment : France 2001 ; 2017.
- Hopkins 1980 ; 1995-1996 (de nouveau publié dans Scheidel & Reden, éd. 2002 : Hopkins 2002).
- Andreau 1991 = 1997d.
- Andreau 1994 = 1997c.
- Andreau 2010, 185-194 ; voir aussi Andreau 2014 (réédition dans l’ensemble très fidèle des pages du livre de 2010).
- Respectivement Andreau 2014b ; 2016a.
- Andreau et al., éd. 2006.
- Migeotte 1984.
- Andreau 1995b.
- Andreau1998.
- Andreau 2007b.
- Carrié 2007 ; Harris, éd. 2008 ; Hollander 2007 ; Ioannatou 2006 ; Lamoine et al., éd. 2012 (et surtout la 3e partie : “Gérer les crises : un enjeu à la portée des cités ?”) ; Milazzo, éd. 2012 ; Verboven 2007.