Les tombes princières de Kleinklein en Styrie figurent parmi les découvertes les plus significatives de toute la culture de Hallstatt orientale. Cette culture n’est pas une entité unique ; elle se compose de plusieurs groupes (Fig. 1)1 dont le plus important était le groupe de Sulmtal en Styrie et dans les régions avoisinantes de Slovénie et de Croatie2. Ce groupe contient de très grands tumulus richement dotés ; les meilleurs exemples de tombes princières se situent dans le petit village de Kleinklein, aménagées dans quatre tertres monumentaux appartenant à une nécropole réservée aux membres de l’élite locale.
Kleinklein se situe dans un paysage de collines à l’ouest de la Styrie, à environ 30 km au sud de sa capitale, Graz (Fig. 2)3. Quatre tertres monumentaux, ceux de Hartnermichelkogel 1 et 2, Pommerkogel et Kröllkogel, ont livré le mobilier funéraire le plus riche de toute la culture de Hallstatt. En Styrie, le terme Kogel désigne un tumulus, précédé du nom de son propriétaire. Les quatre tertres funéraires occupent une terrasse de la rivière Saggau et sont visibles de loin. Aujourd’hui, il ne reste que deux tumulus dans ce cimetière séparé du reste de la nécropole de Kleinklein car les deux autres ont été nivelés au XIXe siècle.
Les quatre tumulus de Kleinklein contiennent les dépouilles des membres les plus élevés de l’élite locale et appartiennent, comme déjà noté, à une nécropole distincte du reste de la nécropole beaucoup plus vaste du Sulmtal et de son site d’habitat (Fig. 3). La partie principale de la nécropole du Sulmtal s’étend sur les terrasses fluviales au pied du Burgstallkogel, un site de hauteur hallstattien. En 1883, on recensait encore 1124 tertres sur ces terrasses ; beaucoup ont été arasés par les activités agricoles mais 559 d’entre eux sont encore visibles. Il s’agit d’une des plus vastes nécropoles tumulaires d’Europe, éponyme du groupe de Sulmtal. Seule l’Italie étrusque a livré d’aussi grandes nécropoles à cette époque.
Les fouilles de Kleinklein peuvent se résumer ainsi4 : les premières fouilles du XIXe et du début du XXe siècle suivaient le même schéma ; l’initiative en revenait aux propriétaires agricoles qui cherchaient à récupérer des objets en métal dans les tumulus pour les revendre au musée de Graz (Musée Universel de Joanneum à Graz) et à extraire des pierres pour la construction de bâtiments. Le premier tertre à être fouillé, le Hartnermichelkogel 1, fut ouvert en 1844. On y découvrit de nombreux objets en bronze, y compris une épée et une hache à ailerons. Le fermier arasa le tumulus en 1861, ce qui provoqua de nouvelles découvertes d’objets. Il construisit une étable à cet endroit, utilisée aujourd’hui pour l’élevage de porcs ; on mesure la destinée dramatique de cette tombe princière devenue une porcherie. Quant au Hartnermichelkogel 2, il n’a jamais été fouillé dans son intégralité car une ferme, connue sous le nom de Hartnermichelfarm, avait été bâtie à son sommet. On y aménagea une cave en 1853, ce qui révéla quelques objets en bronze. En 1856, un agriculteur nommé Vinzenz Grebenz ouvrit le Pommerkogel où il découvrit des pierres et des objets en bronze. Le quatrième et dernier des grands tertres de Kleinklein, le Kröllkogel, fut examiné en 1860, quand des récipients en bronze et deux mains en bronze (voir ci-dessous) furent découverts. Pendant l’hiver 1905/1906, l’exploitant de la ferme, Johann Schrei, éventra le tertre et y découvrit une grande quantité d’objets en métal. C’est grâce aux observations d’un enseignant à l’école de Großklein, Julius Ogrisegg, que nous sommes mieux renseignés sur ces fouilles et sur les explorations antérieures des autres tumulus.
