UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Chapitre 7.
La Montagne noire

par

La Montagne noire, terminaison méridionale du Massif central, a fait l’objet d’une intense activité minière bien connue pour les périodes récentes, notamment avec la mine d’or de Salsigne, découverte au XIXe siècle. Les exploitations minières anciennes (fig. 35), qui concernent le fer, l’argent, le cuivre et le plomb, sont moins bien connues, même si divers indices ont été relevés çà et là, sur le terrain comme dans les textes médiévaux (Beyrie et al. 2011, 41 ; Mantenant 2014, vol. I, 175-181). Parmi celles-ci, la mine des Barrencs (Lastours et Fournes-Cabardès) est la seule à avoir fait l’objet d’une étude de terrain approfondie. Pour les autres, des mentions anciennes de vieux travaux permettent de faire remonter l’exploitation de la mine de La Caunette au XIVe siècle. Sa proximité avec la mine des Barrencs permettait de supposer une activité plus ancienne, mais l’état de conservation du site, où une carrière de pierres est installée, n’a pas permis de le vérifier (Mantenant 2014, vol. I, 178). À Roca das Cors, des travaux ouverts à l’outil et au feu signalés dans les archives témoignent d’une chronologie ancienne, mais les ouvrages visibles aujourd’hui sont tous récents. Une petite recherche ouverte à l’outil avec un tesson d’amphore italique sur la halde* est l’indice le plus direct d’une activité à la période tardo-républicaine, ce qui reste léger. Un épandage d’amphores à proximité indique la présence d’un site contemporain, mais sa relation avec la mine n’est pas certaine (Mantenant 2014, vol. I, 179). Pour la mine de La Cauna, ce sont aussi des mentions anciennes de vieux travaux et de trouvailles d’amphores qui indiquaient une activité antique. Cependant, aucun élément attribuable à cette période n’est visible sur le terrain aujourd’hui (Mantenant 2014, vol. I, 180).

Fig. 35. Mines et ateliers métallurgiques anciens de la Montagne noire
(d’après Rico 2016 et Mantenant 2014). E. Meunier 2018

L’autre pôle de recherche dans cette région minière se trouve dans le bassin supérieur de la Dure, où le site sidérurgique antique des Martys est une référence pour la production du fer tardo-républicaine et antique. Les mines de fer associées à ces ateliers sont très mal connues. Des prospections par photographies aériennes en 1981 avaient permis d’identifier des fosses et dépressions interprétées comme des sites d’extraction, mais les vérifications sur le terrain n’ont pas permis de le confirmer. Lors des prospections élargies menées ultérieurement, les mines du piémont sud de la Montagne noire ont été prospectées en surface et en souterrain quand l’accès était possible. Les travaux à ciel ouvert, comblés et investis par la végétation, n’ont pas livré de données exploitables. Du mobilier amphorique a été identifié au niveau des mines de fer de Carrus et des vieux travaux non datés sont connus sur les sites de Roc Soufrat, de la Pierre Plantée, du Vallon du Minier et aux alentours du lac de Laprade. Aucune précision n’est cependant disponible sur les modes d’exploitation si ce n’est à Villardonel, où des tranchées de sondages archéologiques de diagnostic ont révélé la présence de deux chantiers exploités en fosse à ciel ouvert (Rico 2016, 267).

La mine des Barrencs

Cette mine est constituée d’un ensemble de travaux répartis le long de deux groupes filoniens (Munteanu et al. 2016, 164). La plupart des vestiges miniers anciens sont actuellement comblés. Entre 2009 et 2012, un programme de recherche a été développé par une équipe de TRACES avec pour objectif d’étudier l’une des exploitations les plus importantes du secteur : les travaux du Mourral de la Grave. Les tentatives malheureuses de reprises d’exploitation du XXe siècle, avec en particulier le creusement d’un grand travers-banc* qui permet d’accéder aujourd’hui à la partie basse des travaux anciens, avaient livré deux informations principales. D’une part, l’ampleur des travaux a été mise en évidence, avec un développement reconnu sur plusieurs centaines de mètres à l’horizontale et plusieurs dizaines de mètres à la verticale. D’autre part, le mobilier céramique qui jalonnait les travaux, des fragments d’amphores italiques en particulier, avait conduit à attribuer cette exploitation à la fin de l’époque républicaine.

