Les remparts calcinés ou vitrifiés dans la péninsule Ibérique
La présence de remparts protohistoriques montrant des signes clairs de vitrification est un fait démontré par les analyses physico-chimiques et les fouilles menées au cours des dernières années, suite à leur repérage à la fin du siècle dernier1. Celui-ci se produisit dans le cadre des recherches du “Proyecto Evora”, un programme luso-britannique portant sur le peuplement préromain dans le territoire de cette ville du Centre-sud du Portugal2.
Après une première découverte dans l’oppidum de Monte Novo (Alto Alentejo), vinrent d’autres trouvailles en surface de pierres vitrifiées, parfois interprétées comme des restes de fours métallurgiques comme à Passo Alto (Baixo Alentejo). Ce fut dans ce castro singulier, datant du Bronze Final, que furent identifiés les premiers chevaux de frise du Sud-Ouest de la péninsule Ibérique3. Des analyses pétrochimiques réalisées sur des moellons rubéfiés ont confirmé que le rempart avait été soumis à un incendie violent4.
Ces cas, ainsi que quelques autres, sont certes peu nombreux, mais ils recouvrent une vaste zone de l’ouest et du nord de la péninsule Ibérique (fig. 1. cercles noirs ; cercles blancs : remparts à structures en bois). La plupart des exemples se concentrent entre le Guadiana et le Tage5.
À partir du mobilier recueilli en surface et lors de sondages, les datations proposées vont de la transition Bronze final / Premier âge du Fer (pour Passo Alto) à la fin du Second âge du Fer (pour Monte Novo). Ces données témoignent d’une réalité historique, culturelle et fonctionnelle très variée qui se dévoile au fur et à mesure que les recherches s’intensifient et les premiers remparts sont fouillés dans le détail.
Ainsi, le cas de Monte Novo est particulièrement parlant, en raison de la présence de restes vitrifiés, répartis tout au long du tracé septentrional de la muraille6 (fig. 1-3). Le site, de grande taille par rapport aux autres enceintes de la région, a fourni, en outre, des briques cuites prismatiques dispersées parmi les pierres vitrifiées7. Sachant que le parement du rempart devait se composer de briques crues sur un soubassement en pierre, ceci permet de supposer que l’incendie ayant atteint le rempart sur plus de 300 mètres le fit sur une grande partie, ou peut être même sur toute sa hauteur. Le mobilier de Monte Novo indique une datation dans la période préromaine ou républicaine, à l’époque des guerres sertoriennes. En revanche, à Passo Alto, A. Monge Soares a démontré de façon rigoureuse qu’aussi bien le rempart que les fameux chevaux de frise sont bien plus anciens, datant tous deux du Bronze final8. Il existe, cependant, une ressemblance entre les cas de Monte Novo et de Passo Alto, puisque les deux incendies touchèrent le secteur le plus facilement accessible du rempart, où devait se situer l’entrée principale. C’est le cas, également, du Castro dos Ratinhos, objet de notre étude (fig. 1 : les lignes noires représentent les rivières qui conditionnent l’accès).
Car, à ces éléments doivent maintenant s’ajouter des indices recueillis tout récemment sur le site de Ratinhos (Moura, Portugal), consistant en blocs de pierre rubéfiés ou vitrifiés et en fragments de briques de terre crue cuits par un incendie ayant atteint de hautes températures9. Il est intéressant de noter que sur ce site, les fragments vitrifiés ont été trouvés à proximité de trous de poteau alignés à la base de la muraille la plus élevée, qui entoure l’acropole, et dont la destruction a pu être datée au milieu du VIIIe s. a.C., comme à Passo Alto.
Ces divers éléments suggèrent des incendies accidentels ou intentionnels sur des remparts à soubassement de pierre comprenant parfois, comme à Ratinhos, des poutrages verticaux en bois, et une élévation en adobes et en bois. Suivant l’hypothèse de Youngblood et al.10, il est probable qu’en l’absence de mortier de chaux, l’emploi de matériaux organiques divers pour lier la maçonnerie de pierres ait pu favoriser le phénomène de vitrification11. Les remparts à poutrage interne de ce type devaient, sans aucun doute, être fréquents – et pas seulement au Bronze final – dans toute la façade atlantique, où le milieu se prête excellemment à ce type de construction, en raison de l’abondance du bois d’œuvre12.
