Dans les Pyrénées centrales, deux districts ont été étudiés : le Massif du Montaigu pour le plomb argentifère et celui des Hautes Baronnies pour le fer (fig. 18). Les recherches dans le massif du Montaigu ont été menées par J. Girard. Autour de ce secteur, les minéralisations à plomb argentifère sont nombreuses et l’ancienneté des travaux est probable pour plusieurs d’entre eux. C’est le cas des chantiers d’Arribaou sur la montagne de Nerbiou (Beaucens), ou encore de ceux de l’Atgéla (Aragnouet) ou d’Espujos (Arras-en-Lavedan). La morphologie des ouvrages repérés en prospection atteste en effet de leur ancienneté avec des traces d’ouverture au feu ou à la pointerolle (Girard et al. 2010, 236). Mais les reprises postérieures et le remblaiement des chantiers n’ont généralement pas permis de préciser les chronologies, qui pourraient inclure également le Moyen Âge. Les recherches se sont donc centrées sur les travaux des communes de Gazost et Germs-sur-l’Oussouet qui avaient livré des éléments de datation et dont les travaux étaient accessibles en grande partie. Ce sont ces derniers que nous allons présenter ici.
Pour les Hautes Baronnies, les recherches ont été réalisées par R. Sablayrolles, J.-M. Fabre et A. Beyrie. Ce secteur sidérurgique a été abordé par des prospections et des sondages sur des crassiers*. L’absence de données précises sur l’exploitation minière associée à cette production de fer limite la portée de l’étude pour notre propos. Toutefois, les résultats obtenus quant à la chronologie et à l’organisation de l’activité métallurgique fournissent des éléments de réflexion qui doivent être pris en compte.
Le massif du Montaigu
Deux groupes de travaux miniers anciens pour la galène* argentifère sont connus sur ce massif, ainsi qu’un atelier de traitement de ce minerai. Le premier ensemble de travaux est celui de Palouma (Gazost). Il s’agit d’une exploitation sur filon encaissée dans des calcaires du Dévonien inférieur, située entre 850 et 1100 m d’altitude (fig. 19). Elle est formée par plusieurs chantiers alignés, visibles sur près de 300 m en surface et orientés globalement OSO-ENE. Trois réseaux (baptisés 235, 330 et 333 par J. Girard) ont pu être explorés et datés par le radiocarbone. D’autres départs de chantiers sont visibles, mais les reprises ou les remblaiements n’en ont pas permis l’étude. Pour les réseaux étudiés, il s’agit de dépilages subverticaux et globalement étroits (0,8 m de large), dans l’allongement du filon. Tous les travaux sont partis de l’affleurement. Des salles d’exploitation plus larges correspondent aux zones d’enrichissement de la minéralisation (Girard 2004, 16-48 ; Girard 2005, 30-56 ; Girard 2006, 11-24).
Le réseau 235 a été ouvert au feu et à l’outil et a souffert de reprises à l’explosif. On signalera dans ce chantier une longue galerie de recherche (88 m), élargie lors de la reprise, mais sans doute tracée dès la phase d’exploitation ancienne, d’après le profil intact des derniers mètres, lequel correspond au reste des travaux anciens. Les datations radiocarbone obtenues pour plusieurs points à l’intérieur du réseau indiquent une exploitation principalement entre les IIe siècle av. n. è. et Ier siècle de n. è. (Girard 2007, 8). Cependant, et comme le précise l’auteur, le chantier a pu démarrer plus tôt car les sondages ayant livrés les charbons analysés étaient éloignés des entrées (fig. 20).
