Introduction
La nécropole protohistorique de Lavau “Zac du Moutot” (Aube, France) s’inscrit en bordure de la vallée de la Seine, sur un petit relief en rive droite. La fouille préventive de ces vestiges funéraires, réalisée par l’Inrap (Dubuis et al. 2015 ; Dubuis 2016), fut menée dans le cadre d’un projet d’extension de la ZAC. La présence d’un grand tumulus était soupçonnée à cet endroit de longue date (Bienaimé 1969). Les vestiges fouillés en 2014 et 2015 constituent le coeur de l’espace funéraire, reconnu également sur quelques parcelles voisines (Denajar 2005). Il s’agit d’une nécropole dont la fondation remonte à l’étape initiale du Bronze final, par la construction d’un monument associant enclos palissadé et tertre en terre noire (Dubuis 2017a). Différents monuments seront construits ensuite au Premier âge du Fer, jusqu’à l’édification du monument princier, qui va recouvrir la plus grande partie de la nécropole, détruisant certains vestiges, en recouvrant d’autres ; certains seront cependant intégrés dans un espace réservé. Cet article propose en premier lieu une présentation générale du monument et du dépôt funéraire. Le discours portera ensuite sur une remise en contexte régional et local de cette découverte, qui vient entériner l’existence d’un pôle de pouvoir dans la plaine de Troyes et soulève la question de son organisation.
Le monument
Le monument construit au Ve siècle a.C. s’apparente à un vaste complexe de forme géométrique, implanté perpendiculairement à l’axe formé par la Seine, et s’étendant sur près d’un hectare de superficie. Il est constitué d’un réseau de fossés s’étendant sur 450 m linéaires, et délimitant deux espaces accolés, un vaste enclos rectangulaire au nord, un plus petit au sud abritant le tertre et la tombe. Les deux fossés atteignent dans leur dernier état 6 à 7 m de largeur en surface et jusqu’à 3,5 m de profondeur. Creusés en forme de V, ils étaient doublés d’un talus externe construit avec les matériaux extraits du creusement (craie).
L’enclos nord : un espace dédié aux ancêtres
L’enclos nord (Fig. 1), que l’on pourrait qualifier “d’annexe”, constitue un dispositif pour le moins inhabituel pour ce type de monument. La fouille de cet espace a démontré qu’il n’accueille aucune sépulture entre le Hallstatt ancien/moyen et l’époque gallo-romaine. Il n’est donc pas destiné, lors de son édification, à d’autre fonction que celle de délimiter un espace réservé, occupé par un ensemble de monuments, antérieurs pour la plupart, ou créés à cette occasion. Le grand fossé d’enclos nord vient circonscrire une partie de la nécropole monumentale hallstattienne, en intégrant un des deux plus grands monuments circulaires de cette époque et trois monuments plus petits (Dubuis 2017a ; 2017b). Tous ces monuments construits en terre devaient être encore parfaitement préservés dans le paysage (Dubuis 2016). Un nouveau grand monument tumulaire, délimité par une palissade, est également inscrit dans cet espace, au nord-ouest de manière à obtenir une disposition symétrique de l’ensemble. Ce nouvel édifice oblige la destruction d’un des petits monuments hallstattien et – peut-être – le déplacement de l’inhumation qui lui était associée : la sépulture centrale de ce nouveau monument est une simple réduction. Par ailleurs, deux des trois anciens monuments inscrits dans cet espace sont réaménagés par l’ajout d’une palissade, sans doute de manière à obtenir une harmonie architecturale avec le nouveau monument. Selon toute vraisemblance, l’ajout de ce dernier est le résultat d’un souci de mise en scène. Le fossé délimitant l’ensemble de ces monuments consacre cet espace comme celui des “ancêtres” ou des “héros fondateurs” de la communauté, dont l’importance est accentuée par l’ajout d’un plus vaste édifice. Ces choix architecturaux trahissent manifestement la volonté d’asseoir le personnage princier dans une continuité “dynastique”, dont la réalité même n’est pas assurée, au vu des siècles séparant le prince des monuments les plus anciens.
L’enclos sud : l’espace réservé au prince
Quant à l’enclos sud, c’est donc l’espace réservé au prince (Fig. 2). Les angles du fossé sont alignés sur les points cardinaux. Cette caractéristique est commune à plusieurs autres grands monuments de la région (Bouranton, Barberey-Saint-Sulpice par exemple ; Verbrugghe 1990, Rollin & Villes 2000). À l’intérieur de l’enclos, le tertre vient recouvrir le monument “fondateur” de la nécropole et le petit monument quadrangulaire du Hallstatt final, qui le recoupe (Dubuis 2017a).
L’enclos sud dispose d’une entrée, installée sur le tronçon nord-ouest. Celle-ci est caractérisée par deux grands trous de poteaux rectangulaires, situés sur le bord interne, sans doute au débouché d’un pont ou d’une passerelle. Ces aménagements correspondent à une porte monumentale ou à un portique.
Installée près du centre de l’enclos, la tombe est de plan quasiment quadrangulaire, elle présente un creusement d’orientation nord/sud de 4,40 m de longueur et 3,30 m de largeur, soit une surface de près de 14 m². Le sol était recouvert d’un plancher de chêne (Tegel, in Dubuis 2016) et les parois constituées d’une cinquantaine de poutres de section quadrangulaire, disposées verticalement et jointives (Dubuis 2016) ; elles sont également en chêne (Blondel, in Dubuis 2016). La hauteur totale de la chambre est estimée à 1,70 m du fond du creusement à la base du plafond, dont le niveau est documenté.
Le creusement des fossés de l’enclos paraît synchrone à la fois du creusement de la chambre funéraire et de la construction d’une vaste plate-forme artificielle, en craie, dont les matériaux proviennent assurément du tronçon de fossé où se rencontrent les deux enclos (Dubuis 2016). D’environ 0,80 m d’épaisseur, cet aménagement s’étend dans un vaste espace autour de la tombe et surtout côté nord-ouest, il vient recouvrir le monument fondateur de l’âge du Bronze et s’appuie sur la superstructure en bois de la chambre funéraire. La fouille a révélé une forte induration en surface de cet aménagement, qui a nécessairement fait office de sol jusqu’à la fermeture de la tombe et l’édification du tumulus. Ce tassement peut s’expliquer par un piétinement, soit de longue durée (ce qui paraît douteux tant il ne s’agit que d’une étape architecturale très intermédiaire), soit plutôt causé par une foule nombreuse. Tout porte à croire qu’il est lié aux funérailles du personnage et à sa mise en terre lors d’une cérémonie rassemblant une portion importante de la communauté. Il pourrait donc avoir joué le rôle d’un podium, traduisant là encore un certain souci de mise en scène.
Après la cérémonie funéraire, la chambre reçoit un plafond. Les traces de celui-ci étaient exceptionnellement préservées, en négatif, au sommet de la plate-forme (Dubuis 2016 ; Dubuis et al. 2015b). Il s’agit de trois longues poutres équarries de section quadrangulaire, posées à l’horizontale dans le sens de la longueur de la chambre, qui supportaient un plancher. Après fermeture de la chambre, le tumulus proprement dit est construit. D’un diamètre estimé entre 35 et 40 m, il occupe la majeure partie de l’espace enclos. Cet aménagement était conservé au moment de la fouille sur une hauteur de 0,80 m maximum. Il s’agit vraisemblablement du tertre observé par J. Bienaimé dans les années 1960 (Bienaimé 1969). Tronqué depuis par les labours récents, et sans doute fortement arasé dès le Moyen Âge, il faut estimer son élévation originelle à au moins 6 mètres sans doute.
