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Les amphores de Loron : apport de l’archéométrie à l’étude d’un site de production

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Introduction

La synthèse de plusieurs décennies de recherches sur les sites de production et de consommation des amphores Dressel 6B, exposée dans les articles précédents de cet ouvrage, nous permet aujourd’hui d’apprécier le travail accompli et les avancées obtenues grâce à la combinaison de l’épigraphie et de l’archéologie. Pour l’Istrie, il est désormais possible de dresser un tableau général de la production et de la diffusion des Dressel 6B de Fažana et de Loron, mais aussi des ateliers dont les vestiges matériels n’ont pas été identifiés. Sur les sites de consommation, l’archéologie a fourni des contextes bien datés pour chaque production et a permis de rattacher avec certitude certaines estampilles à un atelier de production, voire à en mettre au jour de nouvelles non encore identifiées. L’épigraphie et la prosopographie ont permis d’identifier les propriétaires et de reconstituer l’histoire des ateliers, et surtout de dresser la carte des routes commerciales de l’huile d’Istrie.

À côté de ce bilan globalement très positif, il faut pourtant constater les limites des sources à notre disposition, à la fois partiales et partielles. Partiales car elles ne sauraient traduire exactement la réalité des faits historiques : le timbrage ne concerne qu’une infime partie des amphores et celui-ci n’est probablement pas appliqué de manière systématique, de telle sorte que des comparaisons entre ateliers ou entre époques ne pourraient être qu’hasardeuses. Partielles car les aléas de la conservation des archéomatériaux et de la recherche archéologique ne permettent d’accéder qu’à une portion limitée d’une totalité par définition inconnaissable.

L’abondance du matériel amphorique et la richesse des informations épigraphiques que celui-ci reçoit en ont fait un support de choix pour la recherche sur le grand commerce et l’économie romaine. La majorité des efforts accomplis dans l’établissement des typochronologies, la classification des estampilles, la fouille des sites de production et de consommation ou d’abandon, ont surtout permis de reconstituer les circuits commerciaux des principales denrées alimentaires échangées à travers l’Empire et leur évolution au cours du temps, ainsi que de localiser les aires voire les sites individuels de production à l’origine de ces flux commerciaux. À l’inverse, une attention moindre a été portée au processus de production lui-même et à ses enjeux, alors que ce type particulier de production soulève des questions spécifiques en matière de technologie céramique, à même d’éclairer non seulement la pensée technique romaine mais aussi les choix économiques. Il faut en effet rappeler que les amphores sont produites avant tout pour un usage généralement unique, afin de contenir un produit qui est la véritable denrée commercialisée et de valeur. Dans ce cadre, les propriétés recherchées dans la conception des vases sont avant tout celles qui vont lui assurer une solidité suffisante pour résister aux chocs et contraintes mécaniques, ainsi qu’une forme adaptée au transport et à l’empilement dans la cale des navires. À cela s’ajoute l’importance des quantités produites, ce dont témoignent les vestiges d’ateliers monumentaux. L’investissement initial requis pour mettre en place cette production, par exemple à Loron, est considérable et procède d’une pensée organisatrice puisque le complexe a été bâti d’un seul jet selon un unique programme architectural. La nécessité d’assurer une production importante et une qualité suffisante impliquent que chaque étape du processus soit réfléchie et décidée. Il est donc déterminant d’évaluer ces choix à toutes les étapes de la chaîne opératoire et de comprendre les raisons qui les ont déterminés.

Les sources disponibles traditionnellement en histoire et en archéologie sont ici malheureusement beaucoup moins pertinentes pour répondre à ces questions. Les différents corpus de textes antiques ont depuis longte[mps été pleinement exploités, et le désintérêt des auteurs anciens pour les activités de production ne laisse pas augurer de nouvelles découvertes1. Il reste donc les objets eux-mêmes pour témoigner de cette production. Dans la perspective d’une étude technologique, ceux-ci devraient représenter une source de choix pour ces problématiques, à condition de chercher au sein même des objets les informations susceptibles d’avoir été encodées au cours des diverses étapes de la chaîne opératoire, stigmates des activités humaines de production, d’usage et d’abandon, et témoins indirects de la pensée qui a présidé à leur existence. Pour répondre à ces problématiques, l’étude suivante s’est focalisée sur une étape particulière de la chaîne opératoire de la production des amphores à Loron, la collecte et la préparation des matières premières. D’une part, cette étape conditionne toutes les étapes ultérieures de la chaîne opératoire. D’autre part, le contexte géologique et environnemental de l’Istrie pose la question de l’accès et de l’usage des ressources locales, ce qui rend cette étape d’autant plus cruciale dans le contexte d’une production aussi large.

D’un point de vue géologique, l’Istrie peut être découpée sommairement en trois unités principales, qui se manifestent successivement sur un axe nord-est à sud-ouest2 : l’Istrie blanche, au nord-est, constituée par les bancs calcaires crétacés du karst triestin ; puis, l’Istrie grise ou verte, caractérisée par des calcaires à foraminifères et des flyschs éocènes ; enfin, l’Istrie rouge, au sud et à l’ouest, une grande zone calcaire crétacée et jurassique comblée et surmontée de terra rossa, un sédiment argileux de couleur rouge vif formé par la décalcification des roches calcaires (fig. 1). Les sites de Loron et Fažana sont implantés dans cette zone de terra rossa. Pourtant, celle-ci est généralement considérée comme impropre à la fabrication de céramique3. Dans le cas de Loron, les seuls matériaux argileux disponibles en quantité sont les alluvions transportées par la Mirna, fleuve dont l’embouchure est située à une dizaine de kilomètres au nord du site.