Fouilles à Castro dos Ratinhos
Depuis 2004, nous menons des fouilles systématiques sur le site appelé Castro dos Ratinhos, non loin de la ville de Moura (région du Baixo Alenteixo, Portugal). Ces interventions archéologiques ont commencé, dans le cadre d’un projet de l’Instituto Português de Patrimonio Arquitectónico et de l’Université Autónoma de Madrid, avec une prospection intensive profitant de la situation particulière déterminée par la construction du barrage d’Alqueva13. Ratinhos était connu depuis les années 50 du XXe s. lorsque l’archéologue de Moura, Jose Fragoso da Lima, l’identifia comme un “emplacement fortifié de l’âge du Bronze” (1960). La publication de ce travail en Espagne comprenait un grand nombre de céramiques polies, dont la singularité a toujours justifié la reconnaissance internationale14. Toutefois, en dépit de plusieurs tentatives de fouille ou d’étude, le site était resté presque “intact” au moment de l’ouverture du barrage en juin 2002. Étant données les conditions nécessaires à la mise en oeuvre d’un projet d’étude et de valorisation adéquates pour la communauté scientifique, ce patrimoine fut pris en charge par l’État. Les administrations publiques (et principalement la société E.D.I.A.) ayant encouragé un plan ambitieux de modernisation et de promotion du tourisme pour le domaine d’évaluation du réservoir, la fouille du castro et son ouverture au public, depuis octobre 2007, ont été parmi les premiers objectifs atteints.
Le castro occupe une élévation importante de 150 m. sur la rive gauche du Guadiana, placée à mi-chemin entre l’embouchure de deux principaux affluents, l’Ardila au sud-est et le Degebe au nord-ouest. La colline fait partie du horst qui forme la Sierra de Portel, associé à la Falha da Vidigueira, un accident géomorphologique important qui traverse l’Alentejo. Le lieu où le horst est lui-même traversé par le canal du Guadiana réunissait précisément les conditions optimales pour la construction du barrage d’Alqueva (fig. 1).
Autour du site, à moins de 25 km, ont été identifiés d’importants gisements miniers (Rui Gomes à 14 km, et Monte dos Judeus à 20 km). Ratinhos était directement lié à leur exploitation et le mobilier archéologique trouvé dans ces mines de galène argentifère confirme leur fonctionnement pendant la Protohistoire15. Ratinhos était, donc, un castro clairement lié à une activité minière, à en juger par son emplacement et les données archéologiques, mais qui montre également l’intérêt dans le contrôle du Guadiana au niveau de la confluence des deux principaux affluents du fleuve.
La colline où se situe le castro présente des versants escarpés et une hauteur d’une centaine de mètres au-dessus du fleuve Guadiana sur son côté nord-ouest (fig. 2-1). À l’est et au sud, les pentes sont moins raides, justifiant sans doute les grands ouvrages défensifs visibles sur deux ou trois lignes plus ou moins concentriques. Ces pentes définissent un sommet d’une surface de 300 x 150 m approximativement, dont la hauteur moyenne est de d’environ 150 m au-dessus du Guadiana. À l’est se situe la plateforme supérieure, l’acropole, qui s’étend sur 700 m2, et à l’ouest, deux autres remparts en contre-bas (fig. 2-1). Ces dimensions considérables (plus de 4 ha), dépassent celles des autres sites du Bronze final de la région comme Circo do Outeiro, Coroa do Frade ou Passo Alto16.