Le dépôt funéraire
Le défunt est allongé au centre de la chambre, sur la caisse d’un char à deux roues, la tête tournée au sud (Fig. 3). Le char est très mal conservé, la roue gauche étant présente à l’état de traces et fragments. La caisse du char a laissé cependant une trace organique de forme trapézoïdale, plus resserrée au niveau des roues. L’angle nord-est est occupé par un dépôt de vaisselle, riche d’une dizaine de pièces. Les vastes espaces vides, situés dans l’angle sud-est, et toute la moitié ouest, sont peut-être à mettre en rapport avec l’organisation de la plate-forme et de la cérémonie (espaces correspondant à des angles morts ?). Cette disposition n’exclut pas évidemment la présence de mobilier en matériaux périssable, ici uniquement conservés au contact des objets métalliques.
Le défunt et son costume
Le défunt porte au cou un torque en or massif, ouvert, doté d’appendices piriformes (Fig. 4). Ses poignets sont parés de bracelets en or fermés composant une paire morphologiquement identique. Six perles profilées en ambre ont été découvertes à l’arrière de sa nuque et laissent penser qu’elles étaient assemblées en collier. Les processus taphonomiques qui sont intervenus lors de la décomposition du corps du défunt et des matériaux organiques de la caisse du char expliquent certainement cette localisation postérieure. C’est également le cas pour la petite fibule en fer et or, retrouvée à proximité des perles, qui participait à la fixation et au maintien du vêtement. Une ceinture en matériau organique ornée de fils d’argent associée à une agrafe en fer et corail s’est révélée lors de la fouille, enserrant le bassin du défunt. Il s’agit d’une pièce exceptionnelle et unique, ornée de motifs curvilignes du “premier style celtique”. Enfin, quelques menus objets en bronze, agrafes et passe-lacets indiquent l’existence de chausses glissées aux pieds du défunt.
Plusieurs petits objets composites, en or, fer, argent et corail étaient disposés à l’avant du thorax du défunt et sont interprétés, en l’état de la recherche, comme des pièces constitutives d’un couvre-chef en matériaux organiques (cuir et vannerie).
Bien que l’analyse de l’ADN nucléaire n’ait pas encore été réalisée, les études ostéologiques indiquent à 95 % de fiabilité que le défunt est un homme (d’après la méthode morpho-métrique dite “Diagnose Sexuelle Probabiliste” : Murail et al. 2005) (Villenave, in Dubuis 2016). Son âge au décès est estimé à plus de 30 ans (derniers points d’ossification secondaire, méthode Schmitt 2005) (ibid.).
Le dépôt de vaisselle
L’angle nord-est de la chambre accueille le dépôt d’une dizaine de pièces de vaisselle (Fig. 5), composées d’objets en bronze, en céramique et en métaux précieux : la plupart sont des pièces d’importation.
Présentation du corpus
Pièce maîtresse du dépôt, le chaudron a été découvert plaqué contre l’angle nord-est. Il s’agit d’un récipient d’un mètre de diamètre et d’une hauteur proche de 0,60 m, dont la capacité volumique peut être estimée entre 200 et 350 litres. Chacune de ses quatre anses est dotée d’une tête du dieu-fleuve grec Acheloos ; une tête de félin orne chaque extrémité des attaches d’anse. Finement travaillées, ces figurations confèrent à cette pièce un caractère de chef-d’oeuvre, sans comparaison connue. À l’intérieur du chaudron, les restes organiques sont omniprésents et forment une limite bien nette sous la lèvre, témoignant du remplissage à ras bord du récipient. Les analyses de biochimie organique réalisées par N. Garnier ont permis d’attester la présence de poix de conifère en abondance ; celle de cire, peut-être issue d’un bloc de miel en rayon ; et surtout, tant au fond qu’au sommet du chaudron, la présence d’acide tartrique, diagnostic du raisin, et d’acide syringique, indicateur de raisin noir, associés à la présence de marqueurs de fermentation alcoolique : on serait donc en présence de vin rouge (Garnier, in Dubuis 2016). Cette découverte, inédite dans ce contexte, permet de mieux comprendre la composition du dépôt de vaisselle et lui donne tout son sens.
La fouille du chaudron a permis la découverte d’un ensemble de neuf objets différents, découverts groupés. Cet ensemble comporte tout d’abord une oenochoé à figures noires, au panneau mettant en scène Dionysos, Ariane et un satyre dans une scène de banquet. Le décor en or et en argent rapporté sur le pied, l’anse et l’embouchure rassemble, de manière troublante, des techniques exogènes (le filigrane) et des motifs celtiques (masque humain schématisé à couronne en “feuilles de gui”). À ses côtés reposaient trois objets en argent et or : une passoire au manche orné d’une tête de serpent cornu, une cuillère perforée, un pied de récipient (coupe, gobelet ?). Le dernier objet est une petite oenochoé en bronze. On note donc l’usage de l’argent sur quatre de ces cinq ustensiles, ce qui constitue à l’évidence le plus gros ensemble d’objets usant de ce matériau jamais trouvé en contexte funéraire pour la période concernée, tant il paraît rare au nord des Alpes (Krausse 2003). Les trois derniers objets découverts dans le chaudron sont un scalptorium, une pince à épiler et une pyxide (?) en matière dure animale.
Une seule pièce de vaisselle a été découverte sous le chaudron, il s’agit d’une ciste à cordons d’assez grande taille, dotée de deux anses latérales fixes. Ce récipient étrusque reposait directement sur le plancher de la chambre, et a percé le fond du chaudron lors d’un effondrement. Les restes d’une vannerie circulaire et plate, couverte de tissu, ont été retrouvés entre ces deux récipients.
Quelques objets ont également été découverts sur le sol, entre la ciste et les jambes du défunt. Il s’agit d’une bouteille en céramique cannelée, de production locale ou régionale (céramique “vixéennee”), associée à un couvercle mouluré en bronze et de deux bassins du même métal.
Enfin, contre la paroi orientale, on relève la présence d’un couteau que l’on peut considérer comme l’une des pièces les plus significatives du dépôt, tant sur le plan de la qualité technique et esthétique, que sur le plan symbolique. Ce long couteau en fer, que l’on pourrait qualifier “de cérémonie” (Schönfelder 2010) est orné d’incrustations de bronze sur le manche. Il est inséré dans un fourreau composite en cuir et en fer, dont la plaque d’avers (en cuir) est ornée d’une douzaine de motifs géométriques (ou figuratif, dans un seul cas) obtenus par la couture ou l’insertion d’un fil de métal blanc. La position originale de ce couteau d’apparat est à restituer en hauteur, il était vraisemblablement accroché au-dessus du dépôt, son importance symbolique s’en trouvant renforcée par là.