Tous les objets provenant de ces fouilles anciennes, la plupart fragmentés, furent achetés par le Musée Universel de Joanneum à Graz où ils sont conservés encore aujourd’hui. Après la Seconde Guerre Mondiale, on envisagea de publier tout ce mobilier mais la conservation et la restauration des objets en métal en mauvais état s’avéra très difficile. Le musée de Graz et le Römisch-Germanisches Zentralmuseum (RGZM) de Mainz entrèrent en négociations, mais la tâche était immense : plus de 60 récipients en bronze avaient été découverts à Kleinklein. Enfin, ce sont les fouilles de 1995 avec le réexamen fructueux du Kröllkogel par Diether Kramer du musée Joanneum de Graz5, qui ont fait progresser les choses. Le Kröllkogel avait été complètement aplani par les labours, la chambre funéraire en pierre avait été endommagée et des fouilleurs clandestins avaient sévi. Le projet dédié aux tombes princières de Kleinklein fut initié en 1999 après la conclusion des fouilles de D. Kramer. La céramique et les objets en os furent conservés à Graz, ceux en métal à Mainz.
Le site de hauteur du Burgstallkogel fut occupé à partir de Hallstatt B, soit au Xe ou IXe siècle a.C.6. La nécropole au pied du Burgstallkogel fut établie en même temps. Pour l’instant, nous ne disposons que de quelques sépultures à incinération en urne datant de cette époque précoce. Ces sépultures n’étaient pas recouvertes de tertres et sont donc plus difficiles à détecter sur le terrain. Les tombes princières de la nécropole séparée de Kleinklein sont plus tardives, la première datant de la fin du VIIIe siècle a.C. Cette phase se termina à Kleinklein au cours de la phase Hallstatt D1, soit pendant la première moitié du VIe siècle a.C. Le site de hauteur du Burgstallkogel fut abandonné et on cessa d’ériger des tertres funéraires. Les tombes princières émergent plus tôt dans la culture de Hallstatt orientale qu’elles ne le font à l’ouest ; elles coïncident au Hallstatt D1.
La chronologie des quatre tombes princières de Kleinklein est assez claire7 : la nécropole située à l’écart débuta avec le Hartnermichelkogel 1, construit vers la fin du VIIIe siècle a.C. Une épée à antennes, une hache à ailerons et un casque conique à cimier (lophos), tous en bronze, sont des éléments datant cette phase précoce8.
Le Pommerkogel est plus récent : une fibule à navicelle le situe dans la phase Hallstatt C2, donc entre 660/650 et 630/620 a.C.9. Le Kröllkogel semble être le dernier des quatre tertres princiers, datant de la première moitié du VIe siècle a.C. selon la datation proposée pour un casque à double crête et une plaque de ceinture en forme de losange10. Ce tumulus est aussi l’un des derniers à avoir été érigé dans toute la zone orientale de la culture de Hallstatt.
Vu que le Hartnermichelkogel 2 n’a livré qu’un fragment de cuirasse11, sa datation reste problématique. Sa proximité avec le Hartnermichelkogel 1 suggère qu’il était étroitement lié à ce dernier (plus ancien) et il est plausible que le Hartnermichelkogel 2 ait été construit entre le Hartnermichelkogel 1 et le Pommerkogel, peut-être pendant Hallstatt C1b.
Les nouvelles fouilles du Kröllkogel par Diether Kramer en 1995 ont fourni de précieuses indications sur les rites funéraire et la construction de ce tumulus12. Son diamètre était de presque 30 m à l’origine et sa hauteur devait être comprise entre 8 et 10 m. Au centre du tertre, une vaste chambre funéraire rectangulaire en pierres sèches mesurait 8 × 8 m. Elle était pourvue d’un passage (dromos) de 12 m de long (Fig. 4). La curieuse division en trois parties de la chambre funéraire par des rangées de pierres servait sûrement de support à une superstructure en bois.
On rencontre fréquemment de telles chambres funéraires en pierre et en bois dans les tertres monumentaux du groupe de Sulmtal et d’autres groupes avoisinants de la culture de Hallstatt orientale13. La présence d’un dromos rappelle les monuments funéraires étrusques et l’on suppose que ces passages en dérivent. Quatre concentrations d’ossements humains et animaux ont été relevées dans la chambre funéraire du Kröllkogel (Fig. 4)14. L’analyse des ossements humains a permis d’identifier quatre individus (trois adultes et un juvénile) incinérés sur un bûcher et dont les vestiges ont ensuite été déposés dans la chambre. La chaleur intense du bûcher a altéré les ossements et rendu impossible l’identification du sexe des quatre individus. Les ossements du plus jeune individu et d’un adulte se trouvaient dans l’angle sud de la chambre, ceux d’un autre adulte étaient situés à l’entrée de la chambre et un quatrième adulte a été découvert dans l’angle nord. La coutume d’immoler certaines personnes et de déposer en offrande leurs restes incinérés n’est pas rare dans les tombes princières de la culture de Hallstatt orientale. Les ossements d’animaux incinérés provenant du Kröllkogel étaient surtout des ossements de chevaux : au moins trois chevaux avaient été sacrifiés et incinérés.