Le réseau 330 communique avec le réseau 333, totalisant 239 m d’extension est-ouest et 313 m de développement (fig. 20). Aucune trace d’explosif n’y a été repérée et le creusement, principalement à la pointerolle, se limite à la zone minéralisée, sans ouvrage d’assistance. Des effondrements ont toutefois scellé la partie basse des travaux à plusieurs reprises. Des encoches de boisage sont visibles à plusieurs endroits et deux puits internes, dans le réseau 333, étaient encore équipés de rondins pour en faciliter l’escalade. Des sondages près de l’entrée et à l’intérieur du réseau ont livré des charbons qui ont fait l’objet de datations, tout comme des échantillons de bois prélevés sur les équipements en place des deux puits. Le charbon de l’entrée date un remblai postérieur déversé devant ce réseau et provenant de chantiers plus haut sur le versant. Il ne correspond donc pas au démarrage de l’exploitation et indique une phase d’activité à proximité entre le milieu du IIe siècle av. n. è. et le début du Ier siècle de n. è. Les charbons issus des sondages à l’intérieur du réseau correspondent à une phase avancée des travaux, du fait de leur éloignement depuis l’entrée. Ils donnent un intervalle couvrant le Ier siècle av. n. è. et le Ier siècle de n. è. Les bois du réseau 333 donnent quant à eux des fourchettes plus larges, allant de la fin du IVe siècle av. n. è. au milieu du Ier siècle de n. è.
Le deuxième groupe de travaux se trouve sur la commune de Germs-sur-l’Oussouet. Des minières colmatées sont visibles au lieu-dit Séras (1050 à 1250 m d’altitude) et un atelier de traitement de la galène* se trouve en contrebas, à Hourcade (fig. 21). Sur cette même commune, une autre minière, colmatée elle aussi, se trouve aux Blans (autour de 950 m d’altitude). Les travaux de Séras ont suivi une faille minéralisée en zinc à plomb argentifère encaissée dans des calcaires primaires. Ces minières n’ont pas été fouillées et peu de choses peuvent être dites de l’exploitation dont elles résultent. On signalera tout de même une datation radiocarbone effectuée sur un bois de mine qui a donné une fourchette plus ancienne : 2480 ±100 BP, soit 810-395 cal BC. Cet élément a été daté à la demande du SNEAP1 lors de recherches en vue d’une reprise non avenue, en 1976 (Girard 2004, 48). Le résultat correspond au plateau radiocarbone du Halstatt (Hajdas 2008, 16). La mine des Blans a simplement livré un tesson d’amphore en prospection. L’atelier, repéré quant à lui par la présence de scories en surface, n’a pas pu être fouillé non plus suite à l’opposition des propriétaires, mais une prospection géophysique a révélé des anomalies magnétiques. Des datations de charbons prélevés à la tarière à l’emplacement de ces dernières semblent indiquer un fonctionnement de l’atelier centré sur le Ier siècle av. n. è., en accord avec le mobilier de surface (Girard 2007, 19-20 ; Girard et al. 2010, 237).
La relation isotopique établie entre les minerais de Palouma, de Séras et des scories prélevées à Hourcade confirme l’existence d’un pôle de production d’argent actif au moins depuis le début du Ier siècle av. n. è. et pendant le Ier siècle de n. è. L’atelier d’Hourcade aurait centralisé le traitement des produits des deux mines citées ici, et peut-être d’autres chantiers non étudiés pour l’heure. D’autre part, ces données isotopiques tendent à indiquer que l’argent produit sur ce site a pu servir à la production de monnaies à protubérances de type “Beyrie”, avec d’autres sources métalliques dont la provenance n’est pas déterminée. Ces monnaies auraient été émises à partir du dernier quart du IIe siècle av. n. è. et jusqu’au début du Ier siècle de n. è. par les Benarni, un des peuples aquitains connus par les textes (Girard et al. 2010, 239-240). On se situe donc dans le cadre d’une exploitation démarrée dans le contexte de l’indépendance gauloise, qui perdure après la conquête. Le démarrage de l’activité n’est pas bien daté, mais les bois de mines peuvent faire monter l’exploitation au moins au IIIe siècle av. n. è. à Palouma et même au premier âge du Fer pour Séras. Si l’ancienneté de Séras apparaît comme un élément isolé dont le contexte archéologique très mal défini incite à la prudence, la date du IIIe siècle av. n. è. reste dans le domaine