Introduction
Depuis les vingt dernières années un grand nombre de sites nouveaux, intégrant de près ou de loin “l’Économie du fer”, ont été fouillés ou étudiés à l’échelle du Nord de la France. Des publications récentes ont tenté des synthèses diachroniques mais aucune ne s’est concentrée sur l’ensemble des données acquises pour la période cruciale que représente le Hallstatt D / La Tène A1, à la fois pour le développement des sociétés nord-occidentales mais aussi pour le développement de la métallurgie du fer dans ces contrées (Cabboi et al. 2007 ; Berranger et al. 2017b ; Bauvais et al. 2018b ; Leroy & Cabboi, éd. 2019 ; Berranger & Bauvais 2020).
À l’échelle suprarégionale, ces dernières années ont également vu se développer des synthèses portant sur la période de la fin du Hallstatt et du début du Second âge du Fer mettant en avant les particularités régionales au sein du complexe Nord-Alpin. En effet, la matérialisation du système dans sa globalité (économique, politique, culturel et sociétal) est suffisamment homogène pour que l’on considère cet espace comme un tout, mais les particularités locales, notamment les ressources accessibles et les positions au sein de circuits d’échanges, créent des disparités qu’il est aujourd’hui nécessaire d’éclairer (Milcent 2003 ; Dubreucq 2013).
“L’Économie du fer”, ici employée avec un “E” majuscule en raison du caractère holistique de l’approche, est particulière en cela qu’elle peut être très morcelée dans l’espace et dans le temps et que ce métal devient vite incontournable dans toutes les sphères de la société (Bauvais 2007 ; Bauvais & Fluzin 2013). Cette combinaison crée des réseaux d’échanges intenses et complexes dans lesquels même des secteurs dépourvus de minerais peuvent devenir transformateurs de fer dit “brut” (masse de métal directement issue de la réduction du minerai en bas fourneau) et/ou producteurs et diffuseurs d’objets manufacturés.
Traditionnellement, la pensée théorique sur les sociétés anciennes considère le fer comme l’un des matériaux les plus dynamisants dans la mise en place des transformations sociétales (Childe 1936 ; Childe 1950 ; Collis 1984). L’augmentation de la consommation du fer et de sa diffusion au sein de la société sont censées promouvoir ou faire émerger un grand nombre d’activités, sur le plan sociétal et culturel, militaire, et dans les activités quotidiennes (artisanat et agriculture principalement) (Bauvais 2007). À la fin du Premier âge du Fer (Hallstatt D / La Tène A1), au nord des Alpes, émergent justement des sociétés fortement hiérarchisées et centralisées (le Complexe “Hallstattien” ou “Nord-Alpin”) en concomitance avec l’apparition et l’augmentation, toute relative nous le verrons, de la production et de la consommation du fer.
Nous interrogerons ici les relations existant entre le développement de la métallurgie du fer en Europe nord-occidentale et l’émergence de ces sociétés fortement hiérarchisées en abordant les relations entre les différents acteurs de cette économie et les réseaux d’échanges qu’elles sous-tendent. Nous tenterons de mettre en avant les particularités régionales tout en mettant l’accent sur la chronologie.
Les données contextuelles nécessaires à la compréhension de “l’Économie du fer” de cette période seront dans un premier temps abordées en y intégrant les dernières données archéométriques de provenance issues du projet ANR-DFG CIPIA (Bauvais et al. 2011 ; Dillmann et al. 2017). Sera ensuite présentée une synthèse régionale des données paléométallurgiques sur quatre fenêtres choisies et définies en raison de leur cohérence géographique (bassin-versant ou plaine alluviale) et de leur place au sein de réseaux d’échanges supposés : le bassin-versant de la Moselle, le sud de la plaine du Rhin supérieur, le bassin-versant de la Saône de Dijon à Mâcon et le bassin amont de la Seine, du Châtillonnais au Pays d’Othe/Puisaye.
Contexte socioéconomique
Depuis la définition des “résidences princières” (Fürstensitze) du Hallstatt par W. Kimmig en 1969 (Kimmig 1969), beaucoup de critiques ont été émises (Gosden 1985 ; Eggert 1989 ; 1997 ; Olivier 1997 ; Milcent 2003), la jugeant soit trop “universaliste” (manque de prise en compte des particularités régionales), soit trop “optimiste” (refus de l’influence du commerce à longue distance et de l’existence des résidences princières comme centres de pouvoir régionaux). D’autres chercheurs, influencés par la New-Archaeology ont développé l’approche de Kimmig (Frankenstein & Rowlands 1978 ; Harke 1979 ; Wells 1980 ; Brun 1987 ; 1997 ; Cunliffe 1988).
Les acquis récents de la recherche n’ont, depuis, fait qu’étoffer cette définition sans venir complètement la remettre en question ; les paramètres semblent varier selon les contextes et une plus grande variété de sites semble exister entre l’unité agricole et la “résidence princière” (Brun & Chaume 2013). Ainsi les “résidences princières” doivent être appréhendées comme un concept souple ; ce qui est uniforme à une échelle globale (forte hiérarchisation sociale, centralisation du pouvoir politique, symbolique et économique, relations privilégiées avec le monde méditerranéen) peut avoir des paramètres de mise en place différents à une focale plus réduite (structuration et réseau des sites d’habitat, exploitation des ressources locales, relations économique à moyenne et longue distance,…) et une temporalité différente.
Développement des élites et des résidences princières
Les mécanismes à l’œuvre au cours de cette période prennent leur origine au VIIIe siècle, dans un contexte de chefferie simple (Brun 1999). Des potentats locaux y sont enterrés dans des tumulus riches, avec épées (de type hallstattien) et chars à 4 roues, pratiques centrées en Bavière, Souabe et Bohême et partagées avec de nombreuses régions méditerranéennes (Verger & Buchsenschutz 2015). Cette première phase de hiérarchisation de la société n’est principalement perceptible qu’au travers des pratiques funéraires. L’espace habité reste caractérisé par une multitude d’établissements ruraux, dont certains s’enclosent dès cette période, et par de rares habitats de hauteurs à l’est du Rhin (Heuneburg, Breisach…).
Les mutations sociales qui suivent permettent de diviser en 3 étapes la période allant du début du Hallstatt D à la première phase de La Tène A. Ces étapes nous serviront par la suite au développement de notre discours sur l’organisation de la métallurgie du fer.
Étape 1 – Le Hallstatt D1 (625-550 a.C.)
C’est à partir du Hallstatt D (625 a.C.) que débute à proprement parler le “phénomène princier hallstattien”. À l’est du Rhin, il semble s’opérer une “concentration du pouvoir”. La petite aristocratie, constituée de seigneurs locaux au Hallstatt C, semble faire place à des seigneurs plus puissants se faisant enterrer dans des tertres funéraires “géants” vraisemblablement lignagers (Magdalensberg & Spindler 1980). Les tombes les plus riches se composent, comme au Hallstatt C, d’un char à quatre roues mais l’épée est ici remplacée par un poignard à antennes (Sievers 1982), et de la vaisselle métallique vient compléter le nouveau standard funéraire. Ces tertres sont principalement situés le long des routes commerciales et notamment le long des vallées telles que le Rhin, le Neckar et le Danube.
Cette phase voit également l’habitat de la Heuneburg, “résidence princière” par définition, être réaménagé et plus densément occupé (période IV). Le site vit à cette époque son apogée et se voit entouré de la plus importante concentration de tertres funéraires dont celui de Hohmichele.
C’est également à cette période que se développent les établissements ruraux enclos et monumentaux de Bavière (Nagler & Zanier 1999 ; Kas 2006) et de Champagne (Desbrosse & Riquier 2012). Les habitats de hauteurs sont aussi occupés de façon plus intensive et dès lors plus uniquement dans le sud-ouest de l’Allemagne comme à Breisach (Balzer 2003) mais également dans l’est de la France, à Illfurth (Adam 2012 ; Roth & Zehner 2012), Koestlach-Moernach (Landolt & Fleischer 2014), Bourguignon-lès-Morey (Piningre & Ganard 1992 ; 2000 ; Dubreucq 2013) ou Chassey (Thevenot 1997).
Étape 2 – Le Hallstatt D2-D3 (550-475 a.C.)
À la toute fin du Hallstatt, le nouveau standard aristocratique mis en place au cours de la phase précédente se diffuse à l’ensemble de l’Allemagne du sud, à l’est de la France (jusqu’au Poitou dans son extension la plus occidentale) et à la haute Autriche.
L’occupation des sites de hauteur s’intensifie et le modèle de “résidence princière” semble être adopté par l’ensemble du complexe hallstattien. L’importance et le rôle régional de ces sites restent débattus, essentiellement en raison du manque d’informations sur les “candidats” à ce statut. Certains de ces derniers ne remplissent pas l’ensemble des critères définis par Kimmig, et certains sites de plaine, non fortifiés et à vocation plus agricole ou artisanale, renferment également des céramiques d’importation méditerranéenne (vers la fin de cette période surtout attiques ou massaliotes mais pas seulement – cf. Sacchetti 2016 ; 2021). Il apparait que, dès cette période, plusieurs niveaux d’intégration existaient entre la simple ferme ouverte et la “résidence princière” (Brun & Chaume 2013).
Étape 3 – La Tène A1 (475-425 a.C.)
Cette période voit le développement d’agglomérations à caractère artisanal et commercial, issues des “résidences princières” ou des autres sites intermédiaires, fortifiés ou non, évoqués à la période précédente. La majorité des sites de hauteurs, y compris les “résidences princières”, perdent de leur activité et de leur richesse (diminution et arrêt des importations méditerranéennes), jusqu’à un abandon progressif. Cet abandon, plus qu’un déclin, illustre un profond remaniement de l’occupation et de la gestion de l’espace au profit d’occupations ouvertes se développant au pied des sites fortifiés (Milcent 2003). C’est le cas à Bourges, et des recherches systématiques devront être entreprises sur l’ensemble des sites de hauteurs afin de conforter cette hypothèse. En parallèle, des sites de plaines se développent et semblent se caractériser par de véritables quartiers artisanaux, au même titre que ceux qui se mettent en place au pied des “résidences princières”. C’est le cas du site de Sévaz “Tudinges” (Mauvilly et al. 2007) à l’ouest de Posieux “Châtillon-sur-Glane” en Suisse et pour Bragny-sur-Saône “Sous Moussière” (Flouest 1995) qui se développe à l’est de la possible “résidence princière” de Chassey “Le Camp”. L’Habitat d’Eberdingen-Hochdorf est également un exemple particulièrement marquant de ce phénomène à l’est du Rhin (Biel 1997). Enfin, plus au sud, l’agglomération de Lyon, toujours délicate à qualifier, semble revêtir une importance économique (productrice et commerciale) majeure sur l’axe Rhodanien (Carrara 2009).
Complexe Nord-Alpin et espaces périphériques
Les relations économiques entretenues entre les espaces nord-occidentaux au-delà du complexe Hallstattien, le complexe Hallstattien lui-même et le monde méditerranéen sont la clef de compréhension des phénomènes de complexification sociale à l’œuvre au Hallstatt D et à La Tène A1.
Quel que soit le modèle théorique d’explication de l’émergence, de l’enrichissement et de l’accroissement du pouvoir de ces élites, les échanges de marchandises spécifiques sont délicats à appréhender (Brun 1987 ; 1997 ; Milcent 2003 ; Verger & Buchsenschutz 2015 ; Tremblay Cormier 2016). Néanmoins, il est certain que la présence de céramique d’importation méditerranéenne, tout comme celle d’autre mobilier métallique allochtone et prestigieux, ne sont qu’un symptôme secondaire de ce commerce. Ils représentent des contacts essentiellement individuels de cours, des cadeaux diplomatiques matérialisant des alliances dont les tenants nous restent étrangers. Les produits réellement échangés doivent être recherchés ailleurs (Sacchetti & Isoardi 2017 ; Sacchetti 2020).
À ce propos, le fer (et la maîtrise de son économie) est souvent considéré comme l’un des principaux moteurs des processus de cet enrichissement et de cette hiérarchisation sociale (Olivier 1986 ; 1997 ; Brun 1987 ; Olivier et al. 2002 ; Milcent 2007a ; Verger & Buchsenschutz 2015) conduisant à une structuration globale du paysage (Gassmann et al. 2006 ; Wieland 2009) et aux changements géopolitiques et économiques des sociétés post âge du Bronze (Brun 1997 ; Krausse & Steffen 2008). Les élites auraient tiré leurs richesses du contrôle de la production et de la commercialisation des produits en fer (matière première et produits manufacturés).
