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Chapitre 2•
La pars rustica

par

Territoire de la villa antique
Fig. 70. Montcaret : territoire de la villa antique.

Notre propos aurait pu se limiter à une nouvelle interprétation des vestiges de la partie résidentielle de la villa, après celle de Jules Formigé. C’était la demande que la Caisse nationale des Monuments historiques et des Sites avait formulée, à laquelle il convenait d’ajouter une plaquette de présentation pour les visiteurs du site dont la CNMHS assurait la gestion. Mais une fois rédigés, étude et plaquette n’ont plus intéressé le Centre national des monuments (CMN), organisme successeur de la CNMHS.

Il nous a semblé dommage de ne pas profiter de l’“opportunité” qui nous était ainsi donnée pour étendre l’étude à ce que nous croyons avoir été le domaine dans sa totalité et de tenter de le resituer dans son environnement antique, en particulier pour ce qui concerne la pars rustica attachée à cette si vaste et majestueuse habitation aristocratique.

La Petite Borie
Fig. 71. La Petite Borie : plan général des vestiges.

La pars rustica (Fig. 71) se trouve au lieu-dit Le Nodin (nom vernaculaire) ou La Petite Borie (nom cadastral) à 400 mètres environ à l’est du site1. Elle est située à proximité du “Rieu-Tourment” ou “Tournant”2, ruisseau, qui coule du nord au sud depuis la Fontaine des Fées (Fons des Fades), résurgence du plateau calcaire situé au nord de la commune. Nous pensons que c’est justement à cause de la présence de ce fort ruisseau que la partie agricole et artisanale de la villa s’est installée à cet emplacement.

Dès l’abord, une question se pose. Existe-t-il des vestiges antiques entre ceux de la pars urbana et ceux de la pars rustica ? Nous savons que des vestiges de la partie résidentielle – en particulier des secteurs du balnéaire – se poursuivent au-delà de la route qui limite aujourd’hui le site à l’est. Mais ces vestiges s’étendent-ils sur les 400 mètres qui relient les deux sites ? y a-t-il, par ailleurs, un prolongement de la pars rustica vers l’ouest en direction de la partie résidentielle ? Les extensions de l’un et l’autre site se rejoindraient-elles ? Il n’est pas facile de savoir dans quelle mesure la pars urbana s’est étendue vers l’est avec le bâti qui occupe aujourd’hui l’espace. En revanche, il a été possible d’opérer des sondages à l’ouest de la pars agraria (S1, S2, S3, S4, Fig. 71). Ces derniers se sont avérés négatifs. Le sondage réalisé à l’emplacement de la piscine située dans la parcelle attenante n’a rien révélé non plus. Il ne semble donc pas y avoir une continuité entre les deux secteurs. C. Pellecuer nous a fait remarquer qu’il se dessine alors le modèle d’un ensemble domanial dédoublé, avec une séparation physique bien marquée entre les fonctions de réception et d’habitat, d’une part, et les fonctions agraire et artisanale, d’autre part. Même si, comme nous l’avons vu, il peut y avoir eu dans la partie résidentielle [dans le bâtiment (6), aligné contre la galerie (3) (Fig. 4)] une fonction de stockage pour les denrées prêtes à être utilisées.

Un tel modèle pourrait ainsi expliquer pourquoi on n’a pas retrouvé la pars rustica de nombre de villas d’Aquitaine dont on possède pourtant la partie résidentielle. Il y aurait dans tous ces cas, séparation nette entre la résidence et les autres structures – agricoles et artisanales – du domaine.

La première découverte effectuée à cet endroit est celle des vestiges d’un pressoir à vin. Elle a eu lieu en décembre 1936 sur la propriété Lacosse3 à l’occasion de travaux d’assainissement sur la maison. Pierre-Martial Tauziac a fouillé rapidement ces structures. Celles-ci nous sont connues par une description de Conil appuyée par un dessin, une photographie et un croquis4 réalisés, pour les deux premiers, avant que le tout soit rebouché ou, peut-être, détruit, s’il nous faut croire les propos du fils, alors tout jeune, du propriétaire d’alors, que nous avons rencontré.