Une mise en scène
La succession stratigraphique du mobilier dédié au banquet posait la question, à l’issue de la fouille, de la déposition du chaudron directement sur la ciste à cordons, impliquant au passage que le chaudron ait été vide à ce moment-là. La présence de la vannerie recouverte de tissu décoré, entre le chaudron et la ciste, indique cependant vraisemblablement la présence d’un support en bois intermédiaire, table, plateau ou trépied. À l’intérieur du chaudron, les résidus de matières organiques, bien conservés, plaident pour la présence d’un liquide : le chaudron aurait donc été déposé plein dans la tombe, disposé sur la vannerie circulaire et plate recouverte de tissu décoré (à moins qu’il soit emballé), elle-même placée sur un support en bois de nature indéterminée. La ciste serait glissée au-dessous, entre les pieds du support périssable. Les éléments de vaisselle et de soins du corps découverts dans le chaudron devaient reposer sur un support en bois placé en travers de son ouverture. Cette vaisselle précieuse est donc présentée au plus haut, de manière à être bien visible de la communauté des vivants. Un deuxième élément est mis en valeur : le couteau dans son fourreau, vraisemblablement disposé au-dessus du dépôt, accroché à la paroi. Sa fonction particulière, symbolisant la notion de partage (et au-delà, la fonction et les devoirs du prince envers la communauté) est renforcée par là.
Le thème de la mise en scène, évoqué plus haut avec l’intégration des monuments des ancêtres, trouve donc ici un écho dans la disposition du dépôt de vaisselle. Ainsi on remarque que les objets les plus précieux sont placés le plus haut (au-dessus du chaudron : oenochoé attique, accessoires en argent doré ; sur la paroi orientale : le couteau), tandis que les biens de consommation plus courante sont disposés au ras du sol (bouteille vixéenne, bassins, ciste).
Enfin, on remarquera que la concentration même des pièces de vaisselle et sa mise en scène par une présentation en hauteur n’est pas sans rappeler la pratique du Kylikeion bien documentée chez les étrusques (Guggisberg 2015). Cette observation pourrait enrichir encore les discussions portant sur le degré d’intégration des pratiques culturelles méditerranéennes au sein des élites celtiques.
La datation de la sépulture
Il semble, en l’état des recherches, que les pièces les plus anciennes relèvent du Hallstatt D3 (oenochoé attique et bouteille cannelée, bracelets en or). Le char, la plupart des éléments de parure et du costume (torque, fibule, brassard, couvre-chef) et certains éléments du dépôt de vaisselle (décors rapportés de l’œnochoé, a minima) fournissent des éléments plus récents, plaçant cette sépulture dans une ambiance de La Tène A1 ou plus largement du milieu du Ve siècle a.C. La tombe de Lavau serait donc postérieure à celle de Vix, de l’ordre d’une ou deux générations environ.
La question du pôle aristocratique de Troyes
Au-delà du caractère spectaculaire de la mise au jour d’une nouvelle tombe princière, cette découverte vient relancer la discussion autour de l’existence d’un “pôle de pouvoir” supplémentaire sur cette portion de la haute vallée de la Seine, à la marge du complexe hallstattien occidental. Cette question avait émergé dans les années 1990, à la suite de la découverte de monuments funéraires importants dans le secteur de Troyes, à Bouranton (Verbrugghe & Villes 1995), à Creney-près-Troyes (Villard 1985), ou encore à Barberey-Saint-Sulpice (Rolin & Villes 1999) et légèrement plus loin vers l’ouest, à Estissac (Defressigne & Villes 1995). L’ensemble de la discussion avait été rassemblée et publiée dans les actes du XIXe colloque de l’AFEAF, organisée pour l’occasion (Villes & Bataille-Melkon 2000). Les nombreux travaux menés sur d’autres résidences princières hallstattiennes telles que La Heuneburg, Vix et surtout Bourges (Fernández-Götz et al. 2014), ont depuis entériné l’idée d’une extension du domaine hallstattien beaucoup plus vers l’ouest que ce qui était enseigné auparavant. Dans ce pavage plus ou moins régulier de territoires centralisés entre Jura et Berry, le secteur de Troyes (Milcent 2012, fig. 18) est apparu comme un candidat évident à ce titre, malgré une publicité moins tapageuse que celle valorisant ses voisins. La tombe de Lavau complète ainsi le dispositif monumental funéraire érigé dans la plaine de Troyes à cette période cruciale de la toute fin du Premier âge du Fer, où chaque point date de la première moitié du Ve siècle a.C. (Villes 2000). Elle vient renforcer avec éclat le rang territorial de ce secteur.
Mais à la différence du proche pôle aristocratique de Vix, le “pôle” troyen n’a pas (encore ?) fourni le cœur du système, l’habitat princier placé sur une éminence propice à recevoir une fortification. Si l’on se réfère au modèle actuel du pôle de pouvoir hallstattien (Brun & Chaume 2013), la concentration même de tels monuments funéraires ne peut se concevoir sans la présence d’une proto-ville, ou tout du moins d’une forme d’habitat aggloméré et fortifié, centre politique et social du territoire organisé. Les nombreuses données rassemblées ces dernières années par l’archéologie préventive (dont une partie sont traitées dans le cadre d’un PCR portant sur la Plaine de Troyes : Riquier et al. 2015a) renouvellent la documentation et permettent d’explorer ces problématiques : comment s’organise le territoire et quelles en sont ses limites ? Y-a-t-il une proto-ville celtique, et où se localise t-elle ? Où se situent les grands monuments funéraires et quels rôles jouent-ils dans ce territoire ? Y-a-t-il un contrôle des voies de passage, des sites fortifiés, des habitats particuliers ? Quelle forme de pouvoir, simple et centralisé, ou complexe et multipolaire, régit cet espace ?
La situation géographique
Comment s’inscrivent les découvertes de la région de Troyes dans le contexte régional ? Il semble évident, en premier lieu, qu’il existe une forte adéquation entre les manifestations funéraires les plus importantes du Hallstatt D3-La Tène A1 et le réseau hydrographique principal (Fig. 6). Ainsi, ces vestiges absents au nord de Troyes se concentrent-ils : sur la vallée de la Seine, à Vix puis en aval (sépulture en urne métallique de Gomméville, ciste à cordons de Mussy-sur-Seine sans doute issue d’un contexte funéraire), dans le secteur de Troyes (monuments de Bouranton, Creney-Près-Troyes, Barberey-Saint-Sulpice et Lavau) ; sur la vallée de la Vanne (tombes à char d’Estissac et de Molinons) ; sur la vallée de l’Yonne enfin (Charmoy, Gurgy) (cf. infra). La concentration de vestiges funéraires monumentaux observée au niveau de Troyes apparaît comparable à celle du secteur de Vix : on retrouve là toute l’importance stratégique de la vallée de la Seine, qui, avec celle de l’Yonne, sa concurrente directe, constitue l’axe de liaison le plus direct entre le vaste Bassin parisien à l’Ouest et le sillon rhodanien via le seuil de Bourgogne. Cette densité de monuments est également la manifestation la plus septentrionale d’un phénomène qui paraît supplanté ensuite par la culture Aisne-Marne, toute proche.