Le mobilier funéraire découvert dans les tombes princières de Kleinklein peut être divisé en cinq catégories : armes, pièces de harnachement, parure ou accessoires de vêtements, récipients en métal et céramique. Le masque et les mains en bronze du Kröllkogel sont en dehors de ces catégories. La tombe du Kröllkogel a livré la panoplie la plus complète jamais découverte dans toute la sphère hallstattienne. Elle comprend un casque, une cuirasse, une épée, tous en bronze, trois haches à douille en fer, six ou sept pointes de lance ou de javelot en fer et une pointe de flèche également en fer15. La cuirasse, composée d’un plastron et d’une pièce protégeant le dos (dossière), est l’objet le plus impressionnant16 (Fig. 5). Les muscles pectoraux et la poitrine figurent sur le plastron et les omoplates sur la dossière. La cuirasse, d’une hauteur de plus de 60 cm, est la plus grande cuirasse connue dans le monde ancien. Comme une cuirasse doit être faite sur mesure, notre exemplaire fournit des indications sur le guerrier qui la portait. Cette cuirasse épouse bien les formes de l’auteur de cet article, ce qui suggère que le guerrier qui en était propriétaire mesurait au moins 1,80 m, taille étonnante pour l’époque et indiquant qu’il était bien nourri.
Les trois autres tumulus de Kleinklein ont également livré des cuirasses en deux parties17. Celle du Pommerkogel est bien conservée tandis qu’il ne subsiste que des fragments des exemplaires provenant des tertres de Hartnermichelkogel 1 et 2. La cuirasse était le symbole le plus important dans les tombes princières, signalant la présence d’un membre du plus haut rang au sein des élites.
Un casque en bronze à double crête protégeait la tête du guerrier de Kröllkogel (Fig. 5)18. Ses deux parties, la calotte et le bord, sont rivetées et la calotte avec les deux crêtes était assujettie au bord par un crochet à l’avant du cimier (lophos). Les casques à double crête appartiennent à la famille des casques italiques à rebord qui ont évolué en Italie centrale et ont été adoptés dans les régions alpines sud-orientales. Les plus anciens datent de la fin du VIIe siècle a.C. mais la plupart ont été produits au cours du VIe siècle a.C.
Il y a encore une décennie, on ne connaissait pas d’autre casque à Kleinklein mais, au sein de notre projet sur les tombes princières de Kleinklein, nous avons redécouvert dans les réserves du musée de Graz les fragments d’un casque conique avec lophos provenant du tertre de Hartnermichelkogel 119. Les casques de ce type sont courants dans les régions supérieures de l’Adriatique et datent de la fin du VIIIe siècle a.C. Le casque de Kleinklein indique donc que les élites locales étaient en contact avec les cultures méditerranéennes à cette époque.
Le Kröllkogel est censé avoir livré trois haches à douille en fer et six ou sept pointes de lance ou de javelot du même métal mais il ne subsiste que trois de ces dernières dans les réserves du musée de Graz20. Les sépultures de guerriers hallstattiens contiennent normalement une hache et deux pointes de lance ou javelot. Le grand nombre d’armes en fer, suffisant à trois guerriers, pourrait être lié au sacrifice humain que nous associons à cette tombe princière. Un ou deux individus, qui auraient accompagné leur chef dans l’au-delà, auraient pu être des gardes du corps ou des porteurs de bouclier. Il ne semble pas que les tertres de Kleinklein plus anciens aient contenu une grande quantité d’armes. Le Kröllkogel, le tumulus le plus récent de Kleinklein, indiquerait donc que les rites funéraires devenaient de plus en plus élaborés.