Aujourd’hui, il apparaît plus vraisemblable que la situation était beaucoup plus contrastée selon les secteurs, avec des ressources locales bien plus diversifiées comme les produits agricoles, le sel ou les esclaves. D’autres ressources pouvaient également venir de régions plus septentrionales ou occidentales, comme l’ambre de la Baltique, le cuivre et l’étain armoricains ou des Iles Britanniques, l’or du Massif-Central ou de Bretagne. Le fer pouvait, bien sûr, également faire partie de ces marchandises importées.
La consommation du fer
Au cours de la période allant du Hallstatt D1 et La Tène A1, le fer se caractérise par un très faible degré d’intégration dans la société. Il est principalement consommé par les élites comme biens et équipements illustrant leur statut élevé (Bauvais 2008).
Les travaux d’Émilie Dubreucq ont pu montrer une évolution de cette consommation du Hallstatt D1 à La Tène A1 au sein des sites hiérarchiquement les plus élevés (Dubreucq 2013). À ce sujet, une certaine confusion est introduite entre mobilier de “haut statut” (armement, transport, vaisselle métallique) et mobilier de la “vie quotidienne” (parure, vêtement, toilette, ustensiles culinaires). Lorsque l’on parle de la vie quotidienne des élites, il serait plus juste de les replacer dans le comptage du mobilier de haut statut. Pour exemple, dans la région de Nancy, seuls cinq sur les vingt-trois sites ruraux connus pour la période Hallstatt C-D / La Tène A-B, ont fourni des objets en fer et seulement trois des restes métallurgiques (Leroy & Cabboi, éd. 2019). Il n’est ainsi pas possible de parler de mobilier de la vie quotidienne lorsqu’il s’agit d’éléments illustrant la vie privilégiée des élites.
Reste ensuite le cas des éléments liés aux pratiques artisanales pour lesquels une évolution est ici remarquable. Au cours de la période allant du Hallstatt D1 à La Tène A1, c’est la proportion entre mobilier illustrant le statut élevé des élites et mobilier lié à l’artisanat qui évolue, montrant dans ce cas une véritable évolution dans les pratiques de consommation du fer, mais plus douce et graduelle que la vision initialement proposée (Dubreucq 2013, 295-297).
Si l’on regarde également le type de contexte d’où nous sont parvenus les différents objets en fer produits et consommés à ces périodes, une évolution est également visible. Au Hallstatt D1 (étape 1) les objets en fer proviennent à plus de 95 % du domaine funéraire (Tremblay & Cormier 2016). Cette proportion passe à 82 % de funéraire et 15 % d’habitat à la phase 2 et la tendance se confirme à La Tène A1.
Pour donner un ordre d’idée des quantités de métal retrouvées dans les différents contextes, au sein des 13 principaux habitats de la période en France et dans le sud de l’Allemagne, seulement 20 kg de fer ont été retrouvés (Dubreucq 2013). Pour les contextes funéraires, les bandages de roue représentent à eux seuls près d’une tonne de métal. Enfin, les dépôts de demi-produits bipyramidés représentent une masse de plus de 2 tonnes.
Organisation des productions sidérurgiques
Ces dernières années, les fouilles archéologiques, principalement préventives, ont fourni à la recherche un très abondant matériel de réflexion sur l’organisation de la métallurgie du fer. Au-delà de la valeur statistique, ces nouvelles données ont permis une plus grande précision des questionnements en termes spatiaux et chronologiques.
La production du fer brut
Les vingt dernières années ont vu un accroissement considérable de nos connaissances concernant les activités de réduction. Les fouilles préventives et notamment l’aménagement de grands tracés linéaires ont permis la mise au jour et l’étude détaillée de concentrations d’ensembles de productions inédits (A5 – Dunikowski & Cabboi 1995 ; A77 – Rébiscoul 2003 ; A28 – Cabboi et al. 2007 ; LGV17 – Langlois 2015).
Parallèlement, des programmes de recherches thématiques (Beck et al. 2008 ; Dumasy et al. 2010 ; Leroy & Cabboi, éd. 2014 ; Leroy & Cabboi, éd. 2019 ; Programme SIDEROM en Champagne1 ; PCR sidérurgie en Bourgogne-Franche-Comté2 ; Programme financé par la fondation Volkswagen depuis 1995 et la DFG en 2004 en Foret-Noire) et des thèses ont étudié et étudient l’organisation et la nature des activités de réduction à l’échelle d’espaces régionaux cohérents (Zaour à paraître ; Sarreste 2011 ; Disser 2014 ; Saint-Didier 2017).
La preuve la plus directe d’une potentielle production locale passe par l’identification de la présence d’indices matériels de réduction (fourneaux et/ou scories de réduction). Plusieurs milliers de sites de réduction, sont ainsi actuellement identifiés à partir des amas de déchets qu’ils ont produits. Parmi ces derniers, les sites datés des âges du Fer sont encore certainement sous-évalués en raison de leur discrétion. En effet, ils n’ont généralement pas conduit à la constitution de volumes de déchets importants. La méthode radiocarbone, particulièrement adaptée aux contextes sidérurgiques, riches en charbon de bois, mais livrant rarement du matériel datant, mériterait d’être utilisée plus systématiquement, notamment en prospections, afin de mieux établir la chronologie des sites de réduction.
Les premières traces de réduction du minerai de fer en Europe celtique proviennent du nord-ouest de l’Europe et datent de la fin de la période du Hallstatt (VIe siècle a.C.) pour les sites datés par datation relative. En revanche, la majorité des sites de production primaire du fer de cette période sont coupés des habitats et seules des dates 14C permettent de les dater.
Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, le Hallstatt et le début de La Tène ancienne regroupent le plus grand nombre d’indices de réduction du minerai de fer (fourneaux et scorie de réduction) de tout l’âge du Fer dans le nord de la France et l’est de l’Allemagne alors que la quantité de fer en circulation est beaucoup plus réduite que pour le reste de la période. Cela représente 59 sites dont 35 sont datés par 14C (Fig. 1).
Ce constat peut s’expliquer par le fait que les datations 14C ne sont pas précises en raison du plateau formé par la courbe de calibration entre le VIIIe s. et le Ve s. a.C. qui oblige à envisager la période dans son ensemble sans subdivisions possibles.
De plus, deux types de bas fourneaux sont utilisés à cette période ; les bas fourneaux à scories piégées et utilisation unique (nommés slag-pit furnace – 23 sites) et les bas fourneaux à scories piégées et utilisation multiple (7 sites) (Berranger et al. 2017b ; Dieudonné-Glad 2017 ; Berranger &
Bauvais 2020). Enfin, 5 sites comportent les restes d’activité de réduction dans des bas fourneaux à scorie piégée mais qui ne peuvent être interprétés avec certitude comme étant à utilisation multiple ou unique. Toujours est-il que les deux types se composent d’une simple fosse surmontée d’une cheminée. À l’état liquide, la scorie se sépare du métal au cours de la réduction par gravité et vient combler la fosse tandis que le métal (à l’état pâteux) s’accumule au point le plus chaud, sous l’arrivée de la tuyère. Le métal ainsi produit a tendance à être fortement chargé en scorie et la taille de la masse métallique est réduite par l’espace pris par la scorie. Pour les bas fourneaux à utilisation unique, la masse métallique est récupérée après destruction ou déplacement de la cheminée. Pour réaliser la réduction suivante, il est nécessaire de creuser une nouvelle fosse. Pour les bas fourneaux à utilisation multiple, la différence réside dans la présence d’une fosse d’accès, permettant d’extraire le métal et la scorie sans avoir à démanteler la cheminée. Ainsi, plusieurs réductions peuvent avoir lieu au même endroit. Dans une approche historique des techniques, les bas fourneaux à scories piégées et utilisation multiple semblent être plus “efficaces” que ceux à utilisation unique, mais le manque de précision des datations ne permet pas de mettre en évidence une succession chronologique stricte, d’autant que pour
l’Allemagne on ne connaît pas de bas fourneaux à scories piégées et utilisation unique de type slag-pit furnace pour les périodes anciennes, mais des fourneaux en coupole, à utilisation multiple (Gassmann & Wieland 2007). Il s’agit dans tous les cas de bas fourneaux de taille réduite (25 à 50 cm de diamètre) dont la production n’a aucune comparaison avec celle des fours d’époque plus récente. De plus, pour en revenir à l’impression de forte production de cette période, la nécessité de réaliser un déplacement systématique des bas fourneaux à utilisation unique crée un impact dans le paysage bien plus grand et impressionnant (chapelet de fosses de réduction) qu’un four utilisé plusieurs dizaines de fois (Fig. 2).
Enfin, il apparaît qu’à ces périodes, un grand nombre de régions sont productrices, comme si l’échelle réduite de la production permettait l’exploitation de zones de minerai très mineures. De plus, étant donné que la plupart des bas fourneaux ne sont pas réutilisables, les lieux d’activité métallurgique sont moins pérennes et peuvent ainsi être multipliés tout en renfermant moins d’activités mais aussi des activités d’intensités plus faibles.
Ainsi, l’apparente abondance des sites de réduction n’est pas synonyme de production plus importante. Au contraire, la combinaison entre une technique à la fois moins performante, laissant davantage de traces et aussi plus mobile, fausse l’interprétation que l’on peut en avoir sans une étude plus précise du contexte.
Toutefois, l’ensemble de la production de l’espace pris en compte ne peut pas être considérée comme un bloc unique. Elle semble ponctuelle dans un grand nombre de cas, notamment dans les habitats livrant des rejets isolés, dans l’Aisne à Tergnier ou à Travecy par exemple, ou sur les sites livrant de très faibles concentrations de déchets de réduction, vers Besançon (travaux H. Laurent3) ou encore dans les ateliers identifiés à partir de bas fourneaux isolés comme autour d’Évreux. En Allemagne, Le Rothal, entre les rivières Iller et Günz dans l’est de la Souabe-Bavaroise, a également livré des scories de réduction en faible quantité datées de ces périodes (Wischenbarth et al. 2001), tout comme, plus au nord, en Rhénanie, à Düsseldorf-Rath et possiblement dans le Siegerland (Stöllner et al. 2014) et dans la vallée de la Lahn (Gassmann & Schäfer 2014). D’autres sites témoignent cependant d’une activité de plus grande intensité. La cartographie de ces derniers, sélectionnés par la présence de plus de 2 bas fourneaux ou par leur identification à partir d’amas de déchets sidérurgiques, met en évidence des zones de production beaucoup plus resserrées géographiquement (Fig. 1 – points verts). Des concentrations d’ateliers permettent de distinguer des ensembles productifs majeurs. La région au nord du Mans constitue un ensemble sidérurgique majeur pour cette période. Les ateliers de Meunet-Planches “Les îles” (Indre) traduisent également l’existence d’une production d’ampleur, avec au moins treize secteurs d’ateliers livrant plusieurs bas fourneaux (Dieudonné-Glad 2017, 367). Situés dans une région concentrant un grand nombre d’amas non datés (Dieudonné & Glad 1991), il est possible qu’ils s’intègrent à un ensemble sidérurgique bien plus important, encore non identifié étant donné la discrétion de ces sites anciens.
Une autre zone de concentration d’importance correspond à la Puisaye-Pays d’Othe. Un atelier a été fouillé aux Clérimois “Les Fouetteries” (Dunikowski & Cabboi 1995), et des travaux en cours4 permettent d’attribuer des séries d’amas de déchets aux âges du Fer et dont les plus anciens sont datés du Hallstatt D – La Tène A. Enfin, le Neuenbürg, représente un quatrième espace de production majeur pour la période, de l’autre côté du Rhin.
Force est de constater que la majorité des principaux espaces de production sidérurgique sont localisés en dehors du complexe Nord-Alpin occidental.
En France, par exemple, la grande majorité des sites les plus anciens ne sont pas situés dans le centre-est du territoire, mais plus à l’ouest, en Bourgogne du Nord, en Sarthe et en Bretagne (Cabboi et al. 2007 ; Vivet 2007 ; Leroy & Cabboï 2019). Seuls deux sites en Lorraine, celui de Gondreville “ZAC de la Roseraie” et de Velaine-en-Haye «ZAC Herbue-Chalin» sont datés de la fin de l’époque Hallstatt (Ha D3) jusqu’au début de La Tène A (LTA1) (Deffressigne et al. 2002 ; Leroy & Cabboï 2019). Deux autres sites situés au sud de Bourges sont datés de ces périodes précoces, contemporains de l’habitat de hauteur et de l’agglomération à vocation artisanale (Dieudonné-Glad 2017). En Allemagne, la situation semble être inversée avec une majorité des sites de réduction de fer situés à l’intérieur de la zone Hallstattienne, au nord de la Forêt-Noire près de Neuenbürg (Gassmann & Wieland 2007).