Pour Ratinhos, les fouilles ont confirmé l’existence d’une enceinte, soupçonnée depuis des décennies. Le contrôle visuel du territoire environnant est limité à l’ouest comme à l’est, mais s‘avère total au nord et au sud du castro. Dans cette direction, la vue s’étend sur 25 km à vol d’oiseau, permettant de distinguer, les jours de bonne visibilité, les hauteurs où se trouvent les villages fortifiés contemporains les plus proches : Safara, Laço, Serra Alta et Casa Branca, ayant fourni aussi des matériaux du Bronze final17. Rocha de Vigia 2 a récemment fait l’objet d’une publication et montre une occupation du Premier âge du Fer18. Par conséquent, sa situation suit le modèle de peuplement de l’âge du Bronze, Safara compris. On distingue ainsi, un modèle d’occupation presque identique dans tous les castros de l’âge du Bronze de la région.
La fouille a débuté pendant les années 2004 et 2005 avec l’ouverture de sondages stratigraphiques, organisés en deux groupes de 3 m x 5 m divisés chacun en carrés (A1, A2 … D3, D4). Les sondages se situaient le long d’axes perpendiculaires à la pente du versant nord de la montagne, qui semble correspondre aux restes d’une ligne fortifiée (la troisième ligne : fig. 2-1, B1-B4). En 2006 et 2007, l’ouverture en extension permit de relier ces sondages et de fouiller l’acropole. À la vue des résultats, Ratinhos présente plusieurs phases d’occupation, fournissant une stratigraphie complète entre le Bronze final (XIIIe s. a.C.) et le Premier âge du Fer, c’est-à-dire jusqu’à la fin du IXe s. a. C.19 Nous avons réalisé plusieurs sondages sur le rempart protohistorique. À l’est de cette zone, l’acropole, un long sondage de 20 x 5 m – Q1-T1 a été pratiqué, ainsi que d’autres plus isolés dans la deuxième ligne de l’enceinte, appelée “V2” – (fig. 2-1 et 3).
Le village fut abandonné après une courte phase finale dans la deuxième moitié du VIIIe s. a. C. qui présente une occupation éphémère réutilisant des bâtiments antérieurs dont les murs furent réemployés. Même la première ligne de l’enceinte, qui entoure l’acropole, était en usage en tant que telle, et montrait ses différentes étapes constructives après un incendie sur son pan oriental20. L’habitat pendant cette phase finale est caractérisé par des cabanes et par la réutilisation domestique de ce qui semble avoir été, auparavant, un sanctuaire (fig. 2-1).
Ce bâtiment avait été érigé au début de la phase précédente “1b” (fig. 3 et 4 : diagramme est. IIb-e), datée vers 830 a.C. Plusieurs indices témoignant d’un important changement historique et culturel dans le village nous ont permis d’intégrer cette phase dans l’âge du Fer malgré l’absence de ce métal. Caractérisé par une organisation en deux grandes pièces et une cour, le bâtiment MN23 prouve l’existence de relations directes avec les Phéniciens. On pourrait parler de leur présence à Ratinhos, mais l’évolution de cette phase indique que cette présence a été éphémère. L’emplacement, les techniques de construction, uniques, et, notamment, les modules architecturaux, permettent de confirmer qu’il s’agit d’une construction probablement lié au culte d’Astarté21.
Cette présence, retrouvée à plusieurs centaines de kilomètres à l´intérieur du Portugal et relativement précoce, a constitué la principale surprise révélée par les fouilles du castro, mais ces dernières années, la recherche archéologique a permis de reconnaître l’empreinte phénicienne sur la côte portugaise22. En effet, on connaît du mobilier phénicien à partir du début du Xe s. a.C. sur le site de la Place des Sœurs de Huelva ou, plus étonnant, au VIe s. a. C. dans des villages préromains du nord-ouest de la péninsule Ibérique23. En outre, des colonies furent fondées au sud du Tage à partir du IXe s. a.C. -Castro Marim – ou du VIIIe s. a.C. – Abul24.
Le castro de Ratinhos, dans cette phase des IXe et VIIIe s. a.C., est un village indigène avec une attribution culturelle claire. Le bâtiment MN23 fut construit, sans doute, au cours de la seconde moitié du IXe s. a.C. (fig. 3) L’excellent échantillon de dates radiocarbone, en rapport avec le contexte stratigraphique, ne laisse aucun doute sur les conclusions chronologiques25. Le village pourrait exister dès le XIIIe s. a.C. ; il est certain qu’il était peuplé avant le IXe s. a.C., lorsque, vers 830 a.C. se produit un renouvellement total de son architecture. Ce bâtiment paradigmatique, MN23, un parallélépipède, modeste en taille et en organisation interne, est bien le résultat d’une planification délibérée et minutieuse, effectuée selon des modules phéniciens, et mise en œuvre à l’aide de techniques de construction jusqu’ici inconnues en Occident. Sa parfaite orientation vers l’est constitue également une innovation fondamentale (fig. 3-1).
