Les autres objets antiques conservés dans la collection font partie de ce que l’on nomme l’instrumentum. Nous verrons qu’ils n’ont pas tous été trouvés sur le site mais ont été acquis, soit achetés, soit échangés.
Clef
Inv. : T-AOA- ?
Fer
l : 11 cm
À l’époque romaine, les clefs sont de plusieurs types, adaptés aux modèles de serrures, eux-mêmes différents.
Une serrure est composée de deux éléments : le boîtier et la clef. La clef est la partie active. La partie fixe est la serrure proprement dite1.
La clef se compose de l’anneau qui sert à la préhension de l’objet, la tige plus ou moins longue et le panneton à dents ou découpé pour s’adapter aux gardes de la serrure.
Il existe quatre grands types de fonctionnement : la translation, le retrait, le soulèvement, la rotation auxquels correspond un type de clef.
Les clefs à dents tournées vers l’anneau (translation) sont très majoritaires, celles à dents tournées vers le haut (soulèvement) beaucoup moins fréquentes et celles élaborées pour la rotation assez rares2.
Ici, nous sommes dans le cas d’une clef à dents tournées vers le haut qui correspond au type à soulèvement. Des broches bloquent le pène par gravitation. Les dents de la clef les soulèvent. Le pène peut alors se mouvoir.
Cuiller (cochlear)
Inv. T-AOA-3
Os.
l. conservée : 1,8 cm ; ø de la coupelle : 1,15 cm
Cet objet, en os, dont l’extrémité pointue est malheureusement brisée, a été retrouvé à l’occasion des fouilles de la Pars urbana de la villa et dessiné par A. Conil (Carnet 10, 31). Conil l’interprète comme un stylet pour écrire sur la cire ou une cuiller à fard.
Ce type à coupelle ronde est le plus répandu mais ne parait pas avoir beaucoup évolué dans sa forme au cours du temps3. Un cochlear identique a été trouvé sur le site de la place Camille-Jullian à Bordeaux. Ce dernier appartient à la phase 6 de ce chantier, datée entre 90 et 140 p.C.4.
Les Romains utilisaient deux sortes de cuiller. La première possède, à peu de choses près, la même forme que la nôtre et se nommait ligula. La seconde est une cuiller spéciale qui était utilisée pour la consommation des œufs, celle des escargots et des coquillages, en particulier les huîtres. Elle est appelée cochlear (de cochlea = escargot)5.
Il convient de rappeler que les anciens étaient très friands de coquillages, en particulier des huîtres dont on retrouve toujours en grand nombre les valves sur les sites antiques. Le poète Ausone, au IVe s. a.C., fait, par ailleurs, l’éloge des huîtres du Médoc, et précise qu’elles vont jusqu’à la table de l’empereur6. Sidoine Apollinaire confirme, au Ve siècle, l’existence de parcs à huîtres près de Bordeaux7. En ce qui concerne les escargots, Varron indique à ses contemporains la façon de construire une escargotière (Cochlearium) afin que le parc possède ombre et fraîcheur pour l’élevage de ces animaux8. Il précise même qu’il convient d’entourer le parc d’eau afin que les escargots ne s’échappent pas. Enfin, il révèle que l’élevage de ces derniers est d’un bon rapport, confirmant ainsi le goût prononcé des Romains pour ce mollusque.
Cuiller (ligula)
Inv. T-AOA- ?
Alliage cuivreux
l. conservée : 25 cm
Cet objet correspond au second type de cuiller utilisé à l’époque romaine9.
Le cuilleron est ovale et d’une longueur de 5 cm.
La ligula se présentait sous deux formes différentes10. Le cuilleron pouvait se trouver dans le prolongement du manche, mais son extrémité pouvait aussi être recourbée vers le haut. Ainsi emmanché dans la tige, le cuilleron se trouvait-il plus bas que cette dernière.
Lampe à huile
Inv. T-CA-207
Lampe à huile dite “vandale”, Atlante XVI A, Bussière E VI 2, Bonifay 83.
h : 4,5 cm
diam. max.: 8,9 cm
Cette lampe, en céramique commune beige, au corps bi-tronconique muni d’une collerette qui forme gouttière pour récupérer le trop-plein d’huile est tournée et non moulée, comme le sont généralement les autres types que nous rencontrons sur les chantiers de l’Aquitaine. L’ouverture pour introduire l’huile est située au sommet du tronc de cône supérieur et un trou a été pratiqué à la base de ce même tronc de cône pour placer la mèche.
