Trois périodes d’activité anciennes ont été reconnues sur le district (fig. 153). La première phase, mise en lumière par le radiocarbone, se situe dans l’intervalle des IVe et IIIe siècles av. n. è. Les deux tessons d’amphores anciennes d’Hautech sont inclus dans cet intervalle. La deuxième phase, bien visible grâce à l’abondance du mobilier associé, principalement amphorique, et corroborée par des datations absolues, a eu lieu entre la fin du IIe siècle av. n. è. et la période augustéenne. La troisième et dernière identifiée sur le terrain avant les reprises récentes correspond au XIVe siècle, d’après les datations radiocarbone également.
S’il est assez évident que l’activité s’interrompt entre la période augustéenne et le XIVe siècle, la situation au cours du IIe siècle av. n. è. n’est pas aussi claire. Deux dates radiocarbone incluent cette période dans leur intervalle calibré, à La Coustalade et aux Atiels. Les amphores gréco-italiques tardives d’Hautech et même les Dr 1 ont circulé aussi dans la seconde moitié de ce siècle. Cependant, lorsque le mobilier est plus varié, la chronologie se recentre plutôt sur le Ier siècle av. n. è. Pour La Coustalade, nous avons indiqué que la stratigraphie du renfoncement d’où proviennent l’amphore et le charbon daté entre les IIe et Ier siècles av. n. è. incitait plutôt à prendre en considération la fin de l’intervalle radiocarbone calibré. La mine de Rougé et le chantier HAU9 en sont quant à eux à une étape très avancée de leur exploitation à la fin du IIIe siècle av. n. è., permettant difficilement d’imaginer une exploitation continue jusqu’à Ier siècle. Pour les Atiels, le secteur ancien conservé ne représente toutefois qu’une infime partie de la mine ancienne, on ne peut donc pas exclure une activité dès le IIe siècle av. n. è. À Hautech, le nombre de chantiers miniers encore visibles en surface et l’étendue du chantier HAU5 pourrait aussi laisser la possibilité d’une exploitation qui se prolonge à l’échelle du site au cours du IIe siècle, même si les chantiers plus modestes sont vidés plus tôt. La situation a pu être variable d’une mine à l’autre à l’intérieur du district.
L’importance relative de ces trois périodes d’exploitation est un autre aspect qui demande à être discuté. Les données chronologiques ne sont pas suffisantes pour évaluer pour chaque mine le volume des travaux réalisés lors des différentes phases. Les informations données par la morphologie des chantiers peuvent contribuer à avancer sur cette question. En effet, si la forme des travaux dépend en premier lieu de la disposition des corps minéralisés, plusieurs caractéristiques reflètent les choix des mineurs dans la mise en œuvre de l’exploitation. Lorsque les mêmes solutions techniques sont mises en œuvre dans plusieurs mines, on peut en déduire un partage des connaissances entre les équipes de mineurs et donc une contemporanéité des travaux.
Le premier élément qui caractérise les chantiers du front nord du massif de l’Arize est le démarrage de l’exploitation depuis l’affleurement, avec une poursuite des travaux en souterrain. Il n’y a pas de descenderie à travers le stérile, le type de minéralisation se prêtant à une exploitation directe depuis l’affleurement. On remarque aussi que plusieurs entrées ont été ouvertes au Goutil, à Rougé, à La Coustalade et à Hautech, permettant de multiplier les fronts d’attaques des gisements.
À l’intérieur des travaux, la plupart des chantiers suivent de près la minéralisation, limitant au maximum les creusements dans le stérile. L’absence de marches, même étroites, pour faciliter la progression dans les chantiers inclinés de Rougé a été soulignée. Cela reflète à la fois une connaissance empirique de la géologie et un souci d’assurer la rentabilité de l’exploitation. Dans les secteurs où la minéralisation suivie est peu puissante, les négatifs des creusements nous donnent une idée du gabarit minimal de creusement. Les profils ovoïdes atteignent une largeur au centre oscillant entre 0,6 et 0,8 m, ce qui permet à un adulte de s’y déplacer, sans être toujours debout toutefois : la hauteur des étages d’exploitation dépasse de peu le mètre (fig. 154). La progression par étages horizontaux s’approfondissant successivement est aussi une caractéristique commune de ces ouvrages.