Un territoire à la croisée de plusieurs entités géographiques
Ce pôle interviendrait donc en aval de Vix, à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest. Géographiquement, c’est un endroit que l’on peut définir comme la rencontre de trois grandes entités : la Champagne crayeuse au nord, aux sols minces et secs qui conviennent à une agriculture extensive ; le pays d’Othe à l’ouest, aux sols ingrats mais riches en minerai de fer et couverts de forêts ; la Champagne humide au sud, aux sols plus lourds et propices à une agriculture plus intensive ou mixte. De ce point de vue, le pôle aristocratique n’est pas seulement un point sur le cours de la Seine mais un espace potentiellement riche de ressources locales variées et complémentaires. La ville antique de Troyes s’implante également à l’emplacement d’un changement de régime de la Seine (Deborde & Gry 2016), en aval de la confluence avec une vallée secondaire, la Barse. Enfin, elle se fixe au débouché de la vallée de la Vanne à l’ouest, qui permet de rejoindre facilement la vallée de l’Yonne par une trouée de la cuesta située au niveau de Messon (Fig. 7).
La topographie du pôle princier
Depuis Vix, la Seine s’écoule au travers d’une vallée relativement resserrée, bordée d’un relief marqué de plateaux nettement incisés jusqu’au niveau de Bar-sur-Seine où se trouve peut-être un éperon barré protohistorique, en rive gauche. Le territoire qu’elle traverse ensuite à l’approche de Troyes s’ouvre nettement, les reliefs s’estompant rapidement en traversant la Champagne “humide”. La Seine débouche enfin dans une vaste plaine, où son lit majeur s’entrelace de nombreux bras découpant de probables marécages (ibid.). Un paysage marqué à l’horizon par les contreforts du pays d’Othe, dominant la vallée de près de 160 mètres. L’éminence de Montgueux constitue, dans ce paysage, à la fois le dernier promontoire avant les vastes étendues au relief mousse de la Champagne crayeuse, et également le relief le plus marqué à l’horizon, le plus proche de Troyes et de la tombe princière de Lavau. À l’est et au nord-est, seuls de légers contreforts ferment la plaine. La ville actuelle de Troyes apparaît comme décentrée dans ce paysage, puisque installée pratiquement au niveau de Montgueux, au point où la plaine se referme.
Dans la plaine elle-même, aucun relief remarquable ne vient perturber le cours de la Seine, dont le lit majeur s’étend considérablement. Celui-ci n’est bordé, au sud-est, que de discrètes langues de terre parallèles au fleuve et le coiffant de quelques mètres seulement ; l’habitat hallstattien d’Isle-Aumont, connu de longue date (par exemple : Scapula 1981), est installé sur un de ces micro-reliefs, en rive gauche. On peut supposer que ces éléments topographiques discrets ont joué un rôle important dans l’organisation du territoire et la circulation des biens et des hommes, surtout dans ce contexte “humide”.
Un paysage marqué par de grands monuments funéraires
À la différence des proches pôles princiers tels que Vix ou Bourges, celui de Troyes est d’abord identifié, en négatif, par le biais de grands monuments funéraires. Sortis de l’oubli ces dernières décennies seulement, ils sont les manifestations les plus spectaculaires du pouvoir qui émerge ici, en bord de Seine, vers la fin du Premier âge du Fer. Il s’agit de monuments associant tertre et fossés ; les tertres présents sont de taille assez moyenne comparés aux autres grands monuments connus aux VIe et Ve s. au nord des Alpes. Pris dans leur intégralité, ces constructions peuvent s’étendre cependant sur de plus vastes surfaces, à l’exemple de Lavau. Installé à la pointe d’une langue de plateau dominant la Seine d’une vingtaine de mètre, en rive droite, le monument du “Moutot” devait être visible à des kilomètres (Fig. 8), il a manifestement constitué un élément important du paysage, ancrant la mémoire du prince dans l’espace et dans le temps, face à la Seine.
D’autres monuments sont installés en rive droite du fleuve, sur des positions comparables à celles de Lavau. Le plus proche (2,1 km), à Creney-près-Troyes “le Paradis” (Villard 1985), est aussi le plus différent. Il s’agit d’un monument circulaire caractérisé par trois étapes de construction. Dans sa phase la plus monumentale (la plus récente), ce monument associe un vaste tumulus de 45 m de diamètre à un fossé d’enclos de près de 60 m de diamètre. La sépulture associée à cet état est une tombe à char pillée anciennement, datée du Hallstatt D3 (Verger 2000). À 3,2 km au sud-est de Creney (5,3 km de Lavau) se trouve le monument de Bouranton “Michaulot” (Verbrugghe 1990 ; Verbrugghe & Villes 1995). Il s’agit cette fois d’un enclos fossoyé quadrangulaire, de 48 m de côté, associé à une tranchée de palissade interne. La sépulture centrale n’était pas pillée, il s’agit d’une tombe à char à deux roues. Le défunt était accompagné de parures (un bracelet en or, un lot de perles en verre bleu), d’armement (lance, poignard et éléments de suspension) et d’un bassin en bronze à deux anses torsadées et à double attache cruciforme, remontant au Hallstatt C.
En rive gauche de la Seine, seul le monument de Barberey-Saint-Sulpice “les Gravières” (Rollin & Villes 1999) peut être retenu, situé à 5,2 km à l’ouest de Lavau et 1,7 km du fleuve. Il s’agit d’un monument de type “Bouranton”, mesurant 45 m de côté, également associé à une palissade interne. La sépulture centrale avait été vidée de longue date et remblayée à l’époque gallo-romaine pour servir de base, sans doute, à un monument funéraire maçonné. Les dimensions de la fosse indiquent cependant qu’il s’agissait certainement d’une autre tombe à char. À n’en pas douter, les enclos de Bouranton et de Barberey étaient associés à un tumulus, de dimensions sans doute comparables à celui de Lavau. Seule la présence d’un espace “secondaire” accolé distingue ce dernier monument des premiers. La position du monument de Barberey, dans la vallée et tout près de la Seine, peut paraître atypique dans le contexte local, les autres ensembles étant implantés sur les coteaux à l’est de la Seine ; elle ne l’est pas cependant comparée à de nombreux pôles de pouvoirs de la fin du Premier âge du Fer, à commencer par Vix. La position de ce monument est enfin un argument pour rechercher d’autres vestiges analogues dans la plaine et autour de la ville actuelle.
D’autres indices funéraires ?
A ces principales découvertes, bien datées de la première moitié du Ve siècle, on pourrait adjoindre quelques indices complémentaires, certes prêtant à discussion, mais dont la position n’est pas inintéressante. En premier lieu, il faut mentionner le tumulus de Sainte-Savine “La Croix-la-Motte” (Fig. 7), situé à 4,1 km au sud-ouest du site de Barberey, et qui est le seul tertre encore en élévation dans la plaine de Troyes. D’un diamètre actuel de 20 m environ, ce tumulus a fait l’objet d’une tranchée de fouille en 1908 (Denajar 2005), qui n’a apparemment pas atteint la sépulture centrale, probablement à cause de la croix moderne installée au sommet. Malgré l’absence d’indice de datation, la taille et la position de ce monument en font, dans le contexte local, une manifestation plutôt compatible avec le phénomène monumental du Ve siècle.
En second lieu, il faut mentionner le cas du chaudron à attaches d’anses cruciformes du Hallstatt ancien découvert en 1809 à Buchères (Denajar 2005), dans des conditions mal connues aujourd’hui, et dont on peut se demander s’il ne provenait pas d’une autre tombe à char du Ve siècle, comme c’est le cas pour les chaudrons d’Estissac et de Bouranton. Cette découverte serait un peu plus excentrée que les autres mais fermerait le cercle des indices périphériques à la ville de Troyes (Fig. 7). On pourrait enfin mentionner quelques toponymes transparents, la plupart situés en rive droite de la Seine (comme par exemple “Le Tertre” à Thénnelières, au sud du monument de Bouranton). Tous ces éléments, qu’ils soient avérés ou simplement supposés, renvoient l’image d’une disposition “en couronne” autour de la ville actuelle.