La présence du sanctuaire phénicien trouvé à Ratinhos s’accompagne d’une nette modification de la conception de l’espace et de la puissance symbolique de cet habitat. Dans l’acropole, les autres bâtiments, identifiés comme des cabanes en paille et en terre, ont une taille et une technique similaire, pour leurs solins de pierre, à celles du sanctuaire, mais conservent un plan circulaire avec le même module que le sanctuaire et avec les mêmes techniques de construction dominées par la maçonnerie en petit appareil. En fait, la relation constructive entre le bâtiment et deux grandes cabanes contemporaines montre que tous les bâtiments avaient la même longueur, 21 modules de 0,52 m (la longueur pour le bâtiment rectangulaire et le diamètre pour les cabanes). Aussi les remparts de l’acropole reflétaient-ils les nouveautés constructives du sanctuaire : sur le talus, les anciens murs construits en ardoise au Bronze final furent rehaussés à l’aide d’un poutrage en bois et renforcés par un blocage interne (fig. 4).
Mais l’élément le plus frappant dans cette période est le fait que l’évolution architecturale n’a pas eu de réponse dans le mobilier. Ainsi, la céramique phénicienne est pratiquement absente : elle est représentée seulement par une douzaine d’individus sur plusieurs milliers de fragments significatifs. Aucun autre élément ne permet de remédier à cette carence : aucune trace d’outil en fer n’a été retrouvée, ni de mobilier métallique qui réponde aux innovations importées en dehors des fibules. En revanche, le mobilier se rattache à la zone continentale des productions du Bronze final. Même dans un petit ensemble de boutons d’or, montrant l’emploi de techniques (comme le “pseudo-filigrane”) méditerranéennes, partout les motifs sont atlantiques et continentaux.
Il est donc possible de déduire que la “présence phénicienne” dans un endroit si éloigné de la côte et à une époque si ancienne avait un caractère sélectif directement lié aux rituels, aux croyances et à la structure du pouvoir, n’ayant pas été assimilé par la population de base du castro. Peut-être cette situation explique-t-elle pourquoi, plusieurs décennies après la construction du sanctuaire, vers 760 a.C., le rempart fut détruit par un incendie à son extrémité orientale, la seule relativement accessible. Le reste du rempart ne présente pas de traces d’incendie, qui sont en revanche bien attestées dans le sanctuaire dont les poutres calcinées permettent de le dater entre 830 et 760 a.C.
Aux alentours de cette date a commencé une nouvelle phase d’occupation de la ville, la dernière période. Les innovations techniques furent oubliées. On observe un retour aux traditions de la fin de l’âge du Bronze : des cabanes à plan circulaire sont à nouveau bâties sur des solins en plaques d’ardoises enfoncées dans le sol, surmontés d’une élévation, semble-t-il, en matériaux périssables encore précaires. Même l’occupation de l’ancien sanctuaire ne reflète plus l’héritage technique ou idéologique des nouveaux bâtisseurs. Réoccupé comme une maison privilégiée, les murs furent réparés à l’aide de dalles en ardoise enfoncées dans le sol, comme dans les cabanes, et le Bétyle, symbole sacré du dieu Baal, reposait à plat sur le sol, utilisé comme une dalle quelconque. Le rempart ne fut pas reconstruit, on ouvrit des passages échelonnés sur les murs ou on les abandonna sans plus, comme en témoignent les restes de la troisième ligne (fig. 2, B1-B4). Les datations radiocarbone confirment que cette phase d’occupation du village ne fut pas très longue, les dates n’allant pas au-delà de 730 a.C., d’après les échantillons S.A.C.-2229 (2490±80 B.P.), S.A.C. -1979 (2500±50 B.P.) et S.A.C. – 1978 (2530 ±80 B.P.)25 – (fig. 3-2).