Dans cette contribution4, après avoir présenté la méthodologie mise en œuvre, nous détaillerons les résultats concernant, d’une part, l’analyse des amphores et, d’autre part, celle des sédiments argileux disponibles. Enfin, nous discuterons des stratégies de collecte et de préparation des matières premières mises en œuvre dans l’atelier de Loron, et de leur évolution au cours du temps.

Carte morphostructurale simplifiée de l’Istrie (d’après Fouache 2001, 13) où sont figurés la localisation des ateliers de Loron et Fažana et les points de prélèvement d’échantillons de sédiments.
Fig. 1. Carte morphostructurale simplifiée de l’Istrie (d’après Fouache 2001, 13) où sont figurés la localisation des ateliers de Loron et Fažana et les points de prélèvement d’échantillons de sédiments.

Stratégie analytique

Échantillonnage

L’approche choisie dans ce travail combine analyses élémentaires et minéralogiques sur un corpus constitué d’amphores et de sédiments argileux. Cette étude est remarquable par le nombre d’échantillons sélectionnés. En effet, le site de Loron a fonctionné durant plus de trois siècles, avec la succession d’une dizaine de propriétaires et une évolution parallèle des formes et des techniques de façonnage des produits. Afin d’étudier les comportements techniques au cours du temps, en prenant en compte la succession rapide des propriétaires et son incidence sur les produits issus de l’atelier, on a choisi d’échantillonner chaque groupe de production de la manière la plus représentative possible. Au total, 285 échantillons d’amphores et amphorettes ont été prélevés, recouvrant toute la période de production. L’échantillonnage des amphores a été réalisé systématiquement sur des bords estampillés, de manière à assurer que chaque échantillon provenait d’un récipient différent et afin d’éliminer tout biais potentiel lié à l’utilisation de recettes de pâtes différentes pour confectionner les diverses parties d’un même vase. La répartition des échantillons selon les différents groupes de production identifiés dans l’atelier est donnée dans le tableau 15. Pour la description des groupes nous renvoyons le lecteur à la contribution de Yolande Marion et Francis Tassaux, dans ce volume.

Échantillonnage des amphores de Loron en fonction des groupes de production classés selon la chronologie des estampilles. Les données mesurées sur les échantillons d’amphorettes n’ont pas été utilisées dans cet article. Échantillonnage des sédiments argileux pour chaque type de matériau géologique étudié dans cet article.
Tableau 1. Échantillonnage des amphores de Loron en fonction des groupes de production classés selon la chronologie des estampilles. Les données mesurées sur les échantillons d’amphorettes n’ont pas été utilisées dans cet article.
Tableau 2. Échantillonnage des sédiments argileux pour chaque type de matériau géologique étudié dans cet article.

L’échantillonnage ne s’est pas limité aux produits céramiques issus de l’atelier. Une prospection géologique a également été réalisée dans les environs du site et parfois à plus grande distance sur le territoire istrien, afin d’identifier les différentes ressources en matériaux argileux disponibles et d’obtenir des éléments d’interprétation sur les sources de matière première utilisées pour la fabrication des amphores. Une cinquantaine d’échantillons géologiques ont été étudiés (décrits dans le tableau 2), dont un sédiment argileux gris-vert retrouvé en comblement dans des couches archéologiques du site de Loron6, d’aspect différent de la géologie environnante.

Préparation des échantillons

Amphores

Pour chaque échantillon d’amphore, 2 g sont prélevés pour l’analyse élémentaire, en prenant soin d’éliminer les parties extérieures pour s’affranchir de la pollution par le milieu d’enfouissement. Avant l’analyse, ces prélèvements subissent une calcination dans un four électrique (une heure à 950 °C) permettant l’élimination principalement de l’eau et de la matière organique ; la perte au feu est mesurée pour chaque échantillon. Ces derniers sont broyés mécaniquement dans un mortier en carbure de tungstène. Enfin, 300 mg de la poudre obtenue sont pressés sous forme de pastilles de 8 mm de diamètre et 3 mm d’épaisseur à l’aide d’une presse Carver 4350 L, sans adjonction de liant. En parallèle, un autre prélèvement sur une sélection plus restreinte de 38 amphores est réalisé pour la fabrication de lames minces.

Sédiments

Afin de prendre en considération l’hétérogénéité des sédiments argileux et étant moins contraint par la quantité de matière disponible, leur échantillonnage est réalisé à partir de 10 à 20 g de matière. Ils sont dans un premier temps tamisés pour sélectionner la fraction inférieure à 2 mm, puis sous-échantillonnés pour chaque parcours d’analyse. Pour l’analyse par fluorescence de rayons X, des pastilles sont préparées selon le même protocole que celui décrit pour les amphores. Pour l’analyse granulométrique et l’identification des minéraux argileux par diffraction de rayons X, les échantillons sont soumis à une attaque au peroxyde d’hydrogène (H2O2) visant à l’élimination de la matière organique.

Méthodes d’analyse mises en œuvre

Afin de traiter ce nombre d’échantillons important, nous avons privilégié la fluorescence de rayons X, une méthode d’analyse chimique quantitative rapide de mise en œuvre, et l’exploration statistique des données de composition. Les méthodes de caractérisation minéralogiques (diffraction de rayons X et pétrographie) ont été couplées à une analyse granulométrique pour compléter l’interprétation des données d’analyses chimiques.

