Les études du mobilier céramique se font en collaboration de plus en plus étroite entre archéologues, historiens et archéomètres : on est passé de la simple prestation de service d’un laboratoire d’archéométrie, demandée par un céramologue, lequel cherchait la confirmation d’une hypothèse à propos d’une production, à un véritable dialogue entre les disciplines dans une optique plus large, relevant aussi bien du paléoenvironnement que des techniques et de l’économie.
Pour les amphores de la région nord-adriatique, cette recherche pluridisciplinaire concerne quatre pôles : Padoue, Vienne – Budapest, Aix-en-Provence et Bordeaux. Dans l’équipe padouane menée par Stefania Pesavento Mattioli, ce fut d’abord la collaboration de Stefania Mazzocchin et de Silvia Cipriano avec les professeurs G. P. De Vecchi et Gian Antonio Mazzocchin, puis avec le laboratoire de Geoscience dirigé par Lara Maritan. À Vienne, l’amphorologue hongrois de la Österreichische Akademie der Wissenschaften Forschungsstelle Archäologie, Tamás Bezeczky, fit appel à György Szakmány et Józsa Sándor, de l’Université de Budapest, pour analyser tous les types d’amphores circulant entre Adriatique et Danube1, avant de se concentrer sur la production des Laecanii, dont la figlina est localisée à Fažana en Istrie2. À Aix, autour d’André Tchernia, le Centre Camille Jullian (CCJ), une des principales références de l’amphorologie depuis les années Soixante Dix, a d’abord développé une recherche archéométrique sur les amphores et céramiques africaines à partir de 1998 (collaboration de Michel Bonifay et de Claudio Capelli, DISTAV – Université de Gênes)3 ; son implication adriatique remonte aux années Quatre Vingt grâce à Marie-Brigitte Carre4, en étroite relation avec Padoue5, et a connu un regain d’intérêt avec la thèse de Lucilla d’Alessandro sur les amphores adriatiques du Nuovo Mercato Testaccio à Rome6, dans laquelle les analyses effectuées par Claudio Capelli jouent un rôle majeur. Le quatrième pôle est Bordeaux, présent en Adriatique depuis 1980, en lien avec l’université de Trieste et les programmes de l’École Française de Rome (EFR). Sa véritable implication dans l’archéologie amphorique débute en 1994 par la fouille de l’atelier de Loron en Istrie7 en collaboration avec les musées de Poreč et de Pula, puis, à partir de 2003, avec Padoue, et avec l’EFR en 2007. L’équipe d’Ausonius a bénéficié d’abord de l’expertise padouane de Stefania Mazzocchin et Silvia Cipriano, puis, à partir de 2012, commença une collaboration avec l’IRAMAT, concrétisée par le mémoire de recherche de Pierre Machut8. Ce partenariat déboucha rapidement sur un programme de recherche spécifique financé par le Labex Sciences Archéologiques de Bordeaux (LaScArBx), et porté par le laboratoire IRAMAT-CRP2A en collaboration avec Ausonius : “Production et diffusion des amphores de l’Istrie romaine”, d’une durée de 16 mois (de septembre 2014 à décembre 2015), lié à la thèse de P. Machut portant sur la production des amphores de Loron, et qui s’est conclu par la Table Ronde du 11 avril 2016, intitulée “Recherches pluridisciplinaires récentes sur les amphores nord-adriatiques à l’époque romaine”. Pour l’occasion, une partie des acteurs des laboratoires évoqués ci-dessus se sont réunis avec plusieurs collègues croates largement impliqués dans la recherche archéologique et historique de l’Istrie, les uns et les autres motivés par le besoin de communiquer sur leurs méthodes et leurs réflexions, de les comparer afin d’essayer d’apporter des réponses à leurs problématiques, proches mais inscrites dans des situations bien différentes – par exemple, en Italie nord-orientale, un potentiel oléicole, des gisements d’argile mais pas de fours à amphores retrouvés alors que, dans la péninsule istrienne, on a de grands ateliers fouillés mais aucun gisement d’argile reconnu.
L’objectif était double : faire un bilan des connaissances de ce type de mobilier, fondées sur l’archéologie et la prosopographie des timbres apposés sur les amphores ainsi que sur les analyses chimiques et minéralogiques d’échantillons d’amphores et de sédiments ; apporter et confronter des éléments de réponse aux préoccupations suivantes :
- identification des terres argileuses employées dans la production des amphores et leur localisation ;
- caractérisation des différentes productions connues uniquement au travers des timbres qu’elles soient picéniennes, vénètes ou istriennes ;
- constitution d’un référentiel afin de pouvoir identifier et caractériser les amphores non timbrées, qui représentent au moins les trois-quarts de la production antérieure à la mort d’Hadrien (138 p.C.) et la quasi-totalité après cette date, pour améliorer ainsi notre vision de la diffusion de l’huile d’olive nord-adriatique.
Les Actes s’ouvrent sur l’étude ethnographique et historique de Gaetano Benčić (Musée territorial du Parentin à Poreč, Croatie) qui s’interroge sur la production céramique en Istrie au Moyen Âge et à l’époque Moderne.
