Le sud et l’ouest péninsulaire avant la période ibérique :
naissance d’une exception
En matière de métrologie pondérale, depuis la fin de l’âge du Bronze et jusqu’à la fin de l’âge du Fer, la péninsule Ibérique fait office d’exception, multipliant les expériences originales et les pratiques exceptionnelles. De manière implicite ou explicite, cet atypisme au sein de l’Europe occidentale est souvent mis en relation avec une intégration méditerranéenne forte, résultat de contacts commerciaux précoces avec les Phéniciens puis les Grecs, pour ne citer qu’eux. Il est question ici, dans un premier temps, d’exposer les données à disposition pour la période de l’âge du Bronze et du début de l’âge du Fer dont les résultats sont essentiellement le fruit des recherches de R. Vilaça sur le sujet1. Nous tenterons toutefois d’en proposer une nouvelle approche, en mettant à profit les outils d’analyse métrologique développés ici, plus intégrée dans une vision globale de la métrologie pondérale de la péninsule Ibérique. Nous ne traiterons dans ce chapitre que les instruments antérieurs à la période dite ibérique, autrement dit ceux datés avant le VIe s. a.C. Seuls des poids, sont à l’heure actuelle, connus pour cette période chronologique, aucun élément de balance (plateau ou fléau) n’ayant été identifié, et leur aire de répartition s’étend essentiellement dans le sud de la péninsule. Si les sites terrestres livrent un nombre relativement réduit d’instruments de pesée pour cette période, un cas particulier sera présenté. Il concerne l’épave phénicienne du Bajo de la Campana, qui a coulé au large de San Javier (Murcia) et qui, en dehors d’une riche cargaison, contenait plusieurs dizaines de poids de balance.
I. Présentation générale :
contextes, types, chronologie et répartition
Les sites de l’âge du Bronze final et du Premier âge du Fer, concentrés dans le quart sud-ouest de la péninsule Ibérique, livrent des données pour lesquelles notre capacité à dater est hétérogène, en raison de l’ancienneté des fouilles ou de la qualité des fossiles directeurs. Il est cependant possible d’accepter une chronologie prenant globalement place du XIe au IXe s. a.C. pour la plupart d’entre eux2.
1. Le Bronze final et le Fer ancien dans le sud de la péninsule Ibérique :
un contexte de nouveaux contacts
Durant une majeure partie de sa “protohistoire”, la péninsule Ibérique a entretenu un rapport particulier avec la Méditerranée. Sa position de confins occidental et de porte vers l’Atlantique ainsi que ses importantes richesses métallurgiques en ont fait, dès le Bronze final, un espace de contact et d’échange entre populations d’origines diverses. Alors que l’intégration de la façade occidentale péninsulaire est avant tout atlantique depuis le Bronze ancien3, les interactions avec l’Orient méditerranéen deviennent majeures au cours du Bronze final et en particulier avec les Phéniciens. Entre la fin du XVe et le XIIe s. a.C. (correspondant globalement aux phases Late Bronze Age IC-II de la chronologie du sud de l’Espagne4), il est probable que les connaissances des contours de la Méditerranée soient maîtrisées par les Mycéniens, dont la civilisation connaît alors son apogée5. Bien que les traces de contacts directs avec la Méditerranée soient rares, ils semblent toutefois exister, comme le suggère les fragments de céramiques mycénienne à Llanete de los Moros (Montoro, Córdoba) datés de la phase Late Helladic IIIA1 (v. 1390-1360 a.C.) et certaines céramiques de stockage faites au tour6. L’effondrement du système politico-socio-économique mycénien en place, aux alentours de 1200 a.C., suivi rapidement par la destruction d’Ougarit suite aux raids des peuples de la mer7, a provoqué une situation de relative indépendance des populations de l’actuelle côte syro-palestienne et du Liban. Celles-ci, que les historiens et archéologues rassemblent sous le nom de Phéniciens, semblent avoir profité de la situation pour se réapproprier le monopole des routes commerciales de la Méditerranée. Durant la période d’instabilité qui a suivi la fin du XIIIe s. a.C., les Phéniciens ont étendu leurs réseaux maritimes vers l’ouest le long de deux routes principales. La cité de Sidon a, semble-t-il, concentré ses intérêts commerciaux en Syrie, en Anatolie et dans le Bassin égéen alors que la cité de Tyr s’est orientée vers l’Atlantique8 (fig. 3-1). Il faut toutefois noter que les cités-états phéniciennes ne sont presque pas mentionnées par les textes égyptiens et mésopotamiens durant les XIIe et XIe s. a.C. mis à part Byblos pour laquelle nous savons qu’elle échange avec la région du Delta du Nil et occupe une position vassale du roi assyrien Tiglath-Pileser I (1114-1076 a.C.) à qui elle reverse un tribut9.
Traditionnellement, l’expansion des Phéniciens vers l’ouest est datée du XIIe s. a.C. Les deux premières colonies, Cadiz/Gadir et Lixus, seraient respectivement fondées en 1104 et 1100 a.C. Il s’agit toutefois de constructions érudites hellénistiques et romaines. Durant un premier temps, il semble que les Phéniciens et les populations locales de la péninsule Ibérique soient entrés en contact et aient échangé sans que les premiers n’installent d’établissements pérennes sur place10. Cette première phase de contact, traditionnellement appelée la “pré-colonisation” en péninsule Ibérique, pose des problèmes de caractérisation chronologique mais démarre très probablement dès la seconde moitié du Xe s. a.C.11 bien que certains auteurs font remonter aux premiers contacts avec les populations de Méditerranée centrale dans le courant du XIVe s. a.C.12. Plutôt que les Phéniciens, il semble que les protagonistes des premiers échanges entre la Méditerranée orientale et la péninsule Ibérique, entre le début du XIIe et la fin du Xe s. a.C. soient essentiellement les Chypriotes13.
Les travaux des dernières années permettent d’estimer sur la base de la typo-chronologie céramique que la majorité des premières fondations permanentes phéniciennes voit le jour en Méditerranée occidentale vers le milieu du VIIIe s. a.C.14. Ces datations correspondraient, au Proche-Orient, à la fin de la période de “tranquillité” qui a suivi le XIIIe s. a.C. Tiglat-Pileser III (745-727 a.C.), qui règne alors sur le royaume assyrien, se lance dans de nombreuses conquêtes, notamment des régions de la côte syro-palestinienne dont il soumet la plupart, offrant ainsi le cadre du futur empire assyrien15. Toutefois, les datations radiocarbones tendent à vieillir la borne chronologique inférieure suggérée par l’analyse du matériel céramique et à remettre en cause cette interprétation16. Ainsi sur le site de Huelva en Andalousie, l’analyse de trois os d’ovidés livre une datation de 2755 +/- 15 BP calibrée à 930-830 BC avec une probabilité de 94 %17. Le débat complexe sur les datations des premiers établissements phéniciens dans le sud de la péninsule Ibérique a été résumé par Pierre Rouillard qui expose les répercussions possibles des résultats de ces chronologies18. Les datations précoces fournies par les niveaux les plus anciens de Huelva sont probablement significatives d’une phase de tentatives de contacts et d’installations le long des côtes de la péninsule Ibérique19 entre la fin du Xe et la deuxième moitié du IXe s. a.C. Ce n’est probablement que postérieurement, à partir du VIIIe s. a.C., que ces installations phéniciennes deviennent réellement habituelles sur les côtes de la péninsule Ibérique.
Ces premiers comptoirs phéniciens sont installés dans les actuelles provinces de Cadiz, Málaga, Granada et Almería. Il semblerait que, de là, les navigateurs phéniciens développent au cours des VIIIe-VIIe s. a.C. un réseau vers d’autres régions de la péninsule Ibérique (les côtes portugaises et la région d’Alicante), le nord du continent africain (Maroc atlantique et Algérie) mais aussi dans plusieurs groupes d’îles comme les Baléares et Ibiza20.
Il est traditionnellement admis que l’une des raisons principales – si ce n’est la raison – qui motive ces déplacements d’est en ouest est la richesse de la péninsule Ibérique en métaux et notamment en argent et étain21. L’affluence d’argent au Proche-Orient qui résulterait de la première phase d’échange serait, selon certains auteurs, le vecteur d’une émulation qui favoriserait le lancement d’entreprises navales plus systématiques et l’expansion phénicienne22. Ces expéditions, dès les premiers moments, ne sont probablement pas l’œuvre de tentatives aveugles, et nous pouvons estimer que les richesses en métaux des confins occidentaux de la Méditerranée devaient être connues depuis les premiers contacts entretenus entre les populations péninsulaires et celles des abords de la mer Égée. Les quelques épaves phéniciennes que nous connaissons le long des côtes espagnoles montrent toutefois que le commerce qui prend ainsi place ne se limitent pas aux métaux précieux. L’épave de la Playa de la Isla (Mazarrón, Murcia), datée du VIIe s. a.C., a livré une cargaison contenant essentiellement du matériel céramique typique de la Méditerranée occidentale (amphores de type R1, bols tripodes) et centrale et peu de céramique indigène, ainsi que de nombreux lingots de plombs. Il en va de même pour l’épave du Bajo de la Campana (San Javier, Murcia), datée de la fin du VIIe – début du VIe s. a.C. dont la cargaison se compose également de défenses d’éléphants et de lingots d’étain23. Dans aucune des épaves, l’argent ne semble présent. En revanche, les lingots de plomb sont vraisemblablement obtenus par coupellation de galène argentifère, une opération consistant généralement à extraire l’argent contenu dans la galène, composée, quant à elle, de sulfure de plomb. Les découvertes faites dans les épaves phéniciennes tendent à suggérer que le sous-produit de l’opération (le plomb) est également exporté24.
Dans la littérature scientifique, la raison du développement d’une pratique pondérale en péninsule Ibérique est le plus souvent attribuée aux contacts diachroniques des populations locales avec des marchands de Méditerranée orientale et centrale maîtrisant l’application de ces concepts à un cadre commercial plusieurs siècles plus tôt. Nous allons ici essayer de caractériser les instruments de pesée identifiés dans le répertoire archéologique et tenter de dégager les tendances des pratiques pondérales qui peuvent y être associées, et ce qu’elles peuvent nous apprendre sur l’articulation entre pesée, échanges et contacts entre groupes de populations locales et exogènes.
2. Morpho-typologies des premiers poids de balance
en péninsule Ibérique
L’une des principales caractéristiques des poids de balances péninsulaires de l’âge du Bronze et du Premier âge du Fer est l’aspect à la fois très hétérogène et original des formes utilisées (pl. 10-1 à 10-3). Les 94 poids de balance identifiés pour cette période se répartissent en de nombreuses variantes des types sphériques, cylindroïdes et quadrangulaires (fig. 3-2). Selon des critères en partie similaires, Raquel Vilaça avait isolé 10 types majeurs dans ce même corpus25. Malgré cette diversité, le type des cylindroïdes est clairement le mieux représentée avec 56 poids de balance et, au sein de celui-ci, la variante la plus visible est celle des bitronconiques avec 34 exemplaires, autrement dit plus du tiers de la série. Les autres variantes identifiées sont les cylindriques et les coniques. Nous trouvons également 21 poids cubiques ou pyramidaux. À cela nous pouvons rajouter quelques poids répondant à d’autres types : les sphériques (avec des variantes subsphériques dont certaines pourvues de deux excroissances en “oreilles de chat”) et deux octaèdres.
Cela a été largement abordé dans la partie dédiée à l’état de l’art, la recherche péninsulaire de ces dernières années a accordé une place importante, pour ne pas dire omnipotente, aux lectures diffusionnistes de l’âge du Bronze final et de l’âge du Fer. L’approche de la métrologie en a largement subi les frais. La période de la fin du Bronze final et du début de l’âge du Fer est probablement la plus importante à cerner pour tenter d’interpréter les processus d’apparition (dans le contexte archéologique) de la pratique pondérale.
Si cette période correspond à celle des premiers contacts avec les marchands phéniciens, force est de constater que peu de poids de balance du corpus montrent réellement des parallèles morphologiques connus en Méditerranée orientale. Seuls les parallélépipèdes et les pyramides tronquées peuvent être rapprochés de formes connues sur des sites phéniciens, notamment dans la région de Tyr pour le VIIIe s. a.C.26 (fig. 3-3). Les types de poids de balance utilisés aux XIe-IXe s. a.C. ne sont cependant pas les mieux connus. On remarque toutefois que dans le catalogue dressé par les Elayi, qui bien qu’incomplet reste significatif, on ne trouve que deux poids de balance de forme vaguement cylindroïde27 (fig. 3-3). Il est possible d’identifier 19 poids parallélépipédiques et deux autres tronco-pyramidaux provenant des sites de Cerro del Villar (Guadalhorce, Málaga), El Laderón (Doña Mencía, Córdoba), El Cerro Salomón (Riotinto, Huelva), le casco antiguo de Huelva (Huelva), La Fonteta (Guardamar del Segura, Alacant), los Concejiles (Lobón, Badajoz) et Quinta do Almaraz (Cacilhas, Almada, Península de Setúbal). Il est particulièrement intéressant de noter que sur ces sept sites, seuls El Laderón, El Cerro Salomón et Los Concejiles ne sont pas interprétés comme des colonies phéniciennes (fig. 3-4). De plus, ce dernier n’a pas fait l’objet de fouilles et n’est connu que par des prospections28. El Laderón, quant à lui, livre de nombreuses productions phéniciennes29 alors que El Cerro Salomón est un site particulier en grande partie dédié à l’exploitation des mines du Riotinto30. Nous pouvons ajouter que, dans ces deux derniers, les poids parallélépipédiques ou pyramidaux sont associés à des poids de forme cylindroïde. Ainsi, on observe une concentration nette des poids de morphologie potentiellement phénicienne dans des sites à l’influence phénicienne forte alors que d’autres formes sont vraisemblablement préférées dans les sites autochtones. Le reste de la série est composé par des catégories plus atypiques pour la période. Il y a relativement peu d’exemples de poids parfaitement sphériques (5 poids) ou ovoïdes (4 poids), cependant, il s’agit de formes assez simples et communes sur lesquelles il est difficile d’appuyer une approche comparative (pl. 10). On en identifie toutefois 9, répartis sur six sites différents, ce qui ne peut clairement pas être le résultat du simple hasard. Les deux poids subsphériques “à oreilles de chat” découverts au Castro de Pragança (Cadaval, Oeste, Portugal) n’ont quant à eux aucun comparatif connu. Le même constat peut être fait pour les deux octaèdres trouvés à Monte do Trigo (Idanha-a-Nova, Beira Interior Sul, Portugal) et Baleizão (Beja, Baixo Alentejo, Portugal).
Qu’en est-il alors du type des cylindroïdes qui, rappelons-le, est le mieux représentée ? Celui-ci correspond à plus de la moitié des exemplaires et, en son sein, ce sont les poids bitronconiques qui sont largement majoritaires. La variante des poids bitronconiques avec une arrête marquée est clairement le plus visible (fig. 3-5), douze individus présentent cette morphologie, soit presque un quart de la série envisagée ici. À l’exception des poids Bal-A (Baleizão), MTrig-A (Monte do Trigo) et SGB-A (Senhora da Guia de Baiões, Sao Pedro do Sul, Dão-Lafões, Portugal), tous les poids appartenant à cette variante proviennent du site de Castro de Pragança. Certains poids bitronconiques se distinguent par une arrête périmétrique moins marquée voire clairement arrondie. Ils sont assez homogènement représentés sur les sites de Cabezo de Araya (Arroyo de la Luz, Cáceres, Espagne), Castro de Pragança, Penha Verde (Sintra, grande Lisboa, Portugal), Baleizão, Castro da Ota (Alenquer, Oeste, Portugal), Los Concejiles, Monte do Trigo et Moreirinha (Idanha-a-Nova, Beira Interior Sul, Portugal).
Huit de ces poids cylindroïdes (dont 6 bitronconiques) présentent une perforation centrale, un premier à Cabezo de Araya, trois au Cerro Salomón, un à Quinta do Almaraz et trois à Baleizão. Cette caractéristique a été interprétée pour les périodes postérieures comme un dispositif de rangement (voir le chapitre “La péninsule Ibérique : un territoire à part ?”, p. 39). Dans le contexte chrono-géographique qui nous intéresse ici, une telle hypothèse est peu probable en raison de l’association systématique de poids perforés et de poids non perforés. Nous nous interrogerons plus loin sur les possibles raisons du développement de cet attribut qui semble devenir prépondérant au début de la période ibérique.
Une dernière variante des poids bitronconiques est représentée par l’unique poids Conc-B. Il présente des une arrête périmétrique marquée mais également une perforation centrale. Celle-ci présente un creusement en paliers qui rappelle les quelques poids à perforation en forme de sablier identifiés au nord des Pyrénées et en Suisse.
Parmi les autres variantes des cylindroïdes, nous trouvons également des poids discoïdaux, cylindriques et coniques répartis de manière hétérogène sur les sites de Penha Verde, la Fonteta, Huelva-casco antiguo, Abrigo Grande das Bocas (Rio Maior, Lezíria do Tejo), Baleizão, Castro dos Ratinhos, El Cerro Salomón, Castro de Pragança, El Cerro Salomón, Quinta do Almaraz et Ría de Huelva. Le site de la Fonteta a, en revanche, livré la totalité des poids plano-convexes, au nombre de 10. N’ayant pas eu la possibilité d’observer directement ces pièces et en l’absence de comparaison, nous nous contentons de noter cette particularité.
En raison de leur hétérogénéité morphologique, il est difficile de discuter plus en détail les variantes de poids de balance de l’âge du Bronze et du Premier âge du Fer. Cependant, on remarque une forte prédominance pour les formes cylindroïdes, perforées ou non, dans le sud-ouest de la péninsule Ibérique. Au XIe s. a.C. comme antérieurement, ces formes sont rares et toujours très minoritaires dans les corpus de poids de balance de Méditerranée ou d’Europe et aucun exemplaire ne présente de correspondance directe avec ce qui s’observe en péninsule Ibérique. Si en termes de chronologie et de distribution spatiale, comme nous le verrons ci-après, il semble y avoir une corrélation entre l’identification des premiers poids de balance en alliage cuivreux au sud du Portugal et de l’Espagne, et l’arrivée des premiers marchands phéniciens, aucun autre argument ne vient étayer l’hypothèse d’une copie ou d’une adaptation morphologique des instruments de pesée.
3. Distribution des poids de balance
dans le temps et l’espace
Répartition géographique
Géographiquement, le phénomène de la pratique pondérale concerne essentiellement le quart sud-ouest de la péninsule Ibérique à l’âge du Bronze, avant une extension autour des VIIIe-VIIe s. a.C. vers l’est, le long du littoral avec les colonies phéniciennes de Cerro del Villar et La Fonteta (fig. 3-4). En dehors des colonies, seul le dépôt de Ría de Huelva et le site de Penha Verde sont clairement situés sur les littoraux. On note toutefois une concentration importante de sites autour de l’embouchure et le long du Tajo et de ses affluents : Penha Verde, Quinta do Almaraz, Castro da Ota, Castro de Pragança, Abrigo Grande das Bocas, Monte do Trigo, Moreirinha et Cabezo de Araya) et aux alentours du Guadiana (Huelva, Castro da Cola, Baleizão, Castro dos Ratinhos, Cerro Salomón et Los Concejiles). Senhora da Guia de Baiões et Canedotes, quant à eux, se trouvent à une trentaine de kilomètres au sud du fleuve Duero. On peut toutefois se demander si cette concentration est réellement effective ou plutôt le résultat des travaux pionniers de Raquel Vilaça dans la région.
