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Le mois de décembre : calendrier, fêtes et cérémonies

Le mois de décembre : calendrier, fêtes et cérémonies

Au terme de l’année du calendrier romain dit « pré-julien » – c’est-à-dire avant la réforme de Jules César datée de 46 avant notre ère pour une application l’année suivante (cf. Benoist 2020, p. 146-147) – se place le mois de décembre, ultime occurrence d’une pratique d’appellation des mois au moyen d’un numéro d’ordre. De quintilis, devenu mois de juillet afin d’honorer César en 42 av. n. è. tandis que le mois sextilis fut dénommé août en l’honneur d’Auguste en 8 av. n. è., à december, il s’agit des 5e, 6e, 7e, 8e, 9e et 10e mois ; décembre est donc bien le « dixième » mois d’une année archaïque supposée débuter par le mois de Mars. Ce mois comprenait initialement 29 jours, comme nous le confirme la seule trace qui nous soit parvenue d’un calendrier épigraphique peint trouvé dans la cité d’Antium, les Fasti Antiates Maiores, que l’on date de l’époque syllano-pompéienne, à savoir des années 80-60 a.C.1.

Fasti Antiates Maiores. Musée du théâtre romain de Saragosse.
1. Fasti Antiates Maiores. Musée du théâtre romain de Saragosse.

Consacré aux fermetures diverses de l’année luni-solaire puis solaire, il reçoit deux jours supplémentaires à l’issue de la réforme de César, destinée à supprimer les pratiques d’un calendrier archaïque imposant des intercalations complexes tous les deux ans à la fin du mois de février, deuxième fermeture annuelle, afin de faire coïncider l’année lunaire au rythme solaire des saisons. En passant d’une année de 354 jours, avec douze mois de 31, 29 ou 28 jours, à une année de 365 jours pratiquant une intercalation d’un seul jour tous les quatre ans (par le redoublement du jour VI avant les kalendes de mars, soit un jour bis-sextilis), la réforme césarienne nous introduit à une nouvelle approche du temps civique. Désormais doté de 31 jours, comme les mois de janvier, mars, mai, juillet, août et octobre, « notre mois de décembre » associe des fêtes très anciennes, que l’on peine parfois à identifier et décrire précisément, et quelques enrichissements progressifs des données calendaires sur le temps long de l’époque impériale. Il en va ainsi du témoignage du chronographe de 354 de notre ère, que l’on appelle improprement le « calendrier de Philocalus », qui choisit la fête des Saturnales comme illustration du mois de décembre, même si le contenu de l’image demeure sujet à interprétations2.

Philocalus. Calendrier de Philocalus.
2. Philocalus. Calendrier de Philocalus.

Le calendrier d’Anzio nous a livré six entrées festives pour le mois de décembre, notées en capitales abrégées. On y ajoutera la célébration des ides (EID(us)) traditionnellement réservées à Jupiter Optimus Maximus, même si l’on s’est depuis longtemps étonné que les divinités auxquelles s’adressent les commémorations calendaires soient peu conformes aux hiérarchies évoquées notamment par nos sources littéraires, en particulier une présence de la triade capitoline discrète par rapport à son statut. Si l’on peut renvoyer à l’œuvre de Georges Dumézil 1974, qui a magistralement su reconstituer ce qui pouvait l’être de la religion romaine archaïque et aux commentaires de John Scheid 2001 sur sa méthode (chapitre 4, « Comment Lire Dumézil »), il est important de souligner l’enjeu de ces six entrées de fêtes religieuses dans nos sources épigraphiques. Sont ainsi mentionnés : les AGON(alia) le 11, les CONS(ualia) le 15, les SATVR(nalia) le 17 (avec en plus petit la mention de Saturno, à Saturne), les OPA(lia) le 19 (Opi, à Ops), les DIVAL(ia) le 21 (Laribus Permarinis, aux Lares Permarini, ces dieux qui protègent sur la mer dont le temple se situait sur le Champ de Mars), enfin les LARE(ntalia) le 23 (Dianae, Iunoni Reginae in Campo, Tempestatibus, à Diane et Junon Reine au Champ de Mars, aux Tempêtes dont le temple sur le Cælius se trouve à proximité du Mausolée des Scipions). Il est d’emblée remarquable de relever l’inscription en des jours impairs de ces fêtes qui se conçoivent en réseaux, au sein d’un même mois au bien tout au long de l’année, de saison en saison, en deux cycles fondamentaux : agraire et guerrier. Seul le premier est présent en décembre. S’il n’est pas toujours facile d’identifier très exactement la nature de chacune des entrées festives, comme le rappelle J. Scheid 1998 dans sa présentation des fasti (chapitre 4, « Le partage du temps »), il n’en demeure pas moins que l’on peut appréhender le sens général de ce que la communauté des hommes, étroitement associée à la communauté des dieux, entend célébrer en ce mois de fermeture, où les jours sont les plus courts et où il convient de saluer le solstice d’hiver et la promesse de renaissance de l’année à venir.