Cet ensemble (Fig. 72a, b) est constitué de deux cuves de recueil du moût de 1,54 m de côté et de 1,07 m de profondeur, dont les parois étaient couvertes d’un béton de tuileau et étaient couronnées par un alignement de tuiles plates. Les angles étaient dotés d’un bourrelet d’étanchéité. Le sol de ces cuves était constitué de carreaux et muni en son centre d’une cupule de 35 cm de diamètre, qui servait à nettoyer les derniers éléments restés au fond de la cuve, celle-ci une fois vidée de son contenu. On accédait au fond de ces bassins par une marche établie dans un des angles. Ces cuves étaient dominées sur l’un de leur côté par une plate-forme recouverte de carreaux de terre cuite, qui faisait légèrement retour sur une autre des parois. Le cliché et le croquis montrent que ces carreaux pouvaient constituer le sol d’un fouloir ou d’un pressoir5. Le relevé d’Auguste Conil fait état, sur toute la hauteur de la paroi opposée à la plate-forme, de 2 encoches verticales de 57 cm de diamètre, que nous ne savons pour le moment interpréter. La région Aquitaine connaît plusieurs installations à caractère vinicole identiques, qui permettent effectivement d’interpréter la plate-forme, qui surplombe les cuves, comme les vestiges d’un possible fouloir et peut-être même, d’un pressoir6.

Installation vinicole du Nodin
Fig. 72a. Installation vinicole du Nodin (cl. V. Tassaint, 1937).
Installation vinicole du Nodin
b. Installation vinicole du Nodin (Formigé & Conil 1937, 7).

Dans les remblais d’abandon, se trouvait une meule, qui a fait penser aux fouilleurs qu’ils étaient en présence d’une pistrina, d’une meunerie. Les cupules de nettoyage avaient alors été interprétées comme des mortiers7.

Parmi les déblais, se trouvaient également un rebord d’assiette dérivée de sigillée paléochrétienne8, ainsi que l’épaule d’une amphore de type Late roman 4 (Inv. T-A-32), amphore à vin de la région de Gaza9. Le rebord d’assiette (Inv. T-DSP-5, n° 5 du catalogue) est daté par S. Soulas du Ve siècle10. Par comparaison avec l’épaule d’une amphore de Gaza, de même type que celle du Nodin, retrouvée à l’occasion des fouilles de la basilique Saint-Seurin à Bordeaux, et conservée dans la crypte archéologique de cet édifice, nous avons proposé de la dater du Ve siècle p.C.11. Ces deux éléments céramique laisseraient ainsi entendre que cet ensemble voué à la viniculture a fonctionné au moins jusqu’à cette époque12. On constate que cette datation correspond peu ou prou, si l’on se fonde sur ce que l’on a observé pour la Pars urbana, au passage de la villa aristocratique à un domaine dont la magnificence est maintenant exclue.

Conil indique que des vestiges, dont des murs, se poursuivent sous la route et dans le champ au sud et que ceux-ci sont bien visibles après la pluie13.

Cette zone, que nous considérons par conséquent comme sensible du point de vue archéologique, a fait de notre part l’objet de prospections, de surveillance et de sondages, qui ont montré que le secteur avait été occupé depuis le Premier âge du Fer jusqu’à l’époque mérovingienne14.

Au sud de l’ensemble vinicole, de l’autre côté de la route, nous avons mis au jour à l’occasion de différents sondages plusieurs aménagements et constructions.

D’abord, en 2002, une petite structure creusée à même le sol qui présentait la forme d’un trèfle. Il s’agissait vraisemblablement d’un four à caractère métallurgique. Son foyer était, semble-t-il, activé par des soufflets dont les extrémités auraient été placées dans les quatre gorges aménagées15 (Fig. 73).

Structure métallurgique de La Petite Borie
Fig. 73. Structure métallurgique de La Petite Borie.
Fond de fosses de La Petite Borie
Fig. 74. La Petite Borie 2008 : fond de fosses.

À cette installation, sont venues s’ajouter, à l’ouest, à l’occasion d’un sondage en 2008, deux fosses dans lesquelles se trouvaient justement des déchets de métallurgie (Fig. 74). Ces déchets viennent ainsi confirmer l’existence d’un artisanat métallurgique dans ce secteur de la pars rustica16.