Une culture funéraire
Si l’on met de côté l’enclos annexe, le monument de Lavau s’intègre bien dans la tradition architecturale régionale : il est intéressant de constater qu’il connaît ses plus proches comparaisons, tant en termes de dimensions, que de morphologie et d’orientation, sur le plan régional et même surtout local (Fig. 9). Le cas de Charmoy dans l’Yonne (Baray 2007) est le seul à atteindre les dimensions de l’enclos sud de Lavau. Les enclos de Barberey et de Bouranton sont également très similaires, et gravitent dans un rayon de quelques kilomètres seulement autour de Lavau. L’orientation des angles du fossé d’enclos sur les points cardinaux, la morphologie même du fossé sont des traits partagés par ces trois monuments voisins, confortant l’idée d’une certaine unité architecturale. Tous ces grands monuments du Ve siècle paraissent avoir abrité un char ; il s’agit d’un char à deux roues dans le cas de Lavau et Bouranton, et peut-être d’un char à quatre roues à Creney. L’usage d’un char à deux roues est attesté dans trois cas sur cinq, si l’on tient compte d’Estissac. On remarque également que deux des trois chaudrons à attaches d’anses cruciformes découverts dans la région ont été trouvés dans deux des trois sépultures qui n’avaient pas été pillées anciennement, la troisième livrant un chaudron d’un tout autre genre, bien plus récent (Lavau).
Des hauteurs fortifiées ?
Le modèle classique des “résidences princières” met en avant, à travers notamment les sites emblématiques de Vix, de la Heuneburg et d’Asperg, l’usage pour ces centres de pouvoir hallstattiens d’un habitat perché et fortifié, autour duquel se trouvent les monuments funéraires, dans un rayon pouvant atteindre 8 à 10 km. Puisque l’on postule la présence d’un pôle de pouvoir, près de la tombe princière de Lavau, donc au niveau de la plaine de Troyes, peut-on également lui appliquer ce schéma ?
Le premier constat est qu’il n’y a pour l’instant autour de Troyes aucune attestation de site fortifié de hauteur pour la période concernée. Le site de la “butte” d’Isle-Aumont, depuis longtemps mis en avant (Demoule 1997), ne peut en aucun cas se prévaloir d’une telle interprétation au vu du faible relief qu’il occupe et des aménagements découverts (Scapula 1981 ; Denajar 2005). Nous avons vu plus haut que la sépulture de Lavau se trouve relativement éloignée de la principale éminence bordant la Seine, la colline de Montgueux, qui domine et ferme la plaine au nord-ouest. Avec une distance d’un peu plus de 9 km les séparant, et une parfaite covisibilité entre ces deux points, la possibilité que Montgueux puisse être le siège de cet hypothétique habitat fortifié ne peut cependant être rejetée d’emblée. Cette éminence apparaît à la fois comme le relief présentant la plus forte visibilité sur la plaine de Troyes ; le seul en rive gauche permettant un point de vue sur la vallée de la Seine au nord-ouest (Fig. 7) ; et enfin le seul relief assez grand pour supporter une occupation de plusieurs dizaines d’hectares. Aucune trace de fortification ancienne ni aucun vestige de la période concernée ici n’y ont cependant été reconnus. L’érosion et l’impact des aménagements anthropiques (mis en avant dans Deborde & Gry 2016) sont-ils suffisants pour faire disparaître fossés et levées de terre ? Ou bien faut-il envisager la présence d’un habitat non fortifié ? Ou encore, cet habitat fortifié de hauteur doit-il se trouver sur une autre éminence à proximité ? Il existe, surtout à l’ouest de la Seine, en bordure de la cuesta du pays d’Othe, de nombreux points hauts présentant à la fois des facilités d’implantation fortifiée et une bonne visibilité sur la plaine. Ainsi, au sud de Montgueux s’échelonnent plusieurs petites éminences. Certaines retiennent notre attention par leur position au débouché de la vallée de la Vanne, qui s’étend à la perpendiculaire de la Seine vers l’ouest et la vallée de l’Yonne. Ces petits promontoires n’ont pas non plus livré de traces d’occupation ancienne, bien qu’un habitat du Hallstatt D3 soit attesté entre deux d’entre eux, à Messon (cf. infra).
Le site de “Montaigü” à Bouilly (Fig. 7), encore plus au sud, est le seul dont la fortification est attestée, mais datée de la période médiévale. Le site se présente sous la forme d’une ligne de crête très étroite, s’avançant vers le nord-est, s’élargissant à la pointe où elle est barrée par un puissant dispositif fortifié associant deux vastes fossés concentriques à une levée de terre imposante. Ces défenses ceinturent un petit plateau circulaire et plat, dont la superficie ne dépasse pas un hectare. La topographie idéale de ce relief pose la question d’une fortification antérieure aux aménagements médiévaux, comme le propose le folklore local (le site est qualifié d’oppidum). Ces aménagements médiévaux reprennent-ils le tracé d’une fortification plus ancienne ? Seuls de futurs sondages pourront répondre à la question.
Situé au nord de la plaine, se trouve un dernier promontoire remarquable, à Villacerf “Mont l’Abbé”. Ce site potentiel se présente comme un éperon long et étroit, surplombant la Seine en rive droite (Fig. 7). Le relief, orienté à la perpendiculaire de la vallée, est associé à deux toponymes intéressants : “Les Tertres” côté nord, et “Les Murailles” côté sud-ouest. Aucun vestige de fortification n’y est visible aujourd’hui mais le promontoire est soumis à une exploitation agricole intense et est sans doute très érodé. L’absence d’opération archéologique ancienne ou récente sur ces trois promontoires ne permet pas d’aller plus loin dans la réflexion et l’on se bornera donc à relever leur potentiel dans la problématique de l’organisation du territoire.
Occuper la plaine et ses abords
En l’absence d’indices sérieux de la présence d’un habitat fortifié conforme au modèle, peut-être faut-il envisager une autre forme d’occupation, nécessairement installée en zone basse, dans la plaine de Troyes. L’analyse des données de l’habitat courant sur la longue durée (Riquier et al. 2015b) montre que la situation économique locale florissante à la fin du VIe s. s’inscrit dans une tendance à la croissance mise en place dès le VIIe s. Les nombreuses aires d’habitat observées, notamment dans le secteur du Parc Logistique de l’Aube (Riquier & Grisard 2014), et qui servent de référence pour cette analyse du système d’habitat local, montrent qu’entre le VIIe et la fin du VIe s., le tissu d’habitat croît en nombre de points et de surface (Riquier et al. 2015b). La diminution des distances de relocalisation finit par former de grandes “aires” défrichées et fortement anthropisées de plusieurs hectares au sein desquelles se construit l’habitat apparemment ouvert. Cette situation résultant d’une pression humaine supplémentaire est visible également dans le système de culture dont la fixation nécessite des pratiques plus intensives, avec toutes les conséquences techniques et productives que cela implique. En parallèle, les capacités générales de stockage de denrées agricoles augmentent fortement, suggérant des surplus destinés à d’autres fins que la simple reproduction des unités locales. La présence d’activités métallurgiques est relevée ponctuellement, elle est cependant loin d’atteindre les formes et l’importance relevées à Bourges, Lyon-Vaise, Bragny ou Plombières-les-Dijon. L’artisanat du textile, bien représenté, constitue sans doute un faciès important de l’économie locale telle qu’on peut la percevoir à travers les corpus de mobilier mais n’en fait pas pour autant des centres spécialisés au VIe s. (Riquier 2019).