L’étude archéologique (Beyrie et al. 2011 ; Fabre et al. 2012 ; Mantenant et al. 2013) a permis de confirmer rapidement la première information relative à l’ampleur des travaux (fig. 36). En effet, ce sont bien des centaines de mètres de galeries, dépilages ou autres chantiers que l’on peut parcourir, avec toutefois l’obligation de recourir aux techniques spéléologiques de progression verticale. Ces travaux d’une grande ampleur, qui ont suivi au plus près des structures filoniennes subverticales, ne sont que très peu encombrés de déblais, évacués à l’extérieur dans leur grande majorité.

Fig. 36. Coupe simplifiée de la partie principale du chantier du Mourral de la Grave (d’après Mantenant et al. 2013, fig. 7). Les nº de sondage font référence aux datations présentées fig. 37. E. Meunier 2022

L’étude gîtologique a permis d’identifier les trois filons sur lesquels ont porté les travaux, ainsi que les différentes minéralisations qui ont été exploitées (Munteanu et al. 2016, 168-177). Il s’agit du cuivre, de l’argent et du plomb, présents sous différentes formes, principalement des sulfures. Dans les zones d’enrichissement de la partie basse des travaux, les concentrations peuvent être relativement importantes, avec par exemple plus de 10 000 gr/t pour le cuivre et le plomb ou plus de 1 000 gr/t pour l’argent. La présence de l’or est attestée mais reste anecdotique. La plupart des échantillons prélevés pour analyse proviennent des ponts de roche destinés au soutènement, car le filon a été scrupuleusement récuré dans les moindres recoins par les anciens mineurs. Cette exploitation très soigneuse de la minéralisation a contribué à la sauvegarde des ouvrages : les tentatives de reprises postérieures ont buté sur ce chantier totalement vidé par les Anciens, du moins pour ce que l’on peut en voir dans la partie qui n’est pas ennoyée. Cela a aussi permis aux auteurs de mener une étude technique approfondie des types d’ouvrages existants, qui montrent une organisation poussée de l’exploitation et un niveau technique évolué (Beyrie et al. 2011, 49 ; Mantenant et al. 2013, 40-41). Cette organisation pensée à l’échelle de la mine transparaît de plusieurs manières. La chronologie relative des ouvrages de certains secteurs montre que l’exploitation de zones riches a été retardée pour permettre la réalisation de travaux de recherches sans porter préjudice à la dynamique d’exploitation générale (Beyrie et al. 2011, 49). Des jonctions à différents niveaux entre les secteurs d’exploitation montrent que plusieurs équipes ont travaillé en même temps, de façon coordonnée (Mantenant et al. 2013, 40).

L’exploitation a démarré depuis l’affleurement, à plusieurs niveaux sur le versant, et elle s’est déroulée du haut vers le bas (Beyrie et al. 2011, 48). Le feu et l’outil ont été utilisés pour l’abattage de la roche. La prospection et la reconnaissance de la minéralisation semblent avoir été réalisées de façon systématique par le biais de puits ou de petites galeries de recherche réparties régulièrement sur la hauteur des travaux, dans le filon. Des ouvrages de recherche en travers-banc* au-delà des épontes* des filons sont également identifiés. Le gabarit des galeries de recherche est régulier, entre 0,8 et 1,35 m de hauteur pour une largeur allant de 0,6 à 1,1 m. Cela ne permet pas de circuler debout et montre un souci de contenir l’investissement dans des ouvrages non productifs (Mantenant et al. 2013, 37).