Au sud de cet ensemble, se développent vers l’est plusieurs constructions que de simples sondages ne nous ont pas permis d’interpréter correctement (Fig. 68). Le bâti paraît lâche et nous pourrions nous trouver en présence de plusieurs bâtiments d’exploitation à fonctions différentes17, comme il ne serait pas anormal de trouver dans la pars rustica d’une villa. C’est le cas par exemple pour la villa du Vernai à Saint-Romain-de-Jalionas (38). La pars rustica ne semble pas, non plus, organisée autour d’une cour comme pour la partie résidentielle de cet établissement, mais comme une juxtaposition de bâtiments dévolus à des activités variées18. Il est donc posible qu’à l’avenir nous découvrions à cet endroit des lieux de production comme de stockage. Même si des lieux de stockage ont pu se trouver au sein même de la partie résidentielle à l’emplacement de l’espace 6 qui pouvait, comme on l’a dit supra, présenter des zones de service.

À l’est du ruisseau, au delà d’un chemin vicinal nord-sud qui longe celui-ci, une prospection dans les vignes nous a permis de constater la présence de moellons et de fragments de céramique antique, témoins de la présence également de bâtiments à cet endroit. Plus au sud, on retrouve la voie romaine. C’est pourquoi, nous y avons recherché, mais sans résultat à ce jour, les vestiges d’une pile funéraire dans et autour de laquelle aurait pu se développer une petite nécropole destinée au propriétaire et ses proches. En limite du domaine et en bordure de la voie romaine, l’endroit nous paraissait tout indiqué pour installer au contact du monde des vivants cet enclos du monde des morts.

Notes

  1. Berthault 1993.
  2. À en croire P.-A. Conil, ce ruisseau portait en 1937 le nom de “Gotherens” (Conil, Carnet 13, 6 ; 13, 23). Aujourd’hui, ce nom n’évoque rien aux habitants de Montcaret. Il semble avoir été oublié.
  3. Cadastre Montcaret : section F, parcelle 886 ; re-cadastrée F. 91 (2010).
  4. Conil, Carnet 13, 24 ; carte postale, photo V. Tassaint 1937 ; croquis (Formigé & Conil 1937, 7).
  5. Formigé & Conil 1923-1938, pl. 9, fig. 17.
  6. Berthault 1996/97, 165 et Fig. 93 ; Berthault 2000, 80 et ss.
  7. Formigé & Conil, Rapport 1937, 3.
  8. Conil, Carnet 13, 23, n° 3.
  9. Conil, Carnet 13, 24, n° 2.
  10. Voir l’étude de S. Soulas dans le catalogue de ce volume (infra).
  11. Cf. notre étude infra.
  12. On notera que c’est également au Ve siècle que le chai gallo-romain de Lestagnac (32) est abandonné (Petit-Aupert & Sillières 2003, 15). Il est, du reste possible qu’à cette importante construction en dur ait succédé, parce qu’il n’était plus nécessaire de produire autant de vin qu’auparavant, une petite structure de pressage en bois qui pouvait alors suffire.
  13. Conil, Carnet 13, 6.
  14. Nous avons, du reste, fait mentionner, dans le Plan d’occupation des sols, puis dans le Plan local d’urbanisme de la commune de Montcaret, la sensibilité archéologique de cette zone. Déjà Formigé à la page 4 de son rapport de 1937 “insiste” (sur) “l’intérêt archéologique que présenterait la conservation des substructions des Nodins (…) et la poursuite des recherches amorcées”. Mais il ajoute, page 5 : “des pourparlers sont engagés pour une acquisition éventuelle ; ils s’annoncent comme très difficiles” !
  15. Berthault & Jacques 2002a.
  16. Berthault 2008.
  17. Berthault 2003.
  18. Royet 2006, 307.
ISBN html : 978-2-35613-384-7
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Chapitre de livre
Posté le 31/01/2021
EAN html : 9782356133847
ISBN html : 978-2-35613-384-7
ISBN livre papier : 978-2-35613-386-1
ISBN pdf : 978-2-35613-385-4
ISSN : 2741-1508
5 p.
Code CLIL : 4117
licence CC by SA

Comment citer

Berthault, Frédéric, Jacques, Philippe, “La pars rustiqua“, in : Berthault, Frédéric, dir., La villa romaine de Montcaret. Une villa et son environnement dans le sud-ouest de la Gaule, Pessac, Ausonius éditions, collection DAN@ 1, 2021, 75-79, [en ligne] https://una-editions.fr/la-pars-rustica [consulté le 1er février 2021].
doi.org/http://dx.doi.org/10.46608/dana1.9782356133847.5
Accès au livre La villa gallo-romaine de Montcaret (Dordogne). Une villa et son environnement dans le sud-ouest de la Gaule
Publié le 31/01/2021
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