Spectrométrie de fluorescence de rayons X en dispersion d’énergie (ED-XRF)

Les analyses sont effectuées sur les pastilles à l’aide d’un spectromètre ED-XRF Seiko SEA 6000VX, constitué d’un tube de rayons X au rhodium opérant sous une tension de 50 kV ainsi qu’un courant d’1 mA et d’un détecteur SDD d’une résolution de 155 eV à 5,9 keV (pic Kα du Mn). Le pilotage de l’appareil, l’enregistrement des spectres et la quantification sont assurés par le logiciel X-Ray Station (version 10.06.3.0). Les mesures sont effectuées sur une surface d’analyse de 9 mm2 pendant une durée totale de 900 secondes par échantillon (300 s à 15 kV sous un flux d’He, 300 s à 50 kV avec un filtre au Pb et 300 s à 15 kV avec un filtre au Cr). Les éléments suivants sont mesurés et exprimés en pourcentages de poids d’oxydes (pour les éléments majeurs et mineurs) et en parties par million (ppm, pour les éléments traces) après normalisation à 100 % : Al2O3, SiO2, K2O, CaO, TiO2, Fe2O3 (Fe total), Rb, Sr, Zr. L’algorithme utilisé pour la quantification s’appuie sur la méthode des paramètres fondamentaux, corrigée par un étalon international (USGS W-2a)7. Les limites de détection sont déterminées par la mesure de l’étalon W-2a8.

Diffraction de rayons X

Les analyses sont effectuées à l’aide d’un diffractomètre Bruker D8 Advance équipé d’un détecteur LynxEye (géométrie Bragg-Brentano θ/θ) exploitant la raie kα du cuivre, sous une tension de 40 kV et une intensité de 40 mA. L’enregistrement des données est effectué de 3 à 60° (2θ) avec un pas de 0,02° et un temps d’acquisition de 4 secondes. L’ouverture du tube X est limitée par une fente de divergence de 0,3° et celle du détecteur par une fente d’anti-diffusion de 3 mm.

Préalablement à l’analyse des argiles, les échantillons à la composition riche en calcium subissent une attaque supplémentaire à l’acide chlorhydrique (HCl ; 1 M), suivie de plusieurs cycles de rinçage à l’eau déminéralisée par centrifugation. Seule la fraction granulométrique inférieure à 10 µm est sélectionnée pour réaliser des préparations orientées, facilitant la détermination des minéraux argileux. Chaque lame orientée est analysée 5 fois, après avoir subi successivement plusieurs traitements : séchage à l’air, glycolation sous vide à l’éthylène-glycol, chauffes pendant 1 heure à différentes températures (110, 350 et 550 °C). Ce protocole a pour but de discriminer les différentes espèces minérales argileuses par l’observation du déplacement ou de l’évolution de l’intensité de pics caractéristiques9.

Pétrographie

Des analyses pétrographiques sont menées sur lames minces, préparées à la fois sur les amphores et les sédiments argileux, à l’aide d’un microscope LEICA DM 2500P couplé à un système d’acquisition d’images.

Granulométrie

Les distributions de tailles de grains dans les échantillons de sédiments argileux sont mesurées à l’aide d’un granulomètre laser Horiba LA-950V2. Les analyses ont été effectuées par Alain Queffelec au laboratoire PACEA (UMR 5199 CNRS – Université de Bordeaux – Ministère de la Culture). Les échantillons sont dispersés dans une solution aqueuse d’hexamétaphosphate de sodium (Na6O18P6) pendant 12 heures, puis aux ultrasons pendant 1 minute au moment de la mesure. La distribution granulométrique des échantillons est calculée avec la solution de Mie à l’équation de Maxwell. Les données granulométriques sont représentées dans le triangle des textures du Bureau des Sols Européen10. Les classes granulométriques choisies sont les suivantes : argiles (inf. à 7 µm), silts (7–50 µm) et sables (50–2000 µm).

Analyse des données de composition

Les traitements et l’analyse des données ont été réalisés avec le logiciel R (version 3.5.1)11. Les modules complémentaires suivants ont été utilisés : ggtern (version 3.0.0.1)12, compositions (version 1.40-2)13, FactoMineR (version 1.41)14 et MASS (version 7.3-50)15.

Les données issues de l’analyse élémentaire par ED-XRF sont de nature compositionnelle. Une transformation de celles-ci est nécessaire avant leur étude par des méthodes statistiques multivariées. La transformation clr (centered log-ratio), fondée sur des logarithmes de rapports entre composés, a été employée dans ce travail notamment avant les analyses en composantes principales (ACP)16. La mesure de la variance métrique (ou variance totale), indicateur proposé pour l’étude de la dispersion des données de composition, a également été mise à profit dans cette étude. Celle-ci correspond à la moyenne des distances au centre du jeu de données17.

Résultats

Caractérisation des pâtes amphoriques de Loron

Les observations pétrographiques permettent de réaliser les constats suivants quant à la composition minéralogique des pâtes amphoriques. Elles sont généralement fines (la majorité des inclusions sont inférieures à 100 µm), compactes et comportent peu d’inclusions, principalement minérales (calcite micritique, quartz microcristallin) et de bioclastes carbonatés (foraminifères, majoritairement globigérines) (fig. 2A, B). On identifie également des bioclastes siliceux, moins fréquents (spicules et sterrasters d’éponges). Parmi les inclusions régulièrement retrouvées dans l’ensemble des pâtes figurent de nombreux nodules d’oxydes de fer, de morphologie variable et de taille parfois plurimillimétrique. Certaines pâtes diffèrent de ces observations générales. Ainsi, la production de Sisenna se démarque nettement en pétrographie des amphores des autres signataires par l’abondance de fragments de calcite micritique dans les pâtes (fig. 2A).