La diffusion du fer brut et des demi-produits
Lien direct entre la production du fer brut et son utilisation en forge d’élaboration, le demi-produit, en tant que masse métallique destinée à être échangée/diffusée et potentiellement stockée, est l’un des principaux éléments permettant de documenter des réseaux d’échanges en vigueur (Fluzin et al. 2011 ; 2012). Il informe sur d’éventuelles normes métrologiques et morphologiques mais aussi sur la nature du métal en termes d’alliages fer/carbone et phosphore (dureté et élasticité du matériau) et de degrés de compaction (propreté inclusionnaire – Bauvais & Fluzin 2006).
Morphologie du fer en circulation
Parmi les indices de la circulation du métal à cette période, ce sont les demi-produits bipyramidés qui représentent la masse documentaire la plus importante. Toutefois, une reprise bibliographique pointue ainsi que de nouvelles analyses archéométriques ont été nécessaires afin de le démontrer.
Sur ce point, les travaux de Marion Berranger ont permis d’apporter une vision très complète de la répartition des demi-produits bipyramidés en France mais aussi dans le reste de l’Europe (Berranger & Fluzin 2012 ; Berranger 2014). Près de 500 d’entre eux sont connus aujourd’hui, provenant d’une soixantaine de sites et représentant une masse de plus de 2 tonnes. Deux zones de concentration sont visibles, l’une en Bretagne (France), l’autre en Europe centre-occidentale, cette dernière se superposant très exactement à l’espace du complexe Nord-Alpin. La carte de répartition des sépultures à char du Hallstatt D recouvre de façon surprenante celle des demi-produits bipyramidés (Fig. 3). Toutefois, étant donné que la majorité d’entre eux ont été trouvés dans des dépôts sans contexte, beaucoup de chercheurs les considèrent comme appartenant soit à La Tène finale, soit à la période romaine, essentiellement en fonction d’un contexte archéologique proche mais différencié.
Néanmoins, dans le cas des contextes archéologiques véritablement datant et en excluant les fragments d’extrémités de demi-produits dont l’interprétation reste trop hasardeuse, la plupart des demi-produits sont datés d’une période allant du Hallstatt D au tout début de La Tène A (VIe au Ve s. a.C.) (Kurz 1995 ; Berranger 2014 ; Senn et al. 2014). Sur les quelques 60 sites de découverte, seulement 23 peuvent être directement datés par leur contexte archéologique. Parmi eux, 11 sont datés du Hallstatt D ou de La Tène A1 et seuls 7 ont été trouvés dans des contextes de La Tène moyenne ou finale (Manching, Gründberg, Farébersviller) (Jacobi 1974 ; Schäfer 2002 ; Urban 2006 ; Mölders 2010) et 5 dans des contextes romains (Kaiseraugst-Schmidmatt, Augst – Suisse, Martinsberg, Magdalensberg – Allemagne, Nanteuil-sur-Aisne – France) (Gaitzsch 1978 ; Müller 1985 ; Pleiner 2000 ; Bauvais 2007). Pour les contextes romains, la morphologie des demi-produits est suffisamment différente pour être clairement distinguée par leur taille et leur forme (miniatures) et seuls ceux de
Kaiseraugst-Schmidmatt sont de taille équivalente. Deux des découvertes de Manching et celles de Gründberg sont, quant à elles, décrites comme des demis bipyramidés ou des demi-produits bipyramidés découpés et ne sont pas directement attribuables à ce type de demi-produits (Schäfer 2002 ; Urban 2006 ; Berranger 2014). Le dernier de Manching nécessite quant à lui d’être étudié plus précisément.
Il était alors nécessaire de clarifier la chronologie de ces dépôts. Ainsi, une campagne de datation par 14C de fragments de charbon (Berranger 2014) ou de carbone contenu dans l’acier de ces objets a été entreprise (Leroy et al. 2015 ; Berranger et al. 2017a ; 2019 ; Dillmann et al. 2017 ; Bauvais et al. 2018a). Quinze demi-produits bipyramidés ont été datés et les résultats sont tous compatibles avec le “plateau du Hallstatt” (VIIIe – Ve s. a.C.). (Fig. 3). Quatre datations nécessitent en revanche davantage d’explications. Les demi-produits de Colmar, DUR40 et DUR3 (dépôt de Durrenentzen) livrent des dates très anciennes, autour du VIIIe s. a.C.. Seule une des deux datations réalisées sur chacun des objets est très ancienne. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées. On peut y voir un effet vieux bois, ou bien une date de production se situant de part et d’autre d’un plateau situé autour de -800 CalBC. La quatrième datation qui doit être expliquée est celle de Farebersviller (Far1). Ce demi-produit provient du comblement d’un silo daté par le mobilier céramique de La Tène moyenne (B2-C2) (Leroy 2004). En revanche, les datations 14C permettent de le rattacher au Premier âge du Fer. Ainsi, cet objet a soit été conservé pendant une longue période entre sa fabrication et son abandon, soit son dépôt a été redécouvert postérieurement et le métal a été réutilisé à une période plus tardive. Cette situation peut expliquer la découverte de ce type de demi-produit de façon sporadique au cours de périodes plus tardives. La transformation de masses de métal anciennes, ultérieurement mises en forme en demi-produits ainsi que la remobilisation de certains demi-produits de fer dans des contextes plus tardifs est également envisagée à partir de l’étude des demi-produits de type “currency-bar” en circulation durant cette même période (Berranger et al. 2019).
En effet, à partir des Ve – IVe s. a.C., la matière première circule également sous la forme de fers plats à extrémité roulée également dénommés “currency-bars”. L’application de la même méthode de datation par 14C du carbone contenu dans l’acier de ces objets a en effet récemment mis en évidence (Berranger et al. 2019) leur attribution à une période plus ancienne que présumée jusqu’à présent, sur la base des seuls contextes archéologiques. Ils constituent une matière première davantage épurée que les demi-produits bipyramidés (Berranger 2014) et leur aire de répartition couvre également le domaine nord-alpin hallstattien, bien que l’on trouve très rarement associés les deux types. Alors que l’usage des bipyramidés semble cantonné au Premier âge du Fer, les différentes variantes de fers plats à extrémité roulée connaissent une longue période d’utilisation couvrant l’ensemble du Second âge du Fer (Berranger 2014 ; Berranger et al. 2019).
D’autres matières premières semblent circuler sous la forme de masses brutes si l’on en juge par la présence de deux masses de 12,770 et 4,330 kg sur le site de Bourges “Saint-Martin-des-Champs” (Leroy & Merluzzo 2007), d’une autre de 2 kg à Bragny-sur-Saône “Sous Moussières” (étude Leroy & Merluzzo, inédite) et deux autres plus réduites à La Heuneburg (Sievers 1984). Sur de nombreux autres sites de la période, des indices indirects de l’approvisionnement en matière première brute sont connus. Il s’agit d’indices de compactage distants d’activités de réduction attestés à Lyon “Rue des Tuilleries” (Filippini 2015), Bragny-sur-Saône “Sous Moussières” (Orengo 2003), Eberdingen “Hochdorf” (Modarressi & Tehrani 2009), Neuenberg “Schlossberg”, Weyersheim “Les Hauts de la Zorn” (Michler et al. 2018) et Sévaz “Tudinges” (Mauvilly et al. 2007).
Le cas du dépôt de Durrenentzen
Le lot de cinquante et un demi-produits bipyramidés mis au jour à Durrenentzen (Alsace – Fig. 3) représente une masse métallique considérable avec un poids total de 308 kg de fer. Étudié et publié en 2017 et 2018 (Berranger et al. 2017a ; Bauvais et al. 2018a), ce dépôt présente une grande homogénéité morphologique et métrologique, qui a conduit à deux interrogations principales. Cette homogénéité se retrouve-t-elle d’un point de vue interne (propriétés microscopiques et chimiques) ? Quelles informations les propriétés des demi-produits permettent-elles d’obtenir sur la circulation du métal ?
L’analyse métallographique a mis en évidence des différences significatives entre les quatre demi-produits étudiés à l’échelle interne, bien que la qualité d’épuration et la nature de l’alliage soient homogènes au sein d’un même demi-produit. Ces disparités concernent d’une part la qualité d’épuration qui s’avère fortement variable d’un objet à l’autre ; d’autre part, elles concernent les techniques de fabrication, avec deux exemplaires résultant de l’assemblage de masses de métal différentes et deux autres obtenus par déformation sur elle-même d’une seule masse métallique ; et enfin, elles concernent la composition chimique du métal, avec trois familles d’alliages distincts caractérisés. Deux demi-produits sont ainsi constitués de fer phosphoreux, un autre est majoritairement ferritique et un dernier est majoritairement aciéré. On notera que ces différences de structures confèrent un comportement mécanique et des qualités de ductilité et de résistance propres à chacun des demi-produits. Cette hétérogénéité entre les demi-produits se retrouve également dans les signatures chimiques. L’analyse chimique inclusionnaire réalisée sur six masses de métal distinctes (deux demi-produits constitués d’une seule masse et deux composés de 2 masses) révèle l’existence de cinq signatures chimiques différenciées.
La présence d’un assemblage de masses de métal d’origines distinctes au sein d’un unique demi-produit met en évidence la circulation de la matière première sous une forme brute, non, voire peu épurée, directement depuis les ateliers de réduction. La diversité des signatures chimiques constatée au sein du lot étudié indiquerait que les artisans acquéraient leur matière première brute auprès de réseaux d’échanges variés. La mise en forme finale de ces produits aurait alors pu être effectuée au sein d’un atelier ou d’un ensemble d’ateliers de forgeage. C’est ce que permettrait d’en déduire l’homogénéité morphologique globale du lot conjointement à l’existence de variations de détail.
La formation de certains demi-produits à partir de plusieurs masses de métal différenciées permet également d’envisager l’acquisition de portions de métal de volume variable, transformées ultérieurement de façon à se conformer à un standard métrologique. C’est également ce que pourraient indiquer les cassures des extrémités observées sur certains demi-produits.
Les activités de forge
Contrairement aux activités de réduction, les activités de forge revêtent des formes très variables, tant du point de vue de leur localisation que du type de production, du mode d’organisation de la production ou de l’intensité de cette production. L’ensemble de ces paramètres nécessite d’entrer davantage dans les détails des données archéologiques.
Au sein de l’espace abordé et au cours de la période envisagée, pas moins de 57 sites dans lesquels des activités de forge ont eu lieu peuvent être recensés. Bien sûr, ils ne renferment pas le même type d’activité (Fig. 4).
Localisation des activités
Si l’on regarde à présent la répartition des sites de forge au sein du nord de la France, force est de constater que la situation est inversée par rapport aux sites de réduction. Les traces d’élaboration d’objet sont principalement localisées au sein du complexe Nord-Alpin occidental.
Pour le Hallstatt D et La Tène A1, les activités de forge se localisent au sein des sites possédant une architecture monumentale tels que les habitats de hauteur fortifiés, les résidences princières, mais aussi les autres sites recelant des importations méditerranéennes, montrant leur place privilégiée dans un réseau d’échange et de relation politico-commercial régional, voire continental. C’est également le cas des agglomérations qui se développent aux pieds des pôles princiers (Bourges par exemple – Filippini 2015) et parfois en fond de vallée, le long d’axes de communication et de commerce importants (Bragny-sur-Saône – Flouest 1995 ; Modarressi & Tehrani 2009 ou Talant & Labeaune 2014 ; Labeaune et al. 2017). Enfin, les activités de forge se localisent également dans de riches installations agricoles livrant de larges espaces de stockage de denrées céréalières (concentration de silos).
Les savoir-faire
En termes de savoir-faire, dès le Hallstatt D il est possible de mettre en évidence qu’une grande majorité des techniques de forge sont connues et employées. Le travail d’épuration des masses brutes de taille importante est couramment pratiqué, en attestent les dépôts de demi-produits bipyramidés (Berranger et al. 2017b ; 2019). Sur le site de Weyersheim “Les Hauts de la Zorn” dans le Bas-Rhin (Michler et al. 2018) au Hallstatt D3 – La Tène A par exemple, le travail des aciers est couramment pratiqué, ainsi que les soudures complexes et le corroyage du métal. La trempe des lames et des outils est également proposée dès La Tène A à Bourges, comme la cémentation (Filippini 2015). Ce constat de grande maîtrise précoce des procédés de forge est en soit très intéressant, d’autant que pour la fin du premier et le début du Second âge du Fer, seuls des objets de grande qualité sont en circulation. Cela semble indiquer qu’aux premiers temps du développement de la métallurgie du fer dans le nord de la France, seuls des artisans spécialisés et très compétents se partagent les productions. Ainsi, ce n’est que lorsque les pratiques de forge se diffusent dans la société que l’on voit apparaître des productions de moindre qualité, réalisées par des individus qui maîtrisent une gamme de savoir-faire plus limitée.