Pendant cette période, l´ancien castro semble avoir joué un rôle dans la centralisation du territoire environnant, contrôlant de petites colonies placées dans les zones basses, près des rivières, comme le Degebe ou l’Ardila qui se jettent dans le Guadiana sous son contrôle visuel (“Azouga” Tapada, Monte Moss, Rocha do Vigia 2…). Le choix de ces sites implique la mise en valeur des ressources agricoles, confirmée par l’analyse de la faune et la flore récupérée à Ratinhos et menée, respectivement, par les Drs. Liesau et García26 et Hernández Carretero27. Tandis que les restes de pollens de plantes cultivées sont rares, les conclusions de ces études confirment l’existence d’un cheptel important, dans lequel les bovins constituent la base de la subsistance économique des habitants. De même, l’analyse du pollen montre un milieu beaucoup plus humide et plus froid qu’aujourd’hui, comparable au paysage actuel des régions du nord-ouest de la péninsule Ibérique, dominé par le chêne, le châtaigner, le tilleul et le bouleau.
Le cas du rempart du Castro dos Ratinhos
Au Bronze final, l’habitat est resté organisé autour d’une série de lignes fortifiées, plus ou moins concentrées sur l’acropole, zone qui a joué un rôle de centre pour l’élite politique, militaire et religieuse.
La fouille des sondages ouverts de façon transversale au talus de la pente sud (troisième ligne de remparts), a permis de comprendre la construction de cette fortification datant de l’âge du Bronze (fig. 2-1 et 2-2)28. Le substrat rocheux fut taillé jusqu’à obtenir une surface aplanie d’environ 3 m de large. Un contrefort fut disposé sur le parement interne, parallèlement au talus, et formé de grandes dalles horizontales calant une autre rangée de dalles obliques qui renforçaient le blocage du rempart. Celui-ci était composé d’une succession de couches de terre et de gravier qui formaient le noyau interne du rempart. À 10 m du parement externe, un fossé à profil complexe en V, de 2 x 2 m, fut creusé. Cette opération servit à extraire la pierre nécessaire à l’aménagement d’une berme d’ardoise pilée et de terre battue, encadrée par une petite bordure en dalles d’ardoise. Au dessus, dans le talus, s’élevait le parement externe du rempart, construit en dalles d’ardoise régulières, de moyenne et petite taille, enfoncées perpendiculairement au talus contre le remplissage de terre et de gravier de celui-ci. Dans la phase 1b, correspondant au Premier âge du Fer, le rempart fut épaissi et renforcé par la construction d’un mur vertical parallèle au parement interne qui remplaçait le contrefort en grandes dalles décrit ci-dessus. Cela répond probablement à un désir de faire atteindre au rempart une hauteur supérieure29 (fig. 2-2).
La citadelle, “l’acropole” est défendue par deux lignes de murailles qui reprennent le tracé des précédentes, proches de celle que l’on vient de décrire. Lors de la fouille des sondages Q1-T1, en position transversale par rapport au talus interne oriental, fut découverte une muraille du Premier âge du Fer se superposant à la précédente, “2a” (fig. 2 et 3). La construction de ce mur illustre l’utilisation de techniques de construction novatrices, proches de celles qui ont été reconnues dans le sanctuaire MN23, comme la maçonnerie régulière externe, les fondations, l’évolution rectiligne, et l’emboîtement des poutres en bois, qui devaient être en chêne vert ou chêne rouvre pour atteindre la puissance calorique dégagée lors de l’incendie ayant conduit à sa destruction (fig. 4-3).