Une épée en bronze a également été découverte dans le Kröllkogel21. Il s’agit d‘une découverte inhabituelle car dans la culture de Hallstatt orientale les haches de combat ont remplacé les épées comme arme de combat rapproché au VIIe siècle a.C. De plus, le fer a remplacé le bronze pour les armes offensives. L’épée de bronze du Kröllkogel semblerait donc anachronique. On l’incinéra sur le bûcher et il n’en reste que cinq fragments. Un fragment de lame montre de minces bandes le long de chaque tranchant, une caractéristique qui n’existe que sur les épées de type Gündlingen et qui devient plus fréquente avec le temps22. Les épées de type Gündlingen figurent parmi les objets marquants du VIIIe siècle a.C. dans la zone occidentale de la culture de Hallstatt et dans le nord-ouest de l’Europe mais ne sont pas commues en Styrie. L’épée de type Gündlingen du Kröllkogel est donc insolite en Styrie tant du point de vue chronologique que spatial.
L’offrande d’anciennes épées en bronze dans les sépultures aristocratiques plus tardives est un trait particulier de la zone hallstattienne orientale. Le Hartnermichelkogel 1 contenait une épée de bronze à antennes, une arme courante au VIIIe siècle a.C.23. De telles épées en bronze ont été relevées dans des tombes princières des VIIe et VIe siècles a.C. alors qu’elles n’étaient plus employées. Une épée de type Tachlovice fut découverte en 2013 dans une sépulture du tumulus 2 à Strettweg en Styrie supérieure24. Cette tombe a également livré un poignard en fer, ce qui la situe dans la phase Hallstatt D1. L’offrande d’une ancienne épée reliait les élites hallstattiennes aux panoplies de l’âge du Bronze et du Premier âge du Fer, leur permettant de l’utiliser comme symbole d’un pouvoir ancien et pour légitimer le leur.
Une petite pointe de flèche en fer a été retrouvée dans les fouilles du Kröllkogel de 1995, une ultime indication d’un équipement composé d’un arc et de flèches. Certains experts avancent que les arcs et flèches relevés dans les sépultures n’étaient pas des armes mais symbolisaient la chasse, telle qu’elle figure dans l’iconographie de l’âge du Fer illustrant des scènes de chasse principalement pratiquée par des archers. La panoplie du Kröllkogel, qui aurait éventuellement aussi comporté un bouclier ovale puisqu’un tel objet est illustré dans les scènes figuratives ornant les récipients en bronze de Kleinklein, démontre qu’on mettait l’accent sur le rôle de guerrier dans les rituels funéraires des tombes princières du sud-est hallstattien. Le chef ou roi était représenté sous forme de guerrier armé de pied en cap. La cuirasse et le casque étaient les insignes de l’élite de Kleinklein et faisaient partie de leurs cérémonies funéraires, une pratique dont l’origine est à chercher en Italie centrale où les armures symbolisent “la terribile bellezza del guerriero”, la terrible beauté du guerrier25.
Les fouilles du Kröllkogel de 1995 ont également révélé que le personnage principal qui y était enseveli était un homme entraîné au maniement des chevaux. Comme noté plus haut, les ossements de trois chevaux incinérés ont été récupérés ; de plus, des fragments d’équipement tel un mors en fer et deux clous de harnais26 proviennent de ce tertre.
Des mors figurent aussi dans les inventaires d’objets du Pommerkogel et du Hartnermichelkogel 127. Le premier a fourni deux mors qui rappellent ceux découverts dans les tombes princières de la zone hallstattienne occidentale qui contiennent fréquemment les mors d’une paire de chevaux attelés à un char ou un chariot. Cependant, aucun char n’a été retrouvé à Kleinklein. Les pièces de harnachement et les ossements de chevaux associent toutefois ces tertres au mode de transport le plus rapide à l’âge du Fer, un facteur également important dans le domaine militaire.
Il n’existe que peu d’indices sur les parures de Kleinklein. Les anciennes fouilles ont livré des éléments de ceinture ou ceinturon et les fouilles de 1995 ont produit d’autres fragments qu’on a pu joindre aux anciennes pièces28. La plaque de ceinture en forme de losange datant de Hallstatt D1 fait partie du costume d’un homme. Les autres éléments de parure se composent de spirales de bronze servant à retenir des mèches de cheveux ou comme boucles d’oreilles et de perles de verre, d’ambre, de bronze ou d’or ; ces éléments de collier caractérisent le mobilier funéraire accompagnant les femmes. On peut en déduire qu’une personne parmi les quatre individus découverts dans le Kröllkogel était une femme29. Les deux fusaïoles découvertes en 1905/0630 le suggèrent aussi puisque ce sont des objets typiques des tombes de femmes de la zone hallstattienne orientale.