Du 11 juin, fête de l’aurore avec les Matralia, au 11 décembre, avec l’énigmatique entrée des Agonalia et la mention par Lydus (Jean le Lydien, Les mois, 4, 155) de Sol indiges, une même approche du temps semble prévaloir, celle-là même qui préside à la fête du solstice d’hiver, lors des Diualia. Mentionnons le commentaire lumineux qu’en donne G. Dumézil 1974, p. 341-343, à propos de ces angustos dies, ces jours les plus courts, où l’on célèbre la diua Angerona, par des sacrifices des pontifes à l’intention d’une déesse dont la statue est bouche bandée et scellée, un doigt sur les lèvres (d’après Solin, I, 6), afin, comme il l’analyse finement, que « par son silence et la concentration de force mystique qu’il procurait Angerona puisse faire son office, sauver le soleil du péril ». Le dieu des grains mis en réserve et l’abondance personnifiée, Consus et Ops, sont quant à eux de nouveau liés, comme en août lors de l’engrangement des récoltes : les 21 août et 15 décembre pour les Consualia et les 25 avril et 19 décembre pour les Opiconsivia et Opalia, avec le même intervalle de trois jours entre les deux fêtes.

Les Larentalia et les Saturnalia nous permettent d’entrevoir la profondeur des enseignements des pratiques festives à Rome. Il s’agit d’une part de prendre conscience des ressorts d’une construction au long cours de la mémoire collective d’une communauté urbaine au travers de ses légendes étiologiques. Par exemple avec Acca Larent(in)a, courtisane devenue immensément riche après une nuit passée au sanctuaire d’Hercule et léguant au peuple romain sa fortune contre la promesse d’une célébration annuelle, ou bien mère nourricière des jumeaux Romulus et Remus, nos sources, Plutarque (Romulus, 5, 1-10 et Questions Romaines, 35) et Macrobe (1, 10, 13-16), nous livrent l’inventaire des mythes qui justifient l’inscription d’une fête au calendrier, tels du moins qu’ils étaient perçus à l’époque impériale, au début des IIe et Ve siècles de notre ère. Quant aux Saturnalia d’autre part, ils fournissent de nombreuses informations : qu’il s’agisse de l’introduction officielle des munera gladiatoriens, initialement réservés aux contextes funéraires, ou bien des dimensions publiques et privées d’une fête qui permet de pratiquer l’inversion rituelle des rapports entre maîtres et esclaves, les premiers servant les seconds lors de banquets privés, dans les domus urbaines ou les villae campagnardes (Macrobe, I, 24, 22-23), en une période de licence fort encadrée (Benoist 1999). L’enrichissement constant des données permet de juger de la pérennité de certaines fêtes et de leur mise en contexte : il en va ainsi au tout début du principat de Néron avec le cas du jeune Britannicus, fils de Claude, qui perd la vie dans des circonstances remarquables, face au saturnalicius princeps qu’était alors Néron, empoisonné parce qu’il avait cru se sortir d’une obligation à se produire durant un banquet en chantant des vers peu favorables à son demi-frère (Tacite, Annales, 13, 15). Pline le Jeune témoigne de son côté du caractère enjoué de la fête des Saturnales, dans sa propriété de Laurentinum (Lettres, II, 17, 24).