Pourtant, malgré une densité de vestiges d’habitat que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans la plaine de Troyes, les caractéristiques immobilières de ces occupations évoluant dans le secteur du Parc Logistique de l’Aube ne peuvent prétendre au statut d’habitat “proto-urbain”. Au mieux, elles conviendraient aux aires d’habitat des familles dépendantes de l’autorité princière, sur le modèle de l’Aussensiedlung de la Heuneburg (Kurz 2012).
La localisation de cette supposée occupation de plaine nécessite de questionner à nouveau les principaux vestiges funéraires, dont l’implantation et la répartition peuvent être liées à la position de l’habitat. Les principaux monuments documentés pour l’instant, énumérés plus haut, se concentrent en périphérie de la ville actuelle : Bouranton à l’est, Creney et Lavau au nord-est, Barberey au nord-ouest. Les lacunes observées à l’ouest et au sud pourraient être comblées par les deux indices que sont le tertre de “La Croix-la-Motte” à Sainte-Savine et le chaudron de Buchères. Si l’on tient compte de ces deux indices supplémentaires, nous disposons d’un nuage de six points, tous répartis en couronne autour de la ville actuelle de Troyes, implantée dans le lit majeur de la Seine et traversée à l’origine par plusieurs bras de celle-ci. Cette disposition peut évidemment constituer un artefact de la recherche préventive, justement concentrée en périphérie de Troyes, mais l’absence de tels monuments (toutes données confondues) au-delà de cette couronne dans le vaste espace que constitue la plaine de Troyes, intrigue et pose la question d’une répartition périphérique à l’habitat, qui serait dès lors à localiser quelque part sous la ville actuelle.
Sous la ville ?
Que peut-on dire des vestiges d’habitat découverts dans le cœur de ville ? Il faut reconnaître que les fouilles ayant atteint les niveaux antérieurs à l’époque gallo-romaine y sont rares, et les indices mêmes de la présence de la ville gauloise de la fin du Second âge du Fer sont peu évidents. Le principal indice du VIe/Ve siècle provient de la fouille de la “Porte de Chaillouet” dans le cœur de ville (Deborde 1995 ; Deborde & Gry 2016) : là, c’est un niveau de sol en place et un ensemble de 22 kg de céramique du Hallstatt (D2)/D3 qui ont été retrouvés, lot comportant notamment des fragments de bouteille cannelée, d’un type similaire à celle de la sépulture de Lavau. La forme et l’extension de cette occupation documentée sur une superficie de seulement 10 m² ne sont pas connues. On remarque avec un certain intérêt cependant qu’elle est située entre deux bras de la Seine, à l’intérieur de l’emprise de l’enceinte de l’Antiquité tardive. Cette ancienne butte de sable entourée d’eau est donc un bon candidat à l’emplacement d’un habitat ancien relativement étendu, pouvant atteindre près de 8 ha. La présence de la bouteille vixéenne, rare dans la région, est également un bon indice de la localisation de l’habitat principal, quelle que soit sa forme. Ce type de contexte d’implantation serait intéressant en ce qu’il trancherait avec la forme classiquement attachée aux “résidences princières”, d’un habitat perché et fortifié. Il serait finalement plus proche de formes d’habitat aggloméré à vocation artisanale (Lyon-Vaise, Bragny-sur-Saône, etc.), pas systématiquement associés à des tombes princières et à un pôle de pouvoir en général.
Récemment, la densification du tissu urbain en périphérie même du cœur de ville ancien et à l’intérieur du “cercle” formé par les grands monuments funéraires, a permis d’observer une certaine redondance des occupations tardo-hallstattiennes, par exemple la fouille réalisée en 2014-2015 Rue de Preize (Deborde, en cours) ou celle menée au même moment à La-Chapelle-Saint-Luc à l’ouest de Lavau (Rémy, en cours). Ces découvertes sont d’autant plus intéressantes qu’elles interviennent dans des espaces plutôt aménagés avant le développement de l’archéologie préventive et donc peu renseignés jusqu’à présent.
Il faut dans tous les cas reconnaître pour l’instant que parler de site “atélo-urbain” (pour reprendre le terme de P. Brun et B. Chaume proposé dans leur article de 2013) à Troyes serait anticiper sur l’état de la documentation, qui s’enrichit cependant rapidement.
Des sites particuliers ?
Quelques habitats semblent jouer un rôle supplémentaire par leur position géographique, dans le tissu des occupations rurales : il s’agit des sites de la “butte” d’Isle-Aumont et de Messon “La Limonière”. Le site d’Isle-Aumont se distingue par sa position au sud de la plaine de Troyes : il est érigé sur un point de passage “obligé” pour qui remonte la Seine en longeant sa rive gauche. Son rôle clef pendant l’Antiquité puis le Moyen Âge, comme haut-lieu religieux et résidence temporaire des comtes de Champagne, suffirait à en rendre compte (Scapula 1981). À Messon, située entre les collines de “Grange au Rez” et de “Montbernange”, l’occupation est disposée dans l’un des trois vallons perçant la cuesta et permettant l’accès à la vallée de la Vanne qui s’étend à l’ouest (Frénée 2016). Ce vallon en particulier est celui privilégié pour le tracé de la voie antique reliant Troyes à Sens (Fig. 7). Fouillée sur une superficie très réduite, cette occupation est caractérisée par quelques fosses et silos. L’abondant mobilier récolté permet une attribution au Hallstatt D3. La qualité de la céramique recueillie (nombreuses formes peintes), la présence de bracelets en terre cuite comme celle d’un fabricat de parure métallique (torque) témoignent de l’importance de cette occupation, dont on note avec le plus grand intérêt qu’elle se trouve en position stratégique, sur un point de passage obligé entre la vallée de la Seine et celle de la Vanne.
La question de la consommation du vin
À Vix comme à Bourges et ailleurs, la présence d’importations de céramique attique et d’amphores méridionales contribue à caractériser le pôle aristocratique. À Troyes, cette problématique est bien plus délicate en l’absence de telles données en contexte d’habitat. Pour l’instant, la sépulture de Lavau fournit la quasi totalité des éléments de vaisselle d’importation du secteur, qu’il s’agisse de pièces métalliques (chaudron, bassins, petite oenochoé, ciste à cordons, etc.) ou céramique (oenochoé grecque). Le vase attique de Lavau est ainsi la seule occurrence de ce type de mobilier dans le secteur. La découverte comparable la plus proche se trouve à Rosnay-l’Hôpital, à 35 km au nord-est de Troyes, où quelques tessons d’une coupe attique ont été retrouvés lors d’un diagnostic (Grisard 2006).