L’évolution des savoir-faire passe également par le perfectionnement fonctionnel des objets, par la complexité des chaînes-opératoires et des enchaînements de processus techniques. Cette évolution des savoir-faire est alors particulièrement visible dans la typologie des objets produits au cours de l’âge du Fer. Les premiers objets en circulation en France aux Xe-IXe s. av. notre ère ne résultent pas d’une technicité très développée. Il s’agit d’épaisses tôles martelées (pointes de flèches de type Le Bourget), de petits rivets intégrés à des objets en alliage cuivreux ou des décors incrustés (épée de Vierzon)
(Gomez de Soto & Kerouanton 2009 ; Cordier et Bourhis 1996). Pour cette période, les éléments en fer semblent produits par les artisans bronziers, avec des techniques issues de la métallurgie des alliages cuivreux. Par la suite, la qualité et la complexité des objets en fer augmentent, notamment celles des épées à partir du Hallstatt B3 et durant le Hallstatt C ancien. Au Hallstatt C, une plus large panoplie d’objets en fer apparaît dans les tombes avec essentiellement l’épée à lame pistiliforme en fer et le char équipé d’éléments en fer tels que les bandages de roue, les appliques décoratives et les clavettes mais aussi des couteaux et des rasoirs. Au Hallstatt D, la complexité des assemblages et de la mise en forme de certains objets est remarquable, comme les épées à antennes en fer et les épées dites “à rognons” (Paysan 2005). Toutefois, il s’agit de techniques d’assemblage de pièces, directement issues des traditions techniques de la métallurgie des alliages cuivreux. Le perfectionnement des savoir-faire et des techniques d’élaboration en lien avec les modifications fonctionnelles des objets est très bien illustré par l’évolution des bandages de roue. Les premiers, au Hallstatt C, se composent d’une tôle de fer épaisse sur laquelle sont fixés de très gros clous placés en continu sur la surface du bandage, de sorte que le char circulait sur la tête des clous comme pour ceux de Marainville-sur-Madon dans les Vosges (Bargain et al. 1993). Entre le Hallstatt C et La Tène A, le nombre et la taille des clous diminuent régulièrement (Verger 1994 ; Pare 1992) jusqu’à aboutir à la technique, connue encore aujourd’hui, de réalisation d’un cerclage par rétractation thermique sans clou à La Tène finale, c’est le cas pour les bandages des tombes de Boé dans le Lot-et-Garonne (Schönfelder 2000) et de Warq dans les Ardennes (Millet et al. 2019). Cette évolution et le perfectionnement des pièces métalliques sont aussi particulièrement visibles dans les successions typologiques des chaînes de suspension des fourreaux d’épée entre le Ve et le IIe s. av. notre ère (Rapin 1996, 1991).
Au cours de La Tène A, la production de tôle fine est également un élément marquant de l’évolution des techniques vers une plus grande diffusion des procédés complexes (Filippini 2015 ; Labeaune et al. 2017). Ces tôles se retrouvent principalement dans les éléments de décoration de chars et dans certains fourreaux de poignards dès le Hallstatt D1 (Sievers 1982 ; Chaume & Rapin 1999 ; Dhennequin 2005).
Même s’il est possible de retracer le perfectionnement de certaines productions fonctionnelles, certains forgerons semblent maîtriser très rapidement, dès le Hallstatt D des techniques particulièrement complexes, pour la réalisation d’objets prestigieux et ostentatoires à destination des élites. Les fantastiques objets polymétalliques des tombes les plus riches du Hallstatt D et de La Tène A, notamment à Lavau dans l’Aube (Dubuis 2018), illustrent le niveau de maîtrise précoce de certains artisans pour des productions destinées aux élites (cf. le couteau et son fourreau en fer, cuir, étain et alliage cuivreux et le couvre-chef d’apparat en fer, corail, argent et or de la tombe de Lavau).
Les échelles de production
Enfin, si l’on aborde ces productions en termes d’intensité, bien sûr, certains ateliers hors-normes existent dès le Hallstatt D – La Tène A, comme sur le site de Bragny-sur-Saône, qui livre plus de 10 tonnes de scories de forge (Flouest, 2007), masse qui resterait exceptionnelle même pour la fin de La Tène. Mais de manière générale, pour ces périodes anciennes, la norme est à la sobriété. Les sites considérés comme spécialisés dans l’artisanat et la transformation du métal, en particulier au cours de La Tène A, n’ont pas livré plus de 96 kg à La Celle-sur-Loire (Orengo et al. 2000), 67 kg à Weyersheim (Michler et al. 2018) et 14 kg à Bourges, tous secteurs confondus (Milcent 2007 ; Filippini 2015). Dans les sites ayant livré moins de déchets mais dans lesquels des activités de forge semblent s’être déroulées à demeure, la masse de scories varie entre 1 et 5 kg (Tab. 1). D’autres ne livrent que quelques grammes de déchets et correspondent à de petites activités momentanées. Bien sûr, ces quantités sont conditionnées par l’ampleur des fouilles réalisées et par l’état de conservation des sites, mais ils apportent toutefois un critère objectif de comparaison entre périodes. Pour le Hallstatt D et de La Tène A, il est également important de noter les faibles quantités de déchets de production retrouvées au sein des candidats au titre de “résidence princière”. En effet, si l’on exclut les bourgades artisanales qui se développent autour des acropoles, les traces d’activité au sein de ces dernières semblent davantage à interpréter comme des activités de forge momentanées, répondant à des commandes destinées aux élites.
Classification des sites de forge
Récemment, deux caractérisations des activités de forge ont été tentées, l’une au Second âge du Fer dans le Nord du Bassin parisien (Bauvais 2007 ; 2008) et l’autre au Premier âge du Fer et au début de La Tène ancienne dans le centre-est et l’est de la France et dans le sud de l’Allemagne (Filippini 2015). Ces deux tentatives essaient de combiner l’interprétation des restes sidérurgiques (quantité des restes, structures de travail, type de phase de la chaîne opératoire présente…) et le statut des sites (autres artisanats, indices de statut hiérarchique…). Elles sont difficilement comparables car les critères retenus pour les deux périodes ne sont pas les mêmes, et surtout, parce que le niveau d’intégration du matériau fer n’est pas le même entre les deux périodes (Bauvais & Fluzin 2006 ; Bauvais 2007 ; Bauvais et al. 2007). Ainsi, pour la période du Hallstatt, les sites agricoles de niveau hiérarchique peu élevé ne renferment pas d’objets en fer et encore moins d’activités sidérurgiques. Par conséquent, l’éventail des types de site est plus resserré que pour la fin de l’âge du Fer. Cet état de fait est très bien illustré dans les travaux d’Anne Filippini avec un ensemble de 22 sites d’habitat pris en compte qui présentent tous, soit des importations céramiques, soit des céramiques tournées indigènes (Filippini 2015, 180-181). Toutefois, dans le classement proposé dans ce travail, les trois sites localisés dans la moitié sud de la France ne semblent pas répondre aux mêmes impératifs économiques ; ils sont certainement trop proches des réseaux méditerranéens (Sainte-Eulalie de Cernon, Tournon-sur-Rhône et Crest).
Ainsi, pour résumer les deux approches et en corrigeant les erreurs quantitatives et d’interprétation (notamment grâce à Modarressi & Tehrani 2009 ; Dubreucq 2013 ; Leroy et al. 2015), il est possible de diviser les sites de forge de cette période en 4 groupes (Tab. 2).
- Les sites d’habitat ouverts, spécialisés dans la métallurgie du fer, parmi lesquels se regroupent les sites les plus abondants en restes sidérurgiques comme Bragny-sur-Saône (Flouest 1995 ; Modarressi & Tehrani 2009) ou Sévaz (Mauvilly et al. 1998 ; Mauvilly, in Duval et al. 2014).
- Les sites d’habitat au sein desquels le fer prend une place importante. Parmi ces sites viennent se classer certains secteurs des agglomérations de Lyon-Vaise et de Bourges “Port-Sec” (Filippini 2015) mais aussi certaines installations agricoles comme Weyersheim.
- Les sites fortifiés et en particulier les candidats au statut de “résidence princière” pour lesquels l’activité d’élaboration d’objet est présente, mais souvent en proportion réduite, parmi un grand nombre d’autres activités artisanales.
- Les sites d’habitat ouverts à vocation essentiellement agricole mais résidence d’une certaine aristocratie.
Les deux premiers groupes sont les lieux d’activités pérennes, d’artisans spécialisés et travaillant au sein de la communauté pour une consommation locale en grande partie en direction des élites et pour un commerce de biens avec d’autres résidences d’élites. Le groupe 4 représente quant à lui très certainement des sites sur lesquels des activités d’élaboration d’objet ont lieu de façon ponctuelle et exceptionnelle, pour des commandes, par des artisans venant d’un autre site ou des artisans itinérants. Enfin, le groupe 3 est plus délicat à interpréter, peut-être parce qu’il recouvre un plus grand nombre de cas de figures. Toujours est-il que la faible quantité de déchets de forge (scorie comme chute métallique) tendrait davantage à les interpréter également comme les lieux d’intervention sporadique pour des commandes d’objets.
Provenance et circulation du fer
Parmi les outils heuristiques à la disposition des chercheurs voulant s’atteler aux questions de provenance et de circulation des objets archéologiques, trois principales démarches peuvent être définies ; l’approche stylistique et typo-morphologique, l’approche technologique et l’approche géochimique. Ces dernières doivent, autant que possible, être mises en œuvre de manière croisée. L’outil ici privilégié est l’approche géochimique et les résultats présentés seront issus du projet ANR-DFG CIPIA (Bauvais et al. 2011 ; Dillmann et al. 2017). Cette approche a l’intérêt d’aborder les corpus de manière plus neutre et sans le poids des interprétations antérieures. Toutefois, l’approche typo-morphologique et stylistique peut être d’une très grande aide afin de confirmer une piste ou d’aiguiller vers une probabilité de provenance. L’aspect technologique est ici d’une aide réduite en raison du manque de données comparatives pour ce matériau à cette période.
Méthodologie d’analyse
Ces dernières années, les avancées tant méthodologiques qu’analytiques ont été significatives, permettant d’extraire, de l’ensemble des matériaux de la chaîne de production du fer (minerais, déchets, produit fini), les informations nécessaires à l’appréhension de telles problématiques. Nous renvoyons ici à la riche bibliographie sur le sujet, que ce soit à propos des processus physicochimiques à l’œuvre au cours de la succession d’étapes techniques en métallurgie du fer ou à propos de la méthodologie analytique du métal et des inclusions (Schwab et al. 2006 ; Desaulty et al. 2009 ; Leroy et al. 2012 ; 2014 ; Brauns et al. 2013 ; Disser et al. 2014 ; 2016 ; Charlton 2015).
Pour résumer notre approche, lors de la transformation du minerai en métal certains éléments chimiques présents initialement dans le minerai se réduisent majoritairement dans le métal (ex : Co, Ni), tandis que d’autres ne se réduisent pas et migrent dans la scorie. Il reste donc toujours au sein du produit ferreux, à l’échelle du métal ou celle des inclusions de scorie dans le métal, des marqueurs hérités du minerai dont les rapports respectifs sont conservés.
L’un des principaux objectifs du projet CIPIA consistait en une validation croisée de deux méthodologies différentes, développées par une équipe française (analyse chimique des inclusions de scorie dans le métal – LAPA-IRAMAT) et une équipe allemande (analyse isotopique de l’osmium dans le métal – CEZ-Mannheim). L’ensemble de la présentation des méthodes d’analyse et des protocoles de traitement des résultats peut être consulté dans l’article Dillmann et al. 2017.
Choix du corpus
Le tableau 3 présente la liste des objets pris en compte avec leur contexte et leur datation.
La majorité des objets analysés sont des demi-produits bipyramidés avec 15 individus de 10 contextes. Viennent ensuite les bandages de roue de sépultures à char avec 11 individus de 7 tombes.
S’ajoutent, à ces deux premières catégories, des objets et des chutes de travail du fer en post-réduction issus des sites d’habitat d’Eberdingen-Horchdorf (Bade-Würtemberg) et de Velaine-en-Haye (Lorraine).