du probable. En effet, la distance entre les entrées et les emplacements des sondages, dans des secteurs profonds des réseaux, confirme que l’exploitation n’en était plus à son démarrage au Ier siècle av. n. è. Par ailleurs, l’ampleur de ces réseaux, associée aux indices d’exploitations anciennes non datées mais nombreuses dans les environs, indique que l’exploitation minière était une activité importante pour ce secteur, qui a mobilisé une main-d’œuvre non négligeable et peut refléter un investissement de longue date dans cette activité. Cependant, l’altitude des travaux implique qu’ils n’étaient probablement pas accessibles toute l’année, obligeant à interrompre l’activité en période hivernale. Les départs de chantiers étagés le long du versant, pour ce qui a été étudié à Palouma, permettent d’envisager un travail concomitant de plusieurs équipes. L’exploitation ancienne a été menée globalement à l’économie : les creusements suivent la minéralisation de près, laissant seulement l’espace nécessaire pour circuler. Seules les reprises plus récentes ont conduit à des élargissements dans le stérile pour la circulation. Des ouvrages de recherche importants et anciens indiquent tout de même un investissement consenti par les mineurs dans des creusements dans le stérile pour localiser de nouvelles zones minéralisées, avec ou sans succès.
Les Hautes Baronnies
Le district sidérurgique des Hautes Baronnies se situe dans la haute vallée de l’Arros, sur les communes de Hèches, Esparros et Asque (fig. 22). Les minéralisations exploitées sont de deux types. Vers l’ouest, il s’agit d’ankérite*, sous la forme de petits filons dans les fractures de la dolomie encaissante ou interstratifiée dans cette dernière, en petites couches millimétriques à centimétriques. Vers l’est, le minerai est de l’hématite*, qui constitue le ciment d’une brèche*, intercalée entre des dolomies et des calcaires. Les premières exploitations se sont sans doute attaquées aux chapeaux de fer de ces gisements, enrichis en oxydes et hydroxydes, et qui ne nécessitaient pas de grillage (Beyrie et al. 2000, 40).
L’extraction du minerai a laissé comme vestiges de nombreuses minières ou fosses résultant d’une exploitation à ciel ouvert. Leurs dimensions atteignent facilement la dizaine de mètres de diamètre et certaines dépassent les 50 m. Des départs de chantiers souterrains sont également visibles, ainsi que des exploitations en tranchées, qui peuvent s’étendre sur quelques dizaines ou plusieurs centaines de mètres. Des éléments plus diffus, tels que des grattages ou des traces de sous-cavages, sont disséminés sur l’ensemble du secteur. Des travaux alignés montrent que des filons entiers ont été exploités (Beyrie et al. 2000, 41-46). Malgré l’absence de sondage, le mobilier, récolté à la surface des travaux et dans les sites d’habitats identifiés à proximité, indique une phase d’exploitation médiévale et moderne. Cela vient compléter les données relatives aux ateliers, majoritairement antiques, et montre le caractère diachronique de l’exploitation.
Ces vestiges de l’extraction minière sont accompagnés d’une cinquantaine de crassiers*, corollaires de la production de fer. La réduction avait lieu à proximité des mines, les ateliers étant implantés de préférence près des cours d’eau et là où le relief plus doux favorisait l’installation. Les sondages réalisés sur dix d’entre eux ont mis en évidence une phase d’activité antique, qui a démarré au Ier siècle de n. è. et a pu durer jusqu’au IVe siècle. Cette chronologie correspond aux tessons de céramiques plus ou moins abondants dans ces crassiers*, tels que de la céramique à paroi fine métallescente, de la sigillée gallo-romaine et de la céramique commune similaire à celle qui est connue à St-Bertrand-de-Comminges, accompagnés de quelques éléments plus tardifs (Beyrie et al. 2000, 47 ; Fabre et al. 2001, 126-128). D’autre part, un sanctuaire a été identifié sur la crête de Sarramer, au cœur de la zone d’exploitation, et a été fouillé sous la direction de J.L. Schenck. Une terrasse aménagée dans le rocher marque son emplacement. Des monnaies déposées en offrandes et datées entre les IIe et IVe siècle de n. è. viennent conforter la chronologie d’exploitation donnée par le mobilier (Schenck-David 2005, 62-66).