Le nombre de poids de balance par site (fig. 3-6) ne permet pas de tirer beaucoup plus de conclusions de l’analyse spatiale. On observe toutefois le rôle primordial de l’embouchure du Tajo où se situe la concentration d’instruments la plus importante constituée par les découvertes des sites de Penha Verde, Castro da Ota et Castro de Pragança. Cependant, ce dernier site, par l’absence de chronologie claire peut facilement biaiser la donnée, d’autant plus qu’il livre le deuxième plus important ensemble de poids pour la fenêtre chronologique observée ici (16 poids de balance). Le site de la Fonteta, avec 24 des 87 poids de balance de la période, est difficilement comparable à ce qui se passe dans le reste de la péninsule.
Malgré la pauvreté de l’analyse de répartition, il est toutefois possible de faire quelques remarques générales sur la série des poids de balance trouvés en Espagne et au Portugal pour l’âge du Bronze et le Premier âge du Fer. Tout d’abord, 94 instruments de pesée sont identifiés sur un territoire étendu (plus de 130 000 km2), ce qui fait du poids de balance un artefact rare, d’autant plus si l’on considère l’amplitude chronologique possible. Cet aspect est corrélé par un nombre de poids par site très réduit : en moyenne, environ 4,1 poids par site.
D’un point de vue topographique, il est possible de distinguer d’une part des sites interprétés comme indigènes, implantés préférentiellement dans les terres, à proximité des embouchures et des fleuves Tajo et Guadiana, et dans une moindre mesure, du Duero. D’autre part, les sites interprétés comme des établissements phéniciens ou à forte influence phénicienne (Huelva, Quinta do Almaraz, El Cerro del Villar et La Fonteta) sont, sans surprise, implantés le long du littoral méridional de la péninsule.
Distribution chronologique
Les instruments de pesée que nous abordons ici montrent une datation générale couvrant une partie du Bronze final et le Fer ancien. Les exemplaires les plus anciens présentent une chronologie aux alentours des XIe-IXe s. a.C.31, cependant l’ancienneté de certaines fouilles et la difficulté à dater certains contextes sur la base du mobilier archéologique rend complexe toute tentative de datation plus fine. Nous avons abordé plus haut les difficultés qui ont trait à la chronologie du Bronze final dans le sud de la péninsule Ibérique et les enjeux qu’elle soulève quant au développement des contacts avec les populations marchandes de Méditerranée orientale. Nous essaierons toutefois ici de présenter la répartition chronologique des 23 sites ayant livré des instruments de pesée et l’évolution de ces derniers dans le temps.
Le graphique des amplitudes chronologiques, que ce soit des sites eux-mêmes (fig. 3-7), ou des formes de poids de balance (fig. 3-8), montre bien à quel point il est difficile de construire une interprétation fondée sur les datations, comme l’avait déjà démontré R. Vilaça32. À partir de là, il est toutefois possible de faire quelques remarques sur les cas de figure possibles ou non. La principale d’entre elles concerne les types et variantes de poids utilisés.
Nous pouvons tout d’abord remarquer que deux grandes périodes semblent se dégager : l’une antérieure et l’autre postérieure à environ 800 a.C. (fig. 3-7 et 8). Malgré les problèmes inhérents aux datations des contextes, il apparaît assez clairement que les poids de balance de la première phase correspondent essentiellement à des sites dont l’origine semble autochtone. Le site d’habitat de Huelva (HueA) représente la seule exception. Il a livré les vestiges les plus anciens de ce qui pourrait correspondre à une occupation phénicienne en péninsule Ibérique, les quatre poids que nous y connaissons ont été découverts dans le secteur de la Plaza de las Monjas, et peuvent être datés entre la fin du XIe-début du VIIIe s. a.C. Le contexte le plus ancien livrant des poids de balance est celui où ont été trouvé les trois poids de balance du site de hauteur fortifié de Monte do Trigo (Idanha-a-Nova, Beira Interior Sul, Portugal). Les poids cylindroïdes en alliage cuivreux ont été trouvés regroupés dans un niveau correspondant vraisemblablement à un dépôt préalable ou contemporain à la construction de la muraille (associé à du matériel céramique et métallique). Sept données 14C ont été obtenues à partir des charbons contenus dans les couches stratigraphiques. Les datations calibrées obtenues avec un intervalle de confiance de 2 sigma sont : 1419-1057 cal BC, 1387-1056 cal BC, 1368-1022 cal BC, 1368-1022 cal BC, 1262-997 cal BC, 1211-925 cal BC et 1193-937 cal BC33. Il apparaît donc clairement que des poids de balance sont utilisés en contexte indigène antérieurement à l’enregistrement dans le répertoire archéologique des indices les plus anciens d’installations phéniciennes dans le sud de la péninsule Ibérique. De plus, la tendance qui se dessine est celle de l’utilisation, dans une première phase, de poids de balance en alliage cuivreux dans des sites occupés par des populations locales. Ils prennent alors la forme de poids en alliage cuivreux bitronconiques, discoïdes, sub-sphériques et octaédrique. La seule exception est le poids cubique Conc-A, trouvé en prospection à Los Concejiles et non daté. À partir du début du IXe s., de nouveaux types et variantes apparaissent, en particulier des formes polyédriques, essentiellement cubiques ou pyramidales, ainsi que des plano-convexes, identifiés dans leur quasi-totalité sur des sites interprétés comme phéniciens.
Plusieurs remarques d’ordre général peuvent être faites des distributions chronologiques des sites et des poids. Tout d’abord, on observe que l’éclectisme de poids de balance existe sans aucun doute dès les premières manifestations identifiées de la pratique, dont les différentes caractéristiques morphologiques ont été exposées plus haut. Leur variété est indiscutable et on peut s’interroger sur leurs influences.
Si l’on estime que ces poids de balance sont tous plus ou moins utilisés de manière contemporaine dans la première phase identifiée (soit du XIe au IXe s. a.C.), il semble alors qu’au moment de leur premier développement, le concept de poids de balance n’est pas attaché à une forme précise en péninsule Ibérique. Mais le même constat peut être fait en admettant des chronologies différentes pour tous les sites. En effet, les sites potentiellement datables du début du Bronze final présentent tous plusieurs formes de poids de balance : un octaèdre et des bitronconiques pour Monte do Trigo, des discoïdaux et des bitronconiques pour Penha Verde, des coniques, des sphériques simples et à excroissances, et des bitronconiques pour Castro de Pragança. Les découvertes isolées de Santa Luzia et Moreirihna, respectivement un sphérique et un bitronconique, permettent de faire la même observation (fig. 3-8).
Il n’est par conséquent pas possible d’aller très loin dans les interprétations d’ordre chronologique. Mais il apparaît clairement que nous ne pouvons pas admettre un quelconque lien entre les premières manifestations de la pratique pondérale et une forme particulière de poids de balance. En revanche, les cylindroïdes apparaissent comme le socle majeur de fabrication de ces instruments et sont identifiables dans presque tous les sites étudiés, la seule exception étant la découverte isolée de Santa Luzia.
On observe également que les sites qui livrent des instruments de pesée sont fortement connectés par voie fluviale à l’Océan Atlantique dans un premier temps et à des colonies phéniciennes, donc au monde méditerranéen dans un deuxième temps. Il est cependant difficile de relier cela à la seule pratique pondérale, la logique d’implantation des sites, la topographie même de la région ouvrant particulièrement l’intérieur des terres à l’océan par deux grands fleuves d’orientation est-ouest. On remarque notamment que, bien qu’une pratique pondérale existe dans les colonies phéniciennes de Cerro del Villar et La Fonteta dès la fin du VIIIe s. a.C., aucun autre instrument de pesée n’est identifié dans le sud-est de la péninsule durant cette période.
4. Contextes de découvertes
Les poids de balance découverts en péninsule Ibérique qui sont datés du Bronze final ou du Premier âge du Fer nous viennent de plusieurs contextes différents que nous allons tenter de classer. C’est principalement la distinction entre des établissements ayant été interprétés comme d’origine et/ou de population phénicienne et des habitats autochtones qui nous intéressera ici en raison de l’adéquation qu’il existe entre ces interprétations et les formes d’instruments de pesée retrouvées.
Les sites autochtones
Il paraît peu utile de détailler ici tous les sites autochtones ayant fourni des poids de balance et nous nous livrerons plutôt à une présentation de leurs caractéristiques générales. La majorité des découvertes sont faites dans des sites d’habitat groupés et fortifiés (Abrigo grande das Bocas, Canedotes, Castro da Cola, Castro da Ota, Castro de Pragança, Cerro Salómon, Los Concejiles, Monte do Trigo, Moreirinha, Penha Verde, Santa Luzia et Senhora da Guia do Baiões) alors que les autres instruments sont retrouvés dans des dépôts métalliques non funéraires (Baleizão, Cabezo de Araya et Ría de Huelva).
Nous savons relativement peu de choses sur la plupart des contextes de découverte en habitat. Ces derniers sont pour la plupart des castros, autrement dit des habitats de hauteur fortifiés typiques du Bronze final dans l’ouest péninsulaire. Il faut noter le cas du Cerro Salomón de Riotinto pour lequel les poids Rio-A et B ont été trouvés dans la habitación 1, interprétée comme un espace de production. La structure en question est quadrangulaire, possède des murs en pierre sèche et un sol pavé en ardoise avec un probable foyer, et a livré, entre autres, plusieurs fragments de plomb fondu, un morceau de galène et de nombreuses scories34. La structure ayant livré les poids du site d’habitat du Monte do Trigo (Idanha-a-Nova, Beira Interior Sul, Portugal), quant à elle, a été interprétée comme un dépôt. Les trois poids ont été trouvés dans le même carré de fouille (B8 02), inclus dans la ligne de la muraille et qui livre une grande quantité de matériel et de charbons. Les fouilleurs l’interprètent comme un dépôt en lien avec la construction de la muraille et qui aurait impliqué une manipulation par le feu35.
Le dépôt de la Ría de Huelva (Huelva, Espagne) est immergé dans l’Odiel, dans l’estuaire de Huelva. Bien qu’aucune structure ne soit mise au jour, le mobilier a été découvert par dragage en même temps que des éléments en bois dans un niveau stratigraphique encadré par deux couches stériles en matériel anthropique. Le dépôt est datable entre le milieu du XIe et le milieu du Xe s. a.C. Les six dates 14C obtenues en analysant les restes de bois présents dans les hampes des lances donnent un résultat de 2816 +/- 29 BP, calibré à 1004-926 BC avec un intervalle de confiance de 1 σ et 1049-901 BC à 2 σ36. Il est composé de plus de 400 éléments de mobilier métallique dont une majorité d’armes (épées, pointes et talons de lance, pointes de flèche, casques) ainsi qu’une grande quantité d’éléments liés à l’habillement (fibules, boutons, agrafes de ceinture)37. Au sein de cet ensemble, nous trouvons des éléments renvoyant aux horizons atlantiques (épées à lame en langue de carpe et fibules de codo du type de Huelva) alors que d’autres artefacts ont une origine méditerranéenne comme une fibule sicilienne de type Cassibile ou encore une pièce en fer38. Le dépôt est vraisemblablement légèrement antérieur aux niveaux les plus anciens de l’habitat de Huelva et atteste de contacts déjà existants avec la Méditerranée centrale. L’abondance de matériel laisse penser que le dépôt a pu être constitué sur le temps long. Il est cependant impossible de déterminer le rôle et la place de l’unique poids de balance retrouvé au sein de cet ensemble (RHue-A de forme biconique).
Sur le site de hauteur fortifié du Cabezo de Araya (Arroyo de la Luz, Cáceres, Espagne) ont été déposés dans une fissure granitique un nombre important d’artefacts métalliques, essentiellement des éléments d’habillement ou de parure (pendentif, éléments de ceinture, boutons, anneaux) et de l’armement (pointes et talons de lance, fragment d’épée, pointes de flèche)39. La composition du dépôt n’est pas sans rappeler celle de la Ría de Huelva et la datation de l’ensemble, sur la base du matériel, est probablement similaire (XIe-Xe s. a.C.).
Le dépôt de Baleizão (Beja, Baixo Alentejo, Portugal) se distingue en revanche des autres par l’association d’éléments en alliage cuivreux et en or, réunis à l’intérieur d’une céramique. On y compte, en plus des sept poids de balance (5 bitronconiques, 1 discoïde et 1 octaèdre), un torque, un bracelet, un lingot, trois haches dont la masse est possiblement standardisée, un disque, un morceau de fibule, une tige de filigrane, dix anneaux et quatre petites lames. Ainsi on ne retrouve pas la vocation guerrière du mobilier des deux dépôts précédents40. Le mobilier qui compose le dépôt est daté des Xe-IXe s. a.C.41.
Les contextes de découverte “autochtones” ne permettent pas de pousser très loin la réflexion sur la place des instruments de pesée dans la société. On remarque cependant dans les dépôts l’association des poids de balance avec du mobilier prestigieux : armement et parure (notamment en or) ainsi qu’avec une possible attestation de haches métalliques à masse calibrée (203,31 g, 266,14 g et 633,41 g42) et de matière première (lingot d’or de Baleizão) ainsi que des objets d’importation ou d’inspiration de la Méditerranée orientale.
Les poids de balance apparaissent donc comme des artefacts suffisamment importants et prestigieux pour faire l’objet de dépôts dont le caractère est au moins pour partie rituel. Ils ne doivent donc pas être considérés comme de simples outils du quotidien dépourvus de charge symbolique. On remarque que les deux seuls poids de balance octaédriques (Bal-F et MTrig-C) sont trouvés dans ces contextes particuliers : les dépôts de Baleizão et Monte do Trigo. Il est possible que leur forme fasse directement référence à une fonction ou une valeur spécifique.
Les établissements phéniciens
Par leurs modalités d’installation (implantation sur la côte, généralement à l’embouchure d’un fleuve), leurs composantes architecturales (architecture de pierre et de terre, structures quadrangulaires) et le mobilier qui y a été mis au jour (céramiques de transport et usuelle de typologie phénicienne), quatre sites datés du Bronze final et du Premier âge du Fer et livrant des poids de balance ont pu être interprétés comme des établissements phéniciens. Par ce terme, nous désignons des sites mis en place et développés par des Phéniciens, indépendamment du fait que des populations indigènes y aient séjourné voire vécu. Une telle définition est évidemment problématique car il est difficile d’attribuer une origine culturelle claire à certaines catégories de mobilier dans de tels contextes.
Le plus ancien contexte de découverte de poids de balance sur un établissement phénicien est celui du site de l’actuel centre historique de Huelva (HueA). L’environnement archéologique de Huelva est particulièrement riche et montre une occupation depuis au moins la deuxième moitié du XIe s. a.C. avec notamment le dépôt en milieux aqueux de la Ría de Huelva (RHue ; v. 1050-950 a.C.)43 ou encore la fouille du site de La Orden-Seminario, au nord de l’établissement portuaire de Huelva, daté de la fin du IIe millénaire a.C.44. Le caractère urbain des fouilles et des découvertes à Huelva – le centre historique actuel se superposant à l’habitat protohistorique – rend la vision d’ensemble du site difficile. Il semble toutefois possible d’admettre une occupation “pré-phénicienne”, probablement caractérisée par des maisons en matières périssables de forme circulaire, sur laquelle vient s’implanter l’établissement phénicien à proprement parler, marqué par des constructions en pierres et en adobes ou pisé45. Les poids de Huelva ont été découverts lors des fouilles de La Plaza de las Monjas à la fin des années 1990 et peuvent donc être datés entre la fin du Xe et le début du VIIIe s. a.C., bien que nous ne possédions malheureusement pas d’informations précises sur le contexte. En effet, aucun élément d’architecture n’est clairement identifié, mais les fouilles de La Plaza de las Monjas ont mis au jour de nombreux vestiges liés au travail métallurgique (alliage cuivreux, argent et fer) : les restes de parois de fours, des tuyères en céramique, des creusets, des fragments de minerais (galène et sulfure de cuivre), des scories, des demi-produits de fer, de plomb et d’étain et des moules pour la fabrication de barrettes ou de poinçons46.
Le site de Quinta do Almaraz semble accueillir une présence phénicienne dès la seconde moitié du IXe s. a.C. mais l’habitat phénicien à proprement parler a une durée de vie courte, datée du VIIe s. a.C. Une occupation ponctuelle semble ensuite perdurer jusqu’au Ve ou IVe s. a.C. Les autres poids de balance découverts sur le site proviennent vraisemblablement des niveaux de l’habitat phénicien47.
L’établissement phénicien de la Fonteta est implanté au VIIIe s. a.C. et s’organise autour de trois centres : une grande agglomération portuaire (qui correspond au site de La Fonteta), un sanctuaire et une fortification qui intègre l’un des ports. Le site combine deux composantes en agissant à la fois comme plaque tournante commerciale et comme zone de production agricole. L’architecture montre l’utilisation de techniques phéniciennes comme l’élévation de bâtiments rectangulaires complexes en pisé avec des sols chaulés ou peints mais également ce que les fouilleurs interprètent comme les expérimentations issues du métissage de savoir-faire entre les populations phéniciennes et autochtones. Cet élément est particulièrement intéressant et peut être potentiellement mis en relation avec le nombre élevé de poids de balance retrouvés ainsi que la variété de formes caractérisée par une utilisation concomitante de poids parallélépipédiques et cylindroïdes, en plomb et en alliage cuivreux. Les poids de balance sont essentiellement trouvés dans des niveaux datés entre le milieu du VIIIe et le dernier tiers du VIIe s. a.C. bien que le site semble occupé jusqu’à la fin du VIe48.
Pour terminer, le site d’El Cerro del Villar est occupé dès la fin du VIIIe s. et présente une forte orientation vers la production de conteneurs commerciaux céramiques ainsi que pour la pêche et la production agricole. Pour une raison mal déterminée, l’établissement est abandonné à la fin du VIIe s. alors que son activité bat son plein49. Les poids de balance du site sont datés de la fin du VIIIe pour l’un et de la fin du VIIIe début du VIIe pour les deux autres. Ils ont tous été retrouvés dans des contextes domestiques, plus précisément de grandes demeures aristocratiques dont des dépendances servaient vraisemblablement au commerce et aux activités métallurgiques50.
De manière générale, nous pouvons voir que l’apparition de poids de balance dans les établissements phéniciens arrive relativement tard, dans la seconde moitié du VIIIe s. a.C. Ces derniers sont légers et peu nombreux et les contextes du Cerro del Villar nous indiquent qu’ils ne sont pas réservés à un usage uniquement commercial. Dans ce dernier cas, même si des activités de production et probablement de vente existent, celles-ci ont lieu dans un établissement que les fouilleurs interprètent comme une résidence domestique privilégiée51. Contrairement à une idée largement admise, on constate ainsi que l’activité de pesée n’apparaît pas dans un contexte d’échange commercial de grande ampleur.
5. Chaîne opératoire : diffusion ou tradition ?
En dehors des aspects purement typologiques, la chaîne opératoire de production des poids de balance de l’âge du Bronze et du début de l’âge du Fer découverts en péninsule Ibérique peut nous en apprendre plus sur les processus afférents à leur apparition et leur développement. Il faut cependant rappeler qu’aucun de ces artefacts n’a fait l’objet d’une étude directe de notre part. La majorité de nos interprétations reposeront donc sur les données rassemblées par Raquel Vilaça dans ses différents travaux52.
Le matériau de fabrication
La matière première choisie pour la confection d’un poids de balance, comme nous l’avons vu plus haut, conditionne grandement le rapport entre la chaîne opératoire de fabrication et la précision métrologique qui peut être attendue. Dans le cas de la péninsule Ibérique, il semblerait que le métal ait été préféré à tout autre matériau pour l’intégralité de la série datée du Bronze final. Nous ne pouvons toutefois pas écarter l’hypothèse qu’un certain nombre de poids de balance aient été fabriqués à partir d’autres matériaux, notamment la roche, et que ce soit avant tout une difficulté à identifier de tels objets qui nous amène à ce constat. Le cas du site de Malvieu (Saint-Pons-de-Thomières, Hérault) a bien montré la morphologie discrète que peuvent revêtir ces artefacts.