La subverticalité des filons a conduit les mineurs à mener l’exploitation suivant la technique des gradins droits, c’est-à-dire de gradins descendants, dont on observe les reliquats des différents niveaux en couronne*. La largeur des gradins varie de 1 à 5 m et montre la maîtrise des mineurs dans la conduite du feu aussi bien sur des volumes réduits que larges, mais également pour conduire l’abattage vers le bas (Mantenant et al. 2013, 38). L’utilisation du feu justement impliquait que l’aérage soit efficace et maîtrisé. La configuration générale des travaux, verticaux et avec des entrées à plusieurs niveaux, favorisait la création de courants de convexion. En plus de cette circulation naturelle, des encoches dans les parois d’une galerie permettent de penser qu’une porte avait pu y être installée pour contrôler la ventilation (Beyrie et al. 2011, 50). L’exhaure* ancienne de cette mine n’est pas connue. Le fond des travaux étant noyé, les auteurs supposent qu’une galerie destinée à cet effet se trouve dans les niveaux inaccessibles. La topographie à l’extérieur des travaux permet de supposer que cette galerie d’exhaure* ait débouché en bordure du plateau, près de l’Orbiel (Beyrie et al. 2011, 50).

Plusieurs sondages réalisés dans les travaux ont permis de récolter des charbons liés à l’abattage au feu à différents niveaux du chantier. Les datations réalisées, au nombre de quinze, situent l’exploitation entre les IVe et Ier siècles av. n. è. (Mantenant et al. 2013, 39-40). Six d’entre elles sont centrées sur les IVe et IIIe siècles av. n. è., trois autres couvrent une période allant du milieu du IVe siècle av. n. è. à la fin du IIe siècle av. n. è. et les six dernières sont centrées sur le IIe siècle av. n. è. et la première moitié du siècle suivant (fig. 37). S’il y eut bien une activité tardo-républicaine sur ce site des Barrencs, celle-ci n’est qu’une prolongation de travaux nettement antérieurs à la présence romaine dans la Transalpine. L’analyse chrono-typologique des ouvrages, où l’outil a été utilisé en complément du feu, ne permet pas de discriminer les travaux à l’intérieur de l’intervalle chronologique allant du IVe au Ier siècle av. n. è., montrant une continuité dans la mise en œuvre de l’exploitation. Le seul changement consiste en l’apparition de niches à lampes pour l’éclairage, associé à des fragments de lampes campaniennes de type “Grand Congloué 2” (Beyrie et al. 2011, 52). La dynamique de production indique tout de même qu’une très grande partie des travaux d’extraction est antérieure au IIe siècle av. n. è., avec des charbons datés des IVe et IIIe siècles provenant des niveaux parmi les plus profonds accessibles aujourd’hui (Beyrie et al. 2011, 51).

Fig. 37. Datations des charbons de la mine des Barrencs (d’après Mantenant et al. 2013, fig. 12). La localisation des sondages est visible fig. 36.
E. Meunier 2022

Le fait qu’aucun site de traitement métallurgique n’ait été étudié dans le secteur ne permet pas de proposer d’évaluation quantitative ou qualitative des différents produits de cette mine. Toutefois, la minéralisation polymétallique associant cuivre, argent et plomb dans des minéraux complexes conduit les auteurs à considérer comme peu probable que l’un des métaux ait été ignoré lors de la métallurgie primaire (Munteanu et al. 2016, 178). L’adéquation de l’exploitation avec les structures minéralisées montre la maîtrise géologique des anciens mineurs, qui ont su tirer profit de toutes les zones d’enrichissement, même de faible volume (Munteanu et al. 2016, 178). Cette capacité à évaluer les teneurs de la minéralisation est d’ailleurs cohérente avec la maîtrise de procédés de traitement métallurgique complexes.

