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Se remettre de la fête : porter des couronnes végétales pour éviter la « gueule de bois »

Se remettre de la fête : porter des couronnes végétales pour éviter la « gueule de bois »

La pharmacopée antique regorge de produits destinés à prévenir ou soigner la foule de maux, – fatigue et faiblesse, troubles de la vision et de l’équilibre, nausées et vomissements, maux de tête, etc. –, qui s’annoncent à ceux qui abusent de vin. Plusieurs sont minéraux, comme la pierre ponce ou l’améthyste, mot grec signifiant « qui n’enivre pas », car cette pierre fine à la couleur transparente violacée, similaire à celle du vin coupé d’eau, a le pouvoir, comme ce dernier, de ne pas enivrer. D’autres relèvent du monde animal : c’est le cas du poumon de chèvre grillé. Cependant, la plupart des médicaments simples sont végétaux. Le plus célèbre est sans conteste le chou, que l’on consomme en graine, feuille ou jus, cru ou bouilli, sauvage ou non. Pris avant l’ivresse, il la prévient ; après celle-ci, il en dissipe les suites. On sait aujourd’hui que cet adversaire du vin contient de la glutamine, un acide aminé qui protège le foie des effets de l’alcool. Chou et vigne se vouent une haine mortelle depuis que le roi des Édoniens Lycurgue a osé affronter le dieu Dionysos, et aujourd’hui encore, en horticulture, il est recommandé de ne pas les faire pousser l’un près de l’autre. Parmi d’autres végétaux, signalons les amandes amères, à manger en nombre impair (cinq ou sept). La consommation de produits tirés des plantes et des animaux, comme le vinaigre ou les friandises (gâteaux au miel et galettes), est également attestée.

P.Oxy. 80.5245 (Oxyrhynque, IIe siècle apr. J.-C.). © Courtesy of the Egypt Exploration Society and the University of Oxford Imaging Project.
1.P.Oxy. 80.5245 (Oxyrhynque, IIe siècle apr. J.-C.). © Courtesy of the Egypt Exploration Society and the University of Oxford Imaging Project.

Pour prévenir l’ivresse, les Anciens employaient aussi des couronnes végétales. C’est ce qui est prescrit dans une recette transmise par un papyrus grec d’Égypte. Daté du IIe siècle de notre ère et provenant d’Oxyrhynque, – une cité de Moyenne-Égypte qui a livré des dizaines de milliers de papyrus –, ce fragment de livre contient les restes de six recettes concernant les yeux et la tête. Mêlant médecine et magie, celles-ci ont pour but de soigner la migraine, l’orgelet et l’ophtalmie, d’aiguiser la vue et aussi, semble-t-il, car le passage est lacunaire, de soulager la kraipalè (littéralement le « battement de tête »), à savoir les céphalées causées par l’excès de boisson. Dans son Commentaire aux Aphorismes hippocratiques, Galien de Pergame (129-216 p.C.) donne une étymologie du substantif désignant ces troubles qui ne disparaissent pas aussi rapidement qu’on le voudrait : 

« Il est clair que la plupart des Grecs donnent le nom de kraipalè aux maux de tête dus au vin. Ainsi donc certains ont donné l’étymologie de la dénomination en affirmant qu’elle vient du fait de secouer la tête. (…) Certains voient leur mal de tête cesser le lendemain, d’autres la nuit suivante ; d’autres encore en sont totalement délivrés le troisième jour ; et cela dépend de la force et de la quantité de vin ingéré ainsi que de la nature même de celui qui a bu » (trad. F. Skoda).

Dans notre papyrus, la couronne (ou le collier) se compose de feuilles de laurier d’Alexandrie (de Troade), Danae racemosa Moench. Ne dépassant pas le mètre de hauteur, cet arbuste se caractérise par son feuillage vert brillant et persistant, ainsi que par ses baies rouges, toxiques pour l’homme, attachées à un cladode (sorte de rameau ayant l’apparence d’une feuille). Dans l’Antiquité, la plante était utilisée fraîche en topique contre les maux de tête. On lui attribuait aussi d’autres vertus, notamment celles de tempérer les brûlures d’estomac et d’être utile contre les coliques. Son suc en boisson était considéré comme emménagogue et diurétique, alors qu’en pessaire dans de la laine, il facilitait les accouchements laborieux.

 Laurier d’Alexandrie (Danae racemosa Moench). © Krzysztof Ziarnek, Kenraiz / Wikimedia Commons.
2. Laurier d’Alexandrie (Danae racemosa Moench). © Krzysztof Ziarnek, Kenraiz / Wikimedia Commons.

