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Chapitre 1.
Les IVe et IIIe siècles av. n. è. :
une période globalement méconnue

par

Cette période constitue la première phase de l’exploitation des mines de l’Arize, menée à l’échelle du district, très probablement avec l’objectif de tirer parti au maximum des ressources minières locales (voir partie 2 chapitre 6). À l’échelle de la région, cette période a livré récemment des données dans plusieurs secteurs allant du Pays basque à la Montagne noire, comme cela apparait dans la présentation des zones minières de la partie 1. La prise en compte des données archéologiques en dehors des mines est maintenant nécessaire pour comprendre le contexte dans lequel s’insèrent ces productions de matières premières métalliques et voir en quoi les données de l’archéologie minière peuvent contribuer à mieux définir ces contextes.

La période qui correspond à La Tène B et C1 constitue une phase de transition majeure à l’échelle européenne, définie seulement à grands traits par la relative rareté des données pour le territoire de la Gaule (Brun 2007, 377). Des raisons historiographiques expliquent cet état de fait : les recherches se sont centrées sur les périodes antérieures ou postérieures, faisant des IVe et IIIe siècles les parents pauvres des études sur l’âge du Fer, malgré des renouvellements récents (Mennessier-Jouannet et al. 2007, 5 ; Buchsenschutz et al. 2012, 295). Une autre particularité de cette période est la faiblesse du nombre de sites attestés, phénomène accentué par les choix de recherche, longtemps centrés sur les nécropoles et les sites fortifiés de hauteur (Vidal 1987). Constatée dans l’ensemble de notre zone d’étude1, cette situation pourrait être en partie liée à des mobiliers archéologiques peu caractéristiques, du fait de la rareté des importations méditerranéennes (Gruat & Marty 2000 ; Garcia et al. 2007, 227). Malgré cela, les recherches récentes permettent de dégager des tendances dans l’évolution des sociétés de cette période, dont les aboutissements seront bien perçus à partir de la fin du IIIe siècle et surtout au IIe siècle av. n. è.

Des dynamiques régionales endogènes
nourries d’influences multiples

Culture matérielle et réseaux d’échanges

La première caractéristique qui est relevée dans l’ensemble du Sud-Ouest est la raréfaction des importations méditerranéennes, à l’exception de la frange côtière du Roussillon et du Languedoc. Ce phénomène est constaté pour l’ensemble de l’Europe occidentale et centrale et tranche avec les relations soutenues établies notamment avec l’Italie, à la période précédente (Milcent 2003, 365 ; Adam 2007, 255). Les réseaux d’échanges antérieurs sont modifiés. La circulation des objets méditerranéens se fait désormais de manière isolée. Les rares importations de ce type identifiées dans les sites de cette période, à l’exclusion du littoral méditerranéen, se trouvent dans le bassin de la Garonne, autour de Toulouse et ponctuellement près d’Agen. Il s’agit de céramique fine et dans quelques cas d’amphores massaliètes ou même ibériques (Muller 1998, 56 ; Adam 2007, fig. 1).

Cette rareté relative du mobilier méditerranéen ne signifie pas pour autant un arrêt des échanges à longue distance. Car cette période des IVe et IIIe siècles av. n. è. correspond à l’expansion de peuples Celtes depuis le centre de l’Europe vers le sud, l’est et l’ouest. Les textes classiques relatent certaines de ces incursions, l’épisode de la prise de Rome vers ‐390 étant le plus connu, parmi d’autres (Buchsenschutz et al. 2012, 296 et 311-319). Des mercenaires Celtes ont d’autre part été fréquemment employés au cours des IVe et IIIe siècles par les Macédoniens, les Carthaginois, les Romains ou encore par le tyran Denys l’Ancien de Syracuse (Lejars 2006, 79 ; Péré-Noguès 2007 ; Buchsenschutz et al. 2012, 319-320). Au-delà de ces épisodes guerriers, le développement de la culture laténienne se traduit par une grande homogénéité dans les mobiliers céramiques ou métalliques (fibules, armes) que l’on retrouve des côtes atlantiques de la Gaule jusqu’à la mer Noire (Buchsenschutz et al. 2012, 301). La diffusion et l’adoption rapide des nouveautés à l’échelle de ce vaste espace montrent le dynamisme des contacts transeuropéens de cette période.

Le mobilier de faciès laténien est aussi présent dans le sud-ouest de la Gaule aux IVe et IIIe siècles av. n. è. (Gardes et al. 2020, 251-254). Dans le Toulousain, l’utilisation de fibules et de vaisselle céramique relevant de cette culture matérielle montre l’adoption dans le quotidien, par toutes les franges de la population, de ces nouveaux artefacts (Milcent 2006, 49). L’Aquitaine septentrionale est elle aussi bien intégrée dans ce mouvement, tout comme le Massif central, avec l’adoption des céramiques à enduit rouge (Gomez de Soto et al. 2007, 84-85). Enfin, le Languedoc occidental adopte également des vases tournés de type celtique, au détriment des vases de type grec et en parallèle avec les types ibériques (Janin & Py 2012, 153). Les parures métalliques du bassin audois reflètent elles aussi des influences continentales (Rancoule & Schwaller 1994, 224-225). Certains types céramiques, notamment des gobelets et vases-baquets de circulation régionale, sont cependant caractéristiques l’axe Aude-Garonne. Le Gers apparaît aussi comme une zone qui se singularise par certaines productions céramiques (Gardes et al. 2020, 251-253).

En Aquitaine, la différence entre le piémont pyrénéen jusqu’à la vallée de l’Adour et la vallée de la Garonne est progressivement plus marquée. Les habitats de cette zone sont peu connus, les nécropoles ayant fait l’objet de recherches plus assidues. Celles de la vallée de la Garonne sont abandonnées à partir de la fin du IVe siècle alors que celles du piémont pyrénéen montrent une continuité entre les Ve et IIIe siècles av. n. è. (Gardes 2001, 121-122). Les échanges avec la Celtique sont perceptibles dans cette zone plus méridionale, mais les relations se font surtout avec l’Ibérie et le Languedoc. Les éléments laténiens sont, dans l’état actuel des connaissances, moins bien représentés au-delà des proches affluents de la Garonne. Des modèles de fibules locaux ainsi que l’utilisation dominante de céramique non tournée y sont recensés (Gardes et al. 2020, 251-252).

Les particularités de la zone littorale languedocienne, où la fréquence de mobilier importé reste soutenue, sont dues à un contexte marqué par les contacts étroits avec des populations méditerranéennes d’origines diverses. Les Étrusques ont été à l’origine d’un commerce actif dans cette région, depuis le VIIe siècle, mais surtout au VIe siècle av. n. è. Leur influence est visible par la circulation d’amphores vinaires provenant d’Étrurie, de vaisselle en bucchero nero et de vaisselle de bronze de même provenance. Les mobiliers importés jusqu’en Gaule interne et la cargaison de l’épave de Grand Ribaud F, au large de la presqu’île de Giens, en sont des exemples. Les Étrusques ont su profiter de leur proximité géographique pour mettre en place des réseaux d’échanges réguliers avec le Sud et l’intérieur de la Gaule, par la vallée du Rhône notamment (Séjalon et al. 2008, 57-58 ; Bats 2011, 95 ; Janin & Py 2012, 143 ; Py 2012, 107-110). Leur installation dans un quartier du comptoir de Lattara (Lattes), au moment de sa fondation vers 500 av. n. è., en cohabitation avec les populations locales, apparaît comme la suite logique de leur implication commerciale avec cette région (Daveau & Py 2015, 37-42). Les Grecs n’ont pas tardé à leur faire concurrence, tout d’abord avec la fondation de Massalia autour de -600. Leur influence s’étend progressivement le long de la côte et va conduire à la mise en place d’un quasi-monopole. Ainsi, le récent quartier étrusque de Lattes est détruit vers -475. À la fin du Ve siècle, les Grecs de Massalia ont pris le dessus, ce que l’on constate par la présence majoritaire (mais non pas exclusive) d’amphores micacées sur les sites indigènes, qui servent au transport de leur production de vin (Bats 2011, 101). La fondation du comptoir d’Agathè (Agde) vers ‐425 marque l’extension de leur domaine en limite de l’aire ibéro-punique, dont l’influence se ressent sur les territoires côtiers languedociens. Les productions puniques avaient en effet atteint le Languedoc occidental dès le VIIe siècle et étaient abondantes au cours des VIe et Ve siècles av. n. è. jusque dans la vallée de l’Aude. Le rôle des négociants d’Ampurias (Catalogne), fondée vers ‐580, dans la diffusion de ces produits, est très probable à partir du milieu du VIe siècle. La présence d’Ibères sur certains sites du littoral languedocien tel Pech-Maho (Sigean, Aude) dès le Ve siècle av. n. è. aurait également contribué à dynamiser les échanges entre le Nord-Est ibérique et le Languedoc (Py 2012, 110-116 ; Gorgues 2016, 188). Le faciès mobilier particulier du Languedoc occidental découle donc de sa position de carrefour géographique ayant accès à la Méditerranée, au Massif central, à la voie vers l’Atlantique, au massif pyrénéen ainsi qu’à l’aire catalane.