Clichés de lames minces de tessons d’amphores Dr 6B et d’un sédiment argileux, observées en lumière blanche transmise.
Fig. 2. Clichés de lames minces de tessons d’amphores Dr 6B et d’un sédiment argileux, observées en lumière blanche transmise. A. Amphore de Sisenna (lumière polarisée analysée, grossissement x2,5) ; B. Amphore timbrée Crispinill (lumière polarisée analysée, grossissement x5) ; C. Amphore de Domitien (lumière polarisée analysée, grossissement x10) ; D. Amphore timbrée MES CAE (lumière polarisée analysée, grossissement x5) ; E. Sédiment argileux provenant de l’atelier (lumière polarisée analysée, grossissement x5) ; F. Amphore d’Hadrien (lumière polarisée non analysée, grossissement x2,5).

D’un point de vue chimique, les pâtes sont relativement riches en calcium : les teneurs moyennes en CaO sont de 11,5 %. Les concentrations moyennes en fer sont de l’ordre de 7 % en Fe2O3 (tab. 3). Le traitement des données chimiques permet d’effectuer des observations plus détaillées à l’échelle des groupes de production ; à ce stade de l’étude, trois éléments principaux peuvent être notés. Tout d’abord, les données géochimiques confirment que le groupe de Sisenna se distingue nettement du reste des autres groupes, particulièrement par les teneurs en éléments fer, potassium et zirconium (fig. 3B, C, D). Ensuite, une seconde rupture semble apparaître avec Domitien et donc le passage de la propriété sous contrôle impérial, qui s’observe notamment au niveau des éléments potassium et zirconium. Enfin, il serait tentant de marquer une dernière rupture avec la production de l’époque tardive, même si le nombre d’échantillons pour cette période est faible, alors que leur étendue chronologique est mal connue.

Distributions des compositions élémentaires en fonction de chaque groupe de production pour l’atelier de Loron. Les boîtes à moustaches sont construites selon l’intervalle entre les premier et troisième quartiles pour la boîte, la barre centrale figurant la médiane, et une étendue correspondant à 1,5 fois l’écart interquartile pour chaque moustache (d’après la définition de Tukey 1977, 506).
Fig. 3. Distributions des compositions élémentaires en fonction de chaque groupe de production pour l’atelier de Loron. Les boîtes à moustaches sont construites selon l’intervalle entre les premier et troisième quartiles pour la boîte, la barre centrale figurant la médiane, et une étendue correspondant à 1,5 fois l’écart interquartile pour chaque moustache (d’après la définition de Tukey 1977, 506).

La mesure de la variance métrique (cf. supra) a été utilisée ici pour comparer entre eux les différents groupes de production selon la variation de la composition propre à chacun (4). Les débuts de l’atelier sont marqués par une forte hétérogénéité des productions et une variation rapide de celle-ci, suivie par une diminution régulière au long de la période sénatoriale. La principale rupture s’opère avant le passage à la gestion impériale, et serait le fait du groupe de Calvia, qui présente l’hétérogénéité la plus faible, avec son successeur Domitien. Par la suite, l’hétérogénéité s’accroît à nouveau de manière limitée et semble surtout se stabiliser dans le temps, sans qu’une nouvelle rupture n’apparaisse à l’époque tardive.

Variance métrique des données de composition pour chacun des groupes de l’atelier.
Fig. 4. Variance métrique des données de composition pour chacun des groupes de l’atelier.

Moyennes des compositions élémentaires des échantillons d’amphores et de sédiments argileux. Les éléments majeurs et mineurs sont exprimés en pourcentage d’oxydes, les éléments traces en parties par million ; les valeurs en italiques représentent les écarts-types. Les amphores sont réunies dans un groupe de production unique ; les sédiments sont regroupés par unité géologique de prélèvement.
Tableau 3. Moyennes des compositions élémentaires des échantillons d’amphores et de sédiments argileux. Les éléments majeurs et mineurs sont exprimés en pourcentage d’oxydes, les éléments traces en parties par million ; les valeurs en italiques représentent les écarts-types. Les amphores sont réunies dans un groupe de production unique ; les sédiments sont regroupés par unité géologique de prélèvement.

Caractérisation des sédiments environnants

Les résultats de l’analyse granulométrique des prélèvements géologiques mettent en évidence que la totalité des prélèvements de sédiments sont caractérisés par leur composition faiblement sableuse (moins de 10 % de la distribution granulométrique pour la majorité d’entre eux), une grande partie d’entre eux appartenant à la catégorie des sédiments fins (fig. 5). La terra rossa contient une grande composante silteuse, à la différence des alluvions de la Mirna qui apparaissent avec une plus forte composante argileuse.

Distribution des tailles de grains des échantillons de sédiments argileux obtenue par granulométrie laser. Triangle des textures du Bureau des Sols européen (Jones et al. 2005).
Fig. 5. Distribution des tailles de grains des échantillons de sédiments argileux obtenue par granulométrie laser. Triangle des textures du Bureau des Sols européen (Jones et al. 2005).

Sur le plan chimique, seules les alluvions de la Mirna contiennent une forte proportion en calcium (environ 26 % en moyenne) mais présentent cependant de grandes hétérogénéités de composition, alors que les sédiments prélevés dans les baies marines et dans les niveaux de terra rossa contiennent peu de CaO (respectivement 6,41 % et 1,17 %, en moyenne).

Les résultats obtenus comparés à ceux des amphores montrent une forte dispersion des sédiments autour du groupe compositionnel des amphores (fig. 6). Cette dispersion sur l’axe principal est majoritairement liée à la teneur en calcium, qui semble être le principal marqueur à même de les discriminer.

Aucun échantillon de sédiment analysé ne possède une composition similaire à celle des amphores (fig. 6). Parmi les sédiments calcaires, les alluvions provenant des rives de la Mirna sont les plus proches d’un point de vue compositionnel du groupe des amphores. Aucun des faciès étudiés individuellement n’est cependant compatible avec la composition des amphores.