La pratique des couronnes est bien documentée par ailleurs. Selon Jules l’Africain (c. 160-240 p.C.), le buveur ne s’enivrera pas s’il est couronné de rameaux d’ivette ou si, à la première coupe, il prononce le vers homérique « Par trois fois donc le sage Zeus tonna du haut de l’Ida » (Iliade, 8, 170), ce à quoi un lecteur byzantin a ajouté, en marge d’un manuscrit : « Tu dis des sottises invraisemblables et tiens des propos d’insensés » ! Plusieurs auteurs, dont Aristote (384-322 a.C.) ou les médecins Andréas de Caryste (seconde moitié du IIIe siècle a.C.) et Philonidès de Dyrrachium (premièremoitié du Ier siècle a.C.), attribuent son origine aux « Anciens », qui, ayant constaté qu’un bandage serré autour des tempes soulage les céphalées dues aux excès de boisson, auraient imaginé se ceindre la tête. Par la suite, ce qui était un remède se transforma en un objet de plaisir adapté au contexte festif du banquet : on se mit à décorer le bandage ou à le remplacer par des guirlandes de fleurs et de feuilles de lierre ou d’autres plantes (myrte, rose, laurier, etc.). L’efficacité thérapeutique des couronnes n’était pas pour autant remise en cause, puisque, comme l’a montré le médecin Tryphon aux convives d’un banquet à Athènes (Plutarque, Propos de table, 3, 1), les émanations des fleurs défendent la tête contre les troubles dus à l’abus de vin. Sous l’effet de la chaleur, celles-ci parviennent au cerveau, qui est naturellement froid, à travers les narines. Les fleurs chaudes provoquent une lente dilatation des pores et permettent au vin de s’exhaler, et les fleurs fraîches, sous un effleurement léger, refoulent ses vapeurs. Ainsi, l’odeur des couronnes de violettes ou de roses resserre et comprime les lourdeurs de tête.
D’autres plantes comme le cyprus (à savoir le henné), le safran ou la sauge, qui dégagent un arôme délicat et agréable, finissent par endormir les buveurs d’un sommeil tranquille, tandis qu’en parvenant au cerveau, l’odeur de certaines autres fleurs (non précisées par Tryphon) nettoie les conduits sensitifs et éclaircit les humeurs qui ne peuvent plus circuler à cause des dépôts de vin.

Les auteurs chrétiens critiqueront sévèrement cette pratique. À côté de raisons spécifiquement chrétiennes, – se couronner, c’est notamment faire insulte au Christ, qui fut couronné d’épines –, Clément d’Alexandrie (150-215 p.C.) invoque des raisons naturelles : à cause de son humidité et de sa fraîcheur, la couronne végétale refroidit la chevelure ; du reste, comme on la porte sur la tête, on ne peut jouir de la vue des fleurs, dont la beauté se flétrit rapidement, tandis que les émanations se dissipent dans l’air, sans arriver aux narines. Laissons le lecteur juger de l’efficacité de cette médication, ou bien, comme le conseille Clément, se contenter de jouir de la vue et de l’odeur des fleurs, sans s’en couronner !

Un homme ivre vomit, pendant qu’un jeune esclave nu lui tient la tête. Peintre de Brygos, 500-470 a.C. Musée national du Danemark. © Stefano Bolognini / Wikimedia Commons.
3. Un homme ivre vomit, pendant qu’un jeune esclave nu lui tient la tête. Peintre de Brygos, 500-470 a.C. Musée national du Danemark. © Stefano Bolognini / Wikimedia Commons.
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Comment citer

Ricciardetto, Antonio (2022) : “Se remettre de la fête : porter des couronnes végétales pour éviter la « gueule de bois »”, in : Lacroix, Audrey, éd., L’Antiquité est une fête, Actualités des études anciennes, le carnet scientifique de la Revue des Études Anciennes, Ausonius éditions, 145-149 [en ligne] https://una-editions.fr/se-remettre-de-la-fete [consulté le 23/03/2022]
Posté le 28/04/2022
EAN html : 9782356135001
ISBN html : 978-2-35613-500-1
Publié le 28/04/2022
ISBN livre papier : 978-2-35613-501-8
ISBN pdf : 978-2-35613-502-5
5 p.
Code CLIL : 3385; 3666
DOI : 10.46608/balade2.9782356135001.26
licence CC by SA

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