Des artefacts associés aux femmes ont également été relevés dans le Pommerkogel et le Hartnermichelkogel 1 : le premier a donné trois fibules à navicelle et un bracelet en bronze, tandis que le second contenait un fragment de torque en bronze aujourd’hui perdu mais illustré sur un ancien dessin31. On connaît d’autres tombes princières dans la culture du Hallstatt orientale où une femme avait été ensevelie avec un homme.
Le masque et les mains en bronze provenant du Kröllkogel sont insolites (Fig. 6)32. Le masque est trop petit pour avoir servi de masque mortuaire. Les trous pour des clous en bronze autour des oreilles laissent penser à un autre usage. En 1906, Julius Ogrisegg fut témoin de la découverte du masque et nota qu’il était cloué à un objet en bois massif33. Les deux mains en tôle de bronze avaient déjà été récupérées en 1860. L’artisan a représenté le dos de ces mains avec doigts et ongles et a produit deux mains gauches, soit par erreur, soit délibérément.
Pour le masque, des analogies existent en Étrurie, par exemple parmi les nombreux masques en bronze fixés à des urnes en céramique produits dans la cité étrusque de Chiusi Quant aux mains, on en trouve à Vulci, la plupart associées aux prétendus bustes34, c’est-à-dire des effigies d’êtres humains représentés par leurs épaules, leur cou et leur tête. Les archéologues italiens supposent que le visage du défunt était modelé avec de la cire ou autre matériau organique sur la tête globulaire de ces bustes. Des représentations plus artistiques commencent à émerger en Étrurie pendant le VIIe siècle a.C. et les étruscologues considèrent que cette période a marqué le début d’un art du portrait sculpté fort raffiné.
Pour en revenir à Kleinklein, des représentations de la partie supérieure de personnages sur la ciste de bronze n° XIII du Kröllkogel35, semblables à celles figurant sur les bustes d’Étrurie, fournissent des indications complémentaires. Le masque et les mains avaient vraisemblablement été cloués sur un buste en bois qui aurait pu représenter le défunt ou un ancêtre. Ainsi, quoique le corps du défunt ait été incinéré, les participants aux funérailles auraient pu conserver l’image de leur chef ou roi mort.
Les récipients en bronze constituent l’ensemble d’objets le plus impressionnant du Kröllkogel (Fig. 7, 8). Vingt-sept exemplaires ont été identifiés mais il est possible que davantage aient été présents si certains ont été détruits sur le bûcher. Ces récipients en métal ont probablement servi lors de grands banquets funéraires.
Une grande situle (Fig. 7) et un ensemble de cistes en bronze munies de couvercle (Fig. 8) constituent le groupe principal de récipients découverts dans le Kröllkogel. L’énorme situle de type Kurd de plus de 75 cm de haut36 est le plus grand récipient récupéré dans ce tertre (le Pommerkogel a également livré une autre situle de ce type). Les situles, ornées de scènes figuratives, ont vraisemblablement été utilisées pour mélanger des boissons.
La batterie de six ou sept cistes en bronze finement décorées (Fig. 8) a beaucoup attiré l’attention des archéologues37. Il s’agit de cylindres en tôle de bronze sans fond ni poignées et sans aucune trace de résidu organique à l’intérieur, ce qui suggère qu’ils n’ont jamais été fonctionnels. Les cistes étaient chacune pourvues d’un couvercle en bronze au bord duquel étaient fixées des pendeloques servant de tintinnabule38.
Les cistes et les situles constituent la majorité des récipients en bronze relevés dans le Kröllkogel et le Pommerkogel39. Les autres tertres n’ont livré que quelques fragments de récipients en bronze, tel un ruban de tôle de bronze avec une rangée de rivets typique des situles et un fragment de rebord de couvercle avec pendeloques provenant du Hartnermichelkogel 140. Ces couvercles sont apparemment toujours associés aux cistes et il est vraisemblable que le premier tertre monumental de Kleinklein en contenait, ce qui nous permet de conclure que l’individu du Hartnermichelkogel 1 était déjà accompagné d’une situle et de cistes à couvercle.