Résultats de l’analyse en composantes principales des compositions élémentaires des amphores et des sédiments argileux (données transformées clr).
Fig. 6. Résultats de l’analyse en composantes principales des compositions élémentaires des amphores et des sédiments argileux (données transformées clr). En haut à gauche. Projection du nuage des individus sur le plan principal, représentation différenciée des amphores et des sédiments. En bas à gauche. Projection du nuage des individus sur le plan principal, représentation des amphores et des sédiments selon le type d’horizon géologique (le point “Loron” correspond au sédiment prélevé en position archéologique dans les couches vertes du site, cf. n. 5).

Discussion

Provenance des matières premières et préparation

Il est toutefois possible de dégager plusieurs marqueurs caractéristiques de l’origine géologique des matières premières utilisées, notamment grâce aux observations effectuées en pétrographie18. Ainsi, la terra rossa est bel et bien présente dans les pâtes, sous forme de fragments ou dispersée dans la matrice argileuse (fig. 2C), mais, comme le laissait déjà supposer la forte composante calcique des amphores, celle-ci ne peut être le seul composant des pâtes et semble au contraire représenter une part mineure de la composition. L’observation de fossiles caractéristiques et de fragments de roches carbonatées permet d’attester la présence d’éléments issus du flysch éocène. Enfin, il est possible de faire l’hypothèse de la présence d’éléments issus d’un sédiment d’origine marine ou fluviatile, dont seraient originaires les bioclastes siliceux (fig. 2D).

L’hypothèse d’un mélange d’au moins trois composantes d’origines géologiques différentes peut être proposée. Il pourrait s’agir soit d’un mélange naturel, produit par les mécanismes de transport et de re-déposition, soit d’un mélange anthropique, issu d’un choix technique délibéré de combiner des matériaux prélevés en différents endroits et qui serait donc réalisé artificiellement dans l’atelier.

La comparaison du groupe compositionnel des amphores aux divers sédiments argileux, comprenant notamment des bassins sédimentaires (baies et dépôts alluvionnaires) ayant pu avoir reçu des contributions des trois sources géologiques identifiées, a pourtant montré qu’aucun faciès n’était compatible avec la composition des pâtes céramiques. De plus, dans le cas des gisements les plus proches de l’atelier, ne sont retrouvés que des sédiments faiblement calciques (fig. 6). Il est toutefois possible qu’une source d’un tel mélange puisse exister localement, et celle-ci sera peut-être identifiée au cours d’une campagne de prospection ultérieure.

Un certain nombre d’indices technologiques dans les fabriques céramiques et dans les données de composition, ainsi que dans le registre archéologique lui-même, plaident cependant en faveur d’un mélange. Il s’agit notamment du prélèvement de sédiment argileux retrouvé en stratigraphie dans l’atelier (cf. supra). En pétrographie, cette argile présente des similitudes de composition minéralogique avec les amphores (fig. 2E). Elle apparaît également très proche du groupe compositionnel des amphores sur le plan principal de l’ACP des données élémentaires (fig. 6). D’après le contexte de découverte, une explication vraisemblable de l’origine de ce sédiment est qu’il serait lié à la matière première utilisée dans la fabrication des amphores, qu’il s’agisse de la terre employée à l’étape de formage ou d’un demi-produit lié à la chaîne opératoire de préparation. Enfin, certaines lames minces ont révélé des indices d’une préparation mal homogénéisée (fig. 2F).

Dans l’état actuel de notre étude, l’hypothèse d’un mélange artificiel réalisé dans l’atelier par les potiers semble donc envisageable, compte tenu des observations effectuées tant sur les sédiments argileux disponibles dans l’environnement du site que sur les productions céramiques. Cette hypothèse n’est à tout le moins pas évidente d’un point de vue technologique et semble aller à l’encontre de nos conceptions sur la production à grande échelle de ce type de conteneurs, de faible valeur indépendamment de leur contenu. En effet, le mélange des différentes composantes dans des proportions établies, le soin apporté à l’homogénéisation de celui-ci et à sa reproductibilité, suppose de la part des potiers un investissement en temps et en savoir-faire non négligeable. Il apparaîtrait plus simple que ceux-ci fassent usage d’un matériau naturellement compatible avec leurs besoins, dans la mesure du possible, afin de s’affranchir de ces coûteuses étapes. De fait, un tel mélange ne peut être envisagé séparément de l’organisation de la collecte et de la préparation des matières premières qui le composent.

En tout état de cause, il faut voir dans le choix de ce mélange une véritable intentionnalité, rendue nécessaire par un besoin lié à la production des amphores. Une volonté de rationalisation et d’expérimentation semble se dessiner à Loron ; celle-ci est également attestée par des indices archéologiques d’évolution des techniques de mise en forme19. En ce qui concerne le mélange observé dans les pâtes de Loron, il nous appartient de tenter d’élucider les raisons de ce choix technique. Si l’on se réfère aux résultats des analyses minéralogiques et granulométriques, on peut proposer plusieurs hypothèses explicatives liées à différentes propriétés des matériaux argileux. La propriété recherchée au travers de ce mélange pourrait par exemple être un degré de plasticité des argiles. La composition minéralogique (kaolinite dominante) des terra rossa plaide en effet pour une faible plasticité de ces dernières (tab. 4). Celle-ci serait alors compensée par les minéraux argileux présents dans les alluvions de la Mirna (illite, vermiculite). Également, l’ajout d’une composante calcaire significative (de 10 à 13 %) permettrait l’obtention de propriétés intéressantes en cours de fabrication : diminution de la porosité et limitation de la variation du volume au cours de la cuisson20, moindre dépense d’énergie pour réaliser la cuisson de la céramique21. Enfin, l’aspect esthétique peut également être évoqué : l’ajout d’une composante calcique permettrait notamment l’obtention d’une pâte de couleur claire. S’agissant des terra rossa, le rôle exact de leur présence dans le mélange reste à éclaircir ; elles pourraient se retrouver dans la composition de l’une des terres utilisées par les potiers pour confectionner le mélange final.