La mise en évidence de ces relations multiples via le mobilier ne doit pas occulter les dynamiques locales. Si la stimulation des zones périphériques (en l’occurrence de l’arrière-pays littoral) par la demande méditerranéenne est certaine, les réponses apportées dans le Languedoc occidental ne sont pas imposées par l’extérieur et reflètent des traditions solides que l’on peut percevoir jusqu’à la mise en place de la domination romaine (Py 2012, 180). Plusieurs sites relais indigènes se développent entre les VIe et Ve siècles av. n. è. le long du littoral, signe de la participation active des populations locales dans ces dynamiques commerciales (Bats 2011, 103). La nécropole à incinération du site d’Ensérune (Nissan-lez-Ensérune, Hérault) est un bon exemple de ces influences multiples intégrées à des pratiques plus anciennes. On connaît en effet dans les tombes des IVe et IIIe siècles av. n. è. des armes caractéristiques de la panoplie celtique laténienne, adoptées sans décalage chronologique par rapport aux zones d’origine de ces modèles. Ces éléments continentaux sont intégrés aux pratiques locales alors même que les similitudes avec le faciès ibéro-languedocien sont renforcées. Le fait que l’armement soit toujours abondant dans les tombes du IIIe siècle av. n. è. alors qu’il diminue ailleurs dans l’aire celtique est interprété comme la poursuite de traditions funéraires locales, en lien avec le statut des guerriers dans cette société (Schwaller et al. 2001, 182-183).

Occupation du territoire et habitat

Les données disponibles sur l’occupation du territoire sont très inégales selon que l’on se situe sur le littoral méditerranéen, avec de nombreux sites connus, ou plus vers l’intérieur des terres, où les données sont très rares (fig. 170). Les analyses seront donc plus approfondies pour la zone languedocienne que pour le reste de la région.

Fig. 170. Sites connus pour les IVe et IIIe s. av. n. è. dans la région, hors mines.
Pour la frange littorale, seuls les principaux sites ont été intégrés. E. Meunier 2022

Le Ve siècle av. n. è. avait vu la mise en place dans le Languedoc d’un urbanisme plus régulier dans les oppida, accompagné de la généralisation de la construction en pierres et non plus en bois sur poteaux porteurs, à part quelques exceptions vers l’intérieur des terres (Py 2012, 188). L’utilisation de l’adobe ou de la terre banchée pour monter des murs sur solins de pierres devient courante et reflète aussi bien des influences grecques qu’étrusques ou ibériques. Au IVe siècle, l’évolution dans l’occupation de l’habitat sera différente selon que l’on se trouve dans la zone héraultaise et vers l’est ou dans la vallée de l’Aude et vers le sud. Les secteurs plus proches de Massalia vont connaître une restructuration plus forte de la trame des habitats, avec des sites de plaine qui disparaissent. Il semble que cela traduise une concentration de la population dans les habitats groupés qui perdurent plutôt qu’un dépeuplement (Garcia 2002, 97 ; Py 2012, 297). C’est le cas de Lattes, dont l’occupation se poursuit au IVe siècle et qui connaît un fort développement urbain avec une augmentation de la surface occupée. À la suite de la fondation de la colonie d’Agathè, D. Garcia propose de restituer certains changements dans l’organisation du territoire. Il semblerait ainsi que dans ce secteur, les populations locales se soient déplacées vers des sites un peu à l’intérieur des terres alors que les Grecs s’approprient une partie du territoire côtier (Garcia et al. 2007, 230-231). Les transformations de l’oppidum de La Ramasse (Clermont-l’Hérault) entre le IVe et le milieu du IIIe siècle av. n. è. (construction d’un rempart contre lequel s’appuient des maisons à pièce unique, construites en pierres) ont lieu dans ce contexte. Le plan des fortifications, qui suit un tracé à crémaillère dont l’origine se trouve dans le monde grec, montre les relations entre les différentes populations (Garcia 1993, 122-126).

Pour la zone allant de la vallée de l’Aude vers le sud, la situation au IVe siècle est plutôt celle de la continuité par rapport aux formes d’habitat mises en place à partir du Ve siècle av. n. è., malgré une raréfaction des sites de plaine. Les oppida qui se maintiennent semblent jouir de bonnes conditions économiques : les produits méditerranéens sont toujours présents et les surfaces occupées progressent (Garcia et al. 2007, 231 ; Py 2012, 193-196). Une phase d’instabilité pourrait être reconnue au IIIe siècle av. n. è., avec des restructurations sur plusieurs sites et certains abandons. Cependant, les datations de ces évènements ne permettent pas d’y voir une origine unique. Si la destruction de Pech-Maho, qui se produit aux alentours de -225 (Gailledrat 2010, 334), correspond bien à un épisode militaire violent, il n’est pas possible à l’heure actuelle de généraliser cette explication à l’ensemble des sites.

Dans cet arrière-pays méditerranéen, en relation étroite avec la péninsule Ibérique, il est cependant envisageable que les signes d’instabilité relevés vers la fin du IIIe siècle soient des conséquences, au moins partielles, des conflits entre Rome et Carthage. Les importations précoces de productions italiennes dans le Narbonnais pourraient aller dans le sens d’une forme d’ingérence romaine sur la région, dans le prolongement de leur mainmise sur le nord-est ibérique dans le dernier tiers du IIIe siècle av. n. è. (Py 2012, 199). La fin du IIIe siècle av. n. è. marque aussi le terme de la véritable indépendance des populations de cette frange méditerranéenne, qui vont ensuite être incluses dans les grands ensembles méditerranéens (Gorgues 2010, 88).

Les régions situées à l’intérieur des terres (Toulousain, Pyrénées, Aquitaine) sont malheureusement moins bien connues et il est difficile de proposer un schéma d’occupation du territoire pour les IVe et IIIe siècles. La raréfaction des sites attribués à cette chronologie est une constante. Dans la basse vallée de l’Ariège, non loin de sa confluence avec la Garonne, le site de Manivièle (Le Vernet) a livré des indices d’un habitat rural du IVe siècle av. n. è., un type particulièrement peu représenté pour la période (Grizeaud et al. 2010, 189-190). Seuls un puits, un sol de galets et un chenal ont été identifiés sur ce site, ce qui ne permet pas de préciser son organisation, mais le lot de céramiques est bien fourni. Le profil laténien très marqué des productions, avec des parallèles dans le centre de la Gaule, est à noter. Les habitats de hauteur représentent la majeure partie des sites connus pour la période. Il faut noter en ce qui concerne les sites les plus importants, que l’on peut apparenter à des oppida et qui évolueront souvent vers des chefs-lieux romains, qu’ils sont souvent occupés dès le VIe siècle au sud de la Garonne, montrant une continuité de l’occupation de ces sites majeurs (Gardes et al. 2020, 247). Au nord et à l’est de la Garonne (mais hors du littoral), ces grands sites apparaissent quant à eux au IIe siècle av. n. è., suivant un schéma qui se retrouve dans le reste de la Gaule (Gardes 2001, 124-126 ; Fichtl 2012 ; Gardes et al. 2020, 247). Le IIIe siècle est aussi le moment de l’apparition d’agglomérations de plaine ouvertes, avec une forte composante artisanale (Barral 2016), telles que Lacoste en Gironde ou Aulnat dans le Puy-de-Dôme (Mennessier-Jouannet 2013 ; Sireix 2013). Ces sites ont été révélés relativement récemment par l’archéologie préventive et leur configuration pour ces périodes hautes n’est pas toujours bien connue. On peut néanmoins relever leur surface importante, leur localisation sur des points de contrôle d’axes de circulations tels que des gués et, dans certains cas, des indices d’une planification de leur organisation interne. On les retrouve dans l’ensemble de l’aire laténienne, dans le centre et l’est de la Gaule, mais aussi jusqu’en Hongrie (Colin & Verdin 2013, 241 ; Marion 2013, 366 ; Fichtl 2013 ; Barral & Lallemand 2014, 205 ; Hiriart 2019). Ils sont toutefois encore rares dans notre zone d’étude pour cette phase précoce.

