L’étude des frontières sahariennes de Rome m’a fourni l’occasion de nombreux travaux de terrain. En Libye, d’abord, où j’ai participé en 1979-1980 à la mission de l’UNESCO Libyan Valleys Survey, dont la section française était dirigée par R. Rebuffat. Ces travaux n’ont malheureusement pas été achevés et ils souffrent cruellement de la comparaison avec la brillante publication que l’équipe britannique a consacrée au prédésert de Tripolitaine, une avancée scientifique majeure1. J’en avais tiré une modeste monographie consacrée à l’une des vallées que j’avais personnellement explorées, avec des moyens techniques rudimentaires, le wadi Tlal, au sud de Syrte2. De ces recherches anciennes et quelque peu dépassées aujourd’hui, j’extrais néanmoins deux articles plus récents qui proposent une comparaison avec le désert occidental d’Égypte, tant pour étudier le particularisme et les différents secteurs de cette “frontière” méridionale de l’Empire (n°15) que pour analyser la variabilité et la diversité des systèmes de mise en valeur agricole au sein de ces marges arides (n°16)3.
C’est toutefois l’Égypte qui m’a le plus longtemps occupé. D’abord avec le chantier de Douch dans l’oasis de Khargeh, à l’ouest du Nil, puis lors des missions de “survey” et de fouilles sur les pistes caravanières du désert oriental4. Les fouilles de Douch ont donné lieu à plusieurs monographies5 et à différents “papiers” préliminaires à la publication finale. Ces derniers sont aujourd’hui obsolètes et n’ont donc pas été réédités ici ; j’ai fait une exception pour une courte synthèse sur le village de Douch (n°12), encore à jour parce qu’elle a été préparée en même temps que la monographie finale du site, à la lumière de tout ce que l’étude de B. Bousquet avait apporté à notre compréhension sur l’écologie de cette région6. Depuis lors, les recherches menées par l’Ifao sur le site voisin de Manâwir et dans la chora de Douch ont assurément permis de compléter sensiblement nos connaissances, mais on attend toujours leur publication7. Dès les premières recherches dans l’oasis, je m’étais aussi intéressé à l’étude de sa mise en défense pendant la période romaine, d’abord par le biais d’un long Review article de la thèse de G. Wagner8, ensuite par un “survey” des fortifications encore bien conservées au nord de Khargeh9. Il m’était ainsi apparu très tôt que, contrairement à ce que pensait G. Wagner, l’armée romaine n’avait guère laissé de traces dans ces contrées isolées avant l’Antiquité tardive. Même à cette époque, la multiplication des ouvrages défensifs au sein de ce désert des Tartares ne se traduit pas par la mise en place d’une frontière, au sens classique du terme. L’armée était là, fondamentalement, pour assurer le contrôle des pistes et des populations, maintenir la sécurité intérieure et sans doute recouvrer le blé fiscal. J’ai conservé, dans ce recueil, une des études consacrées à ces questions (n°13)10.
L’étude des pistes caravanières du désert oriental fut une action de longue haleine, entreprise dès le milieu des années 1980 en compagnie de Jean-Claude Golvin, puis, à partir de 1994 au sein d’une équipe dirigée par Hélène Cuvigny, au moment où se développaient diverses recherches internationales dans tout ce secteur entre le Nil et la mer Rouge. L’ensemble de ces travaux a fait l’objet d’une synthèse récente lors d’un colloque au Collège de France, rapidement mis en ligne en français et en anglais, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de republier ici ce que j’ai pu écrire à cette occasion ; on se contentera donc d’en signaler le lien électronique11. De fait, cette communication avait résumé différents articles publiés antérieurement et qui sont reproduits ici (n°7 à 11), ainsi que des réflexions développées dans l’importante publication de la route de Myos Hormos ou celle des fouilles de Didymoi12. Au sein de cet ensemble, les articles n°8 à 11 forment un dossier particulier consacré à l’étude des aedes militaires fouillées dans les praesidia.
Les textes réédités dans le présent recueil ne sont donc qu’une petite partie d’un ensemble de publications beaucoup plus imposant et complexe. On ne doit pas oublier, en effet, que la recherche, dans cette région, repose à la fois sur l’étude des vestiges matériels mais aussi sur celle des textes très nombreux qui ont été mis au jour – plus de 15000 ostraca, depuis le milieu des années 1980 – ce qui réclame des collaborations multiples et suppose des connaissances croisées entre papyrologues et archéologues. Sur cette question, en particulier, on renverra à la réédition récente d’une partie des articles de H. Cuvigny, en traduction anglaise13. C’est pourquoi il a paru nécessaire de rajouter aussi dans ces pages – en l’augmentant de quelques notes et références – le texte d’une petite plaquette initialement destinée au grand public dans le cadre de la collection “Frontiers of the Roman Empire”, pour promouvoir l’étude et la conservation des monuments du limes auprès des décideurs et leur classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. En l’espèce, on a placé cette modeste synthèse en tête de cette section sur l’armée romaine d’Égypte pour présenter le cadre général de nos connaissances actuelles (n°6)14. Elle est inédite sous cette forme. Enfin on a rajouté une réflexion récente sur le camp romain de Dionysias/Qasr Qarun, en raison des problèmes posés par la chronologie de ce monument et de son architecture caractéristique de l’Antiquité tardive (n°14).