Compositions minéralogiques des échantillons de sédiments argileux. Les sédiments sont regroupés par unité géologique de prélèvement.
Tableau 4. Compositions minéralogiques des échantillons de sédiments argileux. Les sédiments sont regroupés par unité géologique de prélèvement.

Les choix procèdent avant tout d’une volonté de favoriser l’un ou l’autre aspect parmi une gamme de potentialités techniques, accessibles au potier selon ses savoir-faire et les matières et outils disponibles. Ainsi, dans le cadre de la production des amphores, il est très important de parvenir à évaluer si les choix visent avant tout à limiter au maximum les pertes de vases en cours de production ou bien à favoriser les fonctions d’usage du produit fini (meilleure résistance aux contraintes mécaniques, notamment lors du transport). Une perspective environnementale est également de mise : dans le cadre de l’approvisionnement en matières premières, que cherche-t-on à privilégier ? S’agit-il de limiter le recours à une matière première transportée sur une certaine distance, contrainte qui doit probablement être à relativiser, ou d’économiser du combustible dont la consommation par les fours de l’atelier est très vraisemblablement considérable ? Derrière ce type d’étude technologique, c’est donc bien la compréhension de tout un système économique qui est en jeu.

Évolution des pratiques au cours du temps

Les résultats précédents nous ont permis de proposer plusieurs hypothèses quant aux pratiques de sélection et de préparation des matières premières dans l’atelier de Loron. Il ne faut cependant pas négliger le fait que le groupe compositionnel utilisé dans le cadre de ces analyses comprend des échantillons d’amphores issues de l’ensemble de l’activité productive de l’atelier, sur une durée totale supérieure à trois siècles.

Le type de regroupement effectué à Loron s’avère commode pour dresser une carte d’identité physico-chimique de l’atelier, à comparer éventuellement avec d’autres groupes de référence à l’échelle régionale. Mais, parce qu’elle repose sur un large échantillonnage effectué parmi un matériel archéologique abondant et relativement bien daté22 – cas d’étude exceptionnel –, notre étude nous permet de raisonner sur chaque groupe de production identifié, qui dispose d’un nombre minimal d’échantillons pour être considéré individuellement. Ceci nous offre l’opportunité rare d’accroître l’échelle d’observation de nos données jusqu’au niveau des groupes de production individuels, et donc d’étudier plus finement les évolutions dans les pratiques de sélection et de préparation des matières premières dans l’atelier. On a donc confronté ces évolutions avec les différentes réorganisations de l’espace productif ou encore les changements du régime de propriété de l’atelier, et pu constater de cette manière si ces évènements ont marqué des temps de rupture ou de continuité dans les pratiques techniques.

Des ruptures ont ainsi pu être mises en évidence entre Sisenna et les propriétaires impériaux, et entre ces derniers et l’époque dite tardive (cf. fig. 3 et notre commentaire supra). Malgré tout, les ruptures observées ne sont pas suffisamment marquées pour séparer nettement les groupes de production entre eux ou même distinguer complètement les grandes périodes définies par l’évolution du régime de propriété.

Une évolution est bel et bien observable, mais celle-ci semblerait plutôt agir dans la continuité. Dans ce cas, on pourrait proposer l’hypothèse d’un changement dans la conduite de la production (malheureusement nous n’avons aucune information à Loron sur la succession des vilici ou officinatores dans l’atelier, contrairement à Fažana) ou dans l’approvisionnement en matière première : soit parce que de nouvelles sources sont accessibles à la suite de l’agrandissement du domaine auquel Loron appartient23, soit parce que la composition naturelle des sources varie dans l’espace, ou bien, suite à leur épuisement, un changement de l’approvisionnement est opéré.

Au-delà de l’évolution de la composition, c’est l’impact des choix productifs sur les données de composition que l’on aimerait mettre en évidence. Dans le cas de l’utilisation d’un mélange réalisé au sein de l’atelier par les potiers, il s’agit notamment de déterminer si des recettes particulières apparaissent et si celles-ci sont maintenues au cours du temps ou au contraire connaissent des évolutions notables. Il s’agit par là d’observer si un contrôle de la production est effectué, au travers de l’homogénéité – ou au contraire de l’hétérogénéité – de chaque groupe de production.

Vues de cette manière (cf. fig. 4 et notre commentaire supra), les données corroborent en partie seulement les observations précédentes, et confirment aussi que la séparation entre périodes sénatoriale, impériale et tardive n’est pas nécessairement la plus pertinente pour expliquer ces phénomènes. On peut notamment constater que les productions de l’atelier apparaissent nettement plus normalisées d’un point de vue compositionnel à partir de Calvia. Cela pourrait traduire un contrôle accru sur le mélange utilisé dans la production des amphores, avec l’emploi d’une recette de pâte optimisée. La plus grande variation observée aux époques précédentes pourrait, quant à elle, être due à des tâtonnements dans l’élaboration du mélange le plus adapté, à moins qu’il ne s’agisse d’une différence liée à l’évolution de l’organisation de la production, qui aurait influencé indirectement l’homogénéité des pâtes, sans que ce changement procède d’un choix délibéré.