Les autres contributions concernent l’Antiquité, selon une organisation régionale. Se succèdent ainsi les études sur l’Istrie, alternant les approches archéologiques, prosopographiques et archéométriques et centrées plus particulièrement sur les deux grands ateliers reconnus, Loron et Fažana. En premier lieu, Yolande Marion et Francis Tassaux font le point sur les productions d’amphores à huile du nord de l’Istrie et leur localisation probable sur le territoire de Tergeste puis ils se consacrent pleinement à l’organisation de l’atelier de Loron et à la typochronologie de sa production. L’équipe de l’IRAMAT (Pierre Machut, Ayed Ben Amara, Nadia Cantin, Rémy Chapoulie, Nicolas Frerebeau, François-Xavier Le Bourdonnec) s’interroge sur les argiles utilisées, leur composition et leur provenance, pendant les quatre siècles d’existence de l’atelier.
En second lieu, les études portent sur le site de Fažana/Fasana. Ida Koncani Uhač et Davor Bulić, du Musée archéologique et de l’Université de Pula, font part des dernières fouilles – mis au jour de fours à amphores de grande taille – et présentent un bilan des amphores et des estampilles trouvées. Après la présentation archéologique et historique de Tamás Bezeczky sur les amphores de Fažana, les géologues hongrois, György Szakmány et Sándor Józsa apportent un éclairage sur les sédiments istriens et la composition minéralogiques des pâtes de Fažana afin de proposer une origine géographique probable de la matière première.
Ensuite, l’enquête archéologique, prosopographique et archéométrique est élargie par Silvia Cipriano, Stefania Mazzocchin et Lara Maritan de Padoue, à l’ensemble des régions nord-adriatiques, ces chercheuses examinant à la fois des productions de l’Italie du Nord et de l’Istrie. Cet élargissement concernait aussi la communication de Marie-Brigitte Carre, étendue à l’ensemble de l’Adriatique, mais les circonstances ne lui ont pas permis de rendre sa contribution. Qu’elle soit remerciée ici pour ses conseils en vue de la publication de ces actes.
Enfin, la conclusion de Pierre Machut et Yolande Marion rappelle les acquis et évoque les perspectives de recherches à développer, notamment la création d’une base de données géoréférencées par Nathalie Prévôt et Clément Coutelier du pôle AusoHNum.
Cette table ronde a été financée en partie par un Projet Scientifique d’Études Blanc – Université Bordeaux Montaigne, avec la participation du CRP2A et d’Ausonius. La publication a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme Investissements d’avenir portant la référence ANR-10-LABX-52, au titre de la valorisation – communication.
Cet ouvrage est dédié à Tamás Bezeczky qui nous a quitté le 27 juin 2018. Il n’avait pas pu venir à la Table Ronde de Bordeaux mais il avait rédigé toute la partie archéologique et historique de l’article présent dans ce volume. C’est là l’une des dernières contributions d’un chercheur chaleureux et enthousiaste qui avait consacré une partie de sa vie aux amphores, à l’Istrie et aux Laecanii de Fažana et Brioni.
Bibliographie •••
- Bezeczky, T. (1987) : Roman Amphorae from the Amber Route in Western Pannonia, BAR Int. Ser. 386, Oxford.
- Bezeczky, T. (1998) : The Laecanius Amphora Stamps and the Villas of Brijuni,Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschafte, Vienne.
- Bonifay, M., Capelli, C. et Long, L. (2002) : “Recherches sur l’origine des cargaisons africaines de quelques épaves du littoral français”, in : Rivet & Sciallano, éd. 2002, 195-200.
- Carre, M.-B. (1985) : “Les amphores de la Cisalpine et de l’Adriatique au début de l’Empire”, MEFRA, 97, 207-245.
- D’Alessandro, L. et Sebastiani, R. (2015) : “Le vin de l’Adriatique à Rome : les témoignages du Nuovo Mercato Testaccio”, in : Marion & Tassaux 2015, 479-485.
- Machut, P. (2013) : Amphores de Loron : Recherche de provenance des matières premières, mémoire du stage soutenu en 2013, Master de Recherche en archéométrie, Université Bordeaux Montaigne.
- Marion, Y. et Starac, A. (2001) : “Les amphores”, in : Tassaux et al. 2001, 97-125.
- Marion, Y. et Tassaux, F. (2015) : AdriAtlas et l’histoire de l’espace adriatique du VIe s. a.C. au VIIIe s. p.C., Actes du colloque de Rome (4-6 novembre 2013), Ausonius Scripta Antiqua 79, Bordeaux.
- Pesavento Mattioli, S. et Carre, M.-B., éd. (2009) : Olio e pesce in epoca romana. Produzioni e commercio nelle regioni dell’alto Adriatico, Atti del Seminario di Studi, Padova, 16 febbraio 2007, Rome.
- Rivet, L. et M. Sciallano, éd. (2002) : Vivre, produire et échanger : reflets méditerranéens, Mélanges offerts à Bernard Liou, Montagnac.
- Tassaux, F., Matijašić, R. et Kovačić, V., éd. (2001) : Loron (Croatie), un grand centre de production d’amphores à huile istrienne (Ier-IVe s. ap. J.-C.), Ausonius Mémoires 6, Bordeaux (= Loron I).