Cinq zones de production ont été sélectionnées en raison de leur proximité directe avec l’espace nord-alpin occidental. Pour chacune de ces zones, des échantillons de minerai de fer et de scories de réduction ont été recueillis sur des sites archéologiques du Hallstatt et de La Tène, mais aussi sur des mines et des sites de production de périodes postérieures lorsqu’aucun site archéologique de la période n’était connu dans la zone (Fig. 6). La Lorraine peut ainsi être divisée en trois sous-zones géologiques : les côtes de Moselle (Minette, Fer-Fort et minerai Bajocien-Bathonien), le Barrois (avec deux minerais principaux, le Valanginian et le Barremian) et les Vosges (vallée de la Bruche). Ces zones géographiques et géologiques sont présentées en détail dans d’autres articles (Leroy 1997 ; Disser et al. 2016 ; Dillmann et al. 2017). Le corpus est constitué d’échantillons de minerai et de scories prélevés sur différents sites fouillés et prospectés dans cette zone (Leroy 1997 ; Leroy et al. 2015 ; Leroy & Cabboï 2019). Des échantillons de Minette et de Fer Fort ont été analysés pour les Côtes de Moselle pour leurs rapports isotopiques de l’osmium ainsi que des minerais du Barrois et des Vosges (Tab. 4).
Dans le sud de l’Allemagne, trois zones de production de fer sont individualisées. La première, datée du Hallstatt D et de La Tène ancienne, autour de Neuenbürg, dans le nord de la Forêt Noire, a été caractérisée à partir de scories et de minerais de fer locaux contenant de la limonite riche en manganèse et en baryte (Gassmann et al. 2006 ; Brauns et al. 2013). La deuxième, qualifiée de Bayerisch Schwaben, correspond à la grande région de production du Rothal et des plaines inondables du Danube et de ses affluents. Majoritairement datée de La Tène B à D, elle est exclusivement caractérisée par des minerais de tourbières d’origine postglaciaire et par les scories qui leur sont dérivées (Wischenbarth et al. 2001 ; Gassmann & Schäfer 2014). La troisième zone, nommée Schwabian Alb, correspond au site de réduction de Sankt-Johann Würtingen daté de Hallstatt D et du début La Tène (Gassmann et al. 2005). Le minerai de fer du site de Sankt-Johann est une limonite à forte teneur en oxyde de fer issue de processus d’altération sous forme de pisolithes ou de croûtes (Yalçin & Hauptmann 2003). Le tableau 4 énumère les échantillons analysés par des approches élémentaires et isotopiques.
Résultats
Discrimination des espaces
L’utilisation d’une combinaison d’éléments traces et d’éléments majeurs montre que la Minette et le Fer-Fort de Lorraine, le minerai des Vosges, celui du Barrois ou de la Forêt-Noire peuvent être facilement distingués par l’Analyse en Composante Principale (ACP) sur les projections des composantes principales (CP) 1 à 3 (Fig. 7). Néanmoins, il est nécessaire de considérer les CP4 et CP5 pour distinguer toutes les zones les unes des autres. Les résultats obtenus en effectuant une CAH sur les coordonnées de chaque individu sur les CP, sont tracés sur le dendrogramme de la Figure 8. Les échantillons des différentes zones et des différents types de minerai sont clairement différenciés. Chaque zone de production forme un ensemble cohérent, ce qui valide le fait qu’un ensemble de données combinant les éléments traces et les éléments majeurs peut être utilisé pour discriminer les ensembles de production.
Les minerais de la Forêt-Noire autour de Neuenbürg (Fig. 9) présentent une composition isotopique homogène avec des rapports 187Os/188Os de l’ordre de 0,7025 à 0,9882 avec une médiane de 0,8684. Tous ces minerais ont une teneur en Osmium très faible (généralement < 50 ng kg-1). Les minerais des Schwäbische Alb sont moins radiogéniques que ceux de Neuenbürg avec des rapports Os compris entre 0,3891 pour les minerais provenant du champ volcanique dit d’Urach et 0,7151 pour tous les minerais de la Schwäbische Alb centrale, avec une médiane de 0,6617 ou 0,6868 sans les minerais d’Urach. Les gisements de minerai autour des sites de réduction du début de l’âge du Fer de Sankt-Johann Würtingen semblent être coupés par les volcans du Miocène, car la médiane de ces minerais est de 0,6269, de sorte qu’il n’y a pas de chevauchement entre les minerais de Neuenbürg et ceux de Sankt-Johann. Les minerais du Schwäbische Alb contiennent plusieurs centaines, voire milliers de ng kg-1 d’osmium et les minerais pisolithiques sont généralement riches en éléments traces (Yalçin & Hauptmann 2003 ; Gassmann et al. 2005). Les minerais des touières des plaines alluviales du Danube (Bayerisch Schwaben) présentent des rapports radiogéniques 187Os/188Os beaucoup plus élevés, entre 1,089 et 1,527, avec une médiane de 1,313.
Les échantillons de Fer Fort de Lorraine montrent une gamme de rapports 187Os/188Os entre 0,5144 et 0,6750 avec une médiane de 0,5679. Les valeurs de 187Os/188Os mesurées sur les échantillons de Minette (Lorraine) se situent entre 0,4769 et 0,7002 avec une médiane de 0,5242. Par conséquent, ces deux gisements ne peuvent être distingués isotopiquement par des analyses d’Os. Les deux échantillons analysés pour la région des Vosges (Lorraine) sont de 0,6833 et 0,7848. Là encore, ces valeurs se situent dans la fourchette mesurée pour la Minette et sans un ensemble d’échantillons statistiquement pertinents, il est également impossible de séparer isotopiquement ces deux gisements. La composition isotopique des minerais vosgiens est différente de celle des minerais de Fer Fort, des minerais de fer de gangue de Neuenbürg et des minerais de tourbière, mais il y a un chevauchement avec les minerais du Schwäbische Alb. Il y a également un chevauchement des minerais de la Schwäbische Alb avec la Minette. Les minerais de Barremian présentent des rapports 187O/188Os compris entre 0,7390 et 1,002 avec une médiane de 0,8775, ce qui n’est pas discriminatoire par rapport aux minerais de la Forêt-Noire près de Neuenbürg. Les minerais du Bajocien-Bathénan des sites de Gondreville et de Velaine présentent les rapports 187Os/188Os radiogéniques les plus élevés, soit 1,7430 et 2,5006 avec une médiane de 1,9240, de sorte qu’ils peuvent être clairement distingués isotopiquement de toutes les autres régions mesurées jusqu’à présent.
L’origine des objets
Après avoir appliqué le protocole de comparaison entre les objets et les espaces de production, les seuls objets pour lesquels il est possible de proposer une provenance avec une probabilité suffisante sont le fragment de masse de métal brut de Velaine (Velaine 002) produite avec le minerai Bajocien-Bathonien de la forêt de Haye en Lorraine et les objets de l’agglomération ouverte d’Eberdingen-Hochdorf, METC114 (fragment de fer brut) et METC115 (barre) qui ont été produits dans la Forêt-Noire voisine (Fig. 10). Deux bandages de roue des tombes hallstattiennes de Winterlingen et de Hundersingen (A333 et HOA Ried) n’ont été analysés que par l’approche isotopique, de sorte que leur provenance n’a malheureusement pas pu être totalement établie, bien qu’elle soit compatible avec le Bayerisch Schwaben. Aucun des autres objets n’est compatible avec les zones de production testées dans le cadre de cette étude. Néanmoins, la compatibilité et la cohérence des données élémentaires et isotopiques nous ont permis de mettre en évidence des groupes d’artefacts ayant une provenance potentiellement commune mais d’origine inconnue.
La figure 11 résume l’ensemble des observations faites dans cette étude. Les résultats obtenus sur les demi-produits bipyramidés (en vert sur la Fig. 11) confirment et généralisent les premières observations faites à partir de l’étude du dépôt de Durrenentzen. De nombreux acteurs sont impliqués à différents stades de la chaîne-opératoire dans un réseau complexe d’échanges. En effet, certains des demi-produits sont constitués de deux parties de même origine (Dur40, Marsal 1 et Romain). Au contraire, les semi-produits de Farebersviller, Heiligenberg 41, Xirocourt, Marsal 3 et Dur48 étaient constitués de deux parties d’origines différentes soudées ensemble. Cette dernière observation implique une segmentation de la chaîne-opératoire avec des centres intermédiaires où des masses brutes de fer ou des produits intermédiaires bruts sont assemblés pour former les demi-produits bipyramidés. Les gisements de Marsal, Durennentzen et Heiligenberg sont en outre composés de produits provenant de sources diverses (au moins 5 provenances différentes pour Durrenentzen, 3 pour les demi-produits de Marsal et 3 pour le site de Heiligenberg). Cette composition peut soit suggérer une accumulation disparate de biens précédant l’acte de dépôt, soit soutenir l’hypothèse d’un approvisionnement lié à un seul centre de transformation alimenté par des sources de fer diverses. Le fait que certains demi-produits soient fabriqués avec deux parties de provenances différentes soutient cette dernière possibilité.
La morphologie légèrement différente des barres à l’intérieur de chacun des gisements de Durrenentzen et de Marsal suggère, au moins pour ces deux cas, une situation intermédiaire avec un approvisionnement final en provenance de plusieurs centres de production, eux-mêmes alimentés par de multiples sources de fer (Berranger et al. 2017a). Enfin, certains gisements, éloignés les uns des autres, contiennent des demi-produits d’origine potentiellement commune. C’est le cas de Romain (situé en Lorraine), Durrenentzen (situé en Alsace) et Heiligenberg (situé dans le Bade-Wurtemberg et à 230 km de Romain) qui forment le groupe 1. Cette observation, si elle se confirme, suggère un réseau d’échange dynamique reliant les deux rives du Rhin et concernant potentiellement tout le complexe hallstattien occidental. Il en va de même pour le groupe 2 avec des objets provenant des dépôts de Durrenentzen, Xirocourt et Marsal et de l’habitat d’Eberdingen-Hochdorf. Malheureusement, à ce stade des recherches, il n’est pas possible d’avoir des informations plus précises sur la provenance de ces objets.
En ce qui concerne les tombes de chars, les bandages de Winterlingen et de Hundersingen peuvent être liés par des rapports isotopiques de l’osmium à des minerais de tourbière provenant de plaines inondables le long du Danube et de ses branches. Au contraire, à Marainville-sur-Madon, l’approvisionnement local potentiel de la Lorraine n’est pas confirmé à ce stade de la recherche. Le fer qui les compose pourrait provenir d’une source plus éloignée, différente de toutes les zones de production analysées dans la présente étude et potentiellement commune avec les bandages de roue de Köngen. Une autre observation très intéressante est que tous ces bandages de roue de char analysés par l’approche isotopique de l’osmium présentent des rapports radiogéniques plus élevés que ceux mesurés pour n’importe lequel des demi-produits (sauf le cas du Dur 6). Enfin, aucun des bandages de roue ne peut être relié aux produits bipyramidés des groupes 1 et 2, ce qui semble indiquer que les réseaux d’approvisionnements sont différents.
Intégration des résultats par secteur géographique
Cette première présentation générale de l’ensemble du nord-est de la France nécessite à présent d’être confrontée aux données locales, par secteur (Fig. 12).
Secteur 1 : Les bassins versants de la Moselle
Dans ce secteur, aucun indice d’activité de production ou de travail du fer n’est pour l’instant recensé avant le milieu de l’étape 2 (fin du VIe s. a.C. / Ha D2-D3) (Fig. 13). Les traces les plus anciennes sont en effet attestées par cinq fragments de scories et un encroûtement de sol comportant des battitures dans les niveaux de fondation du tumulus 7 de la nécropole de Diarville. Ainsi, une activité de travail du fer a existé dans l’espace environnant, antérieurement à son édification (Olivier 1989). Six autres sites ont livré des restes métallurgiques. Il s’agit de trois sites d’habitat ouvert et d’un habitat fortifié de hauteur interprété comme une “résidence princière” (Messein “la Cité d’Affrique”) situés sur le revers du plateau de Haye (Leroy & Cabboï 2019). Les deux autres sites sont aussi des habitats ruraux mais se localisent plus au nord, dans la vallée de la Moselle, aux alentours de Metz. Le site de Saxon-Sion (autre candidat au rang de “résidence princière”) semble également renfermer des activités de forge mais les contextes semblent devoir être étudiés plus en détail (Legendre & Olivier 2003). D’un point de vue chronologique, cet ensemble de sites est très cohérent et se concentre essentiellement autour des étapes 2 et 3.
Les deux sites de Gondreville “Au Loup” et Velaine-en-Haye “ZAC Herbue-Chalin” ont livré à la fois des déchets de réduction et des indices d’élaboration d’objet laissant envisager des pratiques d’épuration des masses brutes (Leroy & Cabboï 2019).
Le plus étonnant dans ce secteur est l’absence d’exploitation de minette ou de Fer-Fort. Ces minerais sont en effet fortement exploités au Moyen Âge mais aucune trace plus ancienne n’est attestée malgré une recherche intensive entreprise par Marc Leroy depuis plus de 20 ans (Leroy & Cabboï 2019). De plus, aucun objet analysé n’est compatible chimiquement avec ces deux minerais, allant dans le sens d’une absence d’exploitation. Le seul minerai exploité est un minerai des niveaux géologiques du Bajocien et du Bathonien de la Forêt de Haye, peut-être plus conforme aux traditions techniques de ces périodes dans le nord de la France et le sud de l’Allemagne.