Sans remettre en cause la bonne marche de l’atelier dans les premiers temps, la relative stabilité de la période suivante à partir de Calvia plaide, néanmoins, pour un bénéfice certain obtenu dans la recherche d’une plus grande homogénéité des pâtes.

Conclusion

Comme on vient de le voir, les étapes de sélection et de préparation des matières premières sont des moments cruciaux dans la chaîne opératoire de la production céramique et relèvent de problématiques spécifiques en termes de choix techniques, pour ce qui concerne en particulier la production de conteneurs tels que les amphores. Pourtant, il s’agit des étapes de la chaîne opératoire qui ont laissé le moins de traces dans le registre archéologique à Loron. On ne retrouve pas de trace d’aires de travail de l’argile, tout au plus des couches de matière argileuse au contact du substrat à des fins de nivellement, ou en stratigraphie dans la cour, ennoyant certaines structures24.

Le recours aux analyses physico-chimiques s’avère donc déterminant dans la compréhension des choix techniques opérés et de la pensée organisatrice qui en est à l’origine. Le travail effectué pour l’atelier de Loron a pu largement bénéficier de la possibilité de réaliser un grand échantillonnage dans l’ensemble des productions d’amphores issues de l’atelier. C’est grâce à cette stratégie d’échantillonnage que des éléments de réponse ont pu être apportés, tant sur l’origine des matières premières utilisées que sur leur préparation et l’évolution des pratiques dans le temps long.

à Loron, il apparaît que les potiers auraient fait usage d’un mélange composé de matériaux provenant de sources géologiques différentes. Dans l’état actuel de nos connaissances, il semble envisageable que ce mélange ait été réalisé délibérément dans l’atelier et ne serait donc pas issu d’un processus naturel.

Au cours des trois siècles d’activité de l’atelier, la recette ne paraît pas connaître de modification sensible. Néanmoins celle-ci évolue bel et bien, notamment au cours de plusieurs moments particuliers : entre le premier propriétaire et ses successeurs ; puis, un peu avant le passage de l’atelier sous le contrôle impérial ; enfin, avec la disparition de l’estampillage et le probable changement de statut de l’atelier qui l’accompagne.

La normalisation et son évolution au cours du temps ont également été examinés. Recoupant seulement en partie les observations précédentes sur l’évolution des recettes, on constate néanmoins une diminution de l’hétérogénéité des pâtes à la fin de l’époque sénatoriale, et sa stabilisation au cours de l’époque impériale. On fait donc l’hypothèse de l’existence d’une forme de contrôle exercé sur la qualité de la production, qui aurait permis d’assurer la stabilité dans le temps de celle-ci. L’intensité de ce contrôle semble toutefois varier au cours du temps, comme on a pu l’observer avec des différences notables de degré d’homogénéité entre certaines productions.

Ces premières constatations demandent à présent à être interprétées au regard des connaissances historiques et archéologiques. Les pratiques de sélection et de préparation des matières premières nous amènent en effet à élargir le propos à des questions telles que la connaissance des ressources à l’époque antique, l’impact de l’homme sur le milieu au travers d’une exploitation intensive pluriséculaire, l’adéquation entre choix techniques et stratégies de production à la disponibilité locale en savoir-faire et en ressources, l’impact de l’évolution du statut des ateliers et notamment du passage de propriété privée à gestion impériale en matière d’accès aux ressources, l’existence et le statut du personnel d’encadrement de la production, les relations entre les différents acteurs du circuit commercial de l’huile d’olive (producteurs, propriétaires, marchands et consommateurs), et les liens entre les différents ateliers à l’échelle régionale.

à propos de ce dernier point, on a pu voir notamment au travers de la communication de György Szakmány et Sándor Józsa25 que la présence des trois mêmes composantes géologiques avait été attestée dans les pâtes des amphores de Fažana. Il est intéressant de constater combien l’histoire de ces deux ateliers connaît un déroulement similaire et la mise en évidence de choix technologiques semblables conforte cette histoire commune.

Une question essentielle qui se pose également est celle du moyen de relier ces données de natures diverses – historique, archéologique, physico-chimique –, qui décrivent une même réalité, mais sous des angles et à des échelles (dans le temps et dans l’espace) très différentes. La lecture du signal archéométrique et de l’origine de ses différentes composantes est en effet loin d’être univoque, et interdit toute conclusion hâtive.

L’intérêt méthodologique de l’étude de ce site ne s’arrête toutefois pas là. Étudier des amphores au moment de leur fabrication dans l’atelier permet également de nous affranchir d’un certain nombre de filtres imposés par les étapes ultérieures de la vie de ces conteneurs et facilite donc d’autant la lecture du signal de composition. La réduction des biais et des incertitudes est essentielle à la bonne conduite de ce type d’étude. En ce sens, la possibilité de constituer un important groupe de référence, où chaque échantillon, dûment estampillé, est doté d’une origine et d’une appartenance chronologique certaines, a été déterminante. Mais il faut cependant rester vigilant quant à l’apparition possible de nouveaux biais liés au statut de déchet de ces vases : en quoi caractérisent-ils en effet une situation de production normale ? La comparaison avec des objets issus de la fouille de sites de consommation permettrait de répondre à cette question.

Enfin, bien que notre intérêt dans cette étude se soit porté avant tout sur les aspects de production, il faut également souligner l’apport potentiel de ces méthodes et de la constitution d’un référentiel des sites de production à la résolution de questions liées au commerce et à la diffusion des amphores. Pour l’instant, la reconstitution des voies commerciales et de leur importance respective est entièrement bâtie sur les comptages de tessons dûment estampillés, ce qui exclut d’emblée quasiment les trois-quarts des amphores jusqu’à Hadrien et la totalité du trafic après cet empereur, quand le timbrage disparaît totalement et que les formes produites par différents ateliers sont très similaires. Doit-on penser, comme cela a été longtemps avancé, que ces amphores tardives étaient uniquement destinées à la diffusion locale26 ? Avant d’avancer une réponse, il est nécessaire de mieux caractériser ces amphores tardives, leur composition, leur datation, leur profil et leurs dimensions, ainsi que leur rapport avec les amphorettes de même profil, afin de mieux les identifier dès la fouille.