Une petite partie de la collerette est brisée ; mais si l’on se fonde sur de possibles traces d’utilisation, il semblerait alors que l’on ait continué à se servir de cet objet malgré cet accident.
Ce type de lampe, souvent nommé “lampe vandale” depuis sa mise en évidence par le R.P. Delattre11, est connu sous la dénomination Atlante XVI, qui lui a été attribuée à l’occasion de l’étude de modèles identiques fabriqués en céramique sigillée africaine12. L’exemplaire de Montcaret, muni d’un goulot cylindrique appartient au sous-type A. La datation traditionnellement admise (VIe-VIIe siècles)13 ne correspond pas à la période vandale (seconde moitié du Ve siècle) mais à la période byzantine, qui précède la conquête arabe.
Nous sommes en droit de nous demander si cet objet a réellement été trouvé sur le site, ou si P.-M. Tauziac l’a acquis par ailleurs. Il n’est pas évoqué par A. Conil dans ses carnets.
M. Bonifay à qui nous avons signalé la présence de cette lampe à Montcaret nous a dit ne pas avoir connaissance de trouvaille de ce type bien particulier sur le territoire de l’ancienne Gaule ; ce qui ajoute encore au doute qu’il y a à penser que cette lampe ait pu être retrouvée sur le site.
Enfin, à Montcaret, la datation VIe-VIIe siècles de cet objet correspond à l’état tardif de la villa, lorsque qu’il n’y a apparemment plus sur cet établissement de consommations de type ultramarin. À cette époque, les amphores de Byzacène originaires de la même région que cette lampe, arrivent encore à Bordeaux mais ne parviennent plus à Montcaret. Ainsi, même si rien a priori ne s’oppose à ce que cette lampe ait été retrouvée réellement sur le site et constitue un « unicum» sur le sol gaulois, il convient néanmoins d’être particulièrement prudent en la circonstance et considérer plutôt cet objet de la collection Tauziac comme une acquisition que comme une découverte effectuée sur le site lui-même.
Tuile gallo-romaine
Inv. T-AOA-1
Fragment de tuile
longueur max. conservée : 14,8 cm
largeur max. conservée : 11,2 cm
épaisseur : 2,1/2,5 cm
Cartouche : 9×2 cm
Hauteur des lettres : 1,3-1,4 cm
Les tuiles romaines de couverture sont de deux sortes : la tuile plate à rebords perpendiculaires nommée tegula et la tuile courbe, qui sert de couvre-joint à deux tegulae placées côte à côte, appelée imbrex.
Dans le cas qui nous intéresse nous sommes en présence d’un fragment d’imbrex.
Les restes de tuiles romaines que l’on retrouve dans les fouilles sont nombreux. Ce qui, par conséquent, donne de l’importance à cette tuile, c’est le fait qu’elle porte une estampille imprimée dans la pâte fraîche avant cuisson de l’objet. C’est, en effet, assez rarement le cas pour ce type de céramique, même si, par ailleurs, la fabrication de tuiles passe, à l’époque antique, pour avoir été d’un bon rapport.
Je dois à Jérôme France, que je remercie à cette occasion, d’avoir pu lire cette marque. En effet, bien qu’un grand nombre de marques sur tuiles ait été le fait de l’armée, la présence de cette imbrex dans la collection Tauziac nous orientait vers une découverte effectuée à l’occasion des fouilles de la villa ou éventuellement vers une trouvaille locale, et non vers un possible camp, dont on ne connaîtrait pas encore l’existence dans la région. Le regard neutre de J. France a permis d’identifier les premières lettres LEG et donc de rapporter la tuile à une légion. C’est donc relativement facilement que j’ai pu ensuite, malgré des imperfections de l’estampage, lire le chiffre VIII et la ligature moins évidente des lettres AVG.
Il convient finalement de lire : LEG VIII AVG dans un rectangle surmonté d’un bourrelet et doté d’une « queue d’aronde» à chacune de ses extrémités.