Des traces de feu sont encore évidentes dans le pan oriental du rempart qui entoure l’acropole, le plus accessible, sous forme d’une couche de terre brûlée, de fragments de torchis avec empreintes de pieux, d’ardoise, de gravier et de quartzite vitrifiée (fig. 4-2 et 4-3 ; 5-1 et 5-2). En effet, ce rempart réemployait le parement externe, en talus, des phases du Bronze final, pour supporter une élévation en pierre avec un poutrage en bois. Les poutres étaient fixées à l’intérieur à deux grands poteaux verticaux, identifiés par leurs interfaces négatives u. R15-R16, des trous de 0,5 x 0,4 m de diamètre et de profondeur (fig. 4-2 n° 2a-2b ; 4-3 n° 2b). Le diamètre des poteaux est inconnu mais nous proposons une valeur proche des 0,30m, en fonction des autres trous de poteau taillés dans le substrat rocheux au pied de ce même pan de muraille (fig. 4-2, n° 5). Ces poteaux servaient d’appui, en tant qu’axes centraux, à d’autres plus petits qui venaient s’y fixer transversalement. Plusieurs fragments de torchis ont conservé les empreintes de ces poteaux ainsi que de pieux que l’on peut observer sur l’illustration 5-3.
Dans ce cas, un pieux de moins de 0,07 m de diamètre est rejoint par trois autres d’environ 0,035 m. Il est facile de supposer qu’ils devaient être fixés ensemble à l’aide de tenons de bois et d’un cordage en cuir, mais le torchis fut utilisé, également, afin de sceller l’assemblage. Le torchis fut aussi utilisé pour sceller les interstices entre les moellons du parement externe.
D’un point de vue stratigraphique, ces blocs d’argile, cuits avec ou sans empreintes, apparaissent dans la couche “Ip”, utilisée comme revêtement de sol dans la phase suivante, lorsque le rempart est démantelé et un passage échelonné est aménagé au-dessus. Les fragments de torchis continuent à apparaître sous cette couche, dans “IIb”, une strate argileuse cuite partiellement à partir du trou de poteau R16, qui inclut de nombreux charbons et quelques pierres calcinées et vitrifiées (fig. 4-2, n° 1-2). La distribution de ces restes, vers le sud-ouest de R16, reflèterait la direction de l’effondrement et la dispersion du poteau brûlé. Les températures atteintes peuvent être déduites des pierres provenant de cette couche, de petite taille et clairement calcinées, qui ont vraisemblablement été en contact direct avec les poteaux brûlés, d’après ce que l’on peut déduire de certaines formes plates et anguleuses (fig. 5-1 et 5-1.D). Des pierres de plus grande taille apparaissent dispersées en sens contraire, sur le talus du rempart, mais celles-ci ne présentent qu’une rubéfaction superficielle dont témoignent une patine brillante et une légère couleur rougeâtre. Nous pensons que ces pierres ont pu être atteintes dans une moindre mesure par le feu, peut-être à cause de leur éloignement par rapport à celui-ci (fig. 5-2 et 5-2.D). Il est intéressant d’observer le réemploi, dans la phase suivante de destruction du rempart, de ces pierres rubéfiées pour aménager le passage ouvert sur les ruines de celui-ci (fig. 4-1).
La variété de ces effets, donnant des pierres rubéfiées, vitrifiées et même “fondues”, associée à la dispersion, dans la couche, d’argile cuite, de charbons, de cendres, et de fragments de torchis brûlés portant des empreintes, prouve que l’incendie du rempart fut ponctuel et incontrôlé, à mettre en rapport avec sa localisation dans l’accès le plus facile de l’acropole et avec la destruction de ses bâtiments, en particulier du temple MN23, placé sur le point culminant de la colline. Le bâtiment fut construit vers 830 a.C. et détruit vers 760 a.C., d’après les échantillons S.A.C 2318 (2580±120 B.P.) pour la série stratigraphique postérieure (Ic), et S.A.C 2288 (2660±40 B.P.) pour une couche de construction (IIb). Les poteaux prismatiques de pin blanc brûlé, de 0,10 m. de côté, ont fourni une datation de la réutilisation postérieure d’une cabane à côté de P21, S.A.C 2229 (2490±80 B.P.), confirmant qu’elle fut abandonnée au milieu du VIIIe s. a.C., remplacée par des constructions simples et petites, semblables à celles de l’âge du Bronze final.