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Notes •••

  1. Gallimore 2010 et Burkhalter 2013 pour les sources sur les amphores, notamment papyrologiques.
  2. Ambert 1978.
  3. Véninger 2016.
  4. Les auteurs souhaitent remercier les personnes suivantes : Y. Lefrais et B. Spiteri, pour leur collaboration. Ce travail a été réalisé dans le cadre d’un projet de recherche financé par une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme Investissements d’avenir portant la référence ANR-10-LABX-52.
  5. À noter que la succession chronologique des propriétaires réunis dans le groupe CRISPIN[…] et de THAL est hypothétique.
  6. Ces couches argileuses, d’une à plusieurs dizaines de cm d’épaisseur, ont été retrouvées en deux positions : elles recouvrent l’escalier qui permettait de descendre dans la cour ainsi que des structures antérieures, notamment dans l’angle sud-ouest de la cour ; ou bien, elles reposent sur le substrat et ont pu servir au nivellement de celui-ci, une pratique qui se retrouve visiblement du côté des structures jouxtant la citerne, dans la villa résidentielle de Santa Marina (Rousse & Tassaux 2010, 228-232).
  7. Govindaradju 1994.
  8. Machut et al. 2015.
  9. Wilson 2013 ; Poppe el al. 2001.
  10. Jones et al. 2005.
  11. R Core Team 2018.
  12. Hamilton & Ferry 2018.
  13. van den Boogaart & Tolosana-Delgado 2008.
  14. Le et al. 2008.
  15. Venables & Ripley 2002.
  16. Pawlowsky-Glahn & Buccianti éd. 2011, 5-6.
  17. Hron & Kubaček 2011 ; Pawlowsky-Glahn & Egozcue 2001.
  18. Nous remercions chaleureusement G. Szakmány et S. Jósza de nous avoir donné accès à leur vaste collection de lames de références géologiques et de nous avoir fait bénéficier de leur expertise sur le contexte géologique et les pâtes amphoriques de l’atelier de Fažana, sans lesquelles nous n’aurions pu effectuer les constatations exposées ci-après.
  19. Quelques exemples d’indices de rationalisation : la fabrication des bouchons d’amphores moulés, extraits du moule à l’aide d’un outil (un simple bâton ou plutôt une espèce de stylet métallique qui laisse une encoche caractéristique sur le bord du bouchon) ; l’évolution du bord des amphores, convexe (élaboré probablement grâce à un “conformateur” en céramique, cf. Y. Marion dans D’Inca et al. 2010, 324), puis évasé, obtenu simplement par les mains du potier au cours du tournage ; pour les amphores tardives, le lissage plus sommaire du bandeau de pâte ajouté au bas des anses pour les fixer au corps de l’amphore, ce qui les rend du reste plus fragiles, cf. Marion & Starac 2001, 117.
  20. Sokolář et al. 2012.
  21. Frerebeau 2015, 171-180.
  22. La datation est donnée par les estampilles des divers propriétaires jusqu’à Hadrien, cf. la contribution de Y. Marion et F. Tassaux citée plus haut.
  23. Tassaux 2001, 322-324.
  24. Cf. supra, n. 5. Si aucune trace archéologique d’un éventuel bassin d’élaboration de la pâte n’a été retrouvée dans l’atelier, deux remarques viennent cependant moduler cette affirmation : la cour a été jusqu’ici peu fouillée et il n’est pas à exclure que de telles structures puissent exister dans la partie encore non explorée ; ces structures auraient très bien pu avoir été établies en dehors de l’emprise de l’atelier, notamment si l’importance de leur surface était à même d’empiéter sur les autres activités de l’atelier.
  25. Voir notamment p. 81-105, et, en particulier, p. 99-100
  26. Voir par exemple : Bezeczky 1998, 235 ; Bezeczky 2014, 241. Des amphores tardives ont cependant été repérées à Trieste, à Concordia et surtout à Aquilée, grand port de commerce et de redistribution (cf. références dans la conclusion de cet ouvrage).
ISBN html : 978-2-38149-003-8
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Bordeaux
Article de colloque
EAN html : 9782381490038
ISBN html : 978-2-38149-003-8
ISBN pdf : 978-2-38149-004-5
Posté le 18/05/2020
19 p.
Code CLIL : 4117 ; 3385
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Machut, Pierre, Ben Amara, Ayed, Cantin, Nadia, Chapoulie, Rémy, Frerebeau, Nicolas, Le Bourdonnec, François-Xavier (2020) : « Les amphores de Loron : apport de l’archéométrie à l’étude d’un site de production », in : Machut, Pierre, Marion, Yolande, Ben Amara, Ayed, Tassaux, Francis, éd., Adriatlas 3. Recherches pluridisciplinaires récentes sur les amphores nord-adriatiques à l’époque romaine, Bordeaux, Ausonius éditions, collection PrimaLun@ 2, 2020, p. 39-56, [En ligne] https://una-editions.fr/les-amphores-de-loron-apport-de-larcheometrie-a-letude-dun-site-de-production [consulté le 15 juin 2020].
http://dx.doi.org/10.46608/UNA2.9782381490038.4
accès au livre Adriatlas 3. Recherches pluridisciplinaires récentes sur les amphores nord-adriatiques à l'époque romaine
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