Les premiers monnayages :
l’adaptation d’un modèle

À partir du dernier tiers du IIIe siècle av. n. è., les premiers monnayages gaulois, en argent, font leur apparition dans le sud-ouest de la Gaule. Ils font suite à des premières frappes, caractérisées elles aussi par l’utilisation de l’argent, qui imitaient les monnaies grecques (drachmes d’Emporion et de Rhodè) en circulation à cette période (Feugère & Py 2011, 235 ; Callegarin & García Bellido 2012, 127-128 ; Hiriart et al. 2020). L’arrivée de ces premières monnaies a été mise en relation avec la participation de mercenaires gaulois à des conflits impliquant des peuples méditerranéens (Péré-Noguès 2007, 353), mais des recherches plus récentes nuancent l’importance de ces apports (Hiriart et al. 2020). La Garonne fait office de frontière pour l’utilisation des monnaies d’argent, caractéristiques du sud de la Gaule, face à l’utilisation de l’or au nord et dans le centre, suivant le modèle des statères de Philippe II de Macédoine. Après l’imitation, les types locaux originaux prennent forme, reflétant les identités des peuples émetteurs. Le long de l’isthme gaulois, on trouve les premières monnaies à la croix qui seront présentes dans tout le Sud-Ouest à la période suivante. Ces monnaies forment la série la plus importante parmi les monnaies gauloises (Feugère & Py 2011, 235 ; Hiriart 2016, 151-152). En parallèle, d’autres types se développent en Aquitaine à partir du dernier tiers du IIIe siècle également. Il s’agit de la série au cheval émise par les Sotiates (à l’ouest de la Baïse) et de la série aquitaine à protubérances. Leur datation dans le dernier tiers du IIIe siècle av. n. è. est confirmée par leur association à d’autres monnaies méditerranéennes ainsi qu’à des monnaies à la croix dans des dépôts ibériques datés de la deuxième guerre punique (Callegarin et al. 2013, 190-193). Les auteurs attribuent la présence de ces monnaies gauloises à des déplacements de mercenaires depuis le nord des Pyrénées, dans le cadre de ce conflit militaire. Mais l’utilisation des monnaies dans le cadre du mercenariat n’est pas exclusive. Leur diffusion dans les sites ouverts à vocation commerciale ou artisanale qui s’installent à partir du milieu du IIIe siècle av. n. è. près de grands axes de circulation montre que les monnaies sont progressivement intégrées en tant que moyen d’échange (Gruel & Haselgrove 2006, 132).

Il est intéressant de noter que des ajustements de la métrologie de ces émissions gauloises sont perceptibles dès les premières frappes monétaires. Les premières monnaies, plus lourdes (autour de 4,7 g), suivent les étalons des colonies grecques de Catalogne (Ampurias et Rhodè). Un ajustement un peu plus léger, autour de 3,6 g, a lieu dans les dernières années du IIIe siècle, en parallèle avec les dévaluations opérées par les Romains, Grecs et Carthaginois sur leurs propres monnaies pour financer les campagnes des guerres Puniques (Bats 2011 ; Callegarin & García Bellido 2012, 134). L’application de ces dévaluations par les Gaulois montre d’une part leur intégration dans le système monétaire de la période et d’autre part une pratique suffisamment courante de l’usage de la monnaie pour que la valeur faciale soit reconnue indépendamment du poids de métal utilisé (Callegarin et al. 2013, 192). Ces éléments vont dans le sens de pouvoirs locaux solides, qui peuvent garantir la valeur de leurs émissions. Ils ont aussi pu fournir un cadre de confiance pour les échanges basés sur le troc entre des groupes indépendants dont les systèmes de valeurs de base n’étaient pas les mêmes, tels que décrits pour l’aire languedocienne (Gorgues 2016, 171).

Dans le Languedoc occidental, on distingue le groupe languedocien des monnaies à la croix, émis à partir du troisième quart du IIIe siècle av. n. è. et qui disparaît dès le début du siècle suivant (Feugère & Py 2011, 239). Ensuite, plusieurs séries de monnaies montrent de claires affinités avec les modèles ibéro-puniques et en particulier amporitains, témoignant une fois encore des relations étroites tissées entre les communautés des rivages méditerranéens. Ces monnaies ont aussi la particularité de porter des légendes inscrites en écriture ibérique qui rendent compte de l’existence de peuples inconnus par ailleurs. Cela serait le cas des Longostalètes, avec un centre émetteur qui pourrait se trouver à Ensérune, actif à partir de -250 (Feugère & Py 2011, 301-302). Une autre série d’oboles émise à partir de la même période porte le nom des Neronken, dont le centre émetteur se trouverait près de l’embouchure de l’Aude (Feugère & Py 2011, 305-308). Ces deux peuples continueront à émettre des monnaies jusque dans le premier quart du Ier siècle av. n. è., indiquant une certaine pérennité de ces entités politiques, dont l’importance régionale est révélée par ces frappes précoces.

Une région morcelée

Les données présentées ci-dessus mettent en avant les variations subrégionales, qui transparaissent le mieux dans la culture matérielle. Les données sur l’occupation du territoire sont trop inégales pour en tirer des conclusions solides pour cette période. Les monnaies, quant à elles, confirment ce morcellement avec une diversité de centres émetteurs. Elles ne concernent que la fin du IIIe siècle, mais reflètent certainement des réalités antérieures. On peut ainsi distinguer trois domaines principaux : l’espace entre Pyrénées et Adour, l’axe Aude-Garonne qui inclut la zone névralgique du Toulousain et le Languedoc occidental. Il ne s’agit cependant pas d’espaces aux frontières bien définies, les zones de contact montrant des profils mixtes, signes des communications et échanges entre ces domaines. Certains points communs à l’échelle de la région peuvent aussi être mis en évidence, comme l’utilisation de l’argent comme métal monétaire, la pénétration des types matériels laténiens et les relations avec le monde ibérique.

L’axe Aude-Garonne et le Languedoc occidental sont en contact assez étroit, les influences méditerranéennes pénétrant vers l’ouest par ces voies fluviales. La circulation des mobiliers et des monnaies l’atteste également (Gardes et al. 2020). L’espace sud aquitain entre Pyrénées et Adour reste en marge et se singularise. Le domaine montagnard pyrénéen est quant à lui largement absent de ce panorama régional, du fait de l’absence de données. Les données de l’archéologie minière peuvent apporter des compléments sur cette période.

Dans les mines, une phase mise en lumière
par le radiocarbone

Les éléments disponibles à propos des mines du sud-ouest de la Gaule des IVe et IIIe siècles av. n. è. sont assez limités, tout comme pour l’ensemble des données archéologiques. On connaît une activité à cette période sur sept sites dans la région, étudiés à des degrés divers (fig. 171). En dehors du district de l’Arize, seule la mine des Barrencs a fait l’objet d’une étude suffisamment poussée pour permettre de caractériser les techniques employées alors. Dans le cas du fer du Pays basque, les ateliers sont connus, mais pas les mines2. Pour les Pyrénées centrales, les travaux de Séras ne sont pas connus et ceux de Palouma ont fait l’objet d’une étude partielle, où les niveaux datés à partir du IIe siècle av. n. è. sont les mieux caractérisés. La mine de l’Argentière (Aulus-les-Bains) ne conserve que des lambeaux de paroi et des haldes* pour les phases anciennes d’exploitation. Enfin, la mine de la Caunetta 6 est un chantier que nous pensons pouvoir attribuer à cette période, mais qui a probablement fait l’objet d’une reprise au IIe ou Ier siècle av. n. è. dont l’ampleur n’est pas évaluée. Il est donc indispensable de prendre en compte d’autres mines mieux étudiées (fig. 171) pour évaluer les exploitations de cette période.