Les creusements larges que l’on a décrits au Goutil (grands volumes à creusement unique réseaux Est et Ouest) ou encore ponctuellement à Hautech (coupoles larges à HAU9 et HAU16) sont des exceptions qui doivent correspondre à la reprise médiévale, selon la date obtenue sous la coupole de la mine HAU9. La grande coupole de l’étage -3,87 à Rougé (fig. 56) ainsi que celles que l’on voit sur le chantier de La Tuilerie (fig. 135), montrant elles aussi un profil uniforme avec un diamètre qui dépasse le mètre, correspondent probablement au Moyen âge également. L’épandage charbonneux de l’US 105 du sondage 1 de Rougé, au même étage que cette grande coupole, pourraient provenir de son creusement. L’ouverture de ces grandes coupoles augmentait la quantité de stériles abattus et montre une logique d’exploitation bien différente de la recherche d’économie constatée pour les ouvrages les plus anciens. Cet investissement supplémentaire dans l’exploitation n’est pas évident à justifier ici. La circulation dans les réseaux se trouve largement améliorée dans les galeries larges : deux personnes peuvent se croiser, leur hauteur permet de se tenir debout. Cela contribue certainement à fluidifier le travail d’extraction. Cependant, les grandes coupoles observées dans les parties profondes des mines HAU9 et HAU16, alors que les accès n’ont pas été élargis, affaiblissent l’argument, tout comme celle que l’on voit en couronne* dans la mine du Goutil Ouest, qui approche les 4 m de diamètre (fig. 99, photo g). Une autre explication pour cet élargissement des creusements pourrait se trouver dans une amélioration des rendements des opérations de métallurgie primaire, qui permettent de récupérer une plus grande part des métaux contenus dans la roche extraite, et notamment de l’argent, dont la valeur élevée pourrait justifier un tel investissement dans l’extraction. Le traitement des cuivres gris argentifères a en effet évolué au Moyen âge, permettant de récupérer plus efficacement le métal précieux contenu dans ces minerais par le procédé de liquation et ressuage (L’Héritier 2012). L’absence d’atelier de la période ne permet toutefois pas d’être sûr des méthodes employées dans ce district, laissant ces considérations au stade de l’hypothèse.
L’abattage au feu est la technique la plus communément utilisée dans ce district. Elle caractérise en particulier tous les chantiers ouverts dès les IVe et IIIe siècles av. n. è. L’utilisation du feu a des implications sur les besoins annexes de l’exploitation, pour lesquels la gestion des ressources boisées acquiert d’autant plus d’importance. L’abattage des arbres doit être prévu à l’avance pour que les mineurs disposent de bûches sèches pour leur travail (Dubois 1990, 49). À la période tardo-républicaine et au Moyen Âge, l’abattage au feu est toujours pratiqué. La reprise identifiée à La Coustalade et les chantiers de grand volume ouverts au feu au XIVe siècle (Hautech 9) le montrent. L’utilisation du feu pour l’abattage requérait aussi une maîtrise de la ventilation des travaux, pour apporter l’oxygène nécessaire à la combustion et pour évacuer les fumées. Les profondeurs atteintes à Rougé à la fin du IIIe siècle montrent que les mineurs ont su gérer ces contingences.
L’abattage à l’outil a toutefois été privilégié dans quelques cas. La partie ancienne du réseau des Atiels est entièrement ouverte au moyen de cette technique (fig. 127 et 128). Dans le réseau du Goutil Est, le secteur oriental du réseau, près de la limite d’extension des travaux, est ouvert majoritairement à l’outil (fig. 92, a et fig. 93, d). Ailleurs dans ce réseau, le feu et l’outil peuvent cohabiter, notamment pour une partie des reprises sur les filons verticaux. Dans le réseau ouest du Goutil, l’outil semble dominer dans la partie centrale du réseau, mais les deux techniques sont utilisées (fig. 97). Les traces d’outil ne se trouvent jamais près des entrées, ce qui confirme que le démarrage des exploitations s’est fait systématiquement par l’usage du feu. Le fait que ce mode d’abattage soit limité à certains secteurs particuliers pourrait constituer, dans le cas de ce district, un critère chronologique. La datation tardo-républicaine obtenue dans le chantier des Atiels, ouvert entièrement à l’outil, nous incite à attribuer ce type d’abattage à cette période. Son utilisation au Moyen Âge est également possible. On peut aussi souligner que certains travaux à l’outil ont un profil courbe alors que d’autres sont plus anguleux. Pour les premiers, la question d’une combinaison de l’utilisation du feu et d’un travail à l’outil peut se poser. Cette option a été proposée pour expliquer le profil ovoïde et constellé de traces d’outils de certains secteurs dans la mine romaine de la Rambla del Abenque à La Unión (Cartagena, Espagne), tout en rappelant que ce profil ovoïde peut aussi être le résultat de la position et des mouvements du mineur pour réaliser ce travail (Fabre et al. 2017, 136-137).