La sidérurgie aux Martys

En dehors de ces mines, l’ouest de la Montagne noire est connu pour l’exploitation sidérurgique intensive qui s’y est déroulée entre le deuxième quart du Ier siècle av. n. è. et le milieu du IIIe siècle de n. è. (Fabre et al. 2016, 26). Ce district sidérurgique est une zone minière et métallurgique étudiée de longue date pour ses vestiges imposants de la production de fer, qui ont fait l’objet de plusieurs synthèses (notamment Domergue 1993 ; Decombeix et al. 2000 ; Fabre et al. 2016). Les études archéologiques ont démarré en 1972 avec la première campagne de fouille sur le Grand Ferrier du domaine des Forges (Les Martys), menée par une équipe de l’Université de Toulouse Le Mirail, sous la direction de C. Domergue. Ces fouilles ont été prolongées par d’autres campagnes sur le même atelier, puis sur celui de Montrouch, distant d’environ 200 m. Des prospections ont également été menées aux alentours, tout d’abord par J.-E. Guilbaut et C. Landes dans le cadre d’un travail universitaire en 1975. Pour mieux cerner le contexte de l’activité de cet atelier important des Martys, de nouvelles prospections sont mises en place entre 1998 et 2002 (Rico 2016). Le haut bassin de la Dure, qui rassemble les plus gros ferriers*, apparaît comme la zone de concentration principale de la production antique (fig. 35).

En ce qui concerne les ateliers, les fouilles menées au domaine des Forges apportent des précisions sur l’organisation de l’activité au cours du Ier siècle av. n. è. qui sont révélatrices de certains aspects du mode de fonctionnement du district à cette période. Le premier élément à prendre en compte est la mise en place très rapide de batteries de bas fourneaux dès le début de l’activité, entre 80/70 et 60/50 av. n. è. La productivité des ateliers est donc dès le départ un objectif affirmé, après un premier état attesté par cinq fourneaux isolés au Grand Ferrier, interprétés comme des essais menés pour déterminer la morphologie de four la plus à même de répondre aux objectifs de production (Fabre et al. 2016, 170-171). Les bas fourneaux utilisés par la suite seront tous du même type, qualifié de “classique” (Fabre et al. 2016, 175-181). Il s’agit d’un bas fourneau à scorie écoulée et utilisation multiple, dont la cuve est encastrée dans une terrasse. Si au niveau technique l’uniformité prime, des différences ont pu être observées entre l’atelier du Grand Ferrier et celui de Montrouch en termes d’organisation.

L’atelier du Grand Ferrier montre une segmentation de l’activité entre différentes cellules qui semblent n’effectuer qu’une seule des étapes de la chaîne opératoire de production de métal (fig. 38, A). L’approvisionnement en matières premières (charbon et minerai) est géré en commun pour les différents fourneaux, comme en témoignent les lieux de stockage de matière première. Le travail de réduction peut être réalisé simultanément dans ces différentes structures puis les loupes de fer sont centralisées dans l’une des cellules où l’épuration a lieu, dans des foyers spécifiques. Le métal épuré peut ensuite intégrer les circuits de diffusion, peut-être sous forme de barres de fer (Fabre 2016a, 183). À l’inverse, à Montrouch, le schéma correspond plutôt à une unité autonome sur toute la chaîne, allant du grillage du minerai à la production de barres de fer, en passant bien sûr par la réduction (fig. 38, B). Un bâtiment en terre et bois en arrière de la batterie de fourneaux permettait aux ouvriers qui travaillaient sur place de s’abriter et d’avoir à disposition un four domestique et un foyer métallurgique pour des réparations de petits objets (Fabre 2016a, 182). Sur ces deux ensembles, l’activité s’arrête peu avant la période augustéenne. Les structures sont abandonnées et sont ensuite recouvertes par les scories de nouveaux ateliers (Fabre et al. 2016, 27-28).

Fig. 38. Les ateliers du Grand Ferrier (A) et de Montrouch (B) (Fabre et al. 2016, fig. 204 et 31).