Fig. 171. Mines des IVe et IIIe s. av. n. è. prises en compte dans ce chapitre. 1. Larla ; 2. Palouma ; 3. Séras ; 4. District de l’Arize ; 5. L’Argentière ; 6. La Caunetta 6 ; 7. Les Barrencs ;
8. La Rodde ; 9. Le Puy des Angles ; 10. La Fagassière ; 11. Lauriéras ; 12. Cros-Gallet ; 13. Les Fouilloux ; 14. Les Lanvers. E. Meunier 2018

Pour la Gaule, le district aurifère du Limousin est l’un des rares dans lequel plusieurs mines ont pu faire l’objet de fouilles exhaustives dans le cadre de l’archéologie préventive (Cauuet 1999 ; Cauuet 2004 ; Toledo I Mur et al. 2005). Les connaissances acquises sur ces sites dépassent donc largement ce que l’on obtient par des petits sondages ponctuels, même multipliés, dans des réseaux abordés en opération programmée. Six mines de ce district ont livré des vestiges des IVe ou IIIe siècles av. n. è. Il s’agit de Les Lanvers, Les Fouilloux, Cros-Gallet, Lauriéras, La Fagassière et Le Puy des Angles. Mais le démarrage de l’exploitation de l’or de cette région est plus ancien : deux mines ont livré des vestiges résiduels de l’âge du Bronze et quatre révèlent une activité dès le premier âge du Fer (Cauuet 2004, 27-29). En dehors du Limousin, d’autres chantiers ont ponctuellement livré des chronologies des IVe ou IIIe siècles av. n. è., notamment la mine de plomb argentifère de La Rodde (Ally), dans le Massif central (Vialaron 2016, 134). Cette datation provient d’un boisage à la base d’un puits et donne un intervalle calibré entre ‐338 et ‐45. Le fait que des boisages datés du premier âge du Fer par le radiocarbone aient été recueillis dans le fond de travaux miniers en tranchée sur le même site permet d’accepter la probabilité d’une exploitation à la fin du IVe siècle ou au IIIe siècle av. n. è. pour le puits. Cependant, les autres éléments datés de la mine de La Rodde fournissent des chronologies qui peuvent être bien plus récentes (du IIe siècle av. n. è. au VIe siècle de n. è.), ce qui empêche d’identifier des caractéristiques techniques propre à cette phase d’activité des IVe et IIIe siècles av. n. è. (Vialaron 2016, 134-146).

Les données disponibles pour cette période à l’échelle d’un large quart sud-ouest de la Gaule permettent tout de même de faire un bilan des pratiques minières, du point de vue des techniques mais aussi de l’organisation des exploitations, qui servira de base pour caractériser les évolutions ou continuités avec les phases suivantes.

Types de chantiers et
connaissances géologiques des mineurs

La morphologie des chantiers étudiés dans les différents districts montre à chaque fois une adéquation entre les creusements et les corps minéralisés, suivis de près par les mineurs. Les excavations suivent l’inclinaison des filons ou leur verticalité (Arize, Barrencs, Limousin) et les formes des travaux sont irrégulières dans le cas d’exploitations d’amas (La Caunetta 6). Cela montre que les mineurs se sont “laissés guider” par la minéralisation, pour reprendre une expression utilisée à propos du chantier des Barrencs, reflétant les connaissances empiriques acquises dans l’exploitation (Munteanu et al. 2016, 179).

Une différence réside toutefois dans le choix de maintenir l’exploitation en ouvrage à ciel ouvert autant que possible ou de passer rapidement à des travaux en souterrain. La première option a été préférée dans le Limousin (fig. 172) où les chantiers se présentent sous la forme de fosses ou de tranchées, d’autant plus larges que l’exploitation est profonde (Cauuet 1999, 44 ; Cauuet 2004, 40-41). Des poursuites de travaux en souterrain depuis le fond des fosses lorsque les filons sont toujours riches sont observées à partir du milieu du IIIe siècle av. n. è., lorsque les fosses dépassent les 10 m de profondeur (Toledo I Mur et al. 2005, 183-191 ; Cauuet et al. 2018, 17). Le choix de conduire l’exploitation à ciel ouvert est lié au fait que les terrains superficiels, arénisés, sont plus facile à abattre, ce qui permet d’élargir l’excavation et évite les inconvénients du souterrain. En profondeur, la roche moins altérée est plus difficile à attaquer et les mineurs ont limité leurs efforts en réduisant la largeur des chantiers et en évoluant vers des ouvrages souterrains. Les mines de fer du site de Larla, dont l’exploitation doit être contemporaine des ateliers et donc démarrer dès le IVe siècle av. n. è., se présentent également sous la forme de mines à ciel ouvert, en fosses ou tranchées.

Fig. 172. Mines à ciel ouvert du Limousin. A. Cros-Gallet nord (Cauuet 1999, fig. 18). B. Le Puy des Angles (Toledo I Mur et al. 2005, fig. 8). E. Meunier 2022

Pour les autres sites, l’exploitation s’est développée directement en souterrain. Des indices d’exploitation de surface, sous la forme de fosses ou tranchées comblées, sont visibles autour des ouvrages d’exploitations principaux aux Barrencs, à Palouma et dans le massif de l’Arize. Ils n’ont pas été étudiés et demeurent donc non datés. Ils s’apparentent cependant à des ouvrages de prospection, identifiés également dans le district aurifère du Limousin. Le décapage archéologique extensif du terrain autour des mines du Puy des Angles, de Cros-Gallet et des Fouilloux a permis de mettre au jour de nombreuses excavations de taille réduite qui ont suivi des filons visibles à l’affleurement (Cauuet 2004, 38-39 ; Toledo I Mur et al. 2005, 177). Cela permettait aux mineurs de reconnaître la puissance et l’orientation des filons, et de tester leurs teneurs. Les plus riches ont donné lieu à de véritables exploitations et les autres ont été abandonnés.

L’ouverture des chantiers depuis les affleurements est une constante des mines de cette période. Cela permettait une rentabilité rapide des travaux d’exploitation, localisés directement dans les zones riches. Les travaux du massif de l’Arize datés de cette période montrent que les mineurs s’en sont tenus assez scrupuleusement aux structures suivies depuis l’affleurement, ne se donnant pas la peine de vérifier par des galeries de recherche dans le stérile si d’autres structures minéralisées pouvaient se retrouver après les pincements des minéralisations ou en parallèle au filon principal. Cela dénote un manque d’audace de cette entreprise minière ou une volonté absolue d’assurer la rentabilité des creusements. Le chantier de La Caunetta 6 ne semble pas non plus avoir été accompagné d’ouvrages de recherches, mais il s’agit d’un cas isolé pour les Corbières, ne permettant pas de généraliser. Pour la mine de Palouma, la description des travaux ne permet pas d’attribuer de galerie de recherche à la période des IVe ou IIIe siècles av. n. è. Les mineurs du Limousin ont quant à eux plus volontiers ouvert des galeries de recherche, guidées par des petits filons croiseurs ou parallèles à la minéralisation principale (Cauuet 2004, 49 ; Toledo I Mur et al. 2005, 178). Aux Barrencs, c’est une recherche systématique qui est réalisée aux différents niveaux de l’exploitation (Beyrie et al. 2011, 48). Les mineurs ont préféré dans ces cas-là prendre le risque d’un creusement non rentable plutôt que celui de passer à côté d’une zone riche. La logique n’est pas la même.