Si tous les poids métalliques n’ont pas fait l’objet d’analyses de composition élémentaire, il semble que les alliages cuivreux aient été privilégiés par les populations locales dans la confection des instruments de pesée. Seuls les poids du site d’habitat de Huelva sont faits à partir de plomb (ou d’un alliage à base de plomb)53.
Lorsque des analyses de composition ont pu être effectuées (par MEB-EDX ou XRF), les éléments tendent à converger vers un usage préférentiel de bronzes “binaires” (cuivre et étain), une pratique métallurgique qui, selon Raquel Vilaça, peut être rapprochée des productions métalliques de l’Occident péninsulaire (fig. 3-9)54.
Le tableau de synthèse des compositions permet de constater que la majorité des poids analysés sont des bronzes avec un pourcentage d’étain très variable entre 5,58 % pour Mor-A et 12,56 % pour RHue-A. Seuls trois objets présentent un pourcentage significatif de plomb (Conc-A, Conc-B et Crat-A), découverts sur les sites de Los Concejiles et Castro dos Ratinhos. Les poids entièrement en plomb sont quant eux trouvés à Cerro del Villar (CdC-A, B et C), Huelva (HueA-A, B, C et D), La Fonteta (LF-S, T, U, V, W et X), Quinta do Almaraz (QA-A, B, C et D) et El Cerro Salomón (Rio-C, D et E), tous interprétés comme des colonies phéniciennes mis à part ce dernier.
Une fois de plus, le faible nombre de données disponibles et la rareté générale des contextes archéologiques précis, mêlés à une extraordinaire diversité de formes et de compositions métalliques des poids, ne permettent pas d’aller très loin dans le détail sur la seule base du matériau choisi. Les différentes observations convergent toutefois vers l’idée d’une séparation entre des productions autochtones (poids en bronze) et d’autres d’origine exogène (poids en plomb ou en alliage cuivreux à fort pourcentage de plomb). On remarque ainsi que les sites livrant des poids de forme quadrangulaire et ceux où sont mis au jour des poids en plomb sont globalement les mêmes, à savoir les colonies phéniciennes et le site de Cerro Salomón (fig. 3-10). Ce dernier livre cinq poids de balance parmi lesquels trois sont en plomb dont un de forme parallélépipédique. Il est occupé à partir de la fin du VIIIe s. a.C., et il est vraisemblablement fortement tourné vers l’exploitation des mines de Riotinto et la production métallique. Au vu des résultats observés, il n’est pas impossible d’en déduire un lien privilégié avec les établissements voire les populations phéniciennes. Si l’on accepte cette hypothèse, l’utilisation de poids en plomb et de profil quadrangulaire resterait une spécificité des populations phéniciennes ou tout du moins une pratique fortement connectée à l’activité des Phéniciens dans cette région.
Chaîne opératoire de fabrication
En l’absence d’observation directe et d’analyses technologiques, nos remarques sur les processus de fabrication resteront ici très générales et superficielles. De manière grossière, pour toutes les fabrications de poids de balance métalliques, il est possible de suspecter l’existence de deux étapes incontournables et d’une troisième facultative, comme cela a déjà été abordé pour les poids métalliques d’Europe centrale et occidentale. L’étape de fabrication à proprement parler, qui peut prendre de nombreuses formes, doit être suivie par un contrôle et, si nécessaire, un ajustement pondéral. La dernière étape dépend nécessairement de la qualité et de la précision de la phase de fabrication et du degré de précision de ce contrôle.
Nous avons déjà exposé la difficulté que représente l’anticipation de la masse d’un objet en alliage cuivreux à partir du rapport de densité entre la cire et l’alliage utilisé dans le cas d’une production à la cire perdue (voir le chapitre “Chaîne opératoire : fondre un poids de balance”, p. 123). Ici, les différences d’alliage observées plus haut, notamment dans les mêmes sites, montrent qu’une telle anticipation risquerait d’entraîner des divergences assez significatives. Cependant, l’utilisation de bronzes améliore les chances de prévoir avec justesse la masse d’un objet à partir de son modèle en cire. En effet, la différence de densité entre le cuivre et l’étain est de l’ordre de 20 % (environ 8,9 pour le cuivre et 7,2 pour l’étain). Elle est ainsi élevée, mais fortement pondérée par le ratio entre les deux métaux dans l’alliage. En mettant de côté les cas particuliers de MTrig-A (dont les résultats pourraient indiquer une anomalie55) et Conc-C (avec un pourcentage d’étain très élevé), le cuivre représente toujours au minimum 80 % de l’alliage. En conséquence, les différences de proportions entre les deux métaux principaux et les éléments traces doivent en réalité avoir une incidence plus réduite sur la densité moyenne de l’alliage. Cette incidence est difficile à calculer, car elle dépend des densités et proportions de tous les éléments de l’alliage, cependant, la différence de densité entre un bronze avec une densité faible et un autre avec une densité forte n’excède probablement pas une déviation relative supérieure à 10 %.
La chaîne opératoire de fabrication des poids trouvés dans le sud-ouest de la péninsule Ibérique durant le Bronze final nous est toutefois difficilement accessible. Il est même raisonnable de se demander s’il est réellement possible de parler de ce sujet tant les objets nous apparaissent différents par leurs formes et par les alliages utilisés. Certains objets pourraient facilement avoir été réalisés par fonte en moule “semi-ouvert” ou à “deux dimensions”, tels que les poids discoïdes ou cubiques. Dans un tel scénario, le moule utilisé est laissé ouvert pour ce qui correspond à une face de l’objet à réaliser. Ainsi, ses dimensions ne sont calibrées que sur deux dimensions alors que la troisième est dépendante de la quantité de métal versée dans le moule (fig. 2-32). Un tel procédé permet de mettre l’accent sur la quantité de métal composant l’objet (ou sa masse) plus que sur les dimensions de l’objet. La masse en question est probablement surestimée afin de pouvoir procéder aux finitions de l’objet mais le contrôle de celle-ci reste meilleur que dans le cas d’un moule fermé. Toutefois, certaines formes complexes se prêtent mal à un tel procédé. Les poids en forme d’octaèdre sont très certainement les plus complexes à obtenir sans ajustement ultérieur. Pourtant, avant d’aborder la question de la métrologie de manière plus approfondie, on remarque que les deux poids octaèdre (Bal-F et MTrig-C) entretiennent un rapport arithmétique assez net et précis. Leurs masses respectives (4,56 et 37,0 g) montrent un ratio de 1 : 8, avec une faible déviation. En effet, 4,56 x 8 = 36,48 et 37 ÷ 8 = 4,625. Les deux artefacts ne sont pas trouvés sur le même site, mais le fait qu’ils soient les seuls représentants de cette forme nous autorise à les comparer. Si l’on considère que ce rapport arithmétique n’est pas fortuit, on peut alors considérer que la précision pondérale est très bonne, surtout pour des objets aussi légers. Cela signifierait alors soit une parfaite maîtrise de la masse lors du processus de fabrication, soit un possible ajustement ultérieur pour arriver à la masse désirée.
II. De l’unité au système métrologique
Une fois passées les considérations morphologiques et contextuelles, il est nécessaire de s’interroger sur les caractéristiques métrologiques des poids de balance de l’âge du Bronze et du début de l’âge du Fer en péninsule Ibérique. L’une des principales interrogations est celle de l’articulation éventuelle entre les pratiques pondérales et les premiers contacts avec les populations phéniciennes. La question est en effet de savoir si l’identification des premiers instruments de pesée en péninsule Ibérique durant cette période des premiers contacts peut être mise en relation ou non avec un transfert de technologie partiel ou complet de la pratique pondérale vers les populations autochtones ou bien d’un processus plus complexe s’appuyant sur une tradition régionale antérieure mal caractérisée par l’archéologie.
1. Métrologie pondérale :
les considérations générales
Dans l’hypothèse d’une seule et même pratique pondérale, partagée par les Phéniciens et les populations locales, nous pouvons analyser toutes les masses des poids de balance comme un seul et unique ensemble. Les 85 poids ainsi observés montrent une distribution alternant des concentrations de valeurs et des intervalles vides (fig. 3-11-a) assez typique d’une construction métrologique volontaire, ce qui tend à conforter l’identification de ces objets comme des poids de balance.
L’intervalle de valeurs représenté est particulièrement faible : [0,3 : 59,8 g], avec un seul poids pesant 59,8 g et le deuxième plus lourd qui n’en pèse que 37. Nous sommes donc clairement en présence de ce que nous pouvons nommer une pesée de précision qui se révèle inutile pour contrôler une masse supérieure à quelques dizaines de grammes.
L’analyse quantale permet de proposer un quantum à 4,6 g pour un pic relativement élevé (3,7) (fig. 3-12). Un tel résultat abonde clairement dans le sens de l’hypothèse proposée par R. Vilaça d’un système métrologique construit autour d’un shekel de 9,1-9,4 g dont l’analyse quantale ferait ici ressortir la moitié (4,6 x 2 = 9,2 g)56. Il est toutefois particulièrement ardu de percevoir la construction numérale autour de cette unité, notamment en raison de la faible masse des poids du corpus. Par conséquent, nous pouvons difficilement déterminer si l’unité structurante à prendre en compte est 4,6 g (le quantum) ou 9,2 g (l’unité proposée par R. Vilaça en lien avec le shekel ougaritique). Il semblerait toutefois que cette dernière présente de meilleures relations arithmétiques avec les poids connus.
On retrouve en effet des concentrations autour d’environ 4 fois une telle unité (env. 36-37 g), 2 fois celle-ci (env. 18-19 g), l’unité elle-même (9-9,7 g) ainsi que plusieurs fractions : 1/2 (4,6 g ; le quantum), 2/3 (env. 6,1 g) et potentiellement 1/3 (env. 3,1 g). D’autres concentrations de valeurs, en revanche sont plus difficiles à interpréter telles quelles : 13-16 g, 26-30 g et le poids de 59,8 g.
L’utilisation d’un shekel de 9,1-9,4 g ne semble, par conséquent, pas pouvoir expliquer la totalité des relations arithmétiques des poids de balance. Cependant, il n’y a rien de bien étonnant à cela en raison de la large amplitude chronologique de l’échantillon (comprise globalement entre le XIe et le VIe s. a.C., soit environ 600 ans) et des possibles facteurs post-dépositionnels qui peuvent avoir des effets significatifs sur la masse d’objets si légers.
Cependant, nous avons pu voir précédemment qu’une distinction morphologique bien marquée existe entre les poids utilisés dans les sites phéniciens (généralement en plomb et pour la plupart de forme quadrangulaire) et dans les sites locaux (exclusivement en alliage cuivreux et préférentiellement de formes cylindroïdes ou sub-sphériques). Une telle distinction morphologique amène nécessairement à s’interroger sur l’existence de pratiques pondérales distinctes entre les deux séries qui se caractériseraient alors par des constructions métrologiques différentes. C’est ce dernier point que nous allons analyser maintenant.
2. Pratique indigène – pratique allogène
L’analyse séparée des poids trouvés dans les sites interprétés comme des établissements phéniciens (Huelva, Quinta do Almaraz, Cerro del Villar et La Fonteta) et de ceux trouvés dans des sites autochtones montre des résultats sensiblement distincts. Si l’analyse quantale des poids de production présumée locale (56 ind. dont 51 analysés) montre un résultat très similaire à ce qui a été vu précédemment, suggérant un quantum de 4,6 g (fig. 3-12), celle des poids phéniciens (38 ind. dont 34 analysés) est quant à elle, et de manière assez surprenante, beaucoup moins claire (fig. 3-12). On note en effet l’absence de pic significatif dans l’analyse quantale alors que l’analyse de la fréquence de distribution montre une absence de paliers de valeurs nets pour les poids les plus légers (fig. 3-11-b), particulièrement nombreux dans cette série. L’explication la plus logique de ces observations serait que les poids de balance phéniciens retrouvés en péninsule Ibérique ne correspondent pas à une seule et même unité. Cela n’a rien d’étonnant puisque les études faites sur la pratique pondérale en Méditerranée orientale ont bien montré l’utilisation conjointe de plusieurs systèmes métrologiques depuis au moins le IIe millénaire a.C. (voir le chapitre “La Méditerranée centrale et oriental : creuset de la métrologie historique”, p. 15).
L’analyse quantale met en avant un certain nombre de quanta, mais avec des hauteurs assez faibles ; 5,05 g, 4,58 g, 3 g, 7,41 g ou encore 9,88 g. Le meilleur moyen semble donc d’aborder la métrologie pondérale utilisée sur ces sites par série en fonction de leurs relations arithmétiques respectives.
Les poids locaux : une pratique adoptée
ou une pratique adaptée ?
Comme cela a été dit précédemment, les poids “locaux” montrent des résultats beaucoup plus parlants en termes d’analyse métrologique. Le pic le plus significatif, avec une hauteur supérieure à 3, correspond à la valeur 4,63 g (fig. 3-12). Une grande partie des masses des poids de balance s’explique assez bien selon des relations arithmétiques simples à ce quantum. Cependant, certains éléments laissent penser que cette unité ne peut pas expliquer toutes les valeurs représentées. Ce sont notamment les poids compris entre 8 et 8,7 g (Cot-A, PV-B et CPrag-G), le poids de 12,78 g (Bal-D), le poids découvert dans le dépôt de Ría de Huelva (Rhue-A de 16,45 g) et le poids de 22,5 g (Rio-B). En revanche, ces objets, ainsi que d’autres, s’articulent bien avec une unité proche mais légèrement inférieure environ égale à 4,3 g. Plusieurs poids peuvent en effet correspondre à cette unité, à ses deux tiers ou à sa moitié.
Les poids qui correspondent le plus efficacement à cette deuxième unité sont issus des sites de Penha Verde, Castro de Pragança, Cabezo de Araya, Baleizão et le Cerro Salomón. Il est bien difficile de percevoir la moindre logique chronologique ou géographique à l’utilisation de ces deux unités, mais seuls les poids du Cerro Salomón permettent d’assurer la présence des deux unités sur un même site.
D’un point de vue comparatif, il est possible de mettre en relation le quantum de 4,64 g avec le shekel ougaritique de 9,4 g (4,64 x 2 = 9,28). La deuxième unité, quant à elle, pourrait très bien correspondre à une moitié de shekel mésopotamien de 8,6 g, soit 4,3 g (fig. 3-13). Il est intéressant de noter que cette dernière unité est la mieux représentée à Ibiza au travers de l’étude des poids de balance qui y ont été trouvés et dont la majorité prend la forme de parallélépipèdes en plomb57. Il est difficile d’argumenter plus sur les logiques qui amènent à utiliser ces deux unités. Il faut cependant rappeler que toutes les unités méditerranéennes sont issues de patrons communs et présentent de ce fait des relations arithmétiques évidentes qui les rendent difficiles à distinguer d’un point de vue purement métrologique.
Les poids phéniciens : multiplicité métrologique
Les trois poids de balance du Cerro del Villar présentent des marques qui pourraient potentiellement être des marques numérales. Cependant leur interprétation est incertaine58 et nous ne nous en servirons donc pas comme support premier à l’interprétation métrologique ici. Les poids CdC-B (14,18 g) et CdC-A (29,06 g) montrent un ratio relativement clair de 1 : 2 pour un erreur relative inférieure à 5 %. Leur relation avec le poids CdC-C (5,33 g) est en revanche moins claire (sup. 7-a). Il pourrait cependant correspondre à la fraction 1/6 de CdC-A avec une marge d’erreur assez élevée. Maria Eugenia Aubet, dans sa notice de 2002 sur les trois poids de balance, mentionne que la lettre ᷾ayin, inscrite sur le poids CdC-B renvoie généralement en Orient à l’utilisation d’un skekel de 10,5 g mais que ces signes ne semblent pas correspondre à une information métrologique réelle puisqu’on trouve des marques similaires sur des poids de masses différentes59. L’hypothèse retenue par l’auteure est celle de l’utilisation d’un shekel lourd de 14 g qui correspondrait au double d’un shekel léger de 7 g à l’origine de la masse des monnaies frappées à Tyr et Sidon à partir du milieu du Ve s. av. C.60.
Nous nous bornerons ici à indiquer que les deux unités (10,5 g et 14 g) sont envisageables sans toutefois être pleinement vérifiables au Cerro del Villar. De plus, il est tout à fait possible que les poids CdC-A et B correspondent à une unité et CdC-C à une autre, dont l’identification est alors rendue impossible.
L’habitat de Huelva a livré 4 poids de balance dont les relations arithmétiques sont beaucoup plus faciles à restituer et interpréter (sup. 7-b). En effet, les poids HueA-A, B, C et D, de masses respectives 4,49 g, 9,54 g, 9,59 g et 26,62 g montrent un ratio de 1 : 2 : 2 : 6. La déviation relative est cependant assez élevée et il est difficile de déterminer qu’elle est l’unité théorique exacte qui préside à la construction pondérale, cependant, au vu des parallèles connus, il est sans aucun doute possible d’en attribuer la paternité au shekel ougaritique de 9,1-9,4 g dont HueA-B et C représenteraient l’unité, HueA-A la moitié et HueA-D le triple.
Les trois poids de Quinta do Almaraz dont la masse est connue (QA-B, C et D) sont également difficiles à interpréter (sup. 7-c). En effet, leurs masses respectives de 2,63 g, 6,38 g et 29,7 g ne montrent aucun ratio cohérent. On remarque cependant que la masse de QA-B se rapproche grandement de la moitié de celle de CdC-C (2,63 x 2 = 5,26) alors que QA-D et CdC-A possèdent des masses similaires.
Avec 24 individus identifiés, La Fonteta est de très loin l’établissement phénicien qui a livré le plus grand nombre de poids de balance en péninsule Ibérique. Cependant, la moitié d’entre eux ont une masse inférieure à 3 grammes, ce qui rend toute analyse métrologique périlleuse. On peut relever dans les poids les plus lourds des relations assez évidentes (sup. 8). Ainsi les poids LF-P, LF-S, LF-X, LF-T, LF-U et LF-V semblent entretenir un rapport arithmétique de 1 : 4 : 4 : 6 : 7 : 12, malgré des déviations certaines. Les autres poids sont difficiles à replacer dans des logiques métrologiques claires, on remarque toutefois que le poids LF-R pourrait correspondre à un shekel de 9,1-9,4 g, et que, dans cette optique, les poids LF-O, LF-Q et LF-U pourraient respectivement représenter sa moitié, ses deux tiers et son quadruple.
On peut donc constater que les établissements phéniciens de péninsule Ibérique ne présentent pas un faciès métrologique simple et homogène. Au contraire, comme en Méditerranée orientale, la situation est marquée par l’utilisation d’une grande variété d’unités métrologiques plus ou moins interconnectées par des relations arithmétiques. Toutefois, à la grande différence des nombreuses études qui ont permis d’éclaircir la pratique pondérale de l’âge du Bronze au Proche-Orient, les poids de balance que nous avons à disposition ici sont particulièrement légers et fabriqués en plomb ou en alliage cuivreux. Autrement dit, ils sont beaucoup plus susceptibles d’avoir subi les affres du temps que les gros poids de balance en roche dure qui ont servi de supports aux études décrites dans notre état de la recherche (voir le chapitre “La Méditerranée centrale et oriental : creuset de la métrologie historique”, p. 15). Toute tentative de restitution métrologique s’en trouve ici particulièrement handicapée.
Il semble toutefois que, parmi les unités pondérales connues en Méditerranée pour la période, deux d’entre elles paraissent plus susceptibles d’expliquer la distribution des masses des poids de balance des établissements phéniciens (fig. 3-11-b). En nous focalisant sur les poids de balance dont la masse est supérieure à 7 g, nous pouvons observer que les occurrences et concentrations de poids correspondent de manière grossière aux masses : 9,5 – 14,2 – 18 – 21,7 – 26,6 – 29,5 – 37 – 60 g. En ce qui concerne les poids les plus légers, bien que leurs masses soient susceptibles d’avoir grandement subi l’impact des processus post-dépositionnels, il ne semble qu’aucun d’entre eux ne corresponde directement à une unité de 7 g (shekel phénicien lié aux frappes monétaires de Tyr et Sidon), ni de 7,8 g (shekel utilisé sur la côte syro-palestinienne anciennement). Il est en revanche possible que certains poids correspondent à une unité de 5,5 g ou 6,1 g (unités probablement utilisées dans le Bassin égéen et identifiées par K. Petruso61).