La carte de distribution (Fig. 9) des grandes situles et des cistes montre que cette combinaison apparaît dans certaines riches sépultures de la culture hallstattienne orientale mais que l’origine de cette pratique est à chercher en Italie de l’est, avec les ensembles de Verucchio et des Marches fournissant les exemples les plus anciens de batteries de récipients en bronze41. Plusieurs aspects du Hartnermichelkogel 1 se retrouvent dans la Tomba del trono de Verucchio : le guerrier était associé au même genre de casque et de hache de guerre et était accompagné de récipients en bronze semblables, le tout laissant envisager des liens étroits entre Kleinklein et Verucchio à la fin du VIIIe siècle a.C. On a également découvert de grandes situles associées à six ou sept cistes en zone hallstattienne occidentale, par exemple dans le Tumulus no 3 de Kappel am Rhein (Bade-Wurtemberg)42. Il se peut que les participants aux funérailles des premières générations de princes occidentaux aient été inspirées par Kleinklein ; ils auraient adopté la nouvelle coutume de déposer des récipients en bronze et auraient imité les batteries de récipients en bronze. Après la phase Hallstatt D1, une période qui vit l’abandon de Kleinklein et du Burgstallkogel, l’influence italique se fit surtout sentir parmi les sépultures princières de la zone hallstattienne occidentale. Les situles, cistes et couvercles de Kleinklein étaient richement ornés de motifs géométriques et figurés43; à ce jour, de telles représentations, que l’on pourrait interpréter comme une expression de la conception du monde des élites locales, ne sont connues qu’à Kleinklein. Ce monde comprenait des guerriers, des hommes férus de chevaux, de chasse, de banquets et de tournois, autant de thèmes reflétés dans le mobilier découvert dans les chambres funéraires de Kleinklein.
Une gamme étendue de récipients en céramique provenant du Kröllkogel44 (Fig. 10) constitue un nouvel élément car on n’avait récupéré que très peu de céramique avant les fouilles de 1995. On dénombre maintenant plus de cent récipients de formes très diverses.
Les fouilles de 1995 ont livré une multitude de données sur les rites funéraires observés à Kleinklein45. Après le décès d’un membre de l’élite, on procédait à la préparation des lieux où le tertre monumental serait édifié. Pour le Kröllkogel, on commença par construire une chambre funéraire à superstructure en bois entourée d’une grande masse de pierres. On érigea ensuite un immense bûcher à proximité et on rassembla les objets qui devaient accompagner le défunt dans l’au-delà. On sacrifia trois individus et au moins trois chevaux avant la cérémonie de crémation. On incinéra les dépouilles des humains et des animaux à très haute température en même temps qu’une grande quantité de grains, de récipients en céramique et de certains objets en métal, dont l’épée de type Gündlingen. Une fois le bûcher refroidi, on transféra les ossements humains brûlés dans la chambre funéraire et on déposa ceux des animaux ainsi que les restes du bûcher dans le dromos et à l’entrée de cette chambre. On construisit ensuite le tumulus et on organisa un grand banquet, ressemblant peut-être aux scènes illustrées sur les cistes et situles.
On observe une forte influence italique dans les pratiques funéraires de Kleinklein à la fin du VIIIe siècle a.C. et ces coutumes ont perduré pendant au moins cinq générations jusqu’à la première moitié du VIe siècle a.C. (Fig. 11)46. On suppose que les élites devinrent si puissantes qu’on cessa d’ensevelir leurs représentants dans le cimetière de la communauté occupant le Burgstallkogel pour les enterrer dans une nécropole séparée. On y commémorait des personnages conçus comme des guerriers valeureux, des chasseurs, des hommes entraînés au maniement des chevaux, des organisateurs d’immenses festins, et des potentats, manifestant leur rôle de chefs dans les opérations militaires, l’organisation économique, la religion, l’élevage des chevaux, la chasse et tant d’autres activités. L’évolution chronologique des tombes princières à Kleinklein est illustrée sur la figure 11. Clairement, des règles gouvernaient le déroulement des funérailles des élites et ces dispositions furent maintenues pendant plus de 150 ans, soit la période durant laquelle l’élite de Kleinklein était au pouvoir.
La construction de tertres monumentaux et la présence dans les tombes élitaires de nombreux objets de valeur indiquent une intention d’accompagner un puissant défunt dans l’au-delà et de légitimer le pouvoir de son successeur, selon l’expression “le roi est mort, vive le roi”. Le but des pratiques funéraires était d’assurer la succession sans bouleversements. Les tertres monumentaux servaient de lieux de mémoire et de points de contact entre les chefs et leurs ancêtres héroïsés, se transformant ainsi en sanctuaires commémorant ces ancêtres “royaux” et contribuant ainsi à la construction d’une identité sociale.