Enfin, les volumes exploités varient d’un site à l’autre. Le site des Barrencs est de loin le plus grand connu pour cette période dans la région. La partie topographiée s’étend sur plus de 200 m nord-sud et la profondeur des travaux atteint au moins 85 m depuis la surface du versant. Et il ne s’agit que d’une partie de l’exploitation. Ensuite, les travaux du Limousin, par le nombre de chantiers connus, représentent une exploitation encore plus importante, mais les chantiers pris individuellement sont plus modestes. Pour les phases d’exploitation comprises entre le Ve et le milieu du IIIe siècle av. n. è., les fosses d’exploitation, hors structures liées à la prospection, atteignent 3 à 5 m de large, 8 à 16 m de long et de 2 à 10 m de profondeur (Cauuet et al. 2018, 16). À partir du milieu du IIIe siècle, des chantiers en activité sont approfondis et commencent à atteindre des profondeurs allant jusqu’à 20 ou 30 m. Dans le massif de l’Arize, les chantiers datés des IVe ou IIIe siècles av. n. è. ont des dimensions variables. Hautech 9, le moins développé, atteint 4 à 6 m de long pour 9 m de profondeur, et sa largeur varie de 1 à 1,8 m. La mine de La Coustalade atteint 12 m de long en cumulant les deux chantiers anciens et une dizaine de mètres de profondeur, la largeur des travaux étant inférieure au mètre dans le premier chantier et de près de 5 m dans le second. Enfin, celle de Rougé est la plus développée avec au minimum 30 m de profondeur atteinte à la fin du IIIe siècle av. n. è. (40 m max.) et une longueur de 16 m. La largeur du chantier oscille entre 0,8 et 2 m. On signalera également que les boisages de la mine de Palouma dont la datation peut remonter au IIIe siècle av. n. è. se trouvaient en place dans un puits dont la profondeur au jour n’est pas précisée mais que l’on rejoint après un parcours traversant plusieurs dépilages de 10 à 15 m de profondeur (Girard 2004, 34-44).

Les techniques de travail souterrain dans des chantiers profonds sont bien maîtrisées aux Barrencs. Pour le district de l’Arize, les profondeurs sont plus faibles, mais cela semble être dû à la taille plus réduite des minéralisations plutôt qu’à des contraintes techniques. Les recherches minières récentes ont en effet montré que les chantiers anciens n’avaient pas laissé de minerai en place dans les zones exploitées. Lorsque les travaux ont pu passer sous les ouvrages anciens, à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle, c’est que les anciens mineurs n’avaient pas cherché à dépasser les pincements de la minéralisation par des recherches dans le stérile, comme à la Coustalade par exemple. La profondeur du secteur ayant livré les bois anciens de la mine de Palouma indique que cette maîtrise technique était acquise également par les mineurs des Pyrénées centrales. En revanche, pour le Limousin, il semble que les mineurs se soient contentés d’exploiter les gisements moins profonds jusqu’au milieu du IIIe siècle av. n. è. Ce n’est qu’à la fin de ce siècle que les chantiers évoluent vers un travail véritablement souterrain, avec un système de boisages complexes à tenons et mortaises (Cauuet et al. 2018, 17). L’abondance des ressources plus faciles d’accès est sans doute la cause de ce choix d’exploitation prioritairement en surface.

Mode d’abattage

Dans le massif de l’Arize, les travaux datés des IVe et IIIe siècles av. n. è. sont tous caractérisés par l’utilisation dominante du feu pour abattre la roche. Des traces d’outil sont ponctuellement visibles à la couronne* dans les niveaux intermédiaires de Rougé, entre les cotes -8,94 et -9,88. Le profil courbe de la couronne* à cet endroit peut cependant indiquer une utilisation secondaire de l’outil après un passage au feu, comme cela a pu être observé aux Fouilloux ou à la Fagassière (Cauuet 2004, 47-48), ou éventuellement correspondre à une reprise plus tardive. La mine de L’Argentière et le réseau 235 de Palouma sont eux aussi ouverts principalement au feu (Girard 2004, 16-32). En revanche, on trouve une combinaison de l’utilisation du feu et de l’outil sur les sites des Barrencs, à La Caunetta 6, dans le réseau 330 de Palouma et dans le Limousin (Cauuet 2004, 45-46 ; Girard 2004, 34-36 ; Toledo I Mur et al. 2005, 198-199). Les mineurs ont dans ces cas-là adapté le mode d’abattage à la dureté de la roche encaissante (Beyrie et al. 2011, 50).

Ces différents modes d’attaque ont des implications sur les besoins annexes de la mine. Pour l’abattage au feu, la gestion de stocks de bois doit être organisée. Dans le cas de travaux à l’outil, il faut approvisionner les mineurs en pics ou pointerolles en fer, ainsi qu’avec des masses, et donc disposer d’une production sidérurgique parallèle à l’exploitation qui permette de répondre aux besoins des mineurs. La fabrication ou réparation des outils, soumis à de fortes contraintes, pouvait rendre nécessaire la présence sur place d’une forge (Cauuet 2004, 46). L’usure des outils devait être rapide : des éclats de métal retrouvés lors des fouilles dans la mine des Barrencs en témoignent (Mantenant et al. 2013, 37-38).

Ces éléments sont classiques pour des mines préindustrielles, le feu et les outils en fer constituant les deux modes d’abattage utilisés universellement dans les mines en roche. Le choix de l’une ou l’autre des techniques n’est donc pas significatif en lui-même et répond à des contraintes techniques. Ce n’est que lorsque l’un ou l’autre est dominant, comme dans le cas de l’Arize, où le feu connaît une utilisation systématique à cette période, que des variations dans certains secteurs des travaux peuvent devenir significatives. Les données des mines de la région montrent cependant plus souvent une combinaison de techniques, ce qui ne permet pas d’attribuer une valeur chronologique à ces choix.

Soutènement et ouvrages d’assistance

Dans le massif de l’Arize, nous avons vu que le soutènement est assuré par des piliers faiblement minéralisés ou des cloisons de roche stériles laissées en place (partie 2, chapitre 6). La présence de ces piliers n’est toutefois pas systématique : le chantier incliné CA1 de La Coustalade ne conserve aucun pilier transversal et le chantier CA2 du même site, avec un simple pont de roche dans la partie haute, dans le sens longitudinal, ne dispose pas non plus d’élément lié à un quelconque dispositif d’étayage. Le site de La Caunetta 6, ponctué de piliers et cloisons (Mantenant 2014, vol. 2, fig. 162), semble suivre le même schéma : les mineurs ont délaissé les zones stériles entre les amas de minerai et n’ont pas eu besoin d’éléments de soutènement supplémentaires.

Dans la mine des Barrencs, des piliers de roche assurent le soutènement de l’ouvrage. Ils sont en général minéralisés et ont été volontairement laissés en place par les mineurs (Munteanu et al. 2016, 178). Dans le Limousin, les chantiers des IVe et IIIe siècles, à ciel ouvert pour la plupart, ont un profil évasé vers le haut qui limite les besoins en soutènement. Lorsque les chantiers ont des parois plus verticales, comme dans certaines fosses de Cros-Gallet nord par exemple, des ponts de roche transversaux ont pu être laissés en place, délimitant des caissons qui sont, eux, approfondis (Cauuet 2004, 41 et 53). Les parties souterraines identifiées sur le site du Puy des Angles, qui ont pu être atteintes à la fin du IIIe siècle av. n. è. ou au début du suivant, correspondent à un type d’exploitation en chambre et piliers : le soutènement était assuré par les massifs rocheux en place. Dans les parties donnant accès aux souterrains, des encoches de boisage ont été identifiées. De forme quadrangulaire (L. : 20 cm, l. : 15 cm, prof. : 15 cm), elles ont servi à caler des bois en travers du chantier (Toledo I Mur et al. 2005, 202). Un soutènement par boisage a également été retenu dans la mine de Palouma. Les deux dates qui couvrent les IVe et IIIe siècles av. n. è. proviennent d’ailleurs du boisage à la base d’un puits dans le réseau 333 de ce site. Dans cette mine, la roche encaissante, des calcaires dévoniens, n’offrait pas une solidité suffisante et les explorations archéologiques se sont heurtées à plusieurs zones éboulées (Girard 2004, 34-46 ; Girard 2007, 8). Le soutènement par piliers n’aurait pas été efficace. On rappellera également que la date du premier âge du Fer de la mine de Séras a été obtenue sur un bois d’étayage. Le boisage des travaux pouvait donc être habituel dans ce secteur depuis des périodes hautes. Enfin, des éléments de boisage ont aussi été identifiés dans la mine de La Rodde (Vialaron 2016, 134).