La présence de vin rouge, attestée dans la tombe de Lavau (Garnier, in Dubuis 2016), témoigne de la consommation de cette boisson méditerranéenne, par les élites locales. Aucune amphore méridionale n’a cependant été identifiée dans le secteur de Troyes. Le fait que la localisation exacte de l’habitat “princier” ne soit pas identifiée avec certitude concourt sans doute beaucoup à cette apparente lacune matérielle. L’absence d’amphore peut cependant prendre une autre signification, car l’absence du contenant ne signifie manifestement pas, avec l’exemple de Lavau, absence du contenu. Si les amphores parviennent bien jusqu’à Vix, le vin circule ensuite aussi à Troyes, peut-être en contenant périssable.
La consommation de cette boisson est sans doute à mettre en rapport avec une certaine catégorie de céramique fine, représentée par l’exemplaire complet découvert à Lavau : il s’agit des céramiques tournées cannelées. Cette céramique de qualité fait partie de ces productions “luxueuses” attachées aux pôles de pouvoir hallstattien. À Vix, ces productions sont représentées par près de 300 individus, et c’est sur la grande maison à abside qu’elles sont les plus abondantes, atteignant près d’un tiers du corpus découvert ; elles y côtoient de nombreux fragments de vaisselle attique (Bardel & Kasprzyk 2011). En dehors de la bouteille de Lavau, trois sites d’habitat proches en ont livré des fragments (Fig. 7) : une occupation de Buchères sur le “Parc Logistique de l’Aube” (Riquier & Grisard 2014) ; l’habitat de la Rue de Preize à Troyes, tout près du centre-ville (Deborde, en cours) ; et enfin l’habitat de la “Porte de Chaillouet” dans le coeur de ville ancien (Deborde & Gry 2016).
Pôles de pouvoir, territoires et liaisons routières
Le problème posé par la notion de ville ou de site urbain a alimenté de nombreux débats ces dernières années, entre les tenants de l’urbanité protohistorique et ceux plus sceptiques face à cette idée. P. Brun et B. Chaume y ont répondu par l’emploi du terme “atélo-urbain” (Brun & Chaume 2013). Mais définir la ville reste un exercice difficile tant il n’en existe pas de définition universelle. La vision classique d’une polarité ne pouvant être comprise que sous la forme urbaine d’un habitat centralisé doit sans doute être pondérée par les données récentes, qui émergent à Lyon-Vaise, à Dijon ou encore à Troyes. Sur cette dernière localité, l’assurance d’avoir affaire à un pôle de pouvoir s’oppose à l’état lacunaire des données concernant l’habitat, qui ne permet pas d’attester pour l’instant de la présence d’une “proto-ville” ou d’un site “atélo-urbain”. C’est aussi pour cette raison que le présent dossier ne s’est pas seulement focalisé sur la recherche d’un tel site, car les données examinées peuvent aussi mener à d’autres pistes, comme l’idée d’avoir affaire un territoire multipolaire par exemple.
Un territoire organisé ?
Les différents indices rassemblés dans les lignes qui précèdent permettent de percevoir une certaine organisation des vestiges découverts à Troyes et dans la région. Ce territoire dont les manifestations de pouvoir sont concentrées autour de la ville actuelle, apparaît autant “centralisé” que géographiquement décentré vers le nord, dans la plaine de Troyes (Fig. 7). Situé vraisemblablement sous la ville actuelle, l’habitat principal du Ve siècle a.C. (s’il existe) se situerait donc en bordure septentrionale de la plaine, juste avant un point de rupture de charge et de changement de régime de la Seine. Selon cette hypothèse, les principaux vestiges funéraires seraient répartis à la manière d’une vaste couronne s’échelonnant à l’ouest, au nord et à l’est autour de l’habitat. La position septentrionale de cette concentration de vestiges apparaît comme cohérente vis-à-vis du passage vers la vallée de la Vanne (au même niveau, à l’ouest) et incite à y voir plus qu’un simple hasard.
On ne sait pas encore quel(s) rôle(s) pouvai(en)t jouer plusieurs éminences remarquables dans ce paysage fortement humanisé, où la visibilité des grands monuments, voire leur intervisibilité, est recherchée. Plus large à l’ouest et au sud, la plaine de Troyes accueille nombre d’occupations que l’on pourrait qualifier de “rurales”, exploitant les terres fertiles de la Champagne humide ; la présence d’activités secondaires artisanales y est relevée régulièrement. Plus éloignées de l’hypothétique habitat central ou principal, plusieurs occupations se distinguent par leur situation et/ou leur mobilier. Le site d’Isle-Aumont pourrait ainsi contrôler un point de passage obligé le long de la Seine. Quant à Messon, il s’agit par sa position d’un témoignage du plus grand intérêt dans la problématique de l’organisation du territoire. Situé à mi-distance de Troyes et de la tombe à char d’Estissac, cette occupation pourrait être en rapport avec le contrôle des contacts entre la plaine de la Seine et la vallée de la Vanne. La distribution des grands monuments funéraires découverts au long de la Vanne et de sa confluence avec l’Yonne est remarquable, par la régularité des espacements (une vingtaine de kilomètres ; voir Baray & Sarrazin 2013).
On peut s’interroger, de la même manière, sur le rôle que tient l’emplacement de Bar-sur-Seine (Fig. 6), dernier emplacement fortifiable (l’éperon est fortifié en tout cas au Moyen Âge) avant la plaine de Troyes en aval de Vix et situé à mi-distance des deux pôles princiers (à 29 km de Troyes et 26 km de Vix).
Un découpage régulier de l’espace ?
Une hypothèse d’organisation du territoire
Qu’il s’agisse de la vallée de la Vanne ou de la Seine, les données connues permettent d’observer une répartition régulière des monuments funéraires et des sites potentiellement fortifiés, sur la base d’un module de 20 à 25 km de rayon. Cette disposition semble refléter un découpage régulier du territoire, qui sous-tendrait alors une organisation. Celle-ci reposerait sur un partage du contrôle territorial exercé par les personnages retrouvés dans les tombes à char, auxquels parviennent quelques importations méditerranéennes (cistes à cordons, situles stamnoïdes) mais aucun “chef-d’oeuvre” remarquable. Si l’on en croit les cas de Messon et d’Isle-Aumont, des habitats particuliers pourraient se situer au point de rencontre de ces entités territoriales.
Vix et Troyes constituent pour l’instant les deux principaux pôles de pouvoir identifiés au Hallstatt final et au début de La Tène dans la région. S’il est à peu près certain que l’existence d’un pôle de pouvoir à Troyes au Hallstatt D2 est douteuse, et qu’à La Tène A1 le pôle de Vix a probablement déjà décliné, on peut estimer que ces deux pôles ont été contemporains au moins au Hallstatt D3.
Les observations menées sur la vallée de la Vanne attesteraient d’un découpage de l’espace contrôlé par des personnages de second plan (des “chefs de fraction de tribu” ? – Verger 2006) sur un module de 20 km environ. Ils seraient au nombre de quatre entre Sens et Troyes (Fig. 10). Le même nombre d’entités territoriales serait à trouver sur la Seine, de Troyes à Vix, sites distants de moins de 60 km. Ces premières observations permettent d’envisager que les deux grands pôles de pouvoir présents ont une amplitude de près de 30 km de rayon ; ils associeraient alors un module central, où se trouve l’habitat principal et les tombes princières, à quelques pôles secondaires répartis plus loin en aval ou en amont des vallées et peut-être même tout autour. Cette hypothèse fonctionne assez bien avec le pôle de Troyes si l’on place effectivement l’habitat sous la ville actuelle, comme proposé plus haut. Le module central contiendrait toutes les tombes à char, les autres indices funéraires et l’essentiel de l’habitat connu actuellement. Les habitats particuliers comme Isle-Aumont et Messon se trouveraient au contraire satellisés à la jonction du module central et des entités périphériques. L’idée qu’il s’agisse de sites liés au contrôle du territoire s’en verrait alors renforcée. La tombe à char d’Estissac serait à placer dans un module périphérique mais dans le giron du pôle de Troyes.
