La pourpre d’origine marine a engendré la curiosité des scientifiques dès le XVIIe siècle1, mais c’est véritablement à partir du XIXe siècle que le mystère de la pourpre des anciens a commencé à intriguer les chercheurs et les érudits. Grâce aux recherches de De Lacaze-Duthiers2 et de Dedekind3, les coquillages contenant le fameux suc tinctorial ont fait l’objet d’études poussées qui ont été largement diffusées. Ces résultats ajoutés aux sources littéraires ainsi qu’aux observations archéologiques4 ont montré que quatre principales espèces de coquillages avaient été utilisées dans l’Antiquité : l’Hexaplex trunculus, le Bolinus brandaris, le Stramonita haemastoma et le Nucella lapillus.
Nous allons procéder à une description détaillée de chacun de ces coquillages, afin de mieux connaître et reconnaître ces mollusques5.
L’Hexaplex trunculus (Linné, 1758)
L’Hexaplex trunculus (fig. 1), plus connu sous le nom de murex trunculus ou rocher fascié, est le coquillage qui a été le plus utilisé pour la production de la teinture pourpre dans l’Antiquité6. Curieusement, ce n’est pas cette espèce qui fait l’objet de la description la plus précise chez Pline, mais le Bolinus brandaris7. Cela peut s’expliquer par la forme de ce dernier qui est beaucoup plus élégante que celle de l’Hexaplex trunculus.
Description et habitat
L’Hexaplex trunculus a une forme assez banale. Ses caractéristiques les plus remarquables sont : sa forme tronconique, sa coquille qui se termine en forme de spirale et les rayures, de couleur violette plus ou moins prononcée, situées à l’entrée de sa coquille. Pour le reste, nous reprenons à notre compte la description fort précise de G. Lindner :
Coquille de 40 à 80 mm de haut, épaisse, tours étagés ; fine sculpture spiralée ; sur les tours, plis épineux ou tubercules* ; blanchâtre, gris clair, brun clair ou foncé ; sur le dernier tour, jusqu’à 3 bandes brun foncé également reconnaissables à l’intérieur de l’ouverture ; bord du labre* renforcé ; columelle lisse, canal siphonal court, incurvé en arrière8.
L’Hexaplex trunculus est très fréquent en Méditerranée. Il est apprécié dans le sud de la France où il est principalement pêché dans l’étang de Thau près de Montpellier. On le trouve également dans l’océan Atlantique, de l’Espagne au Maroc. Il est aussi présent sur les côtes du Liban où il est dégusté cru9.
Selon J. Zaouali10, c’est un coquillage charognard qui vit essentiellement dans les milieux lagunaires (lac de Bizerte, mer de Bougrara en Tunisie), car la mortalité des poissons, des coquillages univalves et bivalves (moules) y est plus forte. Il se trouve essentiellement à l’étage infralittoral11, mais il est possible de le trouver dès 3 m de profondeur comme le long des côtes de l’Adriatique par exemple.
L’Hexaplex trunculus dans les écrits anciens
L’espèce appelée de nos jours murex devait être désignée sous le nom de “buccin” par le naturaliste Pline l’Ancien. S’étant intéressé de près à la pourpre, il nous a laissé une description des principaux mollusques producteurs de cette teinture dont celle de l’Hexaplex trunculus :
Il y a deux sortes de coquillages qui fournissent la pourpre et les couleurs conchyliennes (la matière première est la même, mais la différence vient du mélange) : le plus petit est le buccin, ressemblant à l’instrument qui émet un son de trompe, d’où son nom ; son ouverture arrondie est échancrée sur le bord ; (…) le buccin n’en a point (d’aiguille) ; mais l’un et l’autre ont autant de spirales que d’années. Le buccin ne se trouve que collé aux pierres, et on le cueille autour des rochers12 (HN, 9.130).
Le Bolinus Brandaris (Linné 1758)
Comme nous l’avons dit plus haut, le Bolinus brandaris, (fig. 2) appelé communément rocher épineux, se distingue des autres coquillages par sa forme assez curieuse qui lui vaut d’être décrit avec précision chez Pline.
Description et habitat
Le Bolinus brandaris est de forme tronconique. Les épines régulièrement disposées le long de sa coquille et la longue extrémité qui prolonge la partie inférieure de sa coquille le rendent facilement reconnaissable. Pour plus de précisions, on se reportera à la description de G. Lindner :
La coquille atteint 100 mm de haut, conique ; épaulement sur les tours supérieurs, le dernier, ample, a double arêtes ; nombreuses lignes spiralées, denses, qui marquent le bord externe de l’ouverture ; sur l’arête des tours, longues épines ou tubercules obtus ; canal siphonal rectiligne et très long, légèrement incurvé seulement à l’extrémité ; gris sale, jaune ou brun jaunâtre, ouverture jaune-orangé13.
Le Bolinus brandaris est présent sur toutes les côtes de la Méditerranée. Il vit à l’étage circalittoral14, souvent en zone assez profonde. C’est un mollusque charognard comme l’Hexaplex trunculus et on le trouve donc en plus grand nombre dans les milieux lagunaires, comme le lac de Bizerte en Tunisie ou l’étang de Thau dans le sud de la France.