La construction générale (fig. 3-14) peut parfaitement s’expliquer par l’utilisation d’une première unité de 10,5 g (utilisée en Phénicie62 et repérée sur l’épave d’Uluburun63) et par une deuxième correspondant au shekel ougaritique de 9,4 g. Le poids CdC-B du Cerro del Villar pourrait indiquer l’utilisation d’une troisième unité, probablement proche de la moitié de celle mentionnée par M. E. Aubet (14 g)64, mais que nous restituons ici légèrement plus lourde, autour de 7,5 g car elle s’inscrirait ainsi plus facilement dans des rapports d’équivalence avec les autres unités employées (fig. 3-14).
Toutefois, comme nous l’avons dit, l’état actuel des données ne permet pas de trancher réellement sur ces questions et nous nous en tiendrons donc ici à une proposition d’hypothèse, notre propos étant avant tout d’étudier le rapport entre la pratique effectuée sur les sites phéniciens et celle prenant place sur les sites autochtones.
Une unité commune : deux pratiques
En dehors des considérations les plus fines de la métrologie, la différence de pratique qui semble s’opérer entre les populations autochtones et les populations phéniciennes, marquée par l’utilisation de poids aux formes et aux matériaux distincts, est perceptible à partir de la distribution générale des poids de balance selon leur masse (fig. 3-11-b). On peut en effet constater que les histogrammes de distribution présentent deux allures différentes, ce qui ne peut être imputé seulement au hasard de la survie et du ramassage du mobilier archéologique. Si certaines valeurs semblent communes aux deux échantillons, en raison de l’utilisation d’au moins une unité commune, on remarque des choix différents dans la création des multiples et fractions.
Le multiple d’environ 60 g identifié à La Fonteta est absent du répertoire autochtone. À l’inverse, les populations originaires de la péninsule semblent avoir totalement négligé les valeurs avoisinant les 30 g. En revanche, on compte 6 poids avec une valeur avoisinant les 18-20 g alors qu’un seul poids phénicien s’en approche. Un constat similaire peut être fait pour les valeurs comprises entre 7 et 10 g.
Ces différences ne peuvent pas s’interpréter de manière simple et arrêtée. Elles découlent très certainement des habitudes, des répétitions de gestes et des commodités propres à chaque communauté. Elles montrent cependant que la pratique pondérale, et le développement de ses outils à la fin de l’âge du Bronze et au début de l’âge du Fer en péninsule Ibérique, ne peuvent être uniquement mis en relation avec le partage d’un outil de contrôle à visée commerciale.
Le manque de datation précise et la masse généralement faible des poids de balance dans ce contexte ne permet pas de pousser plus loin la réflexion sur la base de ces seuls éléments. Il est donc primordial de replacer les modalités de ces pratiques dans le cadre plus large du développement de l’idée de calibration pondérale et de l’évolution de la pratique de pesée en péninsule Ibérique et en Occident.
III. Un cas particulier : l’épave phénicienne du Bajo de la Campana
(San Javier, Murcia, Espagne)
Le développement de la métrologie archéologique tout comme un grand nombre d’interprétations récentes sur le sujet ont été empreints des résultats de l’étude des poids de balance des épaves d’Uluburun et du Cap Gelidonya65. Un cas d’étude inédit très similaire a pu être traité dans ce travail : celui d’une épave phénicienne de la fin du Premier âge du Fer (fin VIIe ou début VIe s. a.C.), gisant au large de San Javier (Murcia, Espagne). Par la clarté contextuelle qu’offrent les dépôts de catastrophe, le nombre d’instruments de pesée qu’elle a livré et par son caractère clairement exogène dans notre zone d’étude, l’épave du Bajo de la Campana se distingue clairement du reste du corpus. Elle représente de fait un cas particulier qui permet de mieux comprendre les dynamiques de la pratique pondérale au Premier âge du Fer dans le cadre des contacts entre Phéniciens et populations de la péninsule Ibérique.
1. Présentation de l’épave
Les modalités de découverte du site sont malheureuses, et de celles-ci découle une taphonomie bien particulière qui rend difficile, voire impossible, la localisation précise du matériel. L’épave a en effet été repérée en 1958 lors de travaux de dynamitage d’épaves modernes dont l’objectif était de récupérer de la ferraille et du matériel revendable66. Situé aujourd’hui à une trentaine de kilomètres au sud-est de Cartagena et à seulement 1,5 m de profondeur (le navire s’étant échoué sur un affleurement basaltique dont la profondeur varie entre 1 et 16 m de profondeur67), le site a attiré dans les années suivantes les plongeurs sportifs, dont un groupe trouve notamment en 1959 un ensemble de 12 défenses d’éléphant.Des prospections scientifiques effectuées en 1979 et 1988 ont permis de conclure à la présence de trois épaves distinctes, l’une phénicienne, une autre tardo-punique et une dernière datée des IIIe-IVe s. p.C.68. Cependant, l’unique campagne de fouilles, dirigée par C. et B. Duthuit de l’Institute of Nautical Archaeology’s (INA), a eu lieu récemment, de 2008 à 201169. Ces dernières ont heureusement permis, malgré la détérioration importante de l’ensemble, de préciser les limites de l’épave phénicienne et de mieux caractériser son chargement.
Le navire aurait vraisemblablement coulé avec une cargaison d’environ 4 tonnes de matières premières et de produits manufacturés. Dans la première catégorie de chargement, on compte des défenses d’éléphants dont certaines portent des inscriptions, plus d’une tonne de galènes de plomb presque entièrement dépourvues d’argent, 163 petits lingots d’étain de forme plano-convexe et du cuivre sous la forme de lingots plano-convexes ou de petits éléments et fragments. À cela, il faut ajouter cinq masses brutes d’ambre de la Baltique70.
Du côté des produits finis, les auteurs distinguent deux catégories, d’une part de la céramique de divers types (amphores de transport contenant des produits issus de l’agriculture, mortiers, plats, bols, ungüentaria, céramique de cuisine, urnes, cruches, etc.) et de l’autre des objets de luxe fabriqués dans des matériaux coûteux (défenses d’éléphant portant des inscriptions phéniciennes, coquille d’œuf d’autruche, albâtre, alliage cuivreux…)71.
L’étude de la cargaison, mais également de l’équipement personnel et des outils des membres de l’équipage montre que l’origine du navire qui a coulé au Bajo de la Campana est probablement à situer dans l’une des colonies phéniciennes occidentales (fig. 3-15). En effet, les céramiques de typologie phénicienne présentent toutes un dégraissant de schiste noir typique des environs de l’embouchure du Guadalhorce, ce qui amène les auteurs à envisager que le port de départ du navire se situe à Malaga ou dans ses environs, le site le plus important connu aux alentours étant Cerro del Villar72, déjà mentionné plus haut. Sur la base de l’analyse céramique, il est possible d’estimer la date de son naufrage aux alentours de la fin du VIIe ou début du VIe s. a.C. La cargaison montre un approvisionnement dans plusieurs zones distinctes : le nord de l’Afrique pour l’ivoire d’éléphant, l’actuelle Galice ou le nord du Portugal pour l’étain, les environs de Malaga pour la céramique, possiblement le Levant ibérique pour la galène, et enfin la Méditerranée centrale pour les amphores ovoïdes. Les analyses isotopiques effectuées sur les éléments en cuivre pointent plusieurs origines possibles : l’Andalousie, le sud de Murcia, Chypre et la Sardaigne73.
2. Morphologie des poids de balance
et chaîne opératoire
Différents types de poids embarqués à bord
Les 61 poids de balance découverts dans l’épave du Bajo de la Campana se divisent en trois grands groupes (pl. 11-1 à 11-7) : 11 poids globalement cubiques, 10 poids piriformes de base circulaire sans bélière appartenant au type domed définie par C. Pulak74 et 39 poids piriformes de base carrée à bélière qui représentent environ les deux tiers de la série (fig. 3-16). Il est à noter qu’un unique poids cylindroïde existe et il pourrait avoir possédé originellement un anneau ou autre dispositif de suspension, mais son état de dégradation ne permet pas d’en être sûr. De la même façon, de nombreux poids piriformes présentent une sorte d’excroissance à leur sommet qui pourrait être la base d’une bélière brisée.
La totalité des poids à bélière (pl. 11) présentent une forme qui, à notre connaissance, n’a jusqu’à aujourd’hui pas de parallèle connu. Les objets en question ont une base carrée et un profil trapézoïdal qui s’élargit vers le sommet. Le dispositif de suspension se présente généralement comme une protubérance de profil quadrangulaire. De face, celui-ci prend la forme de deux triangles affrontés surmontés d’un anneau circulaire (fig. 3-17-a). Dans d’autres cas, le sommet est uniquement surmonté d’un anneau simple dont il ne reste dans certains cas que deux excroissances, probablement en raison de la dégradation du métal (fig. 3-17-b). Enfin, pour certains artefacts, la présence d’un dispositif destiné à la préhension ou la suspension est suggérée par la présence de deux perforations au sommet de l’objet (fig. 3-17-c). La forme générale rappelle les autres piriformes à bélière connus, avec un corps massif surmonté d’un anneau, mais cette variante quadrangulaire est clairement dissociable des autres productions de type piriforme du corpus bien qu’une filiation puisse exister.
Les poids quadrangulaires sans bélière sont, quant à eux, tous des cubes plus ou moins parfaits. Les piriformes sans bélière (ou domed) sont marqués par une base plane et circulaire, et par un sommet légèrement bombé. Parmi eux, deux poids représentent une sous-variante dépourvue de base plane.
La grande majorité des poids quadrangulaires à bélière sont fabriqués en alliage cuivreux avec noyau de plomb, selon des modalités que nous verrons plus bas. Les domed sont quant à eux fabriqués exclusivement en plomb.
Couler du plomb : chaîne opératoire de fabrication
des poids de balance
Les poids de balance mis au jour dans l’épave du Bajo de la Campana sont pour la quasi-totalité d’entre eux en plomb (dans le cas des poids piriformes sans bélière) ou en alliage cuivreux et plomb (fig. 3-18). En effet, une des particularités de la variante quadrangulaire des poids piriformes à bélière vient de leur mode de mise en forme tout à fait atypique et connu en raison de la dégradation de certains poids par les opérations de dynamitage. Ces objets sont en effet constitués d’une enveloppe en alliage cuivreux et d’un noyau en plomb (fig. 3-19-a). En plus de cela, on peut voir nettement sur la base de plusieurs objets une pièce circulaire ajoutée (fig. 3-19-b) ainsi que, sur les côtés ou le sommet de l’objet, des trous de petite dimension traversant la coque en alliage cuivreux (fig. 3-19-c). Ces différentes caractéristiques associées nous permettent de proposer une hypothèse de restitution de la chaîne opératoire de ces poids de balance.
Tout porte à croire que la coque en alliage cuivreux est réalisée en une seule pièce, par fonte à la cire perdue. Seules de petites perforations sont laissées sur les côtés et une plus large à la base de l’objet. Dans une deuxième phase, du plomb fondu est versé à l’intérieur de la coque ainsi obtenue par l’ouverture la plus large. L’objectif de cette double mise en forme est sans aucun doute de calibrer la masse exacte de l’objet d’une manière indépendante de son aspect extérieur définitif. Nous pouvons en effet observer que, si dans certains cas, le plomb remplit l’intégralité de la l’enveloppe (fig. 3-20-a), il laisse en revanche de grandes portions de vide dans d’autres cas (fig. 3-20-b). Durant cette phase, les perforations latérales et sommitale pourraient avoir un rôle d’évacuation des gaz. Le plomb excédentaire qui s’échapperait par ces perforations serait alors ébarbé après refroidissement. Il est également possible que le plomb, s’il est coulé dans un état semi-liquide, ne s’écoule pas, ou très peu, à travers des trous de si faible diamètre (1 à 3 mm) en raison de sa viscosité. De telles hypothèses sont théoriques et nécessiteraient d’être confrontées à l’expérimentation. La dernière étape consisterait à apposer l’applique circulaire en alliage cuivreux qui vient sceller l’objet, vraisemblablement avant même que le plomb ne reprenne son état solide comme le laisse entendre les empreintes qu’elle laisse sur celui-ci dans certains cas (fig. 3-20-c).
Il est impossible de dire avec certitude combien de poids de balance sont réalisés par ce procédé. Seuls ceux dont la coque a éclaté en sont des témoignages clairs. Cependant, un bon nombre de poids intacts présentent une applique circulaire sur leur base ainsi qu’une densité élevée qui suggèrent le passage par une même chaîne opératoire. Des poids zoomorphes également composés d’un noyau en plomb et d’une enveloppe en alliage cuivreux sont connus dans l’épave d’Uluburun75. Certains exemplaires comme les numéros W 145 ou W 146 montrent le même type d’ouverture sur leur base laissant apparaître le noyau de plomb76.
Les poids piriformes sans bélière sont entièrement en plomb et présentent une facture simple. En raison de leur état de conservation, il est difficile d’observer de réelles traces pouvant être attribuées à un quelconque processus de fabrication. Ils sont morphologiquement très similaires à ceux mis au jour dans les épaves d’Uluburun et Cap Gelidonya, faits dans le même métal, à la différence que plusieurs de ceux du Bajo de la Campana présentent une dépression irrégulière sur le sommet qui pourrait suggérer l’existence d’un système de préhension aujourd’hui disparu (pl. 11). Nous n’avons guère d’information sur leur mode de mise en forme, bien qu’on puisse estimer probable qu’ils aient simplement été coulés dans des moules.
D’un point de vue technologique, nous pouvons donc constater qu’aussi bien les poids en alliage cuivreux que ceux en plomb trouvés au Bajo de la Campana s’intègrent parfaitement dans la continuité de ce qui existe sept siècles plus tôt en Méditerranée orientale et connu notamment par les poids de l’épave d’Uluburun. Même si les poids quadrangulaires à bélière n’ont pas, à ce jour, de parallèle morphologique, le mode de fabrication mêlant noyau de plomb et enveloppe en alliage cuivreux est similaire à celui des poids zoomorphes trouvés à Uluburun. Les poids de type domedsemblent, quant à eux, avoir connu une très faible évolution technologique et morphologique.
3. Les systèmes métrologiques
du Bajo de la Campana
Les instruments de pesée issus du Bajo de la Campana posent un certain nombre de problèmes du point de vue de l’analyse métrologique. Le dynamitage du site a eu pour effet une dégradation importante de plusieurs objets caractérisés par des déformations, des cassures et des éclatements. La différence majeure entre les poids du Bajo de la Campana et nos autres exemplaires lacunaires provient de la technologie particulière de création de ceux-ci, abordée précédemment, qui rendrait toute restitution numérique particulièrement hasardeuse. En effet, dans le cas de ces artefacts, le volume général de la coque extérieure n’entretient pas de relation de proportionnalité avec la masse de l’objet, le niveau de remplissage du plomb étant variable. Ainsi, mis à part quelques cas particuliers pour lesquels la dégradation semble réduite, il est impossible d’intégrer pleinement les exemplaires lacunaires à l’argumentation. Heureusement, le nombre élevé d’objets (61 ind.) dans un contexte d’usage que l’on peut considérer comme très homogène permet de maintenir une analyse métrologique cohérente sur la base des exemplaires les mieux conservés.
En prenant uniquement en compte les 31 individus non lacunaires, correspondant à un intervalle de [2,56 : 2835,5 g], l’analyse métrologique tend à dégager deux possibles unités lourdes, une première d’environ 917 g et une autre d’environ 454 g (fig. 3-21). L’observation au moyen de l’HistoVal permet d’assurer la première comme une valeur bien présente dans le matériel archéologique avec quatre occurrences dans une Normzone de 5 % alors que la situation semble plus confuse pour les valeurs inférieures (fig. 3-22).
La présence de plus de soixante poids de balance dans un même navire n’est pas sans rappeler deux autres épaves célèbres, celles d’Uluburun et du Cap Gelidonya (Turquie). Or, C. Pulak a démontré l’existence de lots de poids de balance distincts aux fonctions sensiblement différentes77. Plusieurs siècles séparent le cas présenté ici des deux épaves de l’âge du Bronze. Toutefois, nous pouvons envisager que l’usage des instruments de pesée dans un navire commercial, lorsqu’ils sont aussi nombreux, est sensiblement le même. Si tel est le cas, des approches métrologiques multiples en fonction des critères morphologiques des poids de balance sont les plus susceptibles d’apporter des résultats.
Lot 1 : les poids piriformes sans bélière (domed)
Une première catégorie se distingue aisément, elle est constituée par les poids piriformes à base circulaire sans bélière entièrement en plomb (pl. 11-1). Comme exposé plus haut, il est envisageable que ces poids ou certains d’entre eux aient été pourvus d’un élément de préhension et, par conséquent, aient possédé une masse quelque peu plus élevée. Mais la cohérence des résultats laisse penser que les masses analysées sont relativement proches des masses théoriques.
En premier lieu, l’observation des relations arithmétiques entre les neuf poids entiers de ce type permet de distinguer une séquence logique cohérente centrée autour des poids BajC-AU, BajC-E, BajC-J et BajC-F dont les masses sont comprises entre 915,5 et 944,9 g (fig. 3-23). On trouve en effet, leur double (BajC-G ; 1885,70 g) et leur triple (BajC-H ; 2748,30 g). Les poids BajC-A et BajC-B (respectivement 87,93 et 96,09 g) peuvent alors correspondre au dixième d’une telle valeur. L’analyse quantale vient confirmer l’observation intuitive avec un pic maximum à 929,2 g (fig. 3-24). Les pics secondaires mettent en évidence d’autres possibles unités autour de 85,5 g, 308,5 g et 463 g.
Sans surprise, l’analyse de la distribution montre bien l’adéquation à un système simple, fondé sur une unité d’environ 929 g, son double et son triple (fig. 3-25). Le système est visiblement articulé autour d’une sous-unité d’environ 93 g (le dixième de la première) et de son triple (le poids BajC-D de 264,95 g). Le poids BajC-I, d’une masse de 182,96 g, s’il a été évacué de l’analyse métrologique initiale en raison de sa dégradation, correspond selon toute vraisemblance au double de cette sous-unité (fig. 3-26).
On se trouve, en conséquence, face à un système métrologique ternaire/décimal très cohérent formé par deux unités dont la plus grande est le décuple de la plus petite. Chacune est représentée par plusieurs poids et par un exemplaire de leur double et de leur triple respectif. Le système ainsi restitué ne semble pas avoir pour vocation de mesurer à intervalles précis, mais plutôt de contrôler des masses standardisées autour d’étalons d’environ 93 g et 923 g, eux-mêmes très probablement dérivés du shekel ougaritique de 9,4 g. Il reste bien évidemment possible que certains poids soient manquants, mais la régularité de la construction pondérale (unité en plusieurs exemplaires associée à un double et un triple) laisse penser que ce n’est pas le cas et que nous observons le lot de poids dans un état proche de celui de son utilisation.
Le problème des poids lacunaires
Les poids quadrangulaires à bélière sont en revanche beaucoup plus difficiles à interpréter. Tout d’abord, bon nombre d’entre eux ont subi de profondes dégradations à la suite du dynamitage du site ce qui empêche de les prendre en compte dans une première analyse métrologique statistique. Seuls 14 objets sont ainsi utilisables pour tenter de restituer le système.
L’analyse quantale donne de maigres résultats, avec des pics à 26,2 g, 218,2 g et 447,8 g. Cependant, avec un échantillon de seulement 14 objets, il n’est pas étonnant de se heurter à un tel problème. La table de division et l’histogramme de distribution permettent en revanche une approche plus intuitive (sup. 9).