Concernant les ferriers* identifiés en prospection, seul un peu plus d’un quart d’entre eux (46 sur 164) ont livré des éléments de datation, principalement du mobilier céramique ou amphorique. Parmi ceux-ci, 33 correspondent à la période tardo-républicaine, avec des tessons d’amphores Dr 1 principalement. Les indices plus anciens, comme plus récents d’ailleurs, font entièrement défaut, mais la rareté des sondages sur ces sites oblige à rester prudent sur ce sujet, comme le précisent les auteurs. Il faut signaler aussi que ces sites, de dimensions généralement réduites (vol. < 1000 m3), ne semblent pas survivre, sauf exception, à la période augustéenne (Rico 2016, 270-271). Sur les 100 à 110 000 t de fer produites dans l’ensemble du district, les auteurs proposent qu’un tiers ait pu être produit au cours du Ier siècle av. n. è. (Rico 2016, 272). L’activité détectée dans les différentes vallées semble bien avoir démarré au même moment, dans le deuxième quart du Ier siècle av. n. è. Cela dénote la mobilisation massive d’une main-d’œuvre qui va se spécialiser dans la production sidérurgique dans un même territoire. L’ampleur de cette activité et sa relative soudaineté sont à souligner. La taille réduite des nombreux ferriers* de cette période et les modes de gestion différents observés entre l’atelier du Grand Ferrier et celui de Montrouch indiqueraient que chacun des ateliers était indépendant (Rico 2016, 273). Des entrepreneurs aux capacités économiques variables se seraient lancés dans l’exploitation des ressources locales abondantes, dans un contexte de développement économique et commercial.

L’identité de ces entrepreneurs du Ier siècle av. n. è. n’est pas connue : aucune mention épigraphique ne correspond à ce district sidérurgique et les textes antiques n’y font pas référence. Cependant, l’étude du mobilier céramique en particulier révèle que la culture matérielle du domaine des Forges est fortement marquée par les productions italiennes, dans des proportions rarement atteintes pour cette période (les sites comparables sont les sites urbains de Narbonne ou Vieille-Toulouse/Saint-Roch). Des caractères latins sur les quelques récipients marqués, et ce dès la première phase de l’activité, sont aussi à noter. L’utilisation conjointe de la céramique indigène indique probablement une mixité de la population des ateliers, qui intègre une composante italienne (Benquet 2016, 214-216). Tout cela est cohérent avec l’implication d’entrepreneurs italiens dès les années 80 av. n. è. dans l’exploitation de ce district, comme cela a été observé ailleurs dans le bassin méditerranéen au IIe siècle av. n. è., au fil des conquêtes romaines (Rico 2016, 274). Cela concerne les ateliers ; la question reste entière pour les mines. Il est cependant vraisemblable que ces entrepreneurs italiens se soient également investis dans l’exploitation des gisements qui devaient alimenter leurs ateliers.

L’exploitation sidérurgique du bassin de la Dure se poursuit jusqu’au IIIe siècle de n. è., comme l’a montré la fouille du ferrier* du domaine des Forges aux Martys (Domergue 1993). Cependant, aucune structure métallurgique datée de cette période n’a été mise au jour. Les crassiers* et plusieurs bâtiments pris entre les couches de scories ont livré du mobilier qui montre la continuité de l’activité entre la période augustéenne et le troisième quart du IIIe siècle (Domergue 1993, 69 et 96). Des analyses réalisées sur des lots de scories provenant de différents niveaux montrent l’homogénéité des pratiques métallurgiques au fil du temps et la similarité de la composition du minerai traité (Domergue 1993, 241-243). L’approvisionnement en minerai ne s’est cependant pas fait uniquement depuis les gisements les plus proches, mais s’est étendu aux ressources venant de plus loin vers le sud de la Montagne noire (Domergue 1993, 260).

Trois bâtiments remarquables ont été mis au jour entre certains niveaux de scories, parmi d’autres dont la fonction ne peut être proposée. Il s’agit du bâtiment aux doliums, de thermes et d’une charbonnière. La charbonnière est le plus ancien des trois et celui dont l’occupation est la plus courte. Elle est construite sur des couches de scories entre les années 50 et 80 et utilisée jusqu’à la fin du Ier siècle de n. è. (Domergue 1993, 234). Il s’agit d’un bâtiment permettant le stockage et la redistribution du charbon vers un atelier (ou plusieurs ?). Sa présence sur un site comme le Domaine des Forges n’est pas surprenante, le charbon faisant partie des matières premières indispensables à la production de métal.