Si l’utilisation de massifs de roche pour le soutènement faisait économiser du volume de creusement aux mineurs, d’autres ouvrages nécessaires à l’exploitation leur demandaient au contraire un investissement supplémentaire. Il s’agit des galeries ou puits d’aérage et des galeries d’exhaure*. S’assurer d’une bonne circulation de l’air était nécessaire pour permettre le travail des mineurs en souterrain, mais aussi pour la combustion des bûchers d’abattage et l’évacuation des fumées. Dans le massif de l’Arize, seule la mine de Rougé a livré des galeries creusées entièrement dans le stérile, qui pouvaient participer à l’aérage du chantier et faciliter la circulation des mineurs entre les différents niveaux. Le fait que les chantiers aient démarré de l’affleurement et soient restés largement ouverts au jour permettait de ventiler naturellement les travaux. La mine des Barrencs et les ouvrages du Limousin, ouverts au jour eux aussi, pouvaient également être facilement ventilés (Cauuet 2004, 40-44 ; Beyrie et al. 2011, 50). Sur le site du Puits des Angles, les chantiers qui se développent en souterrain associent une mine en fosse et un puits, reliés par des galeries en profondeur. Les puits ne sont pas destinés uniquement à l’aérage car ils ont été foncés en suivant des minéralisations. Cela permettait de créer un courant d’air, renforcé si nécessaire par la présence de foyers dans les puits (Toledo I Mur et al. 2005, 201-202).

Les galeries d’exhaure* ne sont pas connues dans le massif de l’Arize. Aux Barrencs, ce type d’ouvrage doit exister dans la partie la plus profonde, mais il n’a pas pu être étudié car inaccessible (noyé et colmaté) et sa chronologie n’est donc pas connue. Dans le Limousin, des galeries d’exhaure* sont connues à La Fagassière et aux Fouilloux. Leur mise en place est située dans la seconde moitié du IIIe siècle av. n. è. et ce type d’équipement, qui évacuait l’eau remontée par une vis sans fin, devient systématique dans les chantiers démarrés à partir de cette période. On peut le constater avec le site de La Fagassière où la galerie d’exhaure* a été percée mais n’a pas dû servir beaucoup, du fait de l’épuisement du gisement à faible profondeur (Cauuet 1997, 204-206 ; Cauuet et al. 2018, 35). Dans le Limousin, on est alors passé, à la fin du IIIe siècle av. n. è., à un mode d’exploitation pensé dès le départ pour durer, avec une vision à long terme.

Ergonomie des travaux

Les ouvrages du massif de l’Arize, nous l’avons vu, ne facilitent pas, pour ce que l’on a pu en observer, les déplacements des mineurs en souterrain. Les chantiers inclinés ont des parois presque lisses (Rougé, La Coustalade, entrée d’Hautech 9), la hauteur des ouvrages ne permet pas toujours de s’y tenir debout et la largeur des galeries ou étages d’exploitations horizontaux ne permet pas à deux personnes de se croiser. Quelques exceptions sont à noter, comme les étages -6 à Hautech 9 ou -3,87 à Rougé, mais l’économie de creusement a semble-t-il primé sur le confort de travail. Le fait que les mines n’aient pas été totalement vidées permet de penser que d’autres secteurs étaient assez larges pour que les mineurs soient à l’aise, mais il faut sans doute attribuer ces élargissements aux caractéristiques de la minéralisation plutôt qu’à un souci du confort des mineurs. À Rougé, la largeur réduite (0,4 à 0,6 m) de la galerie d’assistance creusée entre les étages -16 et -21 dans le schiste stérile, une roche tendre pourtant très facile à attaquer, va dans ce sens.

Les données de la mine des Barrencs révèlent également que le confort des mineurs a été mis au second plan au profit d’une économie de moyens dans les nombreuses galeries de recherches. Les dimensions moyennes de ces ouvrages sont de 1,03 m × 0,83 m, ce qui ne permet pas de s’y tenir debout (Beyrie et al. 2011, 49). Dans les zones d’exploitation, les élargissements des creusements sont toujours liés à des enrichissements de la minéralisation ou à des variations de sa puissance (Munteanu et al. 2016, 178). Si les nombreuses galeries de recherche de cette mine montrent une plus grande facilité que dans le massif de l’Arize à investir dans le creusement d’ouvrages dont la rentabilité n’est pas immédiatement assurée, les conditions de travail des mineurs ne semblent pas pour autant avoir été au centre des préoccupations.

Dans le Limousin, les choses sont différentes par le choix qui a été fait de conduire les exploitations à ciel ouvert. Ces chantiers sont nécessairement plus larges et se tenir debout ne pose pas de problème dans ce contexte. Les galeries en travers-banc* qui relient les parties profondes des mines du Puy des Angles sont sommairement décrites. Certaines ne permettent qu’un passage accroupi alors que d’autres permettent de circuler légèrement penché ou debout (Toledo I Mur et al. 2005, 200-201). Les données disponibles ne permettent pas de savoir si ces différences sont liées à la nature de la roche encaissante, à la présence éventuelle de filon croiseurs dans ces galeries, ou peut-être à une différence chronologique.

Organisation de l’exploitation

Dans le massif de l’Arize, deux équipes pouvaient travailler en même temps dans les mines de Rougé, La Coustalade, et Hautech 9. Aux Barrencs, le travail simultané de plusieurs équipes peut être déduit des jonctions entre différents secteurs des travaux, au niveau desquelles on voit que les galeries ont été creusées dans deux sens différents (Mantenant et al. 2013, 35). Le volume et l’architecture du réseau sont également caractéristiques d’un chantier organisé pour un travail en plusieurs équipes. Dans le Limousin, les sites miniers sont composés de plusieurs chantiers qui ont selon toute probabilité été exploités par différentes équipes. Le fait que plusieurs sites soient contemporains indique de toute façon que plusieurs groupes de mineurs étaient investis dans les différentes exploitations. Pour les mines de Palouma et de La Caunetta 6, les données ne permettent pas de se prononcer, mais les chantiers ont une architecture qui permet un travail concomitant de plusieurs équipes.

L’archéologie ne nous livre pas de détail sur la composition de ces équipes et sur leur fonctionnement, mais le bon déroulement des opérations, qui suppose un certain degré d’anticipation et une vision globale des travaux, devait reposer sur un chef-mineur ou un petit groupe de mineurs expérimentés, qui pouvaient diriger les chantiers. Une autre question à laquelle on ne peut répondre en l’état concerne les relations entre ces différentes équipes en dehors du chantier minier. Dans le cas du massif de l’Arize et du Limousin, on peut se demander si chaque mine était exploitée par un groupe indépendant ou si tous les groupes de mineurs appartenaient à une même communauté plus large et étaient soumis à une autorité supérieure. Les données sur le contexte archéologique sont trop lacunaires à l’heure actuelle pour se prononcer. Un début de réponse pourrait toutefois être donné par deux exemples précis : celui des ateliers sidérurgiques de Larla et celui de l’habitat minier de Cros-Gallet nord.

Pour Larla, A. Beyrie indique tout d’abord que les ateliers se trouvent juste à côté des mines ou à une distance de moins de 1 km pour les plus éloignés (Beyrie 2003, vol. 1, 166-168). La chaîne opératoire complète de la mine au métal se déroulait au même endroit et pouvait être contrôlée par les mêmes individus. D’autre part, les ateliers identifiés ont des dimensions modestes et aucun regroupement de fourneaux en batterie n’a été observé. Chaque atelier est resté indépendant, formant une unité autonome (Beyrie 2003, vol. 1, 173). On ne perçoit pas ici d’autorité supérieure qui organiserait la production à l’échelle de tout le district de Larla.