Le site de Gondreville présente également une organisation particulière des activités sidérurgiques avec, en périphérie de l’habitat et d’une importante zone de stockage et de traitement des céréales, un secteur dévolu à la métallurgie. Il se compose d’un fourneau de réduction et de deux bâtiments jouxtant deux foyers de forge. À Velaine, seule la zone de stockage en silo est connue, mais deux d’entre eux présentent une forte concentration de scories de forge et de réduction.
Du point de vue de l’élaboration d’objets, c’est à Messein que les restes de métallurgie du fer sont les plus nombreux (Dubreucq 2013 ; Leroy & Cabboï 2019). La taille des chutes indique le travail de petits objets de formes diversifiées. La matière première acquise peut être illustrée par la présence d’une potentielle extrémité de demi-produit bipyramidé. Ainsi, l’absence d’indice d’épuration et la présence de ce type de demi-produit indiquent que le travail de compaction des masses brutes avait lieu sur un autre site, ou secteur du site. Le cas de figure de Messein illustre très bien la réflexion émise précédemment sur les restes d’activité retrouvés sur les “résidences princières” qui semblent davantage issues d’un travail occasionnel plus que d’une activité à demeure. Le site semble devoir être classé dans le groupe 3 des activités de forge.
Les deux autres sites, Marly et Woippy, plus au Nord sur les côtes de Moselle n’ont livré que quelques centaines de grammes de déchets de forge. Ils correspondent au groupe 4 et doivent être interprétés comme les lieux momentanés d’une activité de forge sur commande.
De nombreux dépôts de demi-produits bipyramidés sont connus dans ce secteur, l’inventaire de Marion Berranger en dénombre 13 qui ont livré 91 demi-produits (Berranger 2014). Parmi ces 13 dépôts, ceux de Romain, Xirocourt, Farébersviller et Marsal ont été datés par 14C du “plateau du Hallstatt”. Les analyses de provenance réalisées sur ces dépôts indiquent également qu’ils ne sont pas issus d’une production locale. Toutefois, ils entrent dans des groupes de provenance largement répartis entre l’est de la France et le sud de l’Allemagne, indiquant une intégration dans des réseaux d’échanges à longue distance.
Parmi les autres objets analysés dans ce secteur, les bandages de roue de la tombe de Marainville-sur-Madon ne sont pas non plus produits localement. Ce résultat vient étayer l’idée d’une absence de production locale avant le Ha D3 et confirme également les premières impressions données par l’analyse stylistique du char. En effet, ce char, avec ses boitiers de moyeux biconiques de type Erkennbrechtweiler ou type 6 de la typologie de C. Pare (Pare 1987 ; 1992), fait partie d’un type connu à une vingtaine d’exemplaires. Il est davantage réparti en Souabe et il représente l’extension la plus occidentale. Ce véhicule pourrait avoir été fabriqué dans un atelier spécialisé au sud-ouest de l’Allemagne. Les analyses de provenance, sans confirmer cette hypothèse, laissent toujours ouverte cette possibilité.
Si l’on en juge par la faiblesse des restes d’activité sidérurgique du secteur, cette dernière ne semble pas être à l’origine de la richesse locale de l’élite en place. En revanche, les sites liés à la métallurgie du fer présentent une certaine richesse issue d’autres activités comme Gondreville pour la centralisation des activités agricoles et Marsal pour son exploitation de sel. Le fer apparait alors davantage comme un marqueur de richesse que l’origine de cette dernière.
Secteur 2 : Le sud de la plaine du Rhin supérieur
Sur l’ensemble de la plaine du Rhin, aucun indice d’activité de réduction n’est connu pour l’âge du Fer. En revanche, deux ensembles géographiques se dessinent en fonction des activités de forge (Fig. 14). Dans le Bas-Rhin, une zone allant de Hagueneau au nord, à la banlieue de Strasbourg au sud, se caractérise par un grand nombre d’indices d’élaboration d’objet. Parmi les découvertes récentes, celle du site de Weyersheim “Les Hauts de la Zorn” est exceptionnelle et permet de modifier la vision de la production d’objets en fer de ce secteur (Michler et al. 2018). Au total, ce sont plus de 67 kg de scorie qui ont été récoltés au sein de trois structures (un silo et deux fosses) probablement synchrones au cours du Hallstatt D3-La Tène A. En revanche, les analyses de scorie (Michler et al. 2018) montrent deux activités différentes, avec une activité d’épuration/compaction de masse brute pour la fosse 1014 et une activité d’élaboration d’objet pour le silo 1003. Ce site semble ainsi pouvoir être classé parmi la catégorie 2 des sites de forge, en tant que lieu de travail pérenne d’un artisan sidérurgiste. Sept autres sites ont livré des restes de mise en forme du fer en forge datant du Hallstatt D et de La Tène A1. Comparée au site de Weyersheim, la quantité de restes est sans commune mesure, allant de quelques grammes de scorie argilo-sableuse à Pfulgriesheim (Balzer & Meunier 2005) à 20 kg de scorie ferreuse-rouillée sur le site de Geispolsheim/Entzheim (Landolt 2007 ; Landolt et al. 2013). Seul le site d’Ettendorf a fait l’objet d’investigations archéométriques (Peytremann et al. 2004) et la description des restes scoriacés laisse davantage envisager des activités de forge d’élaboration d’objet. Les indices les plus diffus semblent se rapprocher d’activités momentanées et probablement saisonnières.
Le deuxième secteur du sud de la plaine du Rhin supérieur se trouve dans le Haut-Rhin, entre Colmar et le Jura Suisse, et dans la région frontalière autour de Breisach dans le Bade-Wurtemberg. Contrairement à la zone nord, celle-ci renferme plusieurs sites d’habitats de hauteur ayant livré des restes de métallurgie du fer dont le site d’Illfurth “Britzgyberg” et “Buergelen” considéré comme une “résidence princière”. Même si aucune donnée précise n’est aujourd’hui accessible sur la quantité et le type des scories retrouvées sur le “Britzgyberg” (le plateau fortifié), elles sont qualifiées de nombreuses (Schweitzer 1997). Émilie Dubreucq a quant à elle étudié le mobilier métallique et atteste d’une activité d’élaboration d’objets avec des chutes de découpe de barres ou d’objets en cours de fabrication ainsi que des outils de découpe (Dubreucq 2013, 233). À Breisach “Münsterberg”, autre “résidence princière” supposée, 950 g de scorie ont été récoltées lors des fouilles des années 80 (parcelles 27-28 – Balzer 2003, 147/249). Le troisième site de hauteur se situe plus au sud, à la frontière du Jura Suisse sur les communes de Koestlach-Moernach, au “Kastelberg” (Landolt & Fleischer 2014). Il est occupé plus précocement et son abandon semble avoir eu lieu à la fin du Hallstatt D1. Cinq autres sites d’habitat de plaine ont livré quelques traces de forge, exclusivement pour le Hallstatt D3/La Tène A1. En termes de quantité de mobilier, le secteur sud, que ce soit au sein des sites de hauteur ou des sites de plaine, semble très pauvre en activités sidérurgiques. Aucun site ne semble être véritablement susceptible d’être le lieu d’une activité pérenne et fortement productive comme pourrait l’être Weyersheim ou Geispolsheim/Entzheim dans le secteur nord. Dans l’ensemble de la plaine du Rhin supérieur, aucune activité de réduction de minerai de fer n’est connue.
Ainsi, les productions d’objet en fer semblent réduites pour ce secteur même si le nombre de sites connu est relativement élevé et bien réparti sur l’ensemble de la plaine du Rhin. En termes chronologique, peu de sites sont producteurs à l’étape 1 (3 sites de hauteur sur les 5 sites attestés) tandis que le nombre s’accroit de façon très importante à la fin de l’étape 2 et pour l’étape 3.
Dans un récent article, Steeve Gentner (Gentner 2016) fait de la production du Nord de la forêt Noire l’origine principale du fer en circulation à l’ouest du Rhin en prenant en considération les sites de forge d’Alsace mais surtout la très forte concentration de dépôts de demi-produits bipyramidés de la plaine du Rhin entre Strasbourg et Mulhouse. Ainsi, il envisage trois axes majeurs de circulation du fer de part et d’autre du Rhin, le premier prenant les vallées du Murg et du Nagold, la deuxième empruntant la vallée du Kinzig et rejoignant celle du Neckar et enfin un trajet en partie terrestre reliant Breisach à la vallée du Danube et se poursuivant jusqu’à La Heuneburg. Dans le cadre de cette hypothèse, l’origine potentielle du métal aurait dû être élargie au secteur de Sankt-Johann Würtingen dans le Jura Souabe et à la potentielle production Lorraine de la forêt de Haye. Toujours est-il qu’après analyses approfondies, ces dépôts ne paraissent pas avoir comme origine l’un de ces espaces de production. Comme pour le secteur 1, la métallurgie du fer semble difficilement à l’origine de la richesse des élites locales.
Secteur 3 : Les bassins versants de la Saône de Dijon à Macon
Ce secteur se situe en marge d’une zone de production récemment identifiée à environ 70 kilomètres à l’est de Dijon, dans le secteur de Besançon (Fig. 15). Au moins trois zones de concentration de déchets de réduction sont datées par 14C et couvrent un intervalle de temps compris entre le VIIIe et le IIIe s. a.C. (Berranger 2019). Deux de ces sites sont plus resserrés chronologiquement sur les VIe-IIIe s. a.C.. Il s’agit de concentrations de déchets appréhendées seulement à partir de prélèvements ponctuels. Il est donc difficile à ce stade d’en déterminer l’importance, probablement limitée étant donné la taille des épandages.
En post-réduction, l’une des spécificités de cette zone est d’avoir livré le site de fabrication d’objet en fer le plus riche d’Europe pour cette période ; Bragny-sur-Saône, un habitat implanté au carrefour de voies de communication, intégré à des réseaux d’échanges à longue distance et qui livrerait plus de 10 tonnes de déchets de forgeage (Flouest 2007). Il fait bien sûr partie des sites du groupe 1, dont il est le plus représentatif. Un peu plus au nord, les environs de Dijon ont également été le lieu d’une importante production d’objets notamment au sein du bourg de Talant “La Peute Combe”. Durant la fin de la période 2 et la période 3 (Ha D3/LTA1) ce bourg (Labeaune et al. 2017) correspond à une sorte de “village rue” comprenant 14 maisons parmi lesquelles au moins trois ont accueilli des forges. Ces ateliers semblent tournés, au moins pendant une partie de leur occupation, vers la production spécialisée et standardisée d’objets en fer de petite taille, principalement de parures ou de toilettes. Les analyses archéométriques réalisées sur les déchets métalliques et scorifiés mettent en évidence l’utilisation généralisée de la mise en forme par replis successifs afin d’accroître les qualités mécaniques d’une matière première constituée d’un feuilletage de fer et d’acier. Talant fait partie des bourgades d’artisans hautement qualifiés, intégrés dans des réseaux d’échanges de connaissances associant des artisans établis dans les résidences princières (Carrara et al. 2013) et dont les productions sont diffusées a minima à moyenne distance.
L’attention systématique portée ces dernières années aux traces, même fugaces, d’activités métallurgiques au sein des habitats du dijonnais, met en évidence une diffusion assez large et précoce des activités de forgeage au sein des établissements ruraux aristocratiques (Labeaune et al. 2017). La seule présence de battitures ne permet pas, en revanche, dans la majorité des cas de préciser la nature des activités pratiquées. L’exemple d’Izier “Aux Argilières”, attribué à une période légèrement antérieure à l’occupation de Talant, illustre le cas d’une production probablement ponctuelle, incluant éventuellement l’entretien d’outils, mais surtout la mise en forme d’objets de natures variées. Ces pratiques en milieu rural pourraient révéler l’attachement d’artisans, éventuellement itinérants, à certains “seigneurs”. Les activités de forgeage au sein d’habitats de hauteur pouvant prétendre au titre de “résidences princières”, tels Chassey ou Montmirey-la-Ville, sont ici inconnues en raison du caractère trop partiel des fouilles réalisées.