Si l’on prolonge un peu ces idées, l’existence d’autres pôles non reconnus jusqu’à présent se ferait jour. Au-delà du grand module du pôle de Troyes, l’habitat de Rosnay-l’Hôpital avec ses importations de céramique attique (Grisard 2006) serait ainsi bien placé au centre d’un petit module. La région de Sens correspondrait à un possible autre pôle de pouvoir de même ampleur. Plus au sud, il pourrait y avoir un autre pôle centré plutôt sur la région d’Auxerre si l’on en croit la répartition des sites fortifiés de cette région (Fig. 10). Le site de Gurgy “La Picardie” serait ici au centre d’un petit module périphérique. Dans ce tracé modulaire théorique, il est troublant de constater que tous les sites fortifiés “secondaires” (c’est-à-dire qui ne sont pas le siège du pôle de pouvoir), avérés ou hypothétiques, se voient rejetés en périphérie des modules (ou même au point de contact des pôles, si l’on donne du crédit à l’idée d’un éperon barré à Bar-sur-Seine).
Conclusion
Le pôle aristocratique de Troyes émerge vers le Hallstatt D3 ; la spectaculaire tombe princière de Lavau marque sans doute la fin de ce phénomène vers La Tène A1. L’émergence et l’apogée du pôle aristocratique pourraient correspondre à un pic d’occupation humaine autour du Ve s., c’est ce qu’on peut tirer en tout cas des données rassemblées dans le cadre du PCR sur la plaine de Troyes. Les raisons de l’émergence du “pouvoir central” sont encore obscures et rien ne dit que le commerce à longue distance, révélé par les importations méditerranéennes, ne soit un facteur plutôt qu’un effet de cette hiérarchisation sociale. Il ne faut d’ailleurs pas négliger, dans cette histoire, l’importance du Hallstatt ancien/moyen dans la genèse du pôle princier, révélée à Lavau par la remarquable mise en scène des monuments des “ancêtres”, et dans deux tombes proches, par la déposition d’un antique chaudron à attaches d’anse cruciforme. L’exploitation du territoire, riche de potentialités tant agricoles que minérales est à mettre en perspective avec une position géographique assez favorable, d’un territoire baigné par un fleuve navigable et offrant peu d’obstacles aux déplacements latéraux.
Sur le plan de l’architecture funéraire, une certaine unité architecturale et donc culturelle se dégage, avec trois des quatre monuments fouillés qui présentent un plan quadrangulaire à angles orientés sur les points cardinaux. On note la consommation de vin sur place, avérée dans la tombe de Lavau bien qu’aucune amphore n’ait été découverte dans le secteur de Troyes, alors même qu’elles sont présentes à Vix. Cette lacune témoigne peut-être d’un changement de contenant à Vix même. Cette consommation s’accompagne, à Lavau, d’une très forte imprégnation de la culture méditerranéenne (Dubuis et al. 2015b), avec l’usage de la passoire par exemple, et d’une boisson qui serait consommée non pas pure mais mélangée, comme le veut la manière méditerranéenne. Sur le plan de la culture matérielle, on observe l’usage des céramiques tournées cannelées qui comptent parmi les productions attachées aux pôles aristocratiques, comme à Vix.
Si les deux pôles de Vix et de Troyes ont été contemporains pendant quelques décennies, ils semblent ne pas recouvrir la même réalité matérielle. Le modèle de la résidence princière tel qu’on peut se le représenter à Vix ne s’applique pas à Troyes, face à un habitat principal non pas connecté à une colline fortifiée mais peut-être plutôt implanté dans la plaine et étroitement associé au fleuve. Son extension n’est pas connue à ce jour ; il a pu être entièrement ceinturé par des bras de la Seine et/ou se développer en rive gauche, comme être fortifié ou pas. Le décentrement vers le nord de la plaine de Troyes serait à mettre en rapport avec l’organisation modulaire du territoire et sa connexion avec la vallée de la Vanne à l’ouest.
Au final, il faut retenir que si le phénomène princier est bien avéré sur place, avec le cas de Lavau, en revanche le fait “urbain” ne ressort pas (ou pas encore) des recherches actuelles. Les données disponibles en l’état renvoient plutôt l’image d’un territoire densément exploité et multipolaire, où l’identification de sites fortifiés reste à l’état de potentialité. Les réflexions abordées sur le découpage modulaire du territoire donnent plutôt raison à une localisation de l’habitat principal sous la ville actuelle, en prolongement de l’alignement formé par les monuments de la Vanne. Les sites d’Isle-Aumont et surtout de Messon permettent de supposer un certain contrôle sur le territoire, à des points stratégiques peut-être situés à la jonction de modules territoriaux d’une vingtaine de kilomètres de rayon, pouvant correspondre aux espaces placés sous le contrôle de personnages secondaires. La régularité remarquable de cette organisation territoriale semble dépasser la simple notion de “noeuds routiers”.
Malgré toutes ces pistes de réflexion enthousiasmantes, on s’aperçoit avec un peu de recul que la quasi-totalité des données disponibles a été récoltée en moins de 30 ans dans le cadre de l’archéologie de sauvetage puis préventive. L’existence du pôle aristocratique de Troyes est encore toute jeune dans les esprits et ne bénéficie pas d’un programme de recherche spécifique comme à Vix (Chaume & Mordant 2011). Les recherches actuelles ne s’embarrassent donc pas, ou peu, de découvertes anciennes mal contextualisées, ce qui est une chance autant qu’une source de frustration, quant à l’existence de l’habitat princier par exemple. La rareté des fouilles de grande ampleur dans le cœur de ville laisse planer le doute sur la présence d’un habitat étendu connecté à la Seine. Mais si l’état de la recherche ne permet pas de trancher sur la réalité d’une “proto-ville” celtique, au Ve s., dans la plaine de Troyes, on peut cependant au moins conclure que la forme de l’habitat est sans doute déjà éloignée de celle que constitue l’exemple de Vix.
Le pôle aristocratique de Troyes prend en quelque sorte le relai de celui de Vix aux confins du domaine hallstattien occidental, quelques années plus tard et quelques dizaines de kilomètres plus en aval sur le cours du même fleuve. L’émergence de ce pôle, pourtant d’une durée éphémère, est contemporaine de celle de la culture Aisne Marne dont l’épicentre se situe à peine à une centaine de kilomètres au nord. La nature des relations qui ont pu exister entre ces deux mondes laisse interrogateur. La tombe de Lavau, tant par sa datation tardive que par certaines de ses caractéristiques (char à deux roues, décors du premier style celtique) annonce déjà le monde qui se met en place au-delà du pôle de pouvoir : un monde où les “princes” n’ont plus leur place.
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