À Cros-Gallet, un habitat de mineurs daté entre les Ve et IVe siècles av. n. è. a été fouillé sur le carreau* de la mine. Le plan d’une cabane sur sablières basses avec murs en torchis a pu être dégagé et d’autres bâtiments incomplets sont signalés à proximité. Les résultats de l’étude montrent que les mineurs et leurs familles vivaient sur place. Les éléments mobiliers relevant de la sphère domestique sont en effet présents : vaisselle céramique et pots à cuire, fusaïoles et pesons pour le tissage, fibules et bracelets pour la parure (Cauuet 2004, 86). Des analyses carpologiques ont montré la présence de céréales et de plantes sauvages, correspondant à une exploitation du terroir proche pour l’alimentation (Cauuet 2004, 87). Cela correspond à un fonctionnement autonome d’une population investie dans l’activité minière. Si l’on peut raisonnablement supposer que la production des différentes mines de ce vaste district était à un certain moment rassemblée, la phase d’extraction semble avoir été laissée entre les mains de groupes relativement indépendants, du moins jusqu’au milieu du IIIe siècle av. n. è. Un seul exemple d’habitat fouillé pour cette période oblige à rester prudent, mais il semblerait que la stratification sociale ne soit pas très poussée dans ce contexte. Cela correspond à un modèle de société segmentée qui est l’une des options proposées pour cette période (Hill 2006, 179). À partir de la seconde moitié du IIIe siècle av. n. è., l’activité répond à une demande plus forte, avec des améliorations techniques dans le traitement du minerai tels que le grillage et un broyage à la meule rotative (Cauuet et al. 2018, 17). Des bassins permettent de stocker de l’eau à proximité des mines pour réaliser le traitement minéralurgique. Cette intensification de l’activité s’accompagne d’un contrôle accru sur la production, dont les acteurs demeurent inconnus. La présence d’un petit poids en bronze (1,8 g) dans un niveau daté des IVe et IIIe siècles av. n. è. à quelques mètres du bord de la mine du Chazal (St-Clément), témoigne de ce contrôle du métal produit3 (Cauuet et al. 2018, 38-39). Cela pourrait refléter l’existence d’une gestion de l’exploitation à plus grande échelle. Le détail de cette organisation nous échappe cependant pour le moment.

En filigrane : éléments de portraits
des communautés minières

Les caractéristiques des mines que nous venons d’évoquer, dans le contexte archéologique qui est le leur, dessinent en filigrane quelques traits des sociétés qui ont mis en pratique cette activité. Dans le massif de l’Arize, on se trouve face à des indices, avec la possibilité d’une exploitation de plusieurs mines à la fois avec plusieurs équipes, d’une recherche de productivité. Les mineurs auraient eu pour objectif de tirer parti au maximum des ressources minérales disponibles. Cela sous-entendrait l’existence d’une demande en métal qui aurait dépassé le cadre local. Le débouché de la production aurait alors été assuré par l’insertion du district minier dans des réseaux d’échanges, réseaux dont les deux amphores gréco-italiques et ibériques anciennes d’Hautech seraient issues. Sans pouvoir être catégorique sur cette possibilité, les données des sites contemporains montrent que le contexte régional était favorable à ce genre d’exploitation intensive.

Ainsi, la mine des Barrencs, où du cuivre argentifère a également été exploité, constitue un chantier dont le volume est cohérent avec une production visant une échelle au moins régionale. Cela montre que la demande existe dans l’aire géographique à laquelle appartient le district de l’Arize. D’autre part, une augmentation de la production a pu être perçue dans les mines du Limousin à partir du IIIe siècle av. n. è. C’est en effet à partir de cette période que les chantiers miniers atteignent des profondeurs impliquant le passage en souterrain. Il s’agit alors de production d’or, qui ne répond pas à la même demande que le cuivre argentifère, mais s’inscrit dans un mouvement de fond de développement des activités économiques, que l’on observe également en dehors du domaine minier, au IIIe siècle av. n. è. (Buchsenschutz et al. 2012, 310 et 323 ; Mennessier-Jouannet 2013, 371 ; Fichtl & Guichard 2016). La création des agglomérations ouvertes évoquées plus haut, où la part de l’artisanat permettait une production excédentaire, en est l’un des exemples les plus clairs (Marion 2013, 366). On peut ajouter à cela la recherche d’une plus grande efficacité attestée dans d’autres domaines comme l’agriculture avec l’introduction du soc et de la faux, la production de sel avec de nouveaux types de fours ou encore dans la production sidérurgique de Gaule interne avec les premiers fourneaux à scorie piégée réutilisables4 qui permettent une intensification de la production (Marion 2013, 364).

En dehors de ces éléments économiques, on connaît peu de choses du fonctionnement des sociétés gauloises des IVe et IIIe siècles av. n. è. Dans le nord et l’est de la Gaule, le IIIe siècle se présente pourtant comme la période de mise en place des sanctuaires qui deviendront des éléments structurants des territoires et des sociétés jusqu’à la fin de l’indépendance gauloise (Fichtl 2007, 283 ; Buchsenschutz et al. 2012, 309). Les structures politiques sont mieux connues pour les siècles suivants, notamment grâce à certaines sources classiques. Une synthèse récente de S. Fichtl sur les peuples gaulois fait le point sur les apports de l’archéologie confrontés aux sources classiques et en particulier aux écrits de César. Il y décrit une société bien organisée, dotée de structures politiques pouvant être complexes dont la genèse remonte au moins au IIIe siècle, sinon au IVe siècle av. n. è. (Fichtl 2012, 152-158 et 167-168). La zone prise en compte exclut malheureusement tout le sud de la Gaule. La région méditerranéenne correspondant à la future Transalpine “présente en effet une organisation et une évolution différentes” de celles des zones internes. L’Aquitaine, “plus complexe” est également laissée à part tout au long de l’ouvrage (Fichtl 2012, 65 et 165-166).

Des processus de structuration des sociétés peuvent toutefois être mis en évidence également dans le Sud-Ouest dès les IVe ou IIIe siècles av. n. è. Nous avons vu que les territoires s’organisent autour d’oppida, qui jouent le rôle de centres de pouvoir et peuvent impliquer une certaine hiérarchisation. Ce phénomène est d’autant mieux défini que l’on se rapproche de la Méditerranée et que l’on avance dans le temps. L’affirmation de pouvoirs territoriaux est confirmée par les émissions de monnaies gauloises, qui démarrent dans le dernier tiers du IIIe siècle av. n. è. (Callegarin et al. 2013, 188-190). Ces émissions, bien qu’irrégulières au départ, indiquent rapidement la capacité des entités émettrices à obtenir le métal nécessaire d’une part et à garantir leur insertion dans un système de valeurs plus large d’autre part.

Dans un autre domaine, les fortifications dont sont munis les oppida connus dans le Sud-Ouest sont autant d’exemples d’investissements dans des activités non productives. Elles sont en cela révélatrices de la capacité des autorités locales à susciter des opérations collectives d’envergure et à afficher leur puissance (Brun 2007, 381). Leur érection ou réfection a pu être datée dans certains cas des IVe ou IIIe siècles av. n. è. Pour le Languedoc occidental, mieux connu, le site de Pech Maho, dont le système de fortifications est complètement repensé dans le dernier quart du IVe siècle av. n. è., en est un bon exemple (Gailledrat & Beylier 2009, 119). Les auteurs de l’étude soulignent la main-d’œuvre conséquente qui a dû être mobilisée pour réaliser ces modifications. Cet aspect est également cité à propos de la fonction des remparts de sites de hauteur de la vallée de l’Hérault, comme celui de La Ramasse évoqué plus haut (Garcia 1993, 127). Dans le Toulousain ou l’Aquitaine, les chronologies d’édification des remparts des sites de hauteurs sont très mal caractérisées en l’absence de fouilles, mais plusieurs d’entre elles sont attribuées au second âge du Fer (Gardes 2009, 55-56). Cela autorise à penser que dans ces secteurs moins bien connus, les communautés disposaient tout de même de moyens de mobiliser une main-d’œuvre importante pour des travaux collectifs d’envergure et très coûteux. Dans le cas de la construction de remparts, cette mobilisation était exceptionnelle. Elle constitue tout de même un exemple d’activité qui sort du cadre de la production vivrière. Cet aspect est à prendre en compte car l’exploitation minière est également une activité non vivrière. Or, la création de sites à enclos observée à l’échelle de la Gaule au IIIe siècle av. n. è. est mise en relation avec un accroissement de la population et une meilleure productivité de l’agriculture et de l’élevage (Colin & Verdin 2013, 240), qui permettrait de dégager des surplus (Brun 2007, 381). Mais les activités agro-pastorales occupent toujours la majeure partie des populations (Perrin 2006, 160).