Durant les périodes 2 et 3, ce secteur apparaît ainsi comme un pôle de fabrication d’objets, produits dans certains sites en fonction de volumes très importants. Ces forges spécialisées semblent, dans l’état actuel de nos connaissances, situées à l’écart des zones de production primaire de fer, et leur approvisionnement en fer brut devait donc reposer sur des réseaux d’approvisionnement pérennes à moyenne distance. L’étude de l’approvisionnement en métal de l’ensemble de ces ateliers de forgeage reste encore à entreprendre, mais des analyses ont été réalisées sur un lot de “currency-bars” retrouvé dans le Val de Saône, en bord de Doubs et dans le Jura (Berranger et al. 2019). Les résultats mettent en évidence la diversité possible des sources de métal, ainsi que l’absence de compatibilité avec les espaces de production locaux déjà caractérisés (Berranger 2017). Ces résultats permettent ainsi de restituer un foisonnement des réseaux de circulation de la matière brute, en adéquation avec la cartographie de sites de réduction, nombreux et dispersés durant cette période du Ha D / LT A.
Secteur 4 : Le bassin amont de la Seine
Ce secteur est caractérisé géographiquement par un réseau fluvial dense et convergeant vers la seine en amont de Montereau. Il réunit un espace de plateau entre Côtes des Bars, Nord Puisaye, Pays-d’Othe et les plaines de l’Est-Gâtinais et du Sénonais (Fig. 16). Dans les quatre secteurs présentés ici, seul ce secteur présente des productions suffisamment importantes pour avoir pu être assurément exportateur de fer brut. Il est de plus situé dans les alentours directs des deux principales manifestations ostentatoires de la richesse des “princes” Celtes de la période : les tombes de Vix et de Lavau.
Il s’agit également d’une des régions à la frontière ouest de l’espace Nord-Alpin, tout comme Bourges et les ateliers de Meunet-Planches “Les Îles” (Dieudonné & Glad 2017, 367).
Dans les alentours proches de Vix, malgré des découvertes importantes d’activités sidérurgiques décrites par Benoit et Rignault (Benoit & Rignault 1988), aucune trace d’activités antérieures au XVe siècle de notre ère n’est attestée. En revanche, que ce soit dans le large secteur du Sénonais/Pays d’Othe et du nord de la Puisaye, avec les sites des Clérimois “Les Fourneaux” (Dunikowski & Cabboi 1995), de Palis (Dunikowski et al. 2007), d’Aillant-sur-Tholon (Berranger 2019), de Dracy (Berranger 2019) et de La Bussière (Rébiscoul 2003), comme pour la confluence Seine/Yonne avec le site d’Écuelles “Charmoy” (Bardel 2005 ; Peak 2008), les déchets de réduction du minerai de fer attribués au Hallstatt D et à La Tène A sont particulièrement nombreux. Ils sont caractéristiques de fourneaux à scorie piégée, vraisemblablement à utilisation unique (4 bas fourneaux sont connus, un à La Bussière et trois aux Clérimois). Les datations 14C imprécises et couvrant l’ensemble des âges du Fer des trois bas fourneaux du site des Clérimois nécessitent néanmoins d’être reprises. À Aillant-Sur-Tholon, la datation d’un amas de déchets de réduction couvrant environ 2 000 m² témoigne de l’existence d’ateliers aux capacités de production importantes. Sur le site d’Écuelles, en marge ouest de cet espace, des scories de réduction sont présentes en contexte domestique (Leroy & Cabboï 2019). Ainsi, il semblerait que les activités de réduction aient été suffisamment proches de l’habitat pour que des déchets de cette activité y aient été apportés. Inversement, sur les sites des Clérimois, d’Aillant-sur-Tholon et de Dracy, l’activité de réduction était suffisamment éloignée de l’habitat pour que les ateliers ne renferment pas d’indices d’activités domestiques. De plus, à Écuelles, les indices de réduction sont accompagnés de déchets liés à la mise en forme du métal. Sur ce site, il ne semble pas y avoir de séparation claire entre l’activité de produire le métal et celle de le transformer en objet fini (Bauvais 2007 ; 2008). De ce fait, il semblerait que les activités d’épuration se déroulent au sein de l’habitat auquel est liée l’activité de réduction. Ce constat fait de ce site un habitat dont l’activité sidérurgique semble structurante. Il paraît ainsi devoir être classé parmi les sites du groupe 2.
Dans l’espace Aubois, les sites de Saint-Pouange “La Voie Minante” (Leroy & Cabboï, 2019) et de Ruvigny “Proche l’église” (Roms 2018) n’ont livré que des activités de forge (4 kg de scorie de post-réduction à Saint-Pouange et quelques centaines de grammes à Ruvigny). Ils paraissent devoir être classés parmi les sites du groupe 4. Ils se situent à proximité de Buchères “décapage 31” (Riquier & Grisard 2014) sur lequel ont été trouvés des déchets de réduction isolés qui marquent probablement l’emplacement d’un petit atelier de production de fer brut.
Enfin, dans le Châtillonnais, les sites de Vix “Mont-Lassois” et “Breuil” attestent, dans le cadre de nos connaissances actuelles, d’une activité de forge d’ampleur réduite. En raison de leur statut très différent, le “Mont-Lassois” semble devoir être classé dans le groupe 3 et “Breuil” dans le groupe 4 des sites de forge.
La forme des demi-produits en circulation n’est attestée qu’à travers les découvertes des demi-produits du site de Vix “Mont-Lassois” dont l’un a été étudié dans ses aspects chronologique (datation 14C du carbone contenu dans les aciers), technologiques et de provenance. Son origine reste unique et inconnue.
En termes d’organisation des activités, qu’il s’agisse d’Écuelles, de Vix “Breuil” ou de Saint-Pouange, le rang hiérarchique élevé des trois habitats est en parfaite adéquation avec les interprétations proposées sur l’ensemble du nord-est de la France. Pour le site de Ruvigny, l’habitat à proprement parler n’est pas connu. Il s’agit d’une batterie de silos en périphérie immédiate des zones résidentielles si l’on en juge par le mobilier résiduel que contiennent les comblements des structures. Une telle batterie de silos est également un marqueur fort de richesse pour cette période car il indique une large centralisation des denrées agricoles. Ainsi, sans parler du rang hiérarchique exceptionnel du “Mont-Lassois”, les activités de forge sont systématiquement découvertes dans des habitats caractérisés par l’opulence et la richesse de ses habitants.
Si l’on aborde à présent l’aspect chronologique, ici encore, aucune activité de forge n’est représentée avant le Hallstatt D2. Même pour les activités de réduction, les datations antérieures entrent dans une fourchette très large liée au “plateau” 14C du Hallstatt, et même lorsque du mobilier céramique est présent comme à Palis, leur rareté ne permet pas une datation plus précise qu’un large Hallstatt D.
Synthèse
À partir de l’ensemble de ces données, grandement renouvelées ces vingt dernières années, il est possible de proposer une synthèse sur “l’Économie du Fer” au Hallstatt D et à La Tène A1 en abordant les particularités régionales, les réseaux d’échanges et les relations entre la production et le pouvoir des élites qui semblent se dessiner.
Des espaces contrastés ?
Lorsque l’on entre plus avant dans l’interprétation des organisations des différents espaces étudiés dans cet article, il apparaît qu’à travers une unité générale des phénomènes économiques et sociétaux, des variantes et particularités locales semblent apparaître. Cela est-il suffisant pour y voir des mécanismes d’organisation différents ?
Tout d’abord, si l’on prend en compte les potentielles productions locales de fer brut, il apparaît que certaines régions sont en contact direct avec des zones de production et que d’autres en sont dépourvues et distantes de plusieurs dizaines de kilomètres. Toutefois, il est également marquant et important de répéter que les principales régions de production de fer brut sont en dehors de l’espace Nord-Alpin occidental. Il apparaît donc que même si un pôle aristocratique ou princier ne comporte pas, dans son environnement proche, de production de fer brut, son intégration dans les réseaux d’échanges lui permet d’équilibrer grandement cette lacune étant donné que la majorité du fer en circulation n’est pas sous domination directe des pôles princiers. Pour exemple, les sites aristocratiques et les fermes opulentes de la plaine du Rhin supérieur sont localisés à plusieurs dizaines de kilomètres des complexes du Neuenbürg “Schlossberg” ou du Markgräflerland en
Allemagne ou de Besançon et du bassin de la Moselle en France. Néanmoins, ce secteur semble être l’un des plus dynamiques, et cela dès la période 1. Inversement, le site de Messein “La Cité d’Affrique”, localisé au cœur d’une zone de production attestée pour la période du Hallstatt D et de La Tène A, ne renferme pas particulièrement plus de restes paléosidérurgiques. De la même manière à Vix, l’un des “pôles princiers” le plus proche des zones de production primaire de fer les plus dynamiques de cette période (le Sénonais et la Puisaye), la production n’est guère plus remarquable, comme dans son environnement proche. Toutefois, la proximité de la “résidence princière” de Vix et de l’hypothétique résidence princière de Lavau avec les productions du Sénonais, du Pays d’Othe et de la Puisaye peut être l’une des origines de leur enrichissement, à travers un contrôle de la production et de la diffusion des produits métalliques.
Si l’on considère ensuite les sites renfermant les productions les plus intenses comme Bragny-sur-Saône, Lyon, Sévaz et Bourges, l’importance de leur production semble davantage être liée à leur position sur des axes de communication qu’à leur proximité des zones de production de fer brut. L’agglomération artisanale de Bourges n’est pas plus proche de centres de production primaire que Vix, mais sa position semble lui avoir permis de développer une activité intense in situ. N’en serait-il pas de même pour Bragny et Sévaz qui représenteraient l’équivalent des quartiers artisanaux proches de l’habitat aristocratique de Bourges pour les sites de Chassey et de Posieux ?
Il convient à présent de s’interroger sur la chronologie au sein de ces différents espaces. Si l’on considère à nouveau les activités de forge, il est marquant que la majorité des activités de forge se développe au Hallstatt D2/D3 (étape 2). C’est le cas pour 22 sites sur les 29 renfermant des activités de forge dans les 4 espaces pris en compte. Seuls le sud de la plaine du Rhin supérieur et les bassins versants de la Saône attestent d’activités de forge antérieures. Systématiquement, les activités de forge apparaissent lorsque les “résidences princières” se mettent en place : au Hallstatt C2 et D1 dans la plaine du Rhin supérieur avec Breisach et Illfurth, dans les bassin-versants de la Saône au Hallstatt D1 avec Chassey et Montmirey, puis seulement au Hallstatt D2 dans le bassin amont de la Seine et les bassin-versants de la Moselle avec Vix et Messein.
En revanche, ce n’est qu’au Hallstatt D3 (milieu de l’étape 2) et à La Tène A1 (étape 3) qu’apparaissent les grands centres de production comme Bragny, Sévaz ou Bourges (sites du groupe 1) mais aussi les sites d’habitat où le fer prend une place importante (groupe 2) comme à Gondreville et Velaine, à Geispolsheim / Entzheim et Weyersheim, à Talant et à Écuelles.
Il semble donc qu’un lien important relie les “résidences princières” et le développement des activités sidérurgiques. Toutefois, ce n’est pas au sein des “résidences princières” qu’il faut en rechercher les indices, mais au sein du large espace sous leur contrôle politique et économique. Certains secteurs semblent à l’origine d’un contrôle direct sur la production primaire (Le bassin amont de la Seine et la région de Bourges), d’autres sur les réseaux d’échanges permettant la diffusion de ces matériaux bruts (le bassin-versant de la Moselle et le sud de la plaine du Rhin supérieur) et enfin d’autres sur la maîtrise de la transformation du fer brut en objets manufacturés et leur diffusion (le bassin-versant de la Saône de Dijon à Macon). Cette domination semble en revanche de courte durée car essentiellement effective au cours de leur apogée au Hallstatt D3.
Des réseaux d’échanges à différentes échelles
Dans ce large contexte de développement des sociétés du Hallstatt D et de La Tène A1, les réseaux d’échanges à moyenne ou longue distance semblent donc être une clef de compréhension du développement de la métallurgie du fer. Grâce à l’analyse archéométrique des dépôts de demi-produits bipyramidés il nous est possible d’émettre l’hypothèse de l’existence de réseaux d’échanges complexes à plusieurs échelles
(Berranger et al. 2017a ; Dillmann et al. 2017 ; Bauvais et al. 2018a). Tout d’abord, le fait qu’à l’échelle d’un objet, deux masses métalliques peuvent avoir des signatures chimiques différentes implique que l’atelier les mettant en forme s’approvisionne auprès de régions suffisamment différentes pour être chimiquement individualisées (Marsal 6 ; Heiligenberg ; Xirocourt ; Farébersviller). Le deuxième constat, déjà mis en avant par Gaspard Pagès pour d’autres périodes, sur les barres de Saint-Marie-de-la-Mer (Pagès 2010 ; Pagès et al. 2011), est qu’à des périodes même très anciennes, le métal circule sous la forme de masses brutes et qu’il n’est pas forcement compacté sur son lieu de réduction.