Les sources épigraphiques ou papyrologiques ne suffisent pas, loin s’en faut, pour nous éclairer sur le contenu des fêtes inscrites au calendrier : quant à la participation des grands collèges sacerdotaux – les pontifes lors des Diualia et des Larentalia, le flamen Quirinalis lors de cette dernière fête –, les aspects publics et privés des cérémonies, les lieux impliqués et les gestes qui y sont adressés aux dieux. La littérature permet de compléter nos données, depuis le poème d’Ovide consacré aux fastes (I, 27-62), mais qui ne va pas au-delà du mois de juin tout en nous livrant une interprétation des strates successives de constitution du calendrier archaïque, des dix aux douze mois de l’année, de Romulus à Numa « plaçant deux mois nouveaux en tête des anciens mois », leurs noms assortis d’explications plus ou moins avérées, et la structuration de chaque mois au rythme de croissance de la Lune, avec les kalendes, les nones et les ides, ces dernières marquées par cette « brebis blanche de belle taille [qui] tombe en l’honneur de Jupiter ». L’enrichissement des données hominum causa, par l’entrée de commémorations liées à la geste d’hommes remarquables, grands imperatores de la République finissante, est attesté dès Sylla et César, avec les jeux célébrant leurs victoires, du 26 octobre au 1er novembre et du 20 au 30 juillet. En ce qui concerne le mois de décembre, citons quelques exemples significatifs : l’entrée au 15 décembre, jour des Consualia, de la dédicace de l’autel de la Fortune du retour (Fortuna Redux) destiné à célébrer le retour d’Auguste des provinces « trans-marines » en 19 av. n. è. (Feriale Cumanum & Fasti Amiternini). Ce même jour, l’anniversaire de Néron entre dès 55 dans la liste des commémorations de la confrérie des frères Arvales, avec les sacrifices au Capitole d’un bœuf à Jupiter Optimus Maximus, d’une vache à Junon et d’une autre à Minerve, la triade capitoline étant ainsi honorée aux côtés de Salus qui reçoit un bœuf et du Génie du prince un taureau. Les fastes d’Ostie mentionnent au 8 décembre 19 le début du deuil (iustitium) consécutif à l’annonce de la mort de Germanicus en Syrie et, un peu plus d’un siècle plus tard, au 1er décembre 147, l’octroi de la puissance tribunicienne à Aurelius César sous le principat de son père adoptif Antonin3. Le jour des Larentalia du 23 décembre sont également mentionnés, à l’époque antonine, la consecratio de Matidie la nièce de Trajan (Benoist 2005, p. 154), le jour de sa mort en 119 selon les Actes des frères Arvales, et le triomphe conjoint de Marc Aurèle et Commode sur les Germains et les Sarmates en 176, comme le rapporte l’Histoire Auguste (Commode, 12, 5). Cette même source tardive, datant de l’extrême fin du IVe siècle sinon du tout début du Ve siècle, mais semble-t-il à bonne source (i.e. Marius Maximus, Cassius Dion et Hérodien), nous informe de l’ambition démesurée d’un tyran, désireux de rebaptiser tous les mois de l’année, décembre devenant le mois Amazonien (Ibid., 11, 8). Nul doute que cet empereur, fervent amateur de combats de gladiateurs et ayant lui-même combattu dans l’arène, devait apprécier le contexte particulier des Saturnales. L’ironie voulut que sa fin prit place dans la nuit du 31 décembre sous les coups de conjurés au sein du palais impérial. Des jeux célébrant une victoire de Constantin sur les Germains Lanciones enrichissent le calendrier de Philocalus par l’introduction de six jours de ludi Lancionici les 12, 13, 14, 16, 17 et 18 décembre, tandis que le 1er du mois accueille le 7e et dernier jour des ludi Sarmatici. Ces deux victoires sont diversement identifiées durant le principat de ce premier prince « chrétien ». C’est évidemment sous cet empereur que le dies solis du 25 décembre entre également dans les commémorations que retient le chronographe de 354 (natalis (solis) inuicti), jour probable de la dédicace du temple du Soleil au champ de Mars par Aurélien en 274. La permanence de certaines commémorations traditionnelles se trouvait ainsi assurée sur une plus longue durée au moyen du calendrier lui-même, structure et dénomination étant conservées, ainsi que de certaines entrées calendaires acceptables pour la nouvelle religion, ou se combinant aisément à un discours chrétien, en particulier pour tout ce qui participait de la geste impériale.