Le développement d’artisanats qui sortent de la sphère domestique, entre les mains de personnes exemptées des travaux agricoles, commence à être perçu grâce aux dernières avancées de la recherche pour ces périodes hautes. Ce type de spécialisation a été proposé pour la production potière dans le sud-ouest de la Gaule (Gardes et al. 2020, 249-250). Les agglomérations à vocation artisanale impliquées dans des réseaux d’échange, avec la forte proportion de productions manufacturées, supposent la possibilité de s’approvisionner en biens vivriers dans les campagnes proches (Marion 2013, 366). Cela rejoint ce qui a été observé par exemple en Île de France, à partir de la fin du IVe siècle av. n. è., où les personnes qui ne produisent pas de denrées alimentaires (artisans, soldats, clergé) sont progressivement plus nombreuses (Marion 2007, 111-112). La gestion des relations entre ces différents groupes fait partie intégrante de l’organisation des sociétés, et le clergé aurait alors joué un rôle dans la légitimation du pouvoir politique (Brun 2007, 382). On ajoutera la proposition de prendre en compte le rôle moteur probable du milieu aristocratique dans la création des agglomérations ouvertes artisanales, qui peut aller dans le sens d’une structuration renforcée des sociétés de cette période (Barral & Lallemand 2014, 225).

Or, la mise en œuvre d’une exploitation minière, lorsqu’elle atteint une certaine intensité, implique le soutien d’une organisation solide pour pouvoir se développer. La mine demande en effet la mise à disposition d’une équipe de mineurs pour l’extraction, mais le travail ne s’arrête pas là. Le tri et le concassage du minerai occupent également de la main-d’œuvre, ainsi que la métallurgie primaire. Le charbon nécessaire à cette opération doit également être préparé à l’avance. Les opérations d’archéologie expérimentale de pratique du charbonnage ont montré qu’il s’agissait d’un processus long, demandant un savoir-faire et une maîtrise poussés (Dubois 1998, 98-102 ; Dubois 1999c ; Fabre 2016b, 429). L’approvisionnement en bois pour la production de charbon, et pour la mine lorsque le feu est utilisé, demande aussi une gestion de l’abattage des arbres. Nous avons évoqué pour le travail à l’outil la nécessité d’assurer un approvisionnement en fer. Tout cela peut conduire à une spécialisation d’une partie de la population dans l’une ou l’autre des opérations liées à la mine. Dans le cas de communautés qui ont fait le choix de s’investir dans une exploitation minière intensive, la spécialisation d’une partie de la population dans cette activité non vivrière a pu accélérer leur passage vers une organisation sociale plus structurée. De même, l’insertion nécessaire dans des réseaux d’échanges de portée au moins régionale, pour écouler la production métallique et en obtenir des bénéfices, place les acteurs de ces échanges dans une position de force par rapport au reste de leur communauté et contribue à asseoir une hiérarchie au sein des groupes concernés.

La mise en évidence de zones de production minière intensive entre les IVe et IIIe siècles av. n. è. dans le sud-ouest de la Gaule permet de préciser la vision que l’on a de ces sociétés, peu connues par les autres domaines de l’archéologie. Il apparaît ainsi que la structuration politique croissante mise en évidence en Gaule interne ou sur le pourtour méditerranéen pour cette période se retrouve dans le Sud-Ouest, qui est intégré au même mouvement de fond de développement économique et de mutation sociale. Les districts miniers du sud de la Montagne noire et de l’Arize pour l’exploitation de cuivre argentifère en sont les deux exemples les plus clairs. Il est également possible que les mines de plomb argentifère des Pyrénées centrales, au nord du massif du Montaigu, correspondent à la même dynamique. La possibilité est également ouverte pour la production sidérurgique du Pays basque. Dans les autres secteurs miniers du Sud-Ouest, les données concernant cette période sont trop limitées pour se prononcer.

À l’instar de S. Fichtl qui proposait de voir dans le IIIe siècle av. n. è. le contexte ayant favorisé la genèse des entités politiques gauloises, on peut se demander quel a été le rôle de l’exploitation minière dans ce processus. En mettant à disposition de certains groupes des ressources métalliques à forte valeur ajoutée et en stimulant la structuration politique des communautés engagées dans cette exploitation, les mines peuvent apparaître comme un catalyseur des processus de mutations sociales (Stöllner 2012, 444-445). Les résultats de ces mutations aux causes multiples seront bien visibles à partir du IIe siècle av. n. è., notamment avec l’identification de peuples contrôlant des territoires étendus. Leurs noms nous sont parvenus par le biais des auteurs classiques, notamment César (B.G., au fil du texte) et Strabon (Géographie, IV.1.13), qui reprend Posidonios. On pense notamment aux Volques Tectosages qui contrôlaient un territoire vaste dont les limites exactes ne sont pas connues, mais qui s’étendait entre les contreforts sud du Massif central, les Corbières et les Pyrénées, sans qu’ils semblent avoir eu une prise directe sur les territoires montagnards en eux-mêmes (Domergue et al. 2002, 82 ; Thollard 2009, 155 ; Moret 2015a). Les ressources minières exploitées entre les IVe et IIIe siècles av. n. è. dans le massif de l’Arize, peut-être également celles des Barrencs ou même le gisement de l’Argentière dans la haute vallée du Garbet ont pu contribuer à enrichir les Tectosages et à affirmer leur puissance dans la région. Hors du Sud-Ouest, on sait que les Lémovices occupent le territoire où se trouvent les nombreuses mines d’or du Limousin, exploitées également à cette période. Nul doute que l’exploitation des ressources minières locales a aussi eu son importance dans l’histoire de ce peuple.

Notes

  1. Ce phénomène est observé sur la zone côtière méditerranéenne (Garcia 2002, 96-98 ; Py 2012, 188), dans le sud du Massif central (Fages 2000, 57 ; Gruat & Marty 2000, 40 ; Dedet 2003, 200), pour le toulousain (Py 2012, 200 ; Gardes & Grizeaud 2013, 7) ou encore dans le bassin audois (Rancoule & Schwaller 1994, 225).
  2. Nous rappelons ici que la technique de réduction du fer avec écoulement de scories est parfaitement maîtrisée dès cette période (Beyrie 2015). Cependant, s’agissant du seul secteur sidérurgique connu avec cette chronologie dans toute la région, nous n’allons pas entrer plus avant dans l’analyse de ses caractéristiques techniques.
  3. Aucun parallèle n’est connu pour ce type de poids à l’âge du Fer en Gaule. Les exemples les plus proches proviennent de sites du Portugal ou du sud-ouest de l’Espagne et sont datés de l’âge du Bronze. Ils sont associés à l’étalon phénicien du shekel d’Ougarit. Le poids du Limousin correspondrait à 1/5 de ce shekel, sa plus petite division, utilisée pour les métaux précieux (Cauuet et al. 2018, 39).
  4. On notera que les bas fourneaux de Larla, à scories écoulées, correspondent à une technique plus évoluée que les bas fourneaux à scories piégées réutilisables et permettent déjà cette meilleure rentabilité.
ISBN html : 978-2-35613-497-4
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EAN html : 9782356134974
ISBN html : 978-2-35613-497-4
ISBN pdf : 978-2-35613-499-8
ISSN : 2741-1508
12 p.
Code CLIL : 4117
licence CC by SA

Comment citer

Meunier, Emmanuelle, “Les IVe et IIIe siècles av. n. è. : une période globalement méconnue”, in : Meunier, Emmanuelle, L’exploitation minière dans le sud-ouest de la Gaule entre le second âge du Fer et la période romaine. Le district à cuivre argentifère de l’Arize dans son contexte régional, Pessac, Ausonius Éditions, collection DAN@ 10, 2023, 229-241 [en ligne] https://una-editions.fr/les-ive-et-iiie-siecles-av-n-e-une-periode-globalement-meconnue [consulté le 03/11/2023]
doi.org/10.46608/DANA10.9782356134974.20
Illustration de couverture • Première  : Dans les calcaires du massif de l’Arize, les mines de cuivre argentifère.
Quatrième : Filonet de cuivre gris curé à l’outil dans la mine du Goutil Est (photo : E Meunier).
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