Si l’on change d’échelle, le fait qu’au sein d’un même dépôt les signatures puissent être très variées implique également une accumulation particulière et par conséquent une vocation toute aussi singulière (dépôts de Durrenentzen avec 4 signatures et de Marsal avec 2 signatures différentes). Le mode d’accumulation de ces produits n’est pas une simple représentation d’un marché mais plutôt une accumulation disparate.
À présent, en comparant les dépôts entre eux, le rapprochement chimique de demi-produits aussi éloignés géographiquement que le bipyramidé de Romain 1, Durrenentzen 40 et le demi-produit analysé de Heiligenberg dépeint également une économie du fer et des réseaux d’échanges communs de part et d’autre du Rhin.
Ensuite, si l’on compare l’ensemble du mobilier analysé pour cette période, aucun rapprochement chimique n’a pu être fait entre ces masses métalliques et les bandages de roue des sépultures à char. Il semble que, malgré leur contemporanéité au moins partielle, les demi-produits bipyramidés n’ont pas eu pour vocation d’être utilisés pour produire des bandages de roue et par conséquent ne soient pas intégrés dans les mêmes réseaux d’échanges. Cette sensation est confirmée par les observations purement techniques faites sur les bandages de roue de Marainville-sur-Madon qui semblent être issus de la mise en forme directe de masses brutes et non de l’utilisation de masse déjà compactées comme des demi-produits bipyramidés.
Enfin, aucun demi-produit ne semble provenir des espaces de productions attestés pour cette période dans l’espace pris en compte (Forêt-noire, Lorraine, Jura Souabe, Souabe Bavaroise). Toutefois, les chutes métalliques des habitats ont confirmé une origine locale des produits travaillés (Velaine et Eberdingen-Hochdorf).
L’ensemble de ces observations suggère plusieurs réseaux d’échanges parallèles qui ne semblent pas se croiser. Ainsi, loin de simplifier la vision des échanges de cette période, ces premières conclusions permettent d’amorcer une réflexion globale sur la circulation du fer à la fin du Premier âge du Fer en envisageant des réseaux d’échanges quasiment indépendants et à plusieurs échelles, en fonction des catégories de mobilier.
Étant donné que la majorité des productions de fer brut de cette période se déroule en dehors de l’espace Nord-Alpin occidental, l’approvisionnement en fer des sites élitaires n’est pas soumis à la maîtrise des productions locales mais bien au contrôle des voies de communication et d’échange à moyenne et longue distance. Nous pouvons alors envisager des réseaux distincts en fonction de la destination du mobilier.
Les formes d’organisation et les relations avec les élites
Ainsi, si l’on prend en compte les constats que la consommation du fer reste entre les mains des élites, que le développement des activités de forge est lié à la mise en place des complexes princiers et que ces derniers intègrent pour cela des réseaux d’échanges à moyenne ou longue distance, une relation particulière semble donc se mettre en place de façon directe ou indirecte entre la production du fer brut, sa diffusion, sa transformation en produit fini et sa consommation. Dans un article récent, une tentative de bilan des formes d’organisation des productions et de leur évolution au cours des âges du Fer a été proposée (Berranger & Bauvais 2020) à travers une grille de lecture structurée, composée des critères descriptifs issus de la littérature (Costin 1991 ; Roux 2000 ; Brun et al. 2006) en les adaptant à la métallurgie du fer de l’âge du Fer européen.
Il en ressort qu’en réduction, au Hallstatt D – La Tène A et à La Tène B-C, alors que le fer est principalement consommé par une sphère privilégiée, le métal brut n’a pu être produit sur les sites de réduction que dans un cadre contrôlé. On se situe durant ces périodes dans un cadre de production dit dépendante, effectuée par des artisans investis de manière saisonnière. C. Costin qualifie ce mode d’organisation à partir de ses travaux menés sur le Pérou préhispanique de “Dispersed corvee”. Cela donne lieu à des modes de production très différents, allant des plus ponctuelles à des formes concentrées. Ces différences de cas de figure peuvent peut-être s’expliquer par la distance séparant les lieux de production du métal de leurs lieux de consommation. Si des productions de métal brut indépendantes étaient possibles, elles n’ont pu garder qu’un caractère anecdotique étant donné l’accaparement du métal par les élites. Pour exemple, l’étude du dépôt de 51 demi-produits bipyramidés de Durrenentzen (Berranger et al. 2017a ; Bauvais et al. 2018a) montre l’existence d’une entité centralisatrice du métal caractérisée par un pouvoir suffisamment fort pour à la fois centraliser plus de 300 kg de fer (dans un contexte de faible consommation du fer), unir plusieurs sites de mise en forme des demi-produits autour d’un standard métrologique (possible mise en place d’étalon) et soustraire une telle masse de métal du circuit économique (dépôt votif) (Fig. 17). La découverte en 2015 d’un second dépôt de 14 demi-produits identiques (poids total de 85 kg), à environ 150 mètres du premier, vient encore davantage renforcer cette impression (Kuhnle 2015).
Au Hallstatt D – La Tène A1, l’organisation des activités de forge peut être qualifiée “d’Individual Retainer” selon C. Costin. Cela se caractérise par une forte dépendance envers les élites et par une concentration importante des productions au sein d’ateliers d’artisans très compétents et travaillant à plein temps. Il est ainsi possible de parler d’un artisanat de cours. Dans un réseau de résidences d’élites, les forgerons circulent pour offrir leur service et leur production extrêmement spécialisés. Ainsi, les activités réalisées dans les “résidences princières” sont des activités momentanées, réalisées pour une commande, et non la résidence d’un artisan à demeure. Cela explique l’absence de véritables ateliers et la faible quantité de déchets retrouvée. Ces artisans semblent davantage résider dans d’autres sites, eux spécialisés, comme Bragny-sur-Saône ou Sévaz-Tudinges (sites du groupe 1), dans les concentrations d’ateliers se développant au pied des sites princiers comme à Bourges à La Tène A1 (sites de groupe 2) ou dans certaines résidences aristocratiques à caractère plus rural avec concentrations des denrées agricoles (sites du groupe 2).
L’organisation de la production semble ainsi se fonder pour l’ensemble de la chaîne opératoire sidérurgique sur un système de “corvée”. Toutefois, les savoir-faire maîtrisés en réduction sont simples, alors que les productions attestées en forge documentent la maîtrise de techniques complexes à expertes. Ce constat est peut-être l’une des explications possibles à la répartition spatiale en assymétrie des activités de forge et des activités de réduction au Hallstatt D – La Tène A1. Les activités de forge, nécessitant un savoir-faire bien plus important à cette période que la réduction, sont plus directement contrôlées et accaparées par les élites, qui en tirent une gloire et une richesse plus importante. Le métal brut est alors, quant à lui, contrôlé à travers la maîtrise des réseaux d’échanges.
Conclusion
Le phénomène de complexification sociale et d’émergence d’une société fortement hiérarchisée, à l’œuvre au cours du Hallstatt D et se finissant à La Tène A1, présente d’étroites relations avec le développement de la métallurgie du fer. En revanche, les modalités de ces relations peuvent varier selon les secteurs géographiques et la chronologie.
Les activités de réduction se localisent majoritairement en dehors de l’espace Hallstattien occidental, à l’ouest et au nord-ouest. En revanche, les activités de forge ayant livré des indices conséquents se localisent essentiellement dans le complexe Nord-Alpin. Même si une activité de forge peut être appréhendée précocement en lien avec des ateliers de bronziers adoptant le fer comme nouveau matériau ou dans de rares ateliers spécialisés (armement, char…), justement trop rares pour pouvoir en être documentés, c’est au moment de l’apparition des “résidences princières” que des traces plus importantes d’activités de forge sont notables. Ce n’est ensuite qu’au Hallstatt D3 qu’apparaissent les importants centres producteurs et les sites d’habitats “résidences de forgerons”.
Ainsi, se développement semble s’amorcer d’est en ouest, de la même manière que l’expansion du phénomène princier. L’apogée des productions d’objets en fer et celle des “résidences princières” semblent également marcher de pair. En revanche, le déclin des sites princiers n’entraîne pas celui des grands sites producteurs qui perdurent encore, pour certains, jusqu’à la fin de La Tène A.
En raison de leur proximité plus ou moins importante avec les centres de production primaire de fer, certaines “résidences princières” comme Vix et l’hypothétique résidence de Lavau ou encore Bourges, peuvent davantage profiter des richesses engendrées. Néanmoins, la grande majorité des productions de fer brut étant en dehors des espaces contrôlés directement par les résidences, les réseaux d’échanges qui se développent à cette période semblent pouvoir permettre à d’autres régions de profiter de cette économie en plein essor.
Il apparaît donc que le fer joue un rôle important dans le développement des sociétés fortement hiérarchisées entourant les “résidences princières” mais que ce rôle ne se joue pas au niveau d’une exploitation locale du minerai mais plutôt dans la maîtrise des réseaux d’échanges de fer brut ou grossièrement compacté (bipyramidés) et dans sa transformation en produits manufacturés. De plus, cette activité n’est pas à rechercher au sein des “résidences princières” elles-mêmes, mais au sein des espaces qu’elles contrôlent.
Dans les années à venir, il sera crucial d’aborder de façon plus large les réseaux d’échanges de fer à cette période en cherchant à définir la part des productions locales (pour les secteurs producteurs) et la part des importations, mais aussi leur origine.
Jusqu’à présent, seuls des bandages de roue et des demi-produits ont été étudiés de façon plus systématique. Les bandages de roue de sépultures à char sont des parties de biens de prestige et leur histoire peut être complexe en cela qu’ils peuvent être le résultat d’un grand nombre d’échange et de cadeaux réalisés sur plusieurs générations et à travers des régions éloignées. Pour cette raison, leur étude rend complexe la reconstitution des réseaux d’échanges en vigueur à une période donnée. Les demi-produits bipyramidés, investis de davantage d’espoir lors des précédents programmes de recherche, ne se sont pas révélés très différents des biens de prestige. Leurs dépôts semblent résulter d’une accumulation de provenances disparates dont les modalités de thésaurisation et de sortie des réseaux économiques nous sont inconnues.
En revanche, lorsque des objets manufacturés ou des chutes de travail ont été étudiées dans des sites d’habitat comme à Velaine ou à Eberdingen-Hochdorf, des provenances plus cohérentes et locales ont pu être mises en évidence.
Il apparaît donc qu’une étude systématique de la provenance du fer dans les sites d’habitat et dans les grands centres producteurs du Hallstatt D3/La Tène A1 permettrait une avancée cruciale dans la compréhension de “l’Économie du fer” durant les premiers temps de son expansion en Europe nord-occidentale.
Remerciements
Nous tenons chaleureusement à remercier nos collègues allemands du Curt-Engelhorn-Zentrum, avec qui nous avons mené à bien le programme ANR-DFG CIPIA, pour la qualité de nos relations humaines et scientifiques. Nous tenons également à remercier l’ensemble des musées qui nous ont permis d’effectuer les prélèvements sur leur mobilier. Merci à ces conservateurs d’avoir eu l’ouverture d’esprit d’accepter qu’un prélèvement sur un objet représente une valeur ajoutée à leur collection et non une dévalorisation. Nous tenons aussi à remercier tous nos collègues de l’archéologie préventive, en particulier ceux de l’Inrap, qui, au-delà de leurs qualités scientifiques, forment un réseau très efficace de diffusion et de centralisation de l’information. Sans eux, la plupart des données présentées ici serait inconnue.
Nous tenons enfin à remercier Patrice Brun, Bruno Chaume et Federica Sacchetti de nous avoir invité à présenter une communication à ce colloque de Vix en 2016.
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Notes
- Coordination S. Bauvais avec M. L’héritier, M. Hubert, J.-C. Méaudres et J. Horny. Depuis 2017, prospections thématiques et fouilles programmées d’ensembles de production entre la montagne de Reims, Épernay et Sézanne.
- Coordination M. Berranger avec J.-P. Piétak, M. Leroy, H. Laurent, S. Laurent-Corsini, P. Merluzzo, S. Venault, O. Girardclos. Programme collectif de recherche financé par la DRAC Bourgogne-Franche-Comté, le CNRS (Laboratoire Métallurgies et Cultures – UMR 5060 – IRAMAT) et l’Inrap. Depuis 2017 prospections et sondages sur des sites de réduction de Puisaye, Nivernais, Morvan-Auxois.
- Travaux Hervé Laurent (SRA Bourgogne-Franche-Comté) dans le cadre du PCR “La sidérurgie ancienne en Bourgogne-Franche-Comté” et fouilles Eveha F. Sarreste.
- PCR “La sidérurgie ancienne en Bourgogne-Franche-Comté”.