Le premier volet du présent ouvrage montre comment la Réforme contribue à aiguiser la réflexion théologique sur le scandale et, en même temps, à faire de lui un instrument politique. Comme au Moyen Âge1, le scandale, par l’intermédiaire du droit, devient un moyen de régulation et de contrôle de l’espace public par le pouvoir catholique. En effet, dans leur conflit, catholiques et protestants mettent en avant la notion théologique de scandale. Anne-Pascale Pouey-Mounou montre ainsi que si les catholiques ont intérêt à prôner la charité qui permet de ne pas scandaliser les faibles ; les protestants, pour constituer une communauté nouvelle, ont intérêt à brandir le glaive du scandale au nom de la liberté. Le pouvoir monarchique français voulant maîtriser le retentissement de ce scandale que revendiquent les protestants utilise le droit au point qu’il confisque même parfois l’autorité de l’Église catholique pour interdire certaines déviances qu’elle aurait tolérées, c’est ce que souligne l’analyse de Solange Ségala. L’instrumentalisation politique du scandale est également patente dans le cas exemplaire des possessions. La mise en scène des possédées et de leur exorcisme réitère aux yeux des catholiques, le scandale de la Croix : comme la Croix sépare ceux et celles qui ont confiance dans la résurrection du Christ de ceux et celles qui n’ont pas la foi, les catholiques, lorsque l’Eucharistie délivre les possédées, peuvent réaffirmer leur foi, alors que les protestants trébuchent sur cette pierre. La contribution de Marianne Closson couronne donc cette partie théorique qui montre quel usage juridique et politique du scandale est fait à une époque où la compréhension théologique du mot est aussi nécessairement polémique. Ces procès constituent un « idéal-type 2 » : à travers eux, c’est la Réforme elle-même qui est mise en scène et instrumentalisée comme scandale à travers le corps complaisamment exhibé des possédées.
Notes
- « la catégorie scandalum, telle qu’elle est définie et utilisée par l’Église pontificale entre le XIIe et le XVe siècle, contribue à construire véritablement une “sphère publique” médiévale » (Arnaud Fossier, « “Propter vitandum scandalum” … », art. cit., p. 348.
- En effet, de même qu’on a pu parler d’« idéal-type » pour certaines affaires, il semble ici qu’en tant qu’ils font se rencontrer les différentes facettes du scandale, les procès sulfureux des possédées constituent un cas exemplaire de scandale au début de l’époque moderne. Pour Nicolas Offenstadt et Stéphane Van Damme, on peut en effet « dégager un “idéal-type” de l’affaire, particulièrement prégnant aux XVIIIe-XXe siècles, du chevalier de La Barre aux fusillés de 14-18 en passant par Dreyfus » (Affaires, scandales et grandes causes. De Socrate à Pinochet, op. cit., Introduction, p. 10).