Les recherches de terrain que j’ai menées, en coopération avec l’équipe allemande de la Römisch-Germanische Kommission, alors sous la direction de Siegmar von Schnurbein, ont été intégralement publiées dans un double volume des Mémoires de l’académie des inscriptions et belles lettres1. C’est donc à cet ouvrage fondamental que les scientifiques doivent aujourd’hui encore se référer, non à celui que j’ai ensuite publié à l’usage du grand public, d’un ton beaucoup plus libre2.
Ces fouilles, qui ont duré de 1991 à 1997, ont marqué une étape importante dans notre compréhension de la poliorcétique romaine, du dispositif césarien et des défenses de l’oppidum d’Alise, du matériel archéologique lié à l’épisode du siège. Naturellement, nous n’avons jamais considéré que ces travaux constituaient une fin de la recherche. Il reste en effet beaucoup de questions en suspens, comme je l’ai rappelé dans un article intitulé “L’avenir d’Alésia” (n°32). L’un de mes desiderata de l’époque – la réalisation d’une grande couverture LiDar à l’échelle du site – a depuis lors été rempli3. L’exploration de ce vaste oppidum (98 ha) s’est ensuite poursuivie sous l’égide de O. de Cazanove ; les fouilles de son équipe sur le sanctuaire d’Apollon Moritasgus ont ainsi confirmé l’existence d’un lieu de culte bien antérieur au siège de 52. On connaissait déjà l’existence d’ateliers métallurgiques datés de LTD1b en bordure du futur forum romain4 et les différentes données archéologiques dont nous disposons aujourd’hui attestent sans équivoque l’existence d’un site urbanisé antérieur à la conquête. Le Mont-Auxois, capitale d’un petit peuple que des tessères de bronze d’époque romaine appellent les Ali(sienses), et dont le nom d’ALISIIA est assuré par une grande inscription lapidaire en langue gauloise (CIL XIII, 2880), entouré d’une série de camps romains et de deux lignes d’investissement, bien daté du milieu du Ier siècle av. J.-C par du matériel archéologique, à la fois gaulois et romain, ne devrait plus souffrir d’aucune discussion sur son identité. C’est pourquoi il n’avait pas été question un seul instant, dans la publication scientifique de nos fouilles, de rouvrir une querelle que nous jugions obsolète : dans notre esprit, le dossier rassemblé se suffisait à lui-même. Las ! L’encre de l’imprimeur était à peine sèche que, tel un chiffon rouge, cet austère ouvrage d’érudition, publié sous l’égide paisible et rassurante de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, aiguillonnait une nouvelle charge furieuse…
Il n’était pas question, dans le présent recueil, de donner un résumé des travaux réalisés par l’équipe franco-allemande, ce qui eût pris une place démesurée. Il n’était pas non plus indispensable de revenir sur tous les articles consacrés, bon gré mal gré, à une querelle dérisoire mais à laquelle on ne peut malheureusement se soustraire. Je me suis donc contenté ici de quelques titres qui apportent, me semble-t-il, quelque chose au fond de ce dossier. Tout d’abord une réflexion sur le rapport entre le texte césarien et la réalité archéologique (n°29) ; puis un rappel méthodologique sur la chronologie générale du matériel découvert à Alise et qui devrait servir de garde-fou aux uns et aux autres, partisans comme adversaires (n°30). Vient ensuite une note technique sur le titulum et la clavicula du camp C, deux types de défense qui prouvent de manière indubitable le caractère militaire romain des camps d’Alésia mais dont la chronologie était jusqu’alors débattue (n°31). En partant de la célèbre maquette du musée de Saint-Germain, j’ai tenté aussi d’analyser la manière dont travaillaient Napoléon III et ses hommes et leur traitement des sources archéologiques, considérées comme l’illustration pratique d’un discours historique (n°33). Dans ma réflexion sur les ressorts d’une querelle née au milieu du XIXe siècle, avant même les fouilles napoléoniennes, m’était aussi apparue la nécessité d’observer le cheminement idéologique qui, de part et d’autre du Rhin, avait alors favorisé l’émergence de “lieux de mémoire” parallèles, Alésia, d’un côté, et, de l’autre, l’emplacement de la bataille où, dans la forêt du Teutoburg, Varus avait perdu ses trois légions, en 9 ap. J.-C. Cela avait fourni l’occasion d’une nouvelle et fructueuse rencontre scientifique franco-allemande avec un colloque organisé par Siegmar von Schnurbein et moi-même à l’Institut historique allemand de Paris5. J’en ai extrait ici une communication sur les ressorts nationalistes d’une querelle dont l’éternel retour ne devrait pas interroger que les archéologues (n°34). Pour l’essentiel, ces réflexions sont toujours d’actualité.
”Alésia vu du ciel : l’œil de René Goguey”, première partie, documentaire de Philippe Fontenoy, 2008 (© MuséoParc Alésia, consulté le 24/12/22).
”Alésia vu du ciel : l’œil de René Goguey”, seconde partie, documentaire de Philippe Fontenoy, 2008 (© MuséoParc Alésia, consulté le 24/12/22).
“Alésia, que s’est-il passé ?”, extrait d’un documentaire « Alésia, victoire d’une défaite », réalisée par M.E. Chamard et P. Kieffer, 2010 (©France 5, consulté le 24/12/22).
“La dernière bataille d’Alésia”,Le Salon noir, Épisode du mercredi 13 juin 2012 par Vincent Charpentier (©RadioFrance, consulté le 24/12/22).
Notes
- M. Reddé, S. von Schnurbein, Alésia. Fouilles et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du Mont-Auxois (1991-1997), MAIBL 22, 2001, 2 volumes et CD-Rom.
- M. Reddé, Alésia. L’archéologie face à l’imaginaire, Errance, 2003/ 2e éd., 2012.
- J. Vidal, Modes d’occupation du site d’Alésia (Alise-Sainte-Reine, Côte-d’Or). Analyse spatiale multiscalaire des données archéologiques issues des fouilles, de l’imagerie géophysique et de la télédétection (photographie aérienne et Lidar), Thèse de Lettres, Dijon, 2016.
- O. de Cazanove, J. Vidal, M. Dabas, G. Caraire, “Alésia, forme urbaine et topographie religieuse”, Gallia, 69-2, 2012, p. 127-149. J. Bénard, “L’agglomération de l’oppidum d’Alésia à La Tène D2 : un exemple de proto-urbanisation en Gaule”, RAE, 48, 1997, p. 119-165.
- M. Reddé, S. von Schnurbein, Alésia et la bataille du Teutoburg. Un parallèle critique des sources, Actes du colloque organisé à l’Institut Historique Allemand de Paris, Francia Suppl., Paris, 2008.