Il s’agit donc d’une tuile estampillée au nom de la Legio VIII Augusta qui, comme toutes les légions, était désignée par un numéro d’ordre et par un nom.
La VIIIe Légion Auguste semble avoir été une légion de César. En 31 a.C. on la trouve en Cyrénaïque (Libye actuelle) d’où elle passe en Syrie. Sous Auguste, après un court séjour en Dalmatie (Yougoslavie), elle se fixe en Pannonie (ouest de la Hongrie). Vers 46, elle est dirigée vers la Mésie (Bulgarie) et prend part à la réduction de la Thrace (nord-est de la Grèce). C’est à cette occasion qu’elle reçoit le titre d’“Augusta”. Toujours en Mésie lors de la crise de 68-69, elle se rallie à Othon puis à Vespasien14. En 70 elle arrive en Gaule pour participer à la restauration de la paix civile et s’installe à Mirebeau-sur-Bèze à 25 km de Dijon15, avant de stationner à Strasbourg, le calme une fois revenu16. De nombreuses tuiles portant sa marque ont été mises au jour dans cette ville et en périphérie à Königshoffen où l’on soupçonne la présence de la tuilerie, qui les aurait confectionnées.
Il ne semble pas, en revanche, que cette VIIIe Légion se soit installée ailleurs en Gaule ou que des détachements se soient avancés plus avant dans le sud. Et on peut dès lors se poser la question de la présence de cette imbrex à Montcaret ; sauf à considérer cet objet comme un élément de la collection de Pierre-Martial Tauziac, acquis alors par une autre voie que la fouille : don, échange ou achat. Du reste, quand on se pose la question de l’origine de cette tuile, on constate que cette dernière est cassée dans sa largeur comme dans sa longueur, comme si l’on avait seulement voulu conserver la marque sans s’embarrasser du reste de l’objet, relativement lourd et encombrant dans son intégralité.
L’étude des marques sur tuiles de Mirebeau a montré que seules des tegulae ont été marquées et aucune imbrex comme celle qui nous concerne17. Cette même étude avait abouti au classement des tegulae selon trois groupes en fonction du texte imprimé et ne pouvait donc être reprise pour ranger l’imbrex de Montcaret dans un des groupes. On pouvait, cependant, imaginer qu’un poinçon-matrice ait pu suivre les troupes depuis Mirebeau et avoir été utilisé ensuite à Strasbourg, cette fois-ci sur une imbrex. Ce n’est pas le cas : on ne connaît aucun type de marque commun aux deux sites18. Mais, contrairement au site de Mirebeau, on a retrouvé dans les niveaux archéologiques de Strasbourg des imbrices marquées du sceau de la VIIIe Légion19. Cela dit, nous n’avons pas trouvé de rapprochement totalement satisfaisant, parmi les autres marques apposées par cette VIIIe Légion sur ses tuiles, avec l’estampille de Montcaret.
Bibliographie
Clef
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Tuile
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Notes
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- Feugère & Charpentier 2012, 383.
- Daremberg & Saglio 1887, tome I/2, 1266.
- “Pour moi les plus précieuses sont celles que nourrit l’océan des Médules, ces huîtres de Burdigala que leur qualité merveilleuse fit admettre à la table des Césars” (Ausone, Epistolae, 9.193).
- Sidoine Apollinaire, Epistolae, 7.12.1.
- Varron, Res rusticae, 3.14.
- Il convient de signaler qu’une autre cuiller, trouvée sur le site, se trouve au Musée d’Aquitaine. Elle fait partie aujourd’hui d’un lot de plusieurs cuillers d’époque antique. Mais la conservatrice des Antiquités de ce musée ne possède pas les renseignements qui permettraient de savoir laquelle provient de Montcaret.
- Daremberg & Saglio 1887, tome III /2, 1254.
- Delattre 1889.
- Anselmino & Pavolini 1981, 195-206.
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- B. Oldenstein-Pferdhirt émet l’hypothèse selon laquelle cette légion a séjourné à Strasbourg dès 70 et que le camp de Mirebeau était seulement destiné à l’un de ses détachements (Oldenstein-Pferdhirt 1984, 406).
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- id.
- Fritzemeier 1999, par ex. 111-112, n°164, 165, 166, 174, 175.