On remarque ainsi une construction similaire aux poids de type domed (ou piriformes sans bélière) pour les exemplaires les plus lourds avec un poids BajC-AN de 913 g qui pourrait correspondre au quantum identifié plus haut. Le poids BajC-AO, avec une masse de 1781,4 g représenterait son double et les poids BajC-AR et AS, de 2623,1 et 2835,5 g, son triple. La moyenne pondérée de ces quatre objets – soit la moyenne de leur masse divisée par le ratio hypothétique – équivaut à 905,8 g, soit une unité plus légère que celle utilisée sur les poids non suspendus.
Par conséquent, on constate que l’analyse purement mathématico-statistique est ici difficilement applicable ou déchiffrable. L’explication la plus probable, corroborée par les pics multiples de l’analyse quantale, est que plusieurs unités structurent l’échantillon. Ce problème est généralement aisément contournable, mais, dans le cas précis, le faible nombre d’objets parfaitement conservés rend la méthode inefficace.
Toutefois, si plusieurs objets ont été volontairement exclus par leur caractère lacunaire, on peut toutefois réfléchir sur l’impact de telles lacunes sur l’analyse métrologique. Nous l’avons dit, les poids de balance du Bajo de la Campana, par leur mode de production bimétallique particulier, sont mal adaptés à une reconstruction 3D. Cependant, dans de nombreux cas, on remarque que le gros de la destruction touche la coque en alliage cuivreux de l’objet alors que le noyau en plomb semble peu touché (ex : BajC-AO, BajC-AP, BajC-AQ ou BajC-AX). Une telle dégradation allège nécessairement l’objet. Il est en revanche probable qu’un tel allègement soit relativement faible comparé à la masse globale de l’objet.
Le test de modélisation effectué à partir des caractéristiques du poids BajC-AQ montre que la coque et le dispositif de suspension doivent représenter environ 10-11 % du volume complet de l’objet et moins de 10 % de la masse complète de l’objet (fig. 3-27). Nous pouvons ainsi admettre que pour un certain nombre d’objets, l’endommagement de la coque en alliage cuivreux n’a dû avoir qu’un impact réduit sur la masse de l’objet. On peut donc considérer que pour une partie des poids lacunaires, si la masse actuelle est plus faible que la masse d’origine, celle-ci reste significative et exploitable dans le cadre d’une analyse métrologique mathématico-intuitive.
Le même constat peut être réalisé pour les poids dont le dispositif de préhension/suspension a disparu. Comme dit précédemment, il est possible de distinguer plusieurs cas de figure : ceux pour lesquels ce dispositif est intégré à la coque en alliage cuivreux et a disparu partiellement en raison de processus post-dépositionnels et ceux pour lesquels l’existence d’un tel mécanisme est suggérée par la présence d’une double perforation au sommet des objets. Dans ce dernier cas, l’anneau ou le bouton de préhension est alors une pièce rapportée pour laquelle nous ne connaissons pas le mode de fixation. Quoi qu’il en soit les tests 3D effectués sur Baj-C-AD et BajC-AH (fig. 3-28) montrent que la masse de ces dispositifs ne constitue jamais qu’un très faible pourcentage de la masse totale de l’objet (inférieur ou égal à 0,5 % dans nos tests) et que leur disparition n’empêche donc pas une tentative d’analyse métrologique à partir des masses actuelles.
La prise en compte de ces différents éléments nous permet de dire que certains poids de balance de l’épave du Bajo de la Campana, bien que lacunaires, peuvent être intégrés de manière prudente à une analyse métrologique. Il semble toutefois que la formule de Kendall soit peu adaptée à l’étude d’objets dans un tel état de conservation en raison du faible contrôle qu’elle autorise entre l’intégration d’une valeur dans l’échantillon et l’impact de celle-ci sur les résultats. Pour cette raison, nous préférons adopter ici une approche plus intuitive, fondée notamment sur les relations arithmétiques entre objets, leurs caractères morphologiques et la métrologie comparative.
Lot 2 : l’unité de 94 – 940 g
Un premier lot peut ici être isolé, tout d’abord en fonction de critères résolument morphologiques. Nous considérons ici les poids quadrangulaires à bélière dans leur forme la plus identifiable. Nous parlons donc ici de poids de base carrée et de profil trapézoïdal dont le dispositif de préhension prend la forme d’un anneau reposant sur deux triangles affrontés et de profil rectangulaire (pl. 11-2). Nous incluons également dans ce groupe un poids cubique sans élément de préhension. Les objets les plus grands sont conçus selon la chaîne opératoire exposée plus haut alors que les plus petits sont vraisemblablement entièrement en alliage cuivreux et coulés en une seule pièce. Une dernière caractéristique qui distingue les objets attribués au lot 2 par rapport à d’autres poids, notamment ceux attribués au lot 3, est l’apparence de l’alliage cuivreux. Ce critère est bien évidemment subjectif et donc plus à même d’être soumis à des biais, cependant on voit clairement que l’alliage cuivreux dont sont faits les poids du lot 2 est clair et jaune et se distingue de ce fait des autres objets de la série. Cette caractéristique pourrait clairement être assimilée à un simple résultat de processus post-dépositionnels différents, mais le milieu de découverte tout comme l’adéquation avec l’analyse métrologique nous amènent à privilégier l’hypothèse d’une différence dans la composition de l’alliage cuivreux.
Parmi les poids les plus significatifs de ce lot d’un point de vue uniquement morphologique, on peut nommer les objets BajC-AN, BajC-AO et BajC-AS dont les masses respectives sont 913,0 g, 1781,4 g et 2835,5 g. Le tableau de division de ce lot montre une séquence arithmétique relativement logique dont plusieurs relations se comprennent intuitivement (fig. 3-29). Tout d’abord, on peut voir que le poids BajC-AN (913,0 g) entretient un ratio d’environ 1 : 2 avec BajC-AO (1781,4 g) et 1 : 3 avec les poids BajC-AS (2835,5 g) et BajC-AQ (2611,7 g). La différence de 200 g (environ 8 %) entre les deux derniers objets peut s’expliquer par l’état de détérioration de BajC-AQ bien qu’il soit peu probable que la lacune de l’objet soit aussi élevée (fig. 3-27). Le poids BajC-AK (445,4 g), quant à lui, représente probablement la moitié de BajC-AN. Le poids BajC-AF (157,42 g) montre un ratio presque parfait de 1 : 18 avec le poids BajC-AS. Par conséquent, il représente le tiers de BajC-AK et le sixième de BajC-AN. Les poids BajC-Q (18,83 g) et BajC-AA (27,94 g) ont un ratio de 1 : 1,5. Pour terminer, BajC-Q représente vraisemblablement le centième de BajC-AO, le cinquantième de BajC-AN ou le vingt-cinquième de BajC-AK.
Ces différentes observations pointent clairement en direction de l’utilisation d’un système articulé autour d’un shekel ougaritique équivalant ici à environ 9,2 g et d’une mine de 460 g (ou une double mine de 920 g ; fig. 3-30). On comprend cependant assez mal la composition de ce lot, notamment l’articulation des poids les plus légers avec les plus lourds. L’explication provient probablement de notre difficulté à attribuer les poids les plus légers et les plus endommagés à un lot ou un autre, comme nous le verrons plus loin.
En l’état actuel, il est donc impossible de commenter la composition complète du lot et donc son utilisation, et nous devons donc nous contenter ici de remarques générales. Tout d’abord, on note que si le lot 2 s’appuie vraisemblablement sur la même unité que le lot 1 et des multiples similaires (double mine théorique de 940 g, son double et son triple), les choix effectués sont différents pour les unités inférieures. Ainsi, à la différence du lot 1, la mine est ici représentée ainsi que son tiers. On trouve également des unités légères, non identifiées pour le lot 1, ce qui permet au lot 2 d’être applicable sur un intervalle plus large [18,83 : 2835,5 g]. Une autre différence notable est le peu d’exemplaires de chaque valeur, seuls les poids BajC-AQ et AS sont en effet potentiellement représentatifs d’un même multiple, tous les autres n’étant identifiés que par un exemplaire (fig. 3-31).
Par conséquent, si le lot 2 est similaire au lot 1 par plusieurs aspects (utilisation du shekel ougaritique, multiples lourds représentés) les choix opérés dans la constitution des deux lots sont distincts. Pour terminer, et sans pouvoir pousser plus loin la réflexion sur le sujet, on remarque que la précision générale est plutôt bonne à condition d’estimer que l’unité avoisine les 9,2-920 g plutôt que les 9,4-940 g, auquel cas, les déviations relatives dépasseraient les 10 %. Il est à l’heure actuelle impossible de dire si ce constat doit être imputé aux choix technologiques opérés ou à l’état de conservation des objets.
Le lot 3 : le shekel de “Karkemish” ?
D’un point de vue morphologique, le lot 3 est très proche du lot 2 et se caractérise par l’utilisation de poids quadrangulaires avec et sans bélière (pl. 11-3 et pl. 11-4). De la même façon que le précédent, les poids les plus lourds sont constitués d’un noyau en plomb à l’intérieur d’une enveloppe en alliage cuivreux alors que les plus petits semblent être intégralement en alliage cuivreux massif. En dehors de l’aspect métrologique, la seule chose qui distingue les poids du lot 3 est l’aspect de l’alliage cuivreux qui nous apparaît brun et sombre. Il semble également qu’il ait été plus attaqué par l’environnement aquatique, les éléments de préhension notamment sont souvent lacunaires et leurs arrêtes lissées.
Avec 17 individus, ce lot présente un nombre d’éléments plus importants que les deux précédents et également un intervalle de mesure légèrement plus large [2,56 : 2395,9 g]. Parmi les objets bien identifiables, on compte les poids BajC-AT (396,7 g) et BajC-AV (780,3 g), d’un ratio égal à environ 1 : 2, ainsi que le poids BajC-BF dont le rapport arithmétique avec les précédents semble plus complexe.
Le poids BajC-AV entretient également un rapport 1 : 3 avec le poids BajC-AP (2395,9 g) qui est vraisemblablement son seul multiple. Il est probable que le poids BajC-AX (740 g) corresponde à la même unité bien qu’il soit plus léger de 40 g (soit un peu plus de 5 % de déviation). Le poids BajC-AE (73,95 g) pourrait quant à lui être un dixième de cette unité étant donné la légère lacune de sa partie sommitale (fig. 3-32 et 33).
L’existence d’un poids de 780,3 g qui équivaut presque parfaitement au centuple du shekel dit de “Karkemish” de 7,83 g, encourage à chercher dans ce lot une structuration autour de cette unité connue de longue date en Méditerranée78 (voir le chapitre “La Méditerranée centrale et oriental : creuset de la métrologie historique”, p. 15). Nous pouvons cependant nous interroger sur un certain nombre d’objets qui, s’ils paraissent proches de multiples ou fraction de ce shekel, sont plus à même d’être articulés autour d’une unité plus légère de quelques centigrammes. Avec 17 individus, une analyse quantale ne peut être considérée comme réellement significative, mais peut nous donner des pistes de réflexion. Sur un intervalle de recherche entre 2 et 100 g, le quantum le plus fiable est égal à 14,7 g, pour un pic d’une magnitude de 2,64 (fig. 3-34), soit le double de 7,35 g. Une telle unité serait alors plus proche de celles identifiées à Uluburun et Cap Gelidonya par C. Pulak, respectivement de 7,4 et 7,1-7,3 g79.
Les reconstructions possibles du système pondéral du lot 3 (fig. 3-35) montrent qu’il est bien difficile de trancher quant à l’attribution de l’une ou l’autre des unités. De plus, de nombreux poids non attribués semblent pouvoir correspondre morphologiquement à ce lot, mais sont trop endommagés pour donner la moindre information complémentaire. Les unités envisagées sont trop proches les unes des autres et les multiples trop grands pour qu’il soit possible, dans les conditions de conservation de cette série, d’en dire plus. Il est possible d’envisager tout aussi bien que l’unité structurante soit le shekel de 7,83 g ou alors une unité plus légère de 7,4 g.
Une dernière hypothèse est que les deux unités soient utilisées en même temps. Dans ce cas-là, on peut soit admettre qu’il s’agit d’un seul lot spécialement dédié à la conversion, soit de deux lots que nous ne parvenons pas à distinguer. De manière plus générale et dans l’hypothèse qu’il s’agit bel et bien d’un seul lot, on remarque un nombre important d’unités légères qui laisse plus de souplesse dans la pesée inférieure à 100 g, alors que ce que les deux lots analysés précédemment sont plus adaptés aux intervalles lourds.
Un quatrième lot et une unité de 83 g ?
Nous pouvons potentiellement identifier un quatrième lot au sein de la série de poids de balance du Bajo de la Campana bien que ses critères d’identification soient moins clairs. Nous considérons ici les poids de balance de base et de profil quadrangulaires sans dispositif de suspension/préhension ou ne présentant que deux perforations sommitales comme vestige d’un potentiel système de la sorte (pl. 11-5). Si les poids les plus lourds sont aisément identifiables, les poids les plus légers posent plus de difficultés puisque nous avons intégré dans les lots 2 et 3 des poids cubiques de petites dimensions. Si la couleur de l’alliage qui caractérise le lot 2 rend peu probable une quelconque confusion, il n’est pas impossible en revanche que certains poids de balance classés au sein du lot 3 puissent appartenir au lot 4. L’attribution de ces derniers ayant été attribuée selon des critères métrologiques (les relations arithmétiques les plus logiques ayant été privilégiées), une mauvaise attribution est envisageable.
Trois poids de balance sont ici aisément associés en raison de la présence en leur sommet de deux perforations que nous attribuons potentiellement à un dispositif de préhension disparu, mais qui pourraient n’être que des éléments liés à la mise en forme de l’objet, tout comme les perforations latérales. Ces trois poids (BajC-AH, BajC-AM et BajC-Y) dont les masses valent respectivement 211,28 g, 834,6 g et 1693,5 g, présentent un ratio de 1 : 4 : 8 qui laisse peu de doute quant à la pertinence de leur association. Le poids BajC-T (86,34 g) a également été attribué à ce lot en raison du ratio 1 : 10 qu’il semble entretenir avec le poids BajC-AM. Ce dernier ne présente pas la double perforation sommitale, mais ne montre aucune trace d’un dispositif de préhension non plus. Il se distingue en revanche par la concavité de deux faces opposées. Le poids BajC-X (1276,7 g) présente une base concave assez similaire, ce qui nous a amené à également l’intégrer dans ce lot. D’un point de vue métrologique, il s’intègre particulièrement bien et le ratio complet du lot est alors 4/10 : 1 : 4 : 6 : 10 (fig. 3-36 et 37).
Ce lot n’étant composé que de 5 individus – dont l’association est, qui plus est, incertaine – il serait bien ambitieux de vouloir aller plus loin dans l’interprétation métrologique de ce lot. On peut toutefois remarquer une certaine cohésion marquée par l’utilisation d’un système numéral binaire-décimal dont l’origine peut probablement être rattachée au shekel babylonien de 8,3 g.
D’autres lots et d’autres unités ?
La vingtaine de poids restante peut difficilement être classée sur la base de critères morphologiques et l’état de dégradation de la majorité d’entre eux rendrait toute attribution métrologique particulièrement douteuse (pl. 11-6 et 11-7). Les poids intacts ou peu endommagés ne permettent pas, en tant que tels, de les attribuer à un lot ou un autre, à un système métrologique ou un autre. Le poids BajC-AR (2623,1 g) pourrait correspondre au lot 3 d’un point de vue morphologique, mais il ne semble pourtant correspondre à aucune des unités identifiées jusque-là. Le poids BajC-AL (494,1 g) pourrait éventuellement correspondre à une mine de 470 g, mais est donc attribuable à n’importe lequel des systèmes. Morphologiquement, il semblerait toutefois plus opportun de l’attribuer au lot 2. Si cette hypothèse est exacte, il correspondrait à la même unité que le poids BajC-AK (445,4 g). Le poids BajC-U (160,02 g), de forme cubique, se rapproche de la masse de BajC-BG (161,7 g) classé dans le lot 3, mais il se distingue en revanche par sa forme. Les poids cubiques BajC-L et BajC-O (5,43 g et 11,32 g) entretiennent un ratio de 1 : 2 sans qu’il ne soit possible de les intégrer assurément à un système ou un autre.
Il y a fort à parier que plusieurs des poids les plus endommagés appartiennent à l’un ou l’autre des lots identifiés jusqu’ici. D’un point de vue métrologique, les artefacts restants ne permettent pas une interprétation objective à moins de risquer de tomber dans le comparatisme le plus primaire. Nous noterons toutefois l’existence de certains éléments qui pourraient laisser penser que les unités égéennes de 5,5 g et 61-65 g puissent être employées. D’une part, les poids BajC-L et BajC-O (5,43 g et 11,32 g) qui pourraient représenter l’unité de 5,5 g et son double. Les poids légèrement lacunaires BajC-AC (53,34 g) et BajC-AD (54,64 g) seraient quant à eux de bons candidats au décuple de la même unité. BajC-BE (218,65 g) pourrait alors représenter le quadruple de ces derniers. D’autre part, l’unité de 61-65 g pourrait être représentée par le poids BajC-BD (61,53 g) alors que le poids BajC-AR (2623,1 g) trouverait sa meilleure correspondance comme le multiple 40 d’une telle unité. Ces derniers éléments ne sont toutefois que des possibilités et pourraient trouver bon nombre d’explications alternatives.
4. Les instruments de pesée de l’épave
du Bajo de la Campana : bilan et comparaisons
L’étude des poids de balance du Bajo de la Campana ne permet malheureusement pas d’atteindre le degré de finesse des résultats obtenus par C. Pulak à partir du matériel d’Uluburun et Cap Gelidonya, la faute notamment aux dégradations de nos objets. Malgré cela, on peut tirer plusieurs conclusions de l’étude de l’ensemble dont beaucoup rappellent les deux épaves de l’âge du Bronze.
Nous remarquons tout d’abord que les poids de balance découverts dans l’épave sont destinés à la pesée de matériaux relativement lourds ([2,56 : 2835,5 g]), tout du moins en comparaison avec ce qui est identifié sur le continent à la même période. L’intervalle de mesure est plus élevé que ceux des épaves d’Uluburun et Cap Gelidonya qui n’excèdent pas le kilogramme mis à part quelques exemplaires80. De plus, la présence de nombreux poids (12 ind.) supérieurs à ce que l’on peut probablement identifier comme des doubles mines (783, 830 et 940 g) laisse penser que l’utilisation courante de ces objets concerne le contrôle de produits de plusieurs kilogrammes. Il est en revanche difficile de savoir si la destination de ces poids est une mesure fine ou un contrôle de masses préalablement calibrées. En effet, si des poids de masses inférieures existent, aucun lot ne présente une construction permettant la mesure d’une suite ininterrompue de multiples de l’unité structurante. Le meilleur exemple en est le lot 1, qui permet de peser jusqu’à neuf fois l’unité d’environ 930 g, mais n’autorise en revanche pas de découpage précis de cette unité puisque seules les fractions 1/10 (représentée deux fois), 2/10 et 3/10 sont utilisées, à moins d’utiliser les poids en soustraction (en les plaçant du même côté que la marchandise pesée), une hypothèse qui ne doit pas être écartée.
Un tel système, plus qu’une réelle mesure, ressemble plutôt à une forme de numération par “paquets” d’environ 930 g. L’objectif n’est pas de mesurer précisément la marchandise, mais bel et bien de la compter. Dans le cas de produits qui ne sont pas intuitivement énumérables (produits issus de l’agriculture stockés dans des conteneurs un tant soit peu normalisés, têtes de bétail, produits manufacturés, etc.) l’unique façon d’estimer une quantité de produits est de mesurer son volume ou sa masse. En conséquence, la précision de la mesure et l’unité choisie n’ont que peu d’importance.
