L’école, a fortiori lorsqu’elle est publique, est porteuse d’idéologie prônant des valeurs incarnées dans des normes morales, juridiques ou sociales portées par un pays, une nation. Pour « le bien de tous », il est préférable que les conduites et les pratiques des acteurs de la communauté scolaire soient en conformité avec les normes éducatives. Mais celles-ci sont-elles vécues comme l’expression de contraintes ou de valeurs communes pour le bien-être individuel et collectif ? Comment s’articulent les interactions entre incitations et normes sociales ainsi que les obligations liées à des normes juridiques, pour le bien vivre-ensemble ?
À l’heure où nombre de pays accueillent au sein de leurs institutions scolaires des publics variés, on peut s’interroger sur la conformité de certaines singularités avec les normes majoritairement reconnues et appliquées dans les sociétés en question. Dans ce cadre, tout au long de cet ouvrage, seront présentés des travaux en lien avec le climat scolaire, le bien-être à l’école ou les discriminations de tout ordre, articulés à la question de la morale, de l’universalisme, de la religion ou de la laïcité. Dès lors, il s’agira de comprendre en quoi la prise en compte ou non de ces différences à travers leur reconnaissance, leur valorisation, leur rejet, leur stigmatisation ou leur pénalisation participe du bien/mal-être des acteurs scolaires et de l’efficience de leur parcours d’élèves ou de professionnels.
En cela, les travaux présentés dans cet ouvrage, conçus dans une logique d’approches plurielles, se veulent stimulant par la remise en cause des dogmes réducteurs. En effet, si la violence scolaire est souvent perçue d’abord comme une question de sécurité publique et d’éducation, elle est tout autant un problème de santé publique par ses conséquences aujourd’hui mieux connues avec pour dénominateur commun la question cruciale de la prévention et des « bonnes pratiques ».
Cette publication propose d’apporter des éléments de réponses à ces questionnements à travers la présentation d’une sélection d’articles issue des communications présentées dans le cadre du Groupe de travail (GT11 devenu CR40 en 2022) du XXIe Congrès international de l’Association Internationale des Sociologues de Langue Française (AISLF) qui s’est déroulé du 12 au 16 juillet 2021 à Tunis. Pour cela, les articles ont été répartis au sein des trois parties suivantes :
Politiques publiques et institutionnelles de la violence scolaire
Ce premier volet s’intéresse aux conflits de valeurs autour des enjeux du « vivre-ensemble », des espaces de vie à repenser, d’un climat scolaire à co-construire, à l’aune du domaine des politiques publiques et institutionnelles et des réponses qui peuvent être apportées pour ceux qui vivent l’école.
En s’intéressant aux spécificités du cas français, Yves Montoya expose, à travers l’analyse des plans ministériels successifs, le bilan de trente années de politiques publiques en matière de prévention et de traitement des violences scolaires. Sujet tabou parfois objet de déni, à ces différentes phases a succédé une mobilisation croissante des pouvoirs publics jusqu’à faire en sorte que la violence à l’école devienne une grande cause nationale par le thème du harcèlement. Il faut souligner ici – et c’est une originalité française – le poids des travaux de la communauté scientifique dans l’abord et le traitement de cette question. La logique d’intervention de l’État s’est organisée autour d’un certain nombre de dimensions et de paradigmes qui font l’objet d’une analyse et permet de dresser un bilan sur les nombreuses dimensions et les modèles sous-jacents que ce sujet interroge.
De son côté, Thibaut Hébert montre l’influence et l’importance de l’architecture et de l’aménagement des espaces scolaires pour lutter contre la violence à l’école et favoriser le bien-être des élèves. Une présentation initiale des spécificités spatiales des établissements scolaires dévoile que certains espaces sont propices à certaines violences et conduites à risque. À partir de ce constat, l’auteur explique comment une approche spatiale de la sécurité tente de s’imposer depuis une vingtaine d’années dans l’univers de l’école et finalement nous oriente vers la proposition de différents facteurs architecturaux d’influence du bien-être sur lesquels il recommande de s’appuyer afin de penser une « école du bien vivre ».
Enfin, Omar Zana conclut cette partie en examinant les effets de l’étiquetage produit par l’institution scolaire à l’égard des élèves perturbateurs sur le bien-être et l’apprentissage de collégiens et de lycéens. Pour cela, il montre entre autres, que des conduites imposées intra-muros telles que l’immobilité des corps peuvent engendrer des comportements déviants. Cet article met l’accent sur l’aspect déterminant de la mise en jeu corporelle et des émotions exprimées par les élèves au sein de l’école dans le processus d’apprentissage et le développement du bien-être. Or, l’école ne laisse que peu de place aux mouvements des corps, souvent perçus comme des signes de perturbations. Par un processus d’étiquetage, cette institution au travers des catégories symboliques inhérentes à son verdict, crée et amplifie parfois la déviance de ces jeunes.
La reconnaissance comme facteur de bien/mal-être chez les acteurs scolaires et universitaires
Cette partie traite de la question des discriminations et de la reconnaissance professionnelle, culturelle ou religieuse comme facteur agissant sur le bien/mal-être des élèves et des personnels en milieu scolaire et universitaire.
C’est à travers l’observation ethnographique de la pratique de jeux sportifs que Raffi Nakas analyse l’inclusion d’élèves présentant des troubles cognitifs. Alors qu’ils semblent plutôt intégrés au groupe dans les activités de coopération, ces élèves se voient discriminés et écartés dès lors que le jeu entre dans une phase d’opposition compétitive. Cette forme de violence exercée par les pairs et indirectement par l’institution qui ne la régule pas, engendre un mal-être générateur de violence, d’abandon et de rejet.
Au Mali, la profonde crise sociale qui touche le pays se décline en une crise scolaire qui frappe de plein fouet le secteur de l’université. Sambou Diaby examine les répercussions de ce contexte troublé sur les enseignants-chercheurs au prisme de leurs expériences quotidiennes. Dans un contexte conflictuel marqué par le manque de reconnaissance professionnel et scientifique, les enseignants-chercheurs subissent les conséquences d’un climat universitaire angoissant générateur de mal-être, exerçant souvent dans des conditions matérielles et un environnement inadaptés.
En France, l’étude menée par Jean-François Bruneaud et Rania Hanafi concernant des établissements scolaires privés musulmans montre que le « caractère propre », spécifique au secteur de l’enseignement privé en France, participe d’un bien-être des personnels de direction, de vie scolaire et d’enseignement. Tout en respectant scrupuleusement les programmes et l’organisation scolaire de l’Éducation nationale, l’absence des contraintes exigées en termes de laïcité et de neutralité au secteur public permet à chacune et à chacun de bénéficier d’un espace de liberté constitutif d’une sorte de bien-être sous la forme d’un « confort professionnel ».
Relations et interactions interpersonnelles : bien-être et socialisation
Les thématiques éducatives et de santé publique sont convoquées avec pour dénominateur commun la question cruciale de la prévention, des interventions concrètes in situ ainsi qu’une réflexion sur l’évolution des concepts autour du handicap.
À travers l’étude de conflits moteurs dans des séances d’éducation physique, Unai Sáez de Ocáriz, Pere Lavega-Burgués, Zhaïra Ben Chaâbane et Aaron Rillo-Albert montrent que la modification des conduites motrices conflictuelles entraîne simultanément la transformation des émotions, des décisions et des relations interpersonnelles en favorisant leur pacification. À la différence des jeux sportifs institutionnels, les jeux sportifs traditionnels présentent des structures interactives originales et diverses, où les joueurs peuvent changer de relations, établir des relations contradictoires ou paradoxales, et participer à des situations dans lesquelles, au final, aucun gagnant ou perdant n’est identifié. Ces types d’interactions motrices correspondent aux mêmes types d’interactions sociales. À des fins d’éducation au bien-être relationnel et à la coexistence, l’identification des conflits moteurs dans les différents types d’interactions motrices constitue l’objet principal de l’étude.
En s’intéressant aux interactions entre élèves et entre élèves et enseignants, Lucie Mougenot montre que l’institution scolaire tend à négliger sa mission socialisatrice auprès des élèves. Cette mission, différemment appréhendée et appliquée en fonction des disciplines et des enseignants, se retrouve souvent en position d’arrière-plan au bénéfice d’une priorité accordée à la transmission des savoirs disciplinaires. La socialisation, pourtant considérée comme un préalable à l’apprentissage semble avoir peu de lien avec l’enseignement de ces savoirs pas plus que les contraintes scolaires d’obéissance, de silence ou de classement ne favorisent la socialisation des élèves à un bien-être à l’école.
Dans la dernière contribution, Éric Dugas propose une réflexion sur les différents concepts qui se sont succédés pour caractériser le rapport entre les institutions et les personnes. Selon l’auteur, donnant forme au réel, les mots constituent ainsi de véritables guides symboliques à nos actions. En partant du contexte du handicap, ce travail des mots pose plus généralement la question de la participation des populations aux dispositifs (qu’ils soient éducatifs, politiques, sociaux, médicaux…) qui les concernent. Rappelant leur caractère indissociable, c’est finalement l’équilibre du volet structurel (l’environnement, l’écosystème dans lequel évolue les personnes) et du nécessaire développement des capacités des personnes qui se trouvent réinterrogés.