Si l’empereur Julien (332-363) préconisait la frugalité dans l’alimentation, et la considérait comme une des vertus du bon empereur (Éloge de l’empereur Constance, 10d-11a ; Misopogon, 340b-c), il n’en allait pas de même dans la haute société de l’Empire romain, où la pratique des banquets fastueux correspondait sans aucun doute à un marqueur social. Des scènes de banquet sont d’ailleurs représentées dans plusieurs mosaïques contemporaines décorant les demeures des élites provinciales, comme celle retrouvée à Dougga, en Afrique du Nord (Tunis, Musée National du Bardo, milieu du ive siècle), où on voit des échansons servant à boire à des invités, ou celle de Carthage (Tunis, Musée National du Bardo, ive siècle), qui met en scène vingt-quatre convives en train de banqueter, ravitaillés en permanence par des serviteurs, et divertis par un jongleur, deux danseuses munies de castagnettes et un musicien jouant de la flûte de Pan.
On ne s’étonnera donc pas que, tout ami et sujet qu’il soit de l’empereur Julien, le médecin grec Oribase de Pergame (c. 325-après 395/6) consacre plusieurs chapitres de ses œuvres à des recommandations thérapeutiques pour se rétablir des excès de table et de boisson. Ainsi, dans sa monumentale encyclopédie médicale écrite sur l’ordre de l’empereur à partir d’extraits textuels empruntés à Galien (129-216) et aux médecins grecs les plus renommés (les Collections médicales, en 70 livres, dont seulement un tiers est conservé), Oribase reproduit un chapitre tiré du traité de Rufus d’Éphèse (activité à la fin du Ier/début du IIe siècle p.C.) Sur les vomissements pour Potamonianos (personnage inconnu par ailleurs), où sont décrites des méthodes pour « éviter une indigestion à celui qui a mangé avec trop d’avidité et mettre à l’abri de tout dommage celui qui a bu trop de vin » (8, 21, 1). Ce chapitre est résumé dans un autre ouvrage d’Oribase, la Synopsis (1, 18), c’est-à-dire abrégé, en neuf livres, destiné à son fils Eustathe. En s’inspirant de l’expérience d’un confrère le précédant de deux siècles, le médecin de l’empereur Julien s’inscrit dans une longue tradition, qui remonte en dernière analyse à la diététique hippocratique, mise par écrit cinq siècles avant Rufus d’Éphèse. En résumé, la thérapie, tout à fait classique, consiste surtout à faire vomir le patient en lui conseillant d’ingérer des boissons et des aliments qui, tout en favorisant les vomissements, n’irritent pas le tube digestif, comme, parmi les boissons, des vins sucrés tièdes, et, parmi les aliments, le raifort, la roquette, les vieilles salaisons, l’origan vert, l’oignon et le poireau, – ces deux derniers en petite quantité –, la ptisane (décoction à base d’orge) contenant du miel, la purée de fèves et les viandes grasses, le tout étant cuit. Les amandes trempées dans du miel, du gâteau, des graines de pastèque macérées et broyées avec du miel, la racine de concombre triturée avec du miel et, surtout, du vin mélangé à de l’eau où on aura fait bouillir un oignon de narcisse, sont également efficaces. Introduire de l’huile aromatisée d’iris dans le gosier à l’aide des doigts fait également vomir. Il ne faut pas non plus cesser de s’activer, ni se reposer. Après les vomissements, il est recommandé de se rincer la bouche et de se laver le visage avec du vinaigre coupé de beaucoup d’eau, qui est excellent pour les dents et allège la tête. En cas d’ivresse, Oribase (Synopsis, 5, 34) recommande en outre de vomir immédiatement en buvant beaucoup d’eau pure et d’eau miellée, puis, de prendre un bain accompagné d’une onction, et enfin, de dormir jusqu’à la disparition des effets du vin. Toutefois, comme il l’écrit dans les Euporistes (c’est-à-dire les remèdes faciles à se procurer), en quatre livres, dédié, cette fois, à son ami Eunape de Sardes, rhéteur, écrivain, et lui aussi partisan zélé de l’empereur Julien, il est préférable de ne pas s’enivrer (1, 12, 3-6). Pour éviter l’ivresse, il conseille de boire à longs traits, en y mettant le temps, en sorte d’avoir une abondante évacuation d’urines et de sueurs, ou, mieux encore, de vomir en prenant de l’hydromel après avoir bu. Sinon, si on veut boire abondamment, il faut prendre peu de nourriture et, entre chaque coup, manger du chou cuit, des friandises ou, mieux, des amandes. Mais, pour empêcher complètement l’ivresse, il est encore préférable de prendre une macération d’absinthe avant de boire. Si le vin cause des douleurs mordantes, on boira de l’eau froide, et, le lendemain, de nouveau de l’absinthe. On se rétablira avec des promenades, des frictions, des bains et une nourriture modérée. Qui dit mieux ? À peu de chose près, de telles recommandations ne seraient-elles pas toujours d’actualité ?
Bibliographie
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- Cabouret, B. (2012) : « D’Apicius à la table des rois « barbares » », in : L’histoire de l’alimentation dans l’Antiquité. Bilan historiographique. Journée de printemps de la SOPHAU, 21 mai 2011, 159-172.
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