Conclusions
Ratinhos présente la séquence d’occupation d’un village du Bronze final situé dans un emplacement stratégique dominant une zone de passage importante dans le territoire, équipé de nombreux ouvrages défensifs à caractère indigène, et habité par une communauté capable d’occuper de grandes cabanes ovales dans un secteur bien défini : l’acropole. Ses relations avec l’extérieur permettent de comprendre la présence de fibules, d’armes et de céramique importée dans les niveaux d’occupation, certaines provenant des environs (épée de Monte Sa Idda, céramique polie décorée), d’autres venant de tout le continent et, éventuellement, de la Méditerranée30.
Ces données, étayées par l’absence apparente de colonies datant du Bronze final dans sa périphérie, permettent d’affirmer que Ratinhos correspond à l’un des grands habitats où vivaient les seigneurs de la guerre du Sud-Ouest ou les princesses qui portaient de lourds bijoux massif du type Berzocana-Estremoz. Cette capacité de mobilisation humaine relativement importante permet également de compter sur les ressources humaines nécessaires pour la construction des différentes lignes de muraille à Ratinhos. La première et la troisième ligne au moins furent construites pendant le Bronze final, à l’apogée des manifestations symboliques de la puissance des habitants. L’étude palynologique d’Hernández Carretero31 montre que la déforestation détectée au cours de l’âge du Fer avait déjà commencé dès la fin de l’âge du Bronze, favorisée par des conditions climatiques plus rigoureuses, froides et sèches, qui contribuèrent au recul des forêts composées essentiellement de chênes et de châtaigniers.
Les variations architecturales constatées dans l’acropole de Ratinhos en 830 a.C. indiquent que le phénomène de transformation culturelle appelé “orientalisation” du site du Bronze final fut lancé depuis le sommet social et les valeurs symboliques et idéologiques s’étendirent, apparemment, en même temps que les arguments sur le commerce et la technologie. Ratinhos se situerait ainsi à l’avant-garde de l’orientalisation, comme le montre la construction d’un sanctuaire “phénicien”, malgré sa situation à l’intérieur des terres, sa localisation dans un village indigène et sa datation précoce. Ce changement se manifeste clairement dans le rempart, composé désormais d’un mur rectiligne interne, sur une structure interne de poutrage en bois face au talus en terre et en pierre retenu par des dalles d’ardoise, typiques des phases précédentes. C’est justement l’utilisation interne du bois, associé à la pierre et à l’argile, qui a favorisé un incendie ponctuel dans l’accès le plus facile de l’acropole, dont les restes ont permis de dater cette destruction vers 760 a.C. Ses effets peuvent être observés, sous forme de pierres carbonisées, vitrifiées et rubéfiées (en ordre de taille croissante), fragments d’argile cuite avec empreintes de pieux et une couche irrégulière de terre cuite, résultat de l’effondrement du poteau principal brûlé.
Tous les indices suggèrent que cet événement fut une conséquence tragique de la stratégie coloniale déployée, qui visait à transformer les élites indigènes par le biais de leur association avec le culte et les processus d’exploitation économique ayant pu provoquer des épisodes de rejet et de troubles sociaux32. Il est probable que l’abandon du sanctuaire, ainsi que des grandes cabanes contemporaines et de la destruction et l’incendie du rempart, reflète un épisode de conflit social, qui aboutit à un retour aux coutumes traditionnelles des peuples du Bronze final.
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Notes
- Traduction de l’espagnol au français par Gadea Cabanillas de la Torre (Universidad Autónoma de Madrid).
- Gibson et al. 1998 ; Burgess et al. 1999 ; Correia & Burgess 2004 ; Ralston 2006, 146.
- Soares 2003.
- Soares 2003 ; Díaz-Martínez et al. 2005.
- El Gasco, Monte Novo, Passo Alto…: Berrocal-Rangel 2004, 38 ; Ralston 2006 , 145 ; Soares 2007.
- Burgess et al. 1999.
- Berrocal-Rangel 2004, 38, fig. 2, 1.
- Soares 2003, 298 et 311.
- Berrocal-Rangel & Silva 2007, 178 ; 2010.
- Youngblood et al. 1978, 118-120.
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- Berrocal-Rangel & Moret 2010, 346-348.
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