Le Bolinus brandaris dans les écrits anciens
La description du “pourpre” de Pline est très évocatrice :
son bec s’allonge, orné de cannelures, et la paroi porte intérieurement un canal, pour laisser passer la langue. En outre, la coquille est hérissée d’aiguilles jusqu’à la pointe de la spire* ; il y en a ordinairement sept, disposées en rond15 (HN, 9.130).
Le Stramonita haemastoma (Linné 1766)
Le Stramonita haemastoma est plus communément appelé Purpura haemastoma ou “bouche de sang”.
Description et habitat
Le Stramonita haemastoma (fig. 3) est reconnaissable à sa large ouverture qui est bordée, à l’intérieur, d’une couleur orangée assez vive. Cette caractéristique lui a d’ailleurs valu le surnom de “bouche de sang” dans le sud de la France. Selon G. Lindner :
Coquille 40-100 mm de haut, épaisse, lourde, dernier tour ample ; plusieurs rangs de tubercules, les plus épais sur l’épaulement des tours ; fins anneaux entre eux : gris blanchâtre avec lignes spiralées brunes ; bord des lèvres de l’ouverture orange, canal siphonal bref16.
Le Stramonita haemastoma est présent sur les littoraux de la Méditerranée ainsi que sur les côtes marocaines de l’océan Atlantique. Il vit non loin des rivages à environ 2 à 3 m de profondeur ou près des rochers. On le trouve souvent à proximité des parcs à moules dont il se nourrit.
Le Stramonita haemastoma dans les écrits anciens
Le Stramonita haemastoma n’est, semble-t-il, pas décrit chez Pline. Cependant, il pourrait peut-être également correspondre à la description du buccin. Ce gastéropode n’étant pas majoritaire dans les vestiges des ateliers, il nous a semblé logique d’attribuer la description du buccin à l’Hexaplex trunculus plutôt qu’au Stramonita haemastoma17, mais le doute persiste tout de même18.
Le Nucella lapillus (Linné, 1758)
Le Nucella lapillus (fig. 4) est plus connu sous le nom de pourpre petite pierre.
Description et habitat
Le Nucella lapillus est le plus petit des quatre mollusques présentés ici. Sa forme est assez commune :
Coquille : 25-35 mm de haut et plus, épaisse conique large, apex bref et pointu ; dernier tour ample ; sculpture et coloration variables ; en général cordons spiralés, croisés par des stries d’accroissement irrégulières ; blanchâtre à jaune ou brun clair, souvent avec des bandes spiralées foncées ; extérieur de l’ouverture blanc ; bord externe épaissi et dentelé intérieurement ; canal siphonal court et incurvé19.
Le Nucella lapillus vit à l’étage infralittoral, sur les rochers. Il est présent le long de la côte atlantique de la France, surtout en Bretagne.
Le Nucella lapillus dans les écrits anciens
Nous n’avons pas trouvé de description précise du Nucella lapillus dans les écrits anciens.
Voici donc présentés les quatre principaux coquillages ayant fourni la teinture pourpre dans l’Antiquité romaine.
Notes
- Cole 1685, 1278-1286 ; Le Pileur d’Appliny 1770, 144-152 ; Canal y Marti 1779 ; Du Hamel 1736 ; Blainville 1832.
- De Lacaze-Duthiers 1859, 303-380 ; De Lacaze-Duthiers 1861 ; De Lacaze-Duthiers 1896, 471-480.
- Dedekind 1898 ; Dedekind 1898-1911 ; Dedekind 1906.
- Entre autres : Lenormand 1881 ; Viola 1881, 376-436 ; Lortet 1884, 100-105.
- Pour une description et une réflexion sur les différents coquillages, voir aussi Bardot 2010.
- Infra, p. 35.
- Infra, p. 16
- Lindner 2004, 50.
- Renseignement aimablement communiqué par Mme Chalabi.
- J. Zaouali est Docteur en malacologie et enseigne à l’Institut National Agronomique de Tunis. Au cours d’un séjour chez elle en février 2004, nous avons pu collecter beaucoup de renseignements sur le comportement des murex.
- L’étage infralittoral : zone qui correspond à l’estran constamment immergé, entre 10 et 30 m de profondeur.
- Concharum ad purpuras et conchylia – eadem enim est materia, sed distat temperamento – duo sunt genera : bucinum minor concha ad similitudinem eius qua bucini sonus editur – unde et causa nomini –, rotunditate oris in margine incisa ; alterum purpura uocatur canaliculato procurrente rostro et canaliculi latere introrsus tubulato, qua proseratur lingua. Praeterea clauatum est ad turbinem usque aculeis in orbem septenis fere, qui non sunt bucino, sed utrisque orbes totidem, quot habeant annos. Bucinum non nisi petris adhaeret circaque scopulos legitur.
- Description Lindner 2004, 50.
- L’étage circalittoral est toujours immergé ; les eaux y sont calmes. Elle est à faible variabilité environnementale. Elle succède à la zone infralittorale.
- Cf. note 12.
- Description Lindner 2004, 54.
- Supra, p. 15.
- Bardot 2010, 80.
- Description Lindner 2004, 52.