Le soutènement des chantiers est assuré par des piliers stériles ou faiblement minéralisés laissés en place (fig. 155, fig. 112, c, fig. 55, b). Leur distribution est irrégulière, illustrant le choix fait par les mineurs de profiter des pincements de la minéralisation pour économiser leurs creusements, ouvrant plus largement les secteurs suffisamment riches. On les retrouve ainsi dans les secteurs où les volumes des chantiers sont plus limités, constituant ainsi une caractéristique supplémentaire des ouvrages les plus anciens. Dans les travaux de grand volume, presque aucun pilier n’a été laissé en place. Si des boisages ont été utilisés, il n’en reste aucune trace. Le bon état de conservation des parois et des couronnes* montre que la roche calcaire encaissante était suffisamment solide pour tenir malgré les vides créés. L’irrégularité de la distribution des piliers stériles dans les ouvrages de plus petit gabarit peut montrer que les mineurs avaient eu très tôt conscience de cette caractéristique et que les piliers laissés en place répondaient autant à un souci d’économie de creusement que de sécurité des travaux. Dans la mine HAU5, où le dépilage s’est fait presque à la verticale, les piliers ont pu servir à faciliter la circulation, formant des petites plates-formes horizontales qui ponctuent les vides. Les encoches visibles sur les parois de ce chantier doivent ainsi plus probablement correspondre à l’emplacement de structures pour permettre la circulation dans la mine qu’à des boisages de soutènement.
L’économie de creusement pour les travaux les plus anciens est également illustrée par l’absence généralisée d’ouvrages d’assistance dans ces chantiers. Les galeries creusées dans le schiste à Rougé sont une exception notable, due à la friabilité de cette roche. Elles ont pu faciliter l’aérage et la circulation des mineurs. La fonction des diverticules descendants dont les départs sont observés à la cote -22 (fig. 52), qui s’enfoncent dans les schistes stériles, est difficile à interpréter. Peut-être étaient-ils destinés à faciliter l’exhaure* dans ces niveaux profonds, mais aucun débouché à ces structures n’a pu être identifié à l’extérieur sur le versant. La petite galerie de jonction GA2 dans la mine des Atiels est un autre de ces très rares exemples de creusement intégralement dans le stérile. La logique est clairement différente de celle qui régit les creusements de très grand volume médiévaux.
Ces caractéristiques et les datations obtenues dans les chantiers nous permettent d’attribuer les principales typologies à des phases d’exploitation spécifiques. Ainsi, les ouvrages de petit gabarit ouverts au feu et laissant fréquemment en place des piliers de soutènement correspondraient à la phase ancienne d’exploitation, entre les IVe et IIIe siècles av. n. è. Les chantiers de très grand volume à creusement unique, ouverts au feu également, sont rattachés au XIVe siècle. Pour les travaux réalisés majoritairement à l’outil, de gabarit réduit et au profil angulaire, l’exemple des Atiels nous permet de les rattacher à la phase tardo-républicaine. Cependant, d’autres chantiers de cette période se rattachent à la typologie de la phase précédente, comme le renfoncement de la cote -6,5 fouillé à La Coustalade par exemple. On retiendra la mixité des techniques pour cette période.
Ces typologies, valables à l’échelle du district de l’Arize uniquement, donnent des indications sur les chronologies des mines accessibles non datées ou insuffisamment. Ainsi, l’homogénéité de l’ensemble de ces travaux permet de proposer que l’exploitation ait démarré sur tous les sites lors de la période des IVe-IIIe siècles av. n. è. Il ne s’agissait pas d’une simple exploration des ressources disponibles, mais d’une véritable exploitation systématique, avec la possibilité pour plusieurs équipes de travailler en même temps dans chaque mine. Plusieurs réseaux sont d’ailleurs exploités au maximum des possibilités à la fin du IIIe siècle av. n. è. Cela nous conduit à considérer que l’ensemble des gisements du district a été reconnu et exploité dès cette période, la plus ancienne, même si les sites dont le souterrain n’est pas accessible ne sont datés que par des tessons d’amphores de type Dr 1. Pour les mines datées par le radiocarbone, on a vu que ce mobilier amphorique correspondait à une phase de reprise, qui n’a dû être que ponctuelle dans certains cas (Rougé, La Coustalade). Il serait cohérent que la situation ait été la même dans les autres mines du district, dont la localisation ne pose aucun problème d’accès particulier qui aurait pu justifier qu’elles soient laissées de côté par les premiers mineurs. Cette configuration montre que l’exploitation laténienne, avant toute intervention romaine dans la région, a dû constituer la phase d’activité principale du district.