En termes d’organisation, les auteurs proposent de voir dans la dispersion et la petite taille des ferriers* (inférieure ou égale à 50 m2 pour la plupart) le signe d’une exploitation plutôt artisanale. Ce volume limité des ferriers*, comparé à la taille imposante des excavations minières, semble conforter l’hypothèse d’une exploitation en plusieurs phases. Les ateliers postérieurs auraient été implantés ailleurs, sans doute plus bas vers les vallées (Beyrie et al. 2000, 48). Deux crassiers seulement ont livré des restes qui permettent de supposer une disposition des fours en batterie. La faible quantité de scories dans les crassiers, où les débris de réfractaire sont abondants, montre que la production n’a pas connu une grande intensité (Fabre et al. 2001, 130-131). Malgré cela, les techniques sont maîtrisées et le fer produit est de bonne qualité. La différence avec le grand centre sidérurgique des Martys, contemporain (voir partie 1, chapitre 7, p. 70), se situe au niveau du volume de la production, pas des techniques. L’activité a pu être saisonnière ou même constituer une source de revenus secondaire pour les populations locales (Fabre et al. 2001, 135-137).
La découverte de deux inscriptions portant des dédicaces au dieu topique Ageio permet d’apporter quelques précisions au sujet des populations locales. La première a été découverte dans le sanctuaire de Sarramer, fréquenté par les producteurs de fer. La seconde provient d’un autel votif localisé dans l’église d’Asque, portant une dédicace à Ageio de la part des pagani ferrariensis. Cette divinité ne pouvait être honorée que par des populations autochtones, comme l’atteste l’onomastique des dédicants identifiés dans d’autres contextes (Beyrie et al. 2000, 51). Une partie au moins de la main-d’œuvre en charge de la production de fer aurait donc été constituée de la population pérégrine libre de ce même secteur, qui avait accès au mobilier typique de l’Empire (céramique sigillée) et avait adopté des pratiques cultuelles romaines (autels votifs inscrits en latin), sans renier ses croyances originelles, comme cela a pu être proposé pour le culte d’autres dieux topiques (Sablayrolles 1992, 20-22 ; Beyrie et al. 2000, 50-51). Ce schéma laisse apparaître une certaine part d’indépendance des populations locales dans l’exploitation de ce district, menée avec des moyens semble-t-il réduits, plutôt caractéristiques d’une gestion par des entrepreneurs privés voire municipaux (Beyrie et al. 2000, 52). Cependant, l’inscription des pagani ferrariensis montre l’existence d’un pagus dont la production de fer était une activité caractéristique. Il semble aujourd’hui hors de doute que cela fait bien référence aux exploitations antiques des Hautes Baronnies. Cette subdivision administrative romaine indique également une certaine implication de Rome dans cette activité, peut-être exprimée par des obligations fiscales (Fabre et al. 2001, 137).
Le district sidérurgique des Hautes Baronnies nous donne un exemple d’une exploitation modeste intégrée malgré tout dans les cadres administratifs romains. Si les reprises postérieures à cette période sont avérées, les données ne permettent pas d’avoir des certitudes quant à une éventuelle exploitation antérieure. La maîtrise technique des métallurgistes pourrait indiquer une tradition ancienne dans la production, mais il est aussi possible que ce savoir ait été transmis aux populations locales. Le faible volume des crassiers indique également que la production antique était destinée à un marché plutôt local ou à faible distance, même si les auteurs n’écartent pas la possibilité qu’une partie du minerai ait été traité ailleurs, et échappe donc à notre perception (Beyrie et al. 2000, 48). On retiendra de cet ensemble qu’il correspond à une mise en valeur des ressources locales pour répondre à des besoins locaux.