Toutefois, l’autre élément qui caractérise l’ensemble du Bajo de la Campana, et qui le rapproche de ce fait particulièrement des épaves d’Uluburun et du Cap Gelidonya, est l’existence d’un grand nombre de poids de balance, vraisemblablement organisés en lots différenciés. Le nombre d’instruments de pesée du Bajo de la Campana (61 ind.) se rapproche d’ailleurs beaucoup de celui de la plus récente des épaves (Cap Gelidonya, 67 ind.). Deux hypothèses semblent pouvoir expliquer l’utilisation d’un aussi grand nombre de poids de balance, répartis en plusieurs lots, dans un navire. La première est que les différents lots correspondent à un même usage métrologique. Ils ne présentent pas de différences majeures dans les systèmes métrologiques utilisés, ni dans leurs formes, et l’ensemble global montre plutôt la répétition d’un même lot en plusieurs exemplaires. Cette hypothèse a été privilégiée par C. Pulak pour expliquer une large partie de l’ensemble d’instruments de pesée d’Uluburun. Il a émis l’idée que chaque lot de poids de balance soit la propriété personnelle d’un marchand81. Cela suggérerait que l’équipage d’un navire est composé de plusieurs marchands, probablement avec leur propre cargaison et leurs propres intérêts commerciaux dans le trajet. Une deuxième hypothèse, qui semble plus à même d’expliquer l’ensemble de poids du Cap Gelidonya, est l’adaptation des lots en fonction d’unités distinctes. Dans ce cas, ils peuvent varier par leurs formes mais surtout par leur construction pondérale.
Dans le cas qui nous concerne, cette deuxième hypothèse semble être la plus adéquate pour expliquer les différents lots que nous avons identifiés. En effet, d’une part, l’échec de l’analyse quantale sur l’intégralité de l’échantillon atteste de l’existence de sous-ensembles aux constructions métrologiques distinctes. D’autre part, les recompositions de lots auxquelles nous avons procédé, bien qu’elles restent incomplètes, montrent qu’au moins une partie des poids de balance se différencient à la fois par leur forme et le système métrologique auquel ils renvoient. De plus, les systèmes en question sont représentatifs de la mosaïque de systèmes métrologiques qui existent en Méditerranée depuis le IIIe millénaire a.C.
Le lot 1 et le lot 2 partagent vraisemblablement une même unité métrologique, mais se distinguent en revanche par leur construction numérale. La simplicité du lot 1, caractérisé par une unité, son double et son triple – structure ensuite répétée au décuple – nous laisse penser que son utilisation se rapproche plus d’une opération de numération que d’une véritable volonté de mesure. Un tel lot de poids de balance doit vraisemblablement permettre d’estimer rapidement la quantité de matériaux non énumérables en divisant celui-ci en “paquets” d’environ 930 g pour les matières lourdes ou présentes en grandes quantités, ou 93 g pour les matières en plus faible quantité et/ou plus précieuses.
Les lots 2 et 3, et éventuellement le 4 si certains de ses composants n’ont pas été identifiés, possèdent une structuration plus complexe avec vraisemblablement des unités et sous-unités, chacune ayant des fractions et des multiples. Une telle élaboration est probablement le signe d’une démarche de mesure plus poussée bien que les marges de déviation soient parfois élevées entre mêmes valeurs. Toutefois, cette dernière donnée pourrait être grandement biaisée par l’état de conservation des objets.
Les instruments de pesée du Bajo de la Campana renvoient donc à un ensemble organisé en lots, vraisemblablement destinés à un usage complémentaire dans le cadre des activités commerciales clairement attestées par le reste de la cargaison. Les poids de balance des différents lots n’ont a priori pas été fabriqués dans un même temps, bien qu’une partie de la technologie (notamment la fonte de plomb dans une coque en alliage cuivreux) soit partagée par des objets de plusieurs lots. Nous ne connaissons actuellement pas de parallèle aux poids bimétalliques de l’ensemble, mais les poids piriformes en plomb sans bélière sont en revanche très proches morphologiquement de ceux de type domed retrouvés dans les épaves d’Uluburun et Cap Gelidonya, ce qui démontre la persistance d’un certain nombre de pratiques pondérales entre le XIVe et le VIIe s. a.C., bien que cette période soit avare en données de ce type.
IV. Entre création, adaptation et adoption :
discussion sur le développement de la pratique pondérale en péninsule Ibérique
L’apparition de la pratique pondérale et des premiers instruments de pesée en péninsule Ibérique a souvent été mise en relation avec le développement du commerce méditerranéen, d’abord avec les Phéniciens puis avec les Puniques et les Grecs. Nous avons pu constater que les poids de balance les plus anciens de la péninsule Ibérique sont effectivement identifiés dans le Sud-Ouest pour la période des XIe-IXe s. a.C., bien que les problèmes liés aux datations restent importants. C’est dans cette même région et pour la même période que nous connaissons les premières traces de contacts soutenus entre les populations locales et les Phéniciens, ce qui a renforcé l’hypothèse d’une adoption des pratiques de pesée. Ce modèle de diffusion-adoption s’est hissé au rang de paradigme au cours des dernières décennies au point d’être difficilement discutable. L’objectif est ici d’observer d’un œil neuf les données archéologiques à disposition, au moyen de méthodes homogènes, afin de rediscuter ce phénomène et la réalité de sa matérialisation dans le registre archéologique.
1. Bilan des pratiques pondérales :
parallèles et différences
Le shekel de 9,4 g : une unité fédératrice
Ce qui apparait selon toute vraisemblance comme l’une des grandes caractéristiques fédératrices entre les poids utilisés en péninsule Ibérique avant le VIe s. a.C. et les instruments de pesée utilisés dans un cadre commercial, tout du moins dans le cas du navire gisant au Bajo de la Campana, est l’utilisation d’une unité d’environ 9,4 g. Nous appelons par commodité cette unité “shekel ougaritique” bien qu’il soit réducteur de lui attribuer une patrie d’origine tant son histoire est longue et complexe. Nous regardons aujourd’hui cette unité métrologique, avec un regard globalisant qui embrasse plusieurs millénaires et fait abstraction de la distance, comme un étalon ayant une origine, une fonction et une destination. Il est toutefois peu probable que telle ait été la vision des populations qui la maniaient à la fin de l’âge du Bronze et au début de l’âge du Fer.
Toutefois, l’unité ou des multiples de cette unité structurent sans le moindre doute une partie des pratiques pondérales de ces périodes en Méditerranée dont le sud-ouest de la péninsule Ibérique. Nous la retrouvons ainsi aussi bien dans les sites indigènes, que dans les établissements phéniciens et dans l’épave phénicienne qui a coulé au Bajo de la Campana. On remarque cependant que cette unité n’apparaît jamais comme l’unique élément structurant de la pratique pondérale. Bien au contraire, celle-ci est organique et opportuniste presque systématiquement articulée autour de plusieurs unités qui se correspondent par des jeux de multiples et de fractions.
Il convient donc de se demander si nous sommes réellement en mesure de parler d’unités métrologiques ou d’unités pondérales. Parler “d’unités” revient à admettre et intégrer l’idée que le système s’organise autour d’un élément inaliénable égal à “1”. Or, cela ne semble jamais être le cas dans les échantillons analysés ici. Ce que nous observons se rapproche plus de constructions empiriques et composites construites par un ensemble de passerelles arithmétiques. L’observation de l’unité de 9,4 g semble ici être la matérialisation de rencontres entre pratiques pondérales, systémiques ou non, dont les nœuds névralgiques se cristallisent autour de convergences de valeurs. L’une des deux pratiques étant organisée à coup sûr autour de cette unité (pour partie du moins), les points de convergences des deux systèmes sont par conséquent des multiples de celle-ci.
Cependant, les instruments de pesée du Bajo de la Campana montrent que les marchands qui sillonnent la Méditerranée sont loin de se contenter d’une seule unité pondérale. Nous savons que très tôt, de nombreux systèmes métrologiques coexistent en Méditerranée centrale et orientale, et que plusieurs d’entre eux sont maniés par l’équipage du navire retrouvé au Cap Gelidonya. Le contexte socio-économique a évidemment bien changé entre le XIIIe et le VIIe s. a.C., toutefois les pratiques métrologiques montrent généralement une grande inertie et peu de cas attestent de changements radicaux dans les usages de la pesée en fonction des changements de régimes politiques. L’étude des poids du navire échoué au Bajo de la Campana laisse penser que les marchands qui étaient à son bord avaient autant l’habitude de l’usage d’unités métrologiques variées que ceux du XIIIe s. a.C. Nous pouvons envisager sans mal que cette situation n’a que peu changé durant les sept siècles qui séparent les deux naufrages. La question qui se pose alors est : pourquoi est-ce uniquement l’unité de 9,4 g qui est identifiée dans les sites autochtones péninsulaires ?
Créer l’outil : des habitudes qui divergent
Du point de vue de la création même des poids de balance, nous constatons des divergences importantes entre les différents contextes. Comme nous l’avons dit plus haut, les poids les plus anciens sont ceux associés à des contextes indigènes et sont fabriqués en alliage cuivreux avec vraisemblablement une prédilection pour les alliages de bronze, également utilisés pour le reste de la production métallique. Nous voyons en revanche que les contextes phéniciens, à partir du VIIIe s. a.C., privilégient l’usage du plomb, que ce soit par la confection d’objets entièrement en plomb, en alliage cuivreux riche en plomb ou bimétalliques comme les poids à noyau en plomb et enveloppe en alliage cuivreux. Nous noterons toutefois qu’au Bajo de la Campana, nous trouvons des poids cubiques entièrement en alliage cuivreux dont la composition métallique nous est inconnue. Il est impossible de dire si l’absence de poids en pierre identifiés correspond à une réalité archéologique ou à un simple état de la recherche. Nous avons en effet pu voir au travers des études de cas de Malvieu (Saint-Pons-de-Thomières, Hérault, France) et de Danebury (Stockbridge, Hampshire, Angleterre) que l’analyse poussée de productions lithiques non caractérisées peut amener à l’identification de poids de balance (voir les chapitres “La Gaule mériodionale : entre Celtes, Ligures et Ibères”, p. 187 et “Les îles Britanniques : le cas particulier de Danebury”, p. 209). Il n’est pas à exclure que des instruments similaires soient encore à identifier en péninsule Ibérique.
Nous pouvons en déduire que la chaîne opératoire diffère également, mais le peu d’informations à notre disposition nous empêche d’en fixer les caractéristiques. On observe toutefois l’usage d’une chaîne opératoire originale pour confectionner une partie des poids quadrangulaires à bélière du Bajo de la Campana qui consiste à créer une enveloppe en alliage cuivreux, remplie dans un second temps de la quantité nécessaire de plomb afin d’obtenir la masse totale désirée. Une telle chaîne opératoire n’a vraisemblablement pas de parallèle dans la péninsule antérieurement ou contemporainement. Nous n’avons guère trouvé plus de comparaisons possibles dans le matériel de Méditerranée centrale et orientale mis à part certains poids zoomorphes d’Uluburun. Cependant, l’observation de cette chaîne opératoire tient en grand partie à l’endommagement des objets en raison du dynamitage du site, un environnement taphonomique heureusement rare.
La dernière grande différence dans les choix de création des poids de balance tient de leur forme. Nous avons vu que, sur les sites continentaux, une dichotomie entre des poids indigènes de tendance cylindroïde et des poids phéniciens de tendance cubique était observable (fig. 3-38). Ce constat est corroboré par l’existence d’un grand nombre de poids cubique ou à base carré dans le contenu de l’épave du Bajo de la Campana. À l’inverse, les poids cylindroïdes ne sont pas représentés, mis à part éventuellement par le poids BajC-C qui, bien que très endommagé, laisse entrevoir une forme cylindrique.
Mesurer et compter :
des pratiques pondérales incommensurables
L’élément qui nous semble toutefois le plus pertinent pour parler des différences de pratique entre la pesée telle qu’elle est représentée sur le navire coulé au Bajo de la Campana et celle observée sur les sites péninsulaires passe par les formes que prennent les structures métrologiques. En premier lieu, si nous comparons sur un même intervalle d’observation la distribution des poids de balance des sites continentaux et de l’épave du Bajo de la Campana en fonction de leur masse, on peut remarquer immédiatement que les choix opérés sont drastiquement différents (fig. 3-39). Les deux échantillons comportent un nombre équivalent d’artefacts – respectivement 61 et 82 –, mais il apparaît clairement que les concentrations ne sont pas du tout les mêmes. Tous les poids trouvés en péninsule Ibérique sont inférieurs à 60 g alors que moins d’un quart de ceux du Bajo de la Campana sont concernés par cet intervalle et qu’un tiers d’entre eux sont supérieurs à 700 g. Ainsi, la moyenne des masses des poids des sites péninsulaires (9,6 g) est plus de soixante fois plus petite que celle des poids du Bajo de la Campana (604,4 g).
On pourrait tout à fait argumenter que cela résulte des processus de formation des contextes archéologiques. D’un côté, une catastrophe – un naufrage – sédimente dans un laps de temps court – d’un point de vue archéologique – l’intégralité des instruments de pesée utilisés sur un navire. De l’autre, nous retrouvons essentiellement les poids de balance perdus ou abandonnés dans des sites d’habitat occupés sur un temps long. Il est alors envisageable que des poids de balance métalliques plus lourds aient existé, mais, pouvant difficilement être perdus, ils ont fini par être recyclés, d’où leur absence dans notre registre archéologique. Une autre possibilité serait que ces poids plus lourds aient été fabriqués dans d’autres matériaux (la pierre par exemple) et n’aient pas encore été identifiés comme tels dans le répertoire archéologique. Une situation qui serait alors similaire à ce que nous avons pu observer dans des contrées plus septentrionales (voir le chapitre “Le groupe nord-alpin : les poids quadrangulaires métalliques et assimilés”, p. 116). Cette situation n’expliquerait pas, en revanche, l’absence de poids lourds dans les dépôts non funéraires.
Au sein des ensembles les plus nombreux (7 poids à Baleizão, 16 au Castro de Pragança ou encore 5 au Cerro Salomón), on remarque assez peu de répétitions (mis à part pour les poids d’environ 4 g du Castro de Pragança). Au contraire, ces ensembles sont plutôt marqués par des complémentarités métrologiques. Ce constat laisse penser que les éléments les plus légers sont destinés à permettre des combinaisons et des mesures précises. De plus, les poids de Baleizão sont volontairement associés dans un dépôt métallique qui comporte par ailleurs des objets beaucoup plus lourds. Un tel choix laisse penser que le lot entier est déposé et que son élément le plus lourd est donc le poids Bal-A de 18,64 g. De plus les trois haches en alliage cuivreux du dépôt, bien que largement plus lourdes que les poids (203,31 g, 266,14 g et 633,41 g82), entretiennent entre elles un rapport pondéral83 1 : 1 : 3 ou 1 : 1 1/3 : 3.
Il semble donc plus que probable que les poids de balance en alliage cuivreux produits en péninsule Ibérique à la fin de l’âge du Bronze et au début de l’âge du Fer aient bel et bien l’unique vocation de peser des matériaux légers dans l’optique d’une mesure pondérale de précision. Si les populations indigènes pratiquent une pesée “de gros”, celle-ci ne repose probablement pas sur les mêmes artefacts et s’en dissocie dans le registre matériel, notamment par le dépôt des poids légers uniquement à Baleizão. La pesée de précision semble ainsi avoir vocation à exister en tant que telle, une caractéristique très différente de ce que l’on peut observer dans l’épave du Bajo de la Campana où aucun indice ne suggère une quelconque séparation franche entre pesée de précision et pesée massive.
La question est plus difficile en ce qui concerne les poids trouvés sur les établissements phéniciens. Si nous avons montré qu’ils sont utilisés dans des ordres de grandeur similaires à ceux des sites autochtones, ils ne sont trouvés en grand nombre qu’à La Fonteta où l’on observe plusieurs valeurs répétées (autour de 0,3 g ; 3,3 g ; 22g). Dans ce contexte, il semble alors difficile d’affirmer que nous soyons en présence de lots complets. Il est par conséquent possible que le registre archéologique ne nous renseigne que sur une infime fraction de la pratique pondérale, et a fortiori celle des plus petites mesures.
En observant la distribution des 13 poids de balance du Bajo de la Campana inférieurs à 60 g et les 82 poids découverts dans la péninsule, on remarque que les logiques de distribution diffèrent (fig. 3-40). On remarque en effet d’importantes concentrations de valeurs dans les intervalles inférieurs à 20 g pour la péninsule alors qu’assez peu d’exemplaires peuvent y correspondre dans l’épave. En revanche, si l’on ne prend en considération dans la comparaison que les poids issus des contextes phéniciens, une situation toute différente semble apparaître. On observe en effet, malgré certaines différences, des logiques similaires : peu de poids entre 30-55 g, une concentration entre 25 et 30 g et des exemplaires plus légers peu nombreux, mais dont plusieurs valeurs sont perceptibles dans les deux échantillons et équivalent environ à 29 g, 27 g, 22 g, 18-19 g, 14-15 g (fig. 3-41).
Une explication tentante à cela serait de voir dans les poids de balance découverts dans les établissements phéniciens les exemplaires les plus légers d’une unique pratique métrologique dont les exemplaires du Bajo de la Campana seraient plus représentatifs car identifiables au complet. Cela expliquerait également la difficulté que nous avons rencontrée pour restituer les systèmes employés sur ces établissements. La raison à cela serait alors que nous soyons uniquement en possession de quelques éléments épars d’un arsenal métrologique complexe construit à partir de différentes unités pondérales et systèmes numéraux. Leur présence dans ces établissements serait donc aléatoire et conditionnée par leur petite taille qui favorise la perte ou par l’absence d’identification d’exemplaires en matériaux lithiques.
En revanche, si nous estimons que la présence de poids légers dans des contextes phéniciens résulte d’un caractère volontaire, ou reflète une réalité, alors il semble légitime de dire qu’il s’agit là d’une volonté d’homogénéisation entre deux systèmes ou deux pratiques, l’un indigène et l’autre exogène. Cependant, si nous admettons cette possibilité, il apparaît peu opportun de l’attribuer à une adaptation des populations indigènes. Nous avons en effet pu observer que ces groupes humains produisent, avant les premières traces de la colonisation phénicienne, des poids de balance légers, en alliage cuivreux, selon des modalités qui leur sont propres, au moins en partie, et qui n’adoptent vraisemblablement jamais la pratique de la pesée de produits lourds (dans l’hypothèse où il ne nous manque pas tout un spectre de la pratique lié à l’utilisation de poids en pierre non identifiés). À l’inverse, les poids légers que nous pouvons appeler “phéniciens” (de forme quadrangulaire ou cubique, généralement en plomb) n’apparaissent pas dans le registre archéologique de la péninsule Ibérique avant la fin du VIIIe s. a.C. Cela ne peut être uniquement attribué à l’augmentation et au changement d’intensité des contacts avec les Phéniciens à cette période, ces derniers étant déjà bien avérés depuis au moins le changement de millénaire. La seule explication serait alors de voir une adaptation de la pratique pondérale phénicienne dans les établissements péninsulaires afin de s’accorder aux habitudes indigènes. Un tel ajustement semble de plus assez cohérent avec les habitudes des marchands de la côte orientale de la Méditerranée qui, comme le prouvent les instruments de pesée d’Uluburun, Cap Gelidonya et Bajo de la Campana, privilégiaient aux XIVe et XIIIe s. a.C. l’utilisation de systèmes métrologiques multiples et adaptatifs plutôt que l’imposition d’un seul système normal et normalisé et le le faisaient toujours (ou à nouveau) au tournant entre les VIIe et VIe s. a.C. Autrement dit, face à l’utilisation par les populations indigènes d’un système pondéral léger, les marchands méditerranéens privilégient, sur leurs comptoirs de péninsule Ibérique, la création de petites divisions afin de pouvoir mesurer dans des intervalles de grandeurs similaires à leurs interlocuteurs locaux. Ce processus ne semble pas s’accompagner d’une homogénéisation des systèmes métrologiques entre les deux partis puisque, comme nous l’avons vu, les valeurs pondérales représentées par les poids tendent à différer entre les contextes indigènes et allogènes. Il semble au contraire que les populations phéniciennes privilégient des fractions légères de leurs propres systèmes métrologiques.