Fasti Ostienses, en 19.
3. Fasti Ostienses, en 19.
4. Fasti Ostienses, en 147.
4. Fasti Ostienses, en 147.

Bibliographie

  • Benoist, S. (1999) : La Fête à Rome au premier siècle de l’Empire. Recherches sur l’univers festif sous les règnes d’Auguste et des Julio-Claudiens,« collection Latomus » no 248, Bruxelles.
  • Benoist, S. (2005) : Rome, le prince et la Cité. Pouvoir impérial et cérémonies publiques (Ier siècle av. – début du IVe siècle ap. J.-C.), « collection Le Nœud Gordien », Paris.
  • Benoist, S. [1995] (2019) : « Les religions du monde romain », in : Kaplan, M., dir. et Richer, N., coord., Le Monde romain, Paris, 4e édition complétée [1995], chapitre 6, 153-185.
  • Benoist, S. (2020) : Le pouvoir à Rome : espace, temps, figures (Ier s. av. – IVe s. de notre ère), douze variations (scripta varia), Paris.
  • Beard, M., North, J. et Price, S. (1998): Religions of Rome, 1. A History ; 2. A Sourcebook, Cambridge. Le tome 1 a fait l’objet d’une traduction chez Picard, Paris, 2006.
  • Dumézil, G. [1966] (1974) : La religion romaine archaïque, Paris, 2e édition revue et corrigée.
  • Keinast, D., Eck, W. et Heil, M., [1990] (2017): Römische Kaisertabelle. Grundzüge einer römischen Kaiserchronologie, Darmstadt, 6e édition.
  • Scheid, J. (1998) : La religion des Romains, « collection Cursus », Armand Colin, nombreuses rééditions.
  • Scheid, J. [1985] (2001) : Religion et piété à Rome, « Sciences des religions », Paris, 2e éd.

Notes

  1. Cf. fig. 1, une reproduction de ce calendrier épigraphique peint, affichée au Musée du théâtre romain de Saragosse, qui comporte douze mois et un mois intercalaire : à cette date et depuis près d’un siècle (en 153 av. n. è.), l’entrée en fonction des consuls et partant le début d’année avec toutes ses festivités inaugurales, se place désormais en janvier. Le dixième mois, « décembre », est bien désormais en douzième position ! Pour une brève présentation Benoist 2019, 156-157.
  2. Se reporter à la fig. 2, illustration du mois de décembre dans le calendrier de Philocalus, tirée d’un manuscrit datant du XVIIe siècle. Pour un bref commentaire, Beard, North, Price 1998, vol. 2, 125.
  3. Cf. les fig. 3 et 4 tirées des Fasti Ostienses en ce qui concerne les années 19 et 147 de notre ère.
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Comment citer

Benoist, Stéphane (2022) : “Le mois de décembre : calendrier, fêtes et cérémonies”, in : Lacroix, Audrey, éd., L’Antiquité est une fête, Actualités des études anciennes, le carnet scientifique de la Revue des Études Anciennes, Ausonius éditions, 35-41 [en ligne] https://una-editions.fr/le-mois-de-decembre [consulté le 23/03/2022]
Posté le 28/04/2022
EAN html : 9782356135001
ISBN html : 978-2-35613-500-1
Publié le 28/04/2022
ISBN livre papier : 978-2-35613-501-8
ISBN pdf : 978-2-35613-502-5
5 p.
Code CLIL : 3385; 3666
DOI : 10.46608/balade2.9782356135001.6
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