Les thermes (datés entre le dernier quart du Ier siècle de n. è. et la fin du IIe siècle), tout comme probablement le bâtiment aux doliums (occupé entre le premier tiers du IIe siècle de. n. è. et le deuxième tiers du IIIe siècle, avec des réaménagements), sont des ouvrages collectifs à disposition des métallurgistes travaillant sur le site. Ce type de thermes est mentionné sur l’une des tables de Vipasca (Aljustrel, Portugal), datée de la fin du Ier ou du début du IIe siècle de n. è., qui dédie un paragraphe important aux bains publics (Domergue 1983, 52-53 ; Domergue 1993, 197-198). Ce type d’équipement faisait partie de ce à quoi les mineurs (et leur famille) avaient droit selon l’administration impériale, dans le contexte d’une exploitation gérée par un procurateur des mines. Si les données ne permettent pas de restituer l’existence d’un tel procurateur dans le bassin de la Dure, les équipements collectifs accessibles aux mineurs, tout comme l’envergure du gisement, peuvent indiquer que cette exploitation était administrée à un haut niveau. Un des procuratores ferrariarium connus en Gaule au IIe siècle de n. è. aurait pu dans ce cas être en charge de ce district, un des metallum publicum de l’empire (Rico 2016, 276).

Mis à part ce site du domaine des Forges, les crassiers* du bassin de la Dure sont rares pour la période du Haut-Empire. Le très gros ferrier* du lac de Laprade, dont le volume est comparable à celui du domaine des Forges, fait partie de ceux qui ont fonctionné sur une longue durée, qui couvre le Haut-Empire selon le mobilier visible (sigillée gallo-romaine, céramique à engobe blanc de Montans et amphores indéterminées). Au total, dix à quinze ferriers* pourraient correspondre à cette période, même s’ils ne sont pas tous aussi imposants que celui des Martys (Rico 2016, 271 et 275). Comparés aux multiples sites de petites dimensions attribués à la période précédente, ils révèlent une réorganisation de la production du fer, centralisée dans quelques sites majeurs à la période augustéenne. La restructuration de cette période semble liée à une volonté politique de mieux contrôler la production métallurgique des districts stratégiques, comme pouvait l’être la Montagne noire pour la quantité de fer produit (Rico 2016, 274-275). Le contrôle de l’ensemble de ces productions par une seule entreprise, qui pourrait expliquer les similitudes techniques entre les différents ateliers notamment, semble difficile à admettre quand on pense à l’ampleur des moyens nécessaires et à l’éloignement de certains des ferriers* par rapport à ceux des Martys ou de Laprade-Basse, épicentres de la production. Une autre possibilité quant à la forme de cette nouvelle organisation serait le partage de l’exploitation entre plusieurs entreprises aux mains de différentes sociétés minières, des grosses compagnies qui auraient supplanté les petits ateliers ou répondu à la volonté politique de centraliser la production (Rico 2016, 275). Cette option est préférée à celle de la mise en place d’un metallum publicum par les auteurs de l’étude.

ISBN html : 978-2-35613-497-4
Rechercher
EAN html : 9782356134974
ISBN html : 978-2-35613-497-4
ISBN pdf : 978-2-35613-499-8
ISSN : 2741-1508
6 p.
Code CLIL : 4117
licence CC by SA

Comment citer

Meunier, Emmanuelle, “La Montagne noire”, in : Meunier, Emmanuelle, L’exploitation minière dans le sud-ouest de la Gaule entre le second âge du Fer et la période romaine. Le district à cuivre argentifère de l’Arize dans son contexte régional, Pessac, Ausonius Éditions, collection DAN@ 10, 2023, 67-72 [en ligne] https://una-editions.fr/la-montagne-noire [consulté le 03/11/2023]
doi.org/10.46608/DANA10.9782356134974.10
Illustration de couverture • Première  : Dans les calcaires du massif de l’Arize, les mines de cuivre argentifère.
Quatrième : Filonet de cuivre gris curé à l’outil dans la mine du Goutil Est (photo : E Meunier).
Retour en haut
Aller au contenu principal