Si l’on sollicitait mon opinion sur le statut des occupants des tombes princières de Kleinklein, je pencherais en faveur de rois plutôt que de chefs. En effet, on aménagea une nécropole réservée aux membres de l’élite occupant le plus haut rang de l’échelle sociale, on y sacrifia des êtres humains et des animaux et le mobilier funéraire est des plus opulents. Cependant, avec notre mentalité actuelle, nous aurons toujours une certaine peine à déchiffrer les règles qui gouvernaient la société à l’âge du Fer.
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Notes
- Egg 1996, fig. 152 ; Egg & Kramer 2005, fig. 2.
- Dobiat 1980, 1973 sq. ; Teržan 1990.
- Schmid 1933, 219 sq. ; Dobiat 1978/79, 57 sq. ; Egg & Kramer 2013, 15 sq. fig. 5 pl. 1.
- Schmid 1933, 219 sq. ; Dobiat 1978/79, 57 sq. ; Reichenberger, Dobiat 1985, 59 sq. ; Egg & Kramer 2013, 5 sq. ; Egg & Kramer 2016, 3 sq.
- Egg & Kramer 2013, 21 sq.
- Dobiat 1990 ; Smolnik 1994.
- Egg & Kramer 1996, 203 sq. tab. 3.
- Egg & Kramer 2016, fig. 5–6.
- Egg & Kramer 2016, fig. 33.
- Egg & Kramer 2013, 92 sq. fig. 30; 136 sq. fig. 50.
- Egg & Kramer 2016, fig. 25.
- Egg & Kramer 2013, 21 sq. fig. 8–10 ; att. 2–20.
- Reichenberger & Dobiat 1985, 34 sq. fig. 1-2. ; Egg 1996, fig. 5.
- Grill & Wiltschke-Schrotta 2013, 33 sq. fig. 22.
- Egg & Kramer 2013, 91 sq. fig. 30: 32–33: 39.
- Egg & Kramer 2013, 96 sq. fig. 32–33.
- Egg & Kramer 2016, fig. 20, 25, 28–29.
- Egg & Kramer 2013, 92 sq. fig. 30.
- Egg & Kramer 2016, 14 sq. fig. 8–9.
- Egg & Kramer 2013, 114 sq. fig. 39.
- Egg & Kramer 2013, 109 sq. fig. 39, 1.
- Cowen 1967, 391 sq. ; Pare 1991, 4 sq.
- Egg & Kramer 2016, 23 sq. fig. 6.
- Tiefengraber & Tiefengraber 2015, 255sq. fig. 30.
- Tagliamonte 2003.
- Egg & Kramer 2013, 124 ff. fig. 45.
- Egg & Kramer 2016, 30 sq. fig. 6, 4–8; 72 fig. 31.
- Egg & Kramer 2013, 136 sq. fig. 50.
- Egg & Kramer 2013, 153 sq. fig. 56.
- Egg & Kramer 2013, 360 sq. fig. 180.
- Egg & Kramer 2016, 37 sq. fig. 4, 11 ; 77 sq. fig. 33.
- Egg & Kramer 2013, 166 sq. fig. 64, 66.
- Dobiat 1985, 32.
- Egg & Kramer 2013 169 sq.
- Egg & Kramer 2005, 21 fig. 15 ; Egg & Kramer 2013 466 sq. fig. 208.
- Egg & Kramer 2013, 175 sq. fig. 68.
- Egg & Kramer 2013, 204 sq. fig. 81–87.
- Egg & Kramer 2013, 223 sq. fig. 88–94.
- Egg & Kramer 2016, 113 sq. fig. 47–57.
- Egg & Kramer 2016, 43 sq. fig. 4–8.
- Egg & Kramer 2013, 399 sq. fig. 187–188.
- Dehn et al. 2005, 142 sq. fig. 60 ; 165 sq. fig. 68–76.
- Egg 2012 99 sq. ; Egg & Kramer 2013, 447 sq.
- Kramer 2013, 305 sq. pl. 49–87.
- Egg & Kramer 2013, 379 sq.
- Egg & Kramer 2013, 435 sq.