Notes
- G. Barker, D. Gilbertson, B. Jones, D. Mattingly, Farming the Desert. The UNESCO Libyan Valleys Archaeological Survey, Tripoli, 1996.
- M. Reddé, Prospections des vallées du nord de la Libye (1979-1980). La région de Syrte à l’époque romaine, Cahiers du groupe de recherche sur l’armée romaine et les provinces, IV, Paris, 1988 ; pour le wadi Bayy al-Kabir, voir R. Rebuffat, “Les fermiers du désert”, L’Africa romana V, 1988, p. 33-68.
- Sur la frontière romaine d’Afrique, on verra désormais la synthèse très à jour de S. Guédon, La frontière romaine de l’Africa sous le Haut-Empire, Madrid, 2018.
- Je passe ici sur l’étude du camp romain de Louqsor, lancée à l’initiative de Jean-Claude Golvin ; voir sur ce point Mohammed el-Saghir, J.-C. Golvin, M. Reddé, El-Sayed Hegazy, G. Wagner, Le camp romain de Louqsor, MIFAO 83, 1986.
- M. Reddé (dir.), avec des contributions de P. Ballet, A. Barbet, C. Bonnet, Kysis. Fouilles de l’Ifao à Douch. Oasis de Kharga (1985-1990), DFIFAO 42, 2004 ; id., Le trésor. Inventaire des objets. Essai d’interprétation (avec des photographies de J.-F. Gout et A. Lecler), DFIFAO 28, 1992.
- B. Bousquet, Tell-Douch et sa région. Géographie d’une limite de milieu à une frontière d’Empire, DFIFAO 31, 1996. Je n’ai pas en revanche reproduit ici un article écrit en collaboration avec lui, parce qu’il faudrait le reprendre à la lumière des recherches récentes sur l’oasis de Khargeh (cf. B. Bousquet, M. Reddé, “Les installations hydrauliques et les parcellaires dans la région de Tell-Douch (Égypte) à l’époque romaine”, in : Les problèmes institutionnels de l’eau en Égypte ancienne et dans l’Antiquité méditerranéenne, Colloque AIDEA 1992, IFAO, Bibliothèque d’Études, 110, 1995, p. 73-88).
- On peut, en attendant, en prendre connaissance dans les rapports annuels du BIFAO. On lira en revanche avec intérêt les différentes communications du récent colloque sur la grande oasis, R.S. Bagnall, G. Tallet (éd.), The great oasis of Egypt : the Kharga and Dakhla oasis in antiquity, Cambridge, New York, 2019, bien que la région de Douch n’y soit guère évoquée.
- G. Wagner, Les oasis d’Égypte à l’époque grecque, romaine et byzantine d’après les documents grecs (recherches de papyrologie et d’épigraphie grecque), Ifao, Bibliothèque d’étude C, Le Caire, 1987 ; CR dans JRA 2, 1989, p. 281-290.
- M. Reddé, “Sites militaires romains de l’oasis de Khargeh”, BIFAO 99, 1999, p. 377-396.
- Je n’ai pas rajouté en revanche M. Reddé, À l’ouest du Nil : une frontière sans soldats, des soldats sans frontière, in : V.A. Maxfield, M.J. Dobson (éd.), Roman Frontier studies 1989, Exeter, 1991 p. 485-493, dont les considérations sont reprises dans l’article n°13.
- M. Reddé, “Fortins routiers du désert oriental d’Égypte,” in : J.-P. Brun, T. Faucher, B. Redon, S. Sidebotham (dir.), Le désert oriental d’Égypte durant la période gréco-romaine : bilans archéologiques, Collège de France, Paris : https://orcid.org/0000-0001-8615-2061. On peut aussi voir désormais la base de données et le site en ligne développés à l’Université de Lyon sous la direction de B. Redon (programme ERC “desert networks”) : https://desertnetworks.huma-num.fr/ .
- H. Cuvigny (éd.), J.-P. Brun, A. Bülow-Jacobsen, D. Cardon, J.-L. Fournet, M. Leguilloux, M.-A. Matelly, M. Reddé, La route de Myos Hormos. L’armée romaine dans le désert oriental d’Égypte, FIFAO 48, 2003 ; H. Cuvigny (éd.), J.-P. Brun, A. Bülow-Jacobsen, D. Cardon, H. Eristov, H. Granger-Taylor, M. Leguilloux, W. Novik, M. Reddé, M. Tengberg, Didymoi. Une garnison romaine dans le désert oriental d’Égypte. I. Les fouilles et le matériel, FIFAO 64, 2011. D’autres publications verront prochainement le jour.
- H. Cuvigny, Rome in Egypt’s Eastern Desert, New York, 2021.
- On en a en revanche limité l’illustration pour cette édition.