2. Rôles et enjeux de la pratique pondérale
La pratique pondérale : quelle place dans les échanges
au Bronze Final et au Fer Ancien ?
Au vu des résultats présentés, nous pouvons nous interroger ici sur la place réelle qu’a pu jouer la pesée dans les processus d’échange entre populations indigènes et marchands méditerranéens entre la fin de l’âge du Bronze et la fin de la période orientalisante en péninsule Ibérique. Nous avons en effet pu constater la faible volonté d’adéquation entre les pratiques de la part des deux partis malgré l’utilisation d’une même unité structurante. Nous nous interrogerons plus loin, dans un cadre global, sur les hypothèses d’apparition et d’évolution de la pratique en péninsule Ibérique, mais il semble opportun de faire ici un premier bilan sur les possibilités commerciales de la pratique pondérale.
Dans un contexte commercial, la pesée a théoriquement pour objectif principal de calculer la quantité d’un bien destiné à l’échange lorsque celui-ci n’est pas intuitivement énumérable. Il peut s’agir d’un procédé analogique, autrement dit qui permet, avec une précision fine, de calculer la masse d’un produit selon un système métrologique donné, ou bien d’un procédé numérique, qui consiste alors à compter des paquets dudit produit dont la masse correspond à une unité choisie. En dehors des considérations purement conceptuelles qui correspondent à chacun de ces procédés, leur principale différence est que le premier cas de figure nécessite l’utilisation d’instruments permettant la mesure de n’importe quelle valeur du système métrologique en fonction de la précision souhaitée.
On peut distinguer trois situations générales permettant l’usage de la pesée dans le cadre d’opérations commerciales. Dans un premier cas, les systèmes métrologiques employés de part et d’autre ne sont pas convertissables (ou les acteurs ne souhaitent pas procéder à des conversions) et le produit est pesé à deux reprises : une fois par le “vendeur” et une fois par “l’acheteur”. Cette situation peut également avoir lieu lorsque les deux partis estiment qu’ils peuvent se fier, pour une raison ou une autre, aux instruments de l’autre. Ce processus de double pesée commerciale est celui décrit par C. Pulak lorsqu’il interprète les poids d’Uluburun84 et par Jean-Jacques Crappier pour le peuple africain des Akan85.
Dans une deuxième situation, les systèmes métrologiques sont convertissables et une double pesée peut être effectuée pour faire cette conversion, autrement dit pour transcrire la valeur mesurée dans chacun des systèmes. Dans ce cas de figure, il est possible qu’une seule pesée soit suffisante à condition que les deux partis entretiennent des relations basées sur la confiance et jugent les instruments utilisés fiables. Il est à noter qu’il est tout à fait possible qu’une tierce personne ait la charge de la mesure afin d’annuler théoriquement les possibilités de fraude.
Le dernier cas de figure est celui où les deux partis utilisent un même système métrologique. Ici, il est théoriquement possible de faire une seule pesée, mais uniquement à condition que l’opération de mesure soit considérée comme fiable, soit en raison de relations interpersonnelles fondées sur la confiance, soit dans le cas d’un contrôle systémique et normalisé des instruments. Si ces conditions ne sont pas remplies, il est probable qu’une deuxième pesée de contrôle soit effectuée.
Par conséquent, on peut globalement estimer que dans le cas où seul l’un des partis possède la technologie pondérale, il n’a alors que très peu d’intérêt à en faire profiter son interlocuteur à moins de s’inscrire dans une pratique performative, autrement dit un procédé de démonstration d’un savoir-faire considéré comme exceptionnel par le spectateur.
La pesée n’est clairement pas le procédé le plus facile à mettre en œuvre dans le cadre d’une activité commerciale. L’impossibilité d’en juger la fiabilité sans rétrocontrôle la place obligatoirement dans un jeu de confiance primordial au bon déroulement de l’échange. Cependant, pour qu’elle puisse être utilisable, le critère principal, bien plus que l’usage d’un même système métrologique, est que les outils permettent des mesures dans des ordres de grandeur similaires. Dans ce domaine, la comparaison entre le registre matériel péninsulaire et celui de l’épave du Bajo de la Campana montre l’existence de deux logiques totalement différentes. Si l’un des deux corpus doit être mis en relation avec une activité commerciale, c’est bien évidemment le deuxième. Une partie des outils trouvés sur le continent ont pu également être utilisés lors de transactions, mais celles-ci ne concernent alors que des matériaux très légers. On peut s’interroger sur la nécessité de mesurer des quantités aussi faibles dans le cadre d’un commerce maritime à l’échelle de la Méditerranée. Les instruments du Bajo de la Campana montrent bien que l’usage, dans le cadre de l’activité de commerce, est de peser des matériaux de plusieurs kilogrammes et que les unités les plus légères, bien qu’existantes, semblent destinées à une activité spécifique.
L’étude des instruments de pesée antérieurs au VIe s. a.C. trouvés en Espagne et au Portugal montre donc que l’interaction entre Phéniciens et populations péninsulaires n’est pas marquée par l’adhésion à une même pratique pondérale. Leurs caractéristiques diffèrent sur trop de points pour qu’une utilisation unilatérale ait pu être acceptée dans un cadre commercial malgré la probable construction des systèmes métrologiques autour d’au moins une unité commune : le shekel ougaritique de 9,4 g. Contrairement à certaines idées admises, ce que nous analysons ne renvoie pas l’image de l’adoption d’une technologie dédiée au commerce. Nous entendons par là la mise en place d’instruments dont la fonction principale est de participer à l’homogénéisation de l’information entre les deux acteurs d’un échange (l’information étant dans notre cas la quantité de produit échangée). Un échange fondé sur l’honneur se passe généralement de tels outils étant donné qu’ils ne serviraient qu’à mettre en doute cette relation de confiance. Les systèmes métrologiques ne peuvent réellement faciliter des échanges que si une somme de conditions sont réunies : que la transaction se déroule dans un cadre qui nécessite la connaissance par les deux partis des quantités échangées et que ces quantités soient alignées sur un système de grandeur consensuel qui permet d’éviter la double mesure des produits ou de passer par un système de conversion. Dans le cas qui nous concerne, il serait d’une part déjà difficile de démontrer que nous pouvons parler de commerce pour les échanges entre les populations de péninsule Ibérique et les marchands méditerranéens. D’autre part, nous avons vu que les instruments de pesée ne sont pas suffisamment homogénéisés de part et d’autre pour réellement y percevoir l’adoption d’un outil destiné à faciliter les transactions.
Ce que nous observons est avant tout l’héritage d’une pratique qui a la vie dure – la pesée et l’utilisation de certaines unités pondérales structurantes – et non pas le résultat d’une politique commerciale consentie par plusieurs partis. Une entité politique, quelle qu’elle soit, ne pourrait garantir et maintenir l’utilisation d’étalons de mesure durant un temps aussi long (plus de deux millénaires dans le cas du shekel ougaritique). La seule et unique chose qui permet le maintien de telles constantes est la pratique régulière (le shekel ougaritique par exemple, n’a probablement jamais cessé d’être utilisé quotidiennement au point d’être complètement associé à l’idée d’unité, indépendamment de son origine). Plus qu’un medium de l’échange et de la communication, les étalons pondéraux persistants sont probablement à voir comme les vestiges cristallisés de ces procédés d’interaction. Nous ne connaissons pas avec exactitude les modes d’organisation sociale et politique des populations que nous étudions ici. Mais il reste probable que leurs activités soient régies par l’habitude plus que par les décisions systémiques. Même en Grèce, lorsque Solon réforme les systèmes de mesures, il n’impose en réalité rien de réellement nouveau et se contente d’officialiser des pratiques qui sont déjà quotidiennes, comme l’emploi de la mine86. Dans le cas des populations locales de la péninsule Ibérique pour la fin de l’âge du Bronze, il nous semble possible d’admettre avec vraisemblance que le noyau dur de ces habitudes pondérales consiste en la mesure de masses légères (une hypothèse qui peut être retenue jusqu’à ce que nous identifiions des poids de balance plus lourds sur cette aire géographique) et la maîtrise de la pesée d’alliage cuivreux.
Aux origines de la pesée péninsulaire
La question qui demeure est donc de savoir dans quel contexte et dans quelle mesure s’est développée la pratique pondérale en péninsule Ibérique et pourquoi la première matérialisation que nous en observons semble s’appuyer sur une unité méditerranéenne. Nous savons qu’aux alentours du XIe s. a.C., les populations du sud-ouest de la péninsule Ibérique utilisent des poids de balance en alliage cuivreux de masses légères. À la même période, les populations du sud de la péninsule entretiennent déjà des contacts relativement réguliers avec la Méditerranée orientale, comme le laissent entendre dans un premier temps les importations chypriotes puis les traces d’une première phase d’échanges avec les Phéniciens qui précède l’installation de leurs premiers établissement pérennes (vers la fin du Xe s. à Huelva mais qui prend une plus grande ampleur à partir du VIIIe s. a.C.). Pourtant, la manifestation archéologique de la pratique de pesée, telle que nous l’identifions, ne se matérialise pas comme l’imitation d’un procédé préalablement inconnu (comme ce qui se passera par exemple plus tard pour les premières frappes de monnaies) : les poids sont faits en bronze, ils prennent une forme originale, ils ne concernent qu’une pesée de précision et montrent déjà pour les plus anciens vestiges de la pratique une bonne maîtrise des concepts métrologiques. Il semble ainsi plus probable d’admettre que cette nouvelle pratique s’installe sur un socle de connaissances et d’habitudes dont l’archéologie définit pour l’instant bien mal les contours. S’il est vrai que cette période correspond globalement aux premiers contacts avec des populations phéniciennes, aucun élément ne laisse penser que celles-ci apportent la technologie de la pesée. De plus il ne s’agit pas, et loin de là, des premiers rapports qu’entretiennent les populations locales avec des navigateurs étrangers.
En effet, dès le début du Bronze final, en plus des contacts avec des populations mycéniennes puis chypriotes, le sud-ouest de la péninsule Ibérique est fortement intégré dans des réseaux atlantiques s’étirant jusqu’aux îles Britanniques. Ainsi, plus qu’une terre de confins de la Méditerranée, comme elle est souvent présentée, la péninsule Ibérique représente la charnière entre deux des espaces les plus dynamiques de l’âge du Bronze : l’Atlantique et la Méditerranée87.
Ce monde atlantique, défini archéologiquement sur la base des productions métalliques du XIIIe au VIIIe s. a.C., parmi lesquelles nous comptons les emblématiques épées à langue de carpe88, voit se développer une pratique de pesée dès le Bronze moyen (cf. fléau GdP-1 de la grotte des Perrats à Agris, Charente). Dès le XIIIe s., cette pratique se manifeste sous la forme d’une production de fléaux de balance en os de petite taille et de poids de balance légers en alliage cuivreux. Ces dernières caractéristiques sont proches de ce que nous venons d’exposer pour le sud-ouest de la péninsule Ibérique quelques temps plus tard et il faut alors envisager l’hypothèse que la pratique pondérale ne s’y développe pas dans des réseaux méditerranéens mais bel et bien atlantiques.
Nous avons pu conclure précédemment qu’il était impossible de parler d’une seule unité métrologique pour la production des poids de balance parallélépipédiques en alliage cuivreux trouvés dans le domaine nord-alpin. Malgré tout, certaines tendances sont apparues, dont l’usage d’une unité comprise selon les cas entre 3,9 et 4,8 g environs. Dans certains cas, nous pouvons constater qu’elle correspond bien, d’un point de vue purement mathématique, au quantum de 4,6 g obtenu lors de l’analyse des poids des sites indigènes du sud-ouest de la péninsule Ibérique. Les poids des sites de Montes-Hauts (Rosières-près-Troyes, Aube) et du dépôt de Larnaud (Jura) correspondent par exemple bien à son double ou au shekel ougaritique (9,04 g, 9,14 g et 9,15 g). Nous rajouterons que certains poids cylindroïdes trouvés dans la tombe 90 d’Étigny “Le Brassot” (Yonne, France) – et datés des environs du XIIe s. a.C. – ne sont pas sans rappeler la forme des instruments employés dans le sud-ouest de la péninsule Ibérique.
Il reste impossible à l’heure actuelle d’affirmer une quelconque filiation entre la pesée telle qu’elle est employée dans le sud-ouest de la péninsule Ibérique à l’âge du Bronze et une région particulière, qu’elle soit méditerranéenne ou atlantique. Il semble assez clair que sa manifestation archéologique la plus évidente est datée du moment où les contacts avec les marchands Phéniciens commencent à prendre de l’ampleur, bien qu’ils ne soient pas encore installés dans la région. Nous pouvons probablement admettre que la pratique, telle que nous l’observons dans le registre archéologique, est une réponse à ces contacts. Ses caractéristiques morphologiques et technologiques laissent toutefois penser qu’elle se construit sur un fonds d’habitudes et d’usages déjà existant dont l’origine, au vu des données actuelles, peut aussi bien être développée localement que résulter de contacts avec le monde atlantique, le Bassin égéen ou la Méditerranée orientale.
La pratique pondérale de la période Ibérique (VIe-Ier s. a.C.) :
diversification et complexification
Le début de la période ibérique (VIe s. a.C.) correspond à des modifications bien visibles dans le registre archéologique : augmentation de la densité d’occupation des sites d’habitat, forte augmentation du nombre de produits originaires de Méditerranée centrale, premières identifications d’une pratique autochtone de l’écriture dans la région, etc. Du point de vue de la pratique pondérale, la période est caractérisée par les premières traces claires de l’utilisation étendue d’instruments de pesée sur la façade méditerranéenne de la péninsule et l’explosion générale du nombre d’outils pondéraux par site.
I. L’axe Guadiana/Pays Basque et le Levant :
entre différences et similarités
Malgré une homogénéité morphologique des instruments de pesée sur tout le territoire de la péninsule Ibérique, l’histoire de la recherche montre que le même intérêt n’a pas été accordé à ses parties orientales et occidentales. Ainsi, le Levant ibérique et la recherche en métrologie pondérale entretiennent une relation étroite depuis les premières identifications de poids de balance par I. Ballester89. Comme cela a déjà été abordé, cette région a concentré l’essentiel des recherches sur le sujet jusqu’à aujourd’hui (voir le chapitre “La péninsule Ibérique: un territoire à part ?”, p. 39). Avec 450 poids de balance identifiés dont la forme est globalement standardisée, il s’agit de très loin de l’aire chrono-géographique d’Europe occidentale la plus conséquente et la plus adaptée à une étude métrologique poussée. Un tel constat pourrait amener à se demander si une telle profusion d’instruments de pesée n’est pas le résultat même de cette tradition de la recherche. Celle-ci a un impact, cela ne peut être mis en doute, et le temps qui a été nécessaire pour que soient identifiés des poids de balance dans le reste de la péninsule en est la preuve. Cependant, l’identification d’un tel nombre de poids de balance datés à l’intérieur d’un intervalle de seulement six siècles, alors que moins d’une centaine sont découverts dans le reste de l’Espagne et au Portugal pour la Protohistoire, ne peut pas être attribuée au seul biais de la recherche.
Nous tenterons ici, en accordant une vision globale à ce phénomène, de définir ce qui caractérise la pratique pondérale en péninsule Ibérique et d’appréhender les différences qui peuvent exister entre Est et Ouest.
1. Rencontre avec le “type ibérique” :
un appareil pondéral constant ?
Nous l’avons dit plus haut, l’originalité morphologique des poids de balance “ibériques” est observable sur toute la péninsule depuis au moins la transition entre les âges du Bronze et du Fer (voir le chapitre “Présentation générale : contextes, types, chronologie et distribution”, p. 239). Notre première interrogation est donc de caractériser la création de poids de balance à l’échelle de la péninsule puis de déterminer si des tendances régionales existent.
Une forme traditionnelle ?
La forme identifiée et attribuée aux poids ibériques par I. Ballester en 1930 est celle d’un cylindroïde, généralement tronconique ou discoïdal, en alliage cuivreux ou en plomb et pourvu d’une perforation centrale (pl. 12 et 13)90. La distribution des types de poids de balance de notre corpus montre clairement qu’entre le VIe s. et Ier s. a.C., les formes cylindroïdes sont très largement majoritaires avec 399 éléments soit environ 89 % du corpus. Parmi celles-ci, ce sont les formes tronconiques qui sont dominantes (43 % de la série) devant les discoïdales et cylindriques (32 %) et les bitronconiques (13 % ; fig. 3-42). Les autres formes représentées de manière plus discrète sont les poids rectangulaires (4%), les troncopyramidaux à bélière (3 %) et de manière quasi négligeable les poids coniques et plano-convexes et les poids piriformes à bélière.
Nous trouvons un grand nombre de variantes (forme générale, rapport hauteur/largeur, présence et forme de la perforation centrale, etc.) dont la distribution est peu intelligible. On remarque toutefois que les mieux représentés sont les poids tronconiques à faible pendage et perforation centrale de forme quadrangulaire (89 ind.). Il est intéressant de noter que c’est à cette variante que correspondent les poids du lot de la construcción 27 du departamento b du site de Covalta sur lesquels s’appuie la première identification proposée par Balleter91.
Nous pouvons également observer que la majorité des poids de balance identifiés sont réalisés en métal fusible (alliage cuivreux et/ou plomb). S’ajoutent à cela quelques objets en fer, en pierre ou faits d’une combinaison de plusieurs métaux (fig. 3-43). Au sein de chaque type, certaines tendances se dégagent. Ainsi, les poids cylindriques ou discoïdes sont majoritairement réalisés en plomb (104 sur 141) alors que les tronconiques sont presque exclusivement produits en alliage cuivreux (157 sur 190). Les poids bitronconiques sont moins nombreux (57 ind.), mais on remarque que 42 d’entre eux sont réalisés en alliage cuivreux. Les formes coniques et plano-convexes sont quant à elles presque exclusivement en plomb.
Mis à part la forme et le matériau utilisé dans leur conception, l’autre caractéristique primordiale des poids ibériques est leur perforation centrale. On observe que sur les 399 poids de type cylindroïde, 349 d’entre eux (soit environ 87 %) présentent une perforation centrale dans leur état actuel (fig. 3-44). Les distributions pondérées de la présence et de la forme des perforations centrales en fonction des types de poids de balance montrent certaines tendances (fig. 3-45). On observe ainsi que les bitronconiques sont quasiment systématiquement perforés (55 ind.), de même que les tronconiques (186 ind.). La situation est plus nuancée pour les discoïdes et cylindriques pour lesquels environ un quart des exemplaires (33 ind.) ne présente pas de perforation centrale. Les autres types ne semblent présenter des perforations que de manière occasionnelle. De manière plus spécifique, nous pouvons voir que les bitronconiques possèdent plus rarement de perforations quadrangulaires (12 ind.) alors que les tronconiques présentent essentiellement cette forme (121 ind.). Les variantes cylindriques et discoïdales, quant à elles, présentent peu de perforations de forme quadrangulaire (9 ind.), mais environ autant de formes circulaires qu’irrégulières (respectivement 45 et 49 ind.).
Les formes non canoniques
Les poids cylindroïdes métalliques ne représentent toutefois pas la totalité des éléments intégrés à notre corpus et il est nécessaire de s’interroger sur l’identification de certains objets comme des poids de balance ou non. Dès 1930, Isidro Ballester avait déjà identifié des artefacts partageant des caractéristiques des poids ibériques, comme la perforation centrale, mais adoptant des formes quadrangulaires ou prismatiques92.
Nous pouvons tout d’abord citer trois objets qui adoptent la forme “classique” des poids ibériques, un cylindroïde à perforation centrale, mais dont le matériau est lithique : CR-G (Cancho Roano, Zalamea de la Serena, Badajoz), TSM-41-A (Tossal de Sant Miquel, Llíria, València) et AZ-L (Azougada, Moura, Baixo Alentejo). Les deux premiers sont de forme bitronconique à arrête émoussée, alors que le troisième est un discoïde épais. Les datations de ces trois artefacts ne sont pas suffisamment précises pour apporter la moindre information et force est de constater que leur répartition géographique s’étend du Portugal à la côte méditerranéenne espagnole. En raison du très faible nombre d’occurrences, il ne faut probablement voir dans ces manifestations que le simple résultat d’une déviation de la pratique habituelle pour des raisons qui peuvent aller de la facilité de mise en œuvre au manque de matière première.
On note également la présence de parallélépipèdes en plomb avec perforation centrale et autres particularismes tels que l’objet globalement triangulaire et perforé Bas-230-C, la lame en alliage cuivreux enroulée Bas-243/245-A et les deux lames enroulées qui forment l’artefact LA-Q. Ces objets partagent avec le type identifié par I. Ballester l’existence d’une perforation qui peut permettre le rangement ou la suspension. Le poids C-F (Capote, Higuera la Real, Badajoz), en fer et de forme prismatique avec perforation centrale montre également un parallèle morphologique certain avec les cylindroïdes perforés.
Il n’en va pas de même pour les autres artefacts du corpus et, mis à part un poids subsphérique en pierre à L’Alcúdia (Elx, Alacant), les formes restantes sont essentiellement celles de parallélépipèdes ou de barres non perforés, d’objets pyramidaux pour la plupart avec perforation de suspension ou piriformes à dispositif de préhension ou suspension.
Ces dernières formes posent des problèmes différents en termes d’interprétation. L’objet LA-AU est en pierre et de forme subsphérique. Sa masse (9,99 g) trouve des comparaisons métrologiques avec des poids de balance de forme plus canonique du même site de l’Alcúdia (Elx, Alicante), ce qui pourrait suggérer qu’il soit également utilisé comme instrument de pesée. En revanche, nous ne lui connaissons pas de parallèle morphologique dans le même horizon chrono-culturel. Cependant si, comme nous le verrons plus tard, sa masse peut s’intégrer sans problème dans des restitutions métrologiques, on ne trouve aucun parallèle direct à la masse de cet objet qui ne peut donc pas être attribué de manière certaine à une fonction pondérale. Les poids cubiques adoptent la forme que nous avons plus spécifiquement attribuée plus haut pour la période précédente aux pratiques phéniciennes du littoral péninsulaire. Nous tenterons, dans la partie dédiée aux contextes de découverte, de déterminer les conditions d’utilisation de ces poids cubiques au cours de la période ibérique.
Les poids piriformes sont sans conteste proches de ce que nous avons pu voir pour l’Europe moyenne (voir le chapitre “Le groupe des poids piriformes et lenticulaires”, p. 150), mais le faible nombre découvert en péninsule Ibérique complique leur attribution directe à la pratique pondérale.
Le cas de la série de poids à bélière intégrée, de forme troncopyramidale ou quadrangulaire, est peut-être le plus problématique en termes d’identification. En effet, ces objets sont parfois considérés comme des pesons, des plombs de maçon ou des poids de filets de pêche93. L’un des objectifs de l’analyse métrologique sera donc de tenter d’établir si une utilisation de ces objets dans le cadre d’une pratique pondérale est envisageable ou non.
Les marques numérales et le système ibérique a-o-ki
Nous n’avons jusqu’à présent guère eu l’occasion de parler de marques numérales en raison de leur quasi-absence du répertoire des poids de balance d’Europe occidentale protohistorique. La péninsule Ibérique fait une fois de plus exception avec 47 objets portant des marques dont le sens nous semble pouvoir être clairement attribué à une fonction numérale.
Dans la majorité des cas, ces marques se présentent comme des symboles simples incisés ou imprimés sur le modèle avant fonte dont la répétition semble indiquer la position sur un système numéral. Nous pouvons distinguer trois formes : des cercles ou des points, qui constituent la majorité du corpus (33 ind.), des traits radiants (10 ind.) et des demi-lunes présentes sur seulement deux exemplaires de La Bastida de les Alcusses (fig. 3-46). Les poids Mun-A et LlH-G (Munoaundi et Llano de la Horca) présentent la particularité d’appartenir aux deux premières catégories en associant traits radiants et points. Dans ce dernier cas, il semble même que l’un soit venu se superposer à l’autre dans un deuxième moment de son utilisation (fig. 3-47). À ces trois catégories, il faut ajouter de possibles marques écrites observables sur des objets de notre corpus, l’une phénicienne (Pin-A) et l’autre ibérique (SCG-A). La première marque pourrait potentiellement être lue comme le nombre 20 (probablement 20 agorot qui correspondraient à 1 shekel) d’après des parallèles proche-orientaux94 alors que la deuxième peut, selon les interprétations, être lue comme un anthroponyme ou un nombre95 comme nous y reviendrons (fig. 3-48).
L’aire ibérique se distingue du reste de notre corpus par l’utilisation d’une écriture dont il nous reste plusieurs témoignages. Au sein des différents systèmes graphiques utilisés au cours du Second âge du Fer, entre l’Algarve portugais et le golfe du Lion gaulois96, il est possible de cerner certains aspects du système numéral employé97. Parmi ces différents textes, neuf au moins présentent des formules numériques, autrement dit des suites de caractères dont le sens est vraisemblablement d’ordre numéral. Celles-ci sont systématiquement exprimées en fonction de trois signes : a, o et ki (fig. 3-49)98 et dans trois d’entre eux, ces trois unités sont associées au sein de séquences communes (le cuenco de La Granjuela [MLH III, H.9.1], les plombs de La Serreta [MLH III, g.1.6] et La Bastida de les Alcuses [MLH III, g.7.2] ; fig. 3-50), toujours dans l’ordre a puis o et finalement ki99. L’hypothèse qui a été développée est que chacun de ces signes correspond, en écriture ibérique, à la première lettre ou syllabe d’un mot désignant une unité métrologique : ki pour kitar, o pour otar et a pour abaŕ100.
De telles associations permettent d’une part d’affirmer que ces caractères renvoient à des valeurs numérales distinctes et d’autre part de tenter d’approcher les relations arithmétiques qu’elles entretiennent entre elles.
L’inscription de La Granjuela [MLH III, H.9.1] possède la particularité d’être inscrite sur un vase en argent (fig. 3-51) ce qui a amené différents auteurs à chercher un lien entre la séquence arithmétique inscrite et les caractéristiques de l’objet lui-même101. Ce vase en argent, dont l’histoire de la découverte est assez obscure, a été trouvé fortuitement en 1873 dans la province de Córdoba, rempli de monnaies – datées de 105-90 a.C.102 et aujourd’hui perdues – mais l’artefact lui-même pourrait être plus ancien, peut-être à faire remonter jusqu’au IVe s. a.C.103. De la même façon, sa provenance exacte est incertaine et fait l’objet de débats104.
L’interprétation généralement retenue est que la séquence “a I • o IIIIkiIIII” indiquerait la masse d’argent utilisé pour la confection de l’artefact, bien que certains y voient son volume105. Joan Ferrer i Jané a tenté de reconstituer “l’équation” de la Granjuela en se fondant sur l’hypothèse que aest supérieur à o lui-même supérieur à ki et que la séquence indique la masse totale de l’objet correspondant à 568,2 g selon la notice du MAN de Madrid (mesure faite en 1923 ou avant) et 606,01 g selon une pesée plus récente d’Alicia Torija. Même en connaissant la masse finale, le rapport entre les unités est inconnu et la recherche de la valeur de chacune de ces unités passerait par la résolution d’une équation à trois inconnus. A. Torija note également que la dernière partie de l’expression (kiIIII) se distingue du reste106. Comme le note J. Ferrer, cela pourrait indiquer qu’il s’agit là d’un ajout postérieur dont la temporalité est inconnue107. Si cela est le cas, il pourrait s’agir d’un ajustement qui viendrait alors confirmer l’ordre de grandeur établi entre a, o et ki. L’auteur synthétise les différentes valeurs qu’il attribue aux trois signes numéraux et les possibilités de résolution de l’équation (fig. 3-52). L’auteur propose aussi différentes restitutions plausibles appuyées sur les systèmes pondéraux connus ailleurs ou les frappes monétaires108, mais également sur les poids de balance mis au jour dans le Levant péninsulaire109.
Deux découvertes permettent probablement d’y voir plus clair dans la résolution de cette équation. Tout d’abord, sur le site du Puig de la Misericòrdia (Vinaròs, Castellón) a été trouvé en 1983 un poids en pierre de 41,29 g, daté de la seconde moitié du IIe s. a.C.110 Cette datation récente associée au caractère isolé de l’artefact explique son absence dans notre corps. Nous le citons toutefois ici en raison de la marque o qu’il arbore (fig. 3-53). Ensuite, le poids SCG-A présente, comme nous l’avons dit, l’expression en ibère “ustain + abaŕ + ar + ban” qui peut être interprétée de diverses façons. Joan Vidal a récemment proposé d’y voir au moins partiellement une valeur métrologique sous la forme du mot abaŕ111. Selon lui, il représenterait la même valeur métrologique que le signe a, qui serait sont abréviation. Le poids en question faisant 423,78 g, soit environ 10 fois la masse du poids du Puig de la Misericòrdia (41,29 g) qui présente le signe o. L’auteur émet donc l’hypothèse d’une relation décimale entre les différentes valeurs du système a-o-ki avec a = env. 420 g, o = env. 42 g et ki = env. 4,2 g112. De telles valeurs permettent de restituer avec une bonne précision l’équation de la Granjuela (fig. 3-52) et tendent à confirmer la valeur pondérale de ces signes. J. Vidal met également en relation ces résultats avec les poids de balance trouvés sur le littoral méditerranéen de la péninsule Ibérique113. À l’inverse, selon J. Ferrer, les poids et l’équation de la Granjuela s’intègrent assez mal les uns aux autres notamment pour des raisons qui pourraient être, d’après lui, d’ordre chronologique114.
La restitution qui est faite traditionnellement du système “a-o-ki” est celle d’un système métrologique pondéral à proprement parler dans lequel chaque symbole correspondrait à une unité et donc une masse. Nous pouvons toutefois nous interroger sur la pertinence d’un tel raisonnement lorsque les deux seules associations entre une masse et les signes en question sont les poids de balance du Puig de la Misericòrdia, de Santa Coloma de Gramanet, et le vase en argent de la Granjuela. On peut notamment s’étonner que sur plus de 400 poids inventoriés dans le cadre de ce travail, aucun autre exemplaire ne porte les symboles désignant des unités pondérales. Au contraire, les poids de balance ibériques se caractérisent plus par l’absence de marques à signification numérale et la quasi-absence de marques écrites. Nous reviendrons par conséquent en conclusion, après l’analyse métrologique des poids de balance péninsulaires, sur ces éléments et leur intégration dans le cadre plus général de la pratique de pesée en péninsule Ibérique.
Prototypes ou évolutions :
les types de poids de balance dans le temps
Bien qu’il soit difficile d’analyser l’évolution du nombre de poids de balance dans le temps, l’échantillon de la péninsule Ibérique, par son ampleur, permet d’en observer quelques caractéristiques. Le graphique (fig. 3-54-a) indique le nombre maximal de poids datables pour chaque tranche de cinquante ans entre 900 a.C. et le changement d’ère. Bien que ces chiffres soient à prendre avec précaution (ils sont fortement dépendants de la précision des datations), ils permettent d’observer une certaine tendance dans la pratique pondérale au cours de la période. L’élément le plus notable est la démultiplication du nombre de poids au cours du IVe s. a.C. Si le caractère exceptionnel du site de La Bastida de les Alcusses, qui livre à lui seul 96 potentiels poids de balance, biaise notre vision, l’observation des mêmes données en l’excluant montre tout de même une modification du phénomène à partir du IVe s. mais une certaine stabilité ensuite (fig. 3-54-b). On peut alors considérer que le nombre d’instruments se maintient globalement jusqu’à la fin de la période.
Peu de contextes ayant livré des poids de balance en péninsule Ibérique présentent une chronologie clairement antérieure au IVe s. a.C., seuls les objets des sites voisins d’El Oral et d’El Molar (San Fulgencio, Alacant, Espagne) pour le Levant et de ceux de Castelo (Castro Marim, Algarve, Portugal), el Risco (Sierra de Fuentes, Cáceres, Espagne), Alcácer do Sal (Alentejo Litoral, Portugal) et Cancho Roano (Zalamea de la Serena, Badajoz, Espagne) pour le sud-ouest péninsulaire sont bien datés de cette période. De nombreux poids sont malheureusement datés de manière très large, généralement parce qu’ils sont trouvés en surface lors de prospections ou dans le cadre de fouilles anciennes mal documentées (El Cabeço de Mariola, Cortijo de Ebora, El Tossal Sant Miquel, Santa Coloma de Gramanet, El Monastil, Centenares, Capote, el Llano de la Horca ou encore L’Alberri).
Pour tenter de pallier ce problème, il est possible de pondérer les résultats par l’amplitude chronologique de chaque datation. Pour cela, nous faisons, pour chaque intervalle de 50 ans, la somme du nombre d’objet par génération (ici fixée à 25 ans), équivalant à l’inverse de l’amplitude chronologique de chaque objet multiplié par 25. Par exemple, un objet daté entre -300 et -200, une amplitude de 100 ans (4 générations), renvoie une valeur de (1 x 25) ÷ 100 = 0,25 objet par an, alors qu’un objet daté à une génération près, par exemple entre -375 et -350 renverra une valeur quatre fois supérieure de 1. Une telle méthode, renvoyée sur un nombre relativement important de découvertes permet de pondérer l’effet différentiel que peut provoquer la précision des datations sur les histogrammes de comptage. Nous voyons ici que la tendance générale se maintient avec vraisemblablement une augmentation progressive du nombre de poids de balance jusqu’au IVe s. où s’observe une augmentation significative du nombre d’instruments – en grande partie due à ceux de La Bastida de les Alcusses – et un maintien relatif de leur quantité jusqu’à la fin de la période (fig. 3-54).
Comme nous l’avons vu plus tôt, les variantes typologiques les mieux représentées en péninsule Ibérique sont les troncs de cône, les discoïdaux, les doubles troncs de cônes, et dans une moindre mesure, les parallélépipèdes et les pyramidaux. L’évolution de leur nombre au cours du temps n’est pas extrêmement claire, mais la présence des tronconiques apparait relativement stable au cours du temps. Leur prédominance ne fait en revanche guère de doute durant les IVe et IIIe s. mais ils semblent être supplantés par les cylindriques/discoïdes à partir de 200 a.C. (fig. 3-55-a). Les bitronconiques et les coniques sont quant à eux relativement minoritaires et leur visibilité est réelle essentiellement durant le Ve s., période à laquelle est associé le site de Cancho Roano qui a livré 13 des 57 poids de balance bitronconiques.
La prédominance de poids tronconiques aux IVe et IIIe s. laissant place à un nombre croissant de variantes discoïdales ou cylindriques dès le début du IIe s. a.C. apparaît plus clairement en observant la proportion de ces deux types (fig. 3-55-a). Il est possible de mettre directement cette donnée en relation avec l’augmentation de l’utilisation du plomb comme matière première dans la confection des poids de balance (fig. 3-55-b). Il a en effet été montré plus haut que les poids discoïdes tendent à être fabriqués en plomb plutôt qu’en alliage cuivreux.
La présence d’une perforation centrale représente l’une des caractéristiques les plus identifiables des poids de balance de toute la péninsule Ibérique bien qu’elle ne soit pas systématique. En observant son évolution dans le temps, il devient clair que c’est à partir du IIe s. a.C. que les poids non perforés sont les plus nombreux (fig. 3-56). Nous verrons plus en avant quelles peuvent être les implications fonctionnelles de la disparition de cet élément dont la fonction est, au moins, de permettre le rangement par insertion et superposition sur un axe, comme cela a déjà été dit.
La forme même de ces perforations centrales ne semble pas varier significativement au cours du temps (fig. 3-56). La proportion entre perforation circulaire et perforation quadrangulaire semble rester stable, autour de 50/50, malgré des variations ponctuelles.
Par conséquent, entre le IVe s. a.C. et le changement d’ère – période pour laquelle nous disposons de suffisamment de données – nous n’observons qu’une seule véritable tendance chronologique sur la base des morphologies de poids de balance, à savoir une simplification générale des formes qui s’accompagne d’une utilisation de plus en plus importante du plomb. Ce phénomène semble s’amorcer entre la fin du IIIe et le début du IIe s. a.C. et correspond également à l’apparition d’un nombre croissant de poids dépourvus de perforation centrale, ce que nous pouvons probablement attribuer à une modification dans la manière de ranger et conserver ces objets, mais également peut-être à une évolution du processus de pesée lui-même comme nous allons le voir.
2. Les balances péninsulaires :
une technologie originale ?
La balance protohistorique, lorsqu’elle est mentionnée, est souvent décrite comme une balance à deux bras égaux, indépendamment de l’analyse du matériel archéologique identifié. Comme nous l’avons vu, la seule étude consacrée à cet outil pour la péninsule Ibérique est la publication de Lucas Pellicer en 1990115. Cette reconstitution, fortement imprégnée par notre représentation actuelle d’une balance ancienne, est essentiellement due à un matériau d’étude rare et avare en informations, mais également au peu de considération pour la balance elle-même. Nous avons en effet pu voir que la majeure partie de la recherche a été consacrée aux poids, plus susceptibles d’être porteurs d’informations sur les réseaux d’échange, qu’à la balance (voir le chapitre “La péninsule Ibérique : un territoire à part ?”, p. 39), généralement considérée implicitement comme un outil peu soumis à l’évolution.
Il est vrai que la balance à deux bras égaux est un outil simple dans sa forme et dans la compréhension de son utilisation et dont la durée de vie est particulièrement longue. Il doit d’ailleurs s’agir d’un des rares artefacts dont l’utilisation n’a guère changé entre le IIIe millénaire a.C. et aujourd’hui. Nous savons notamment par les découvertes faites en Charente et dans le Bassin Parisien que c’est ce type de balance qui est utilisé au Bronze final dans ces régions (voir le chapitre “Les fléaux de balance en matières dure d’origine animale”, p. 105). Pourtant, comme nous allons le voir, de nombreux indices permettent de douter de son existence en péninsule Ibérique, tout du moins dans sa partie orientale entre les Ve et IIIe s. a.C.
Les éléments de balance : types et distributions
Les éléments qui nous permettent de nous interroger sur l’aspect et l’utilisation des balances ibériques sont peu nombreux. Seuls 45 éléments attribuables à des balances ont en effet pu être identifiés (essentiellement sur une base bibliographique), dont 23 ont fait l’objet d’une observation directe. Il s’agit pour la grande majorité d’entre eux de plateaux circulaires en alliage cuivreux. Par la simplicité de leur forme, il est possible qu’un certain nombre de ces artefacts aient été mal identifiés. De plus, s’agissant d’éléments métalliques particulièrement fins (moins de 1 mm d’épaisseur pour la plupart), il est probable qu’une grande partie se présente comme de simples fragments métalliques au moment de la fouille, sans possibilité d’interprétation.
Toutefois, il est possible de tirer un certain nombre de constats des données que nous avons pu recueillir. Tout d’abord, nous distinguons des plateaux creux et des plateaux plats. Dans la plupart des cas, l’état des objets ne permet pas de mesure de la profondeur de leur profil et il s’agit avant tout ici d’une estimation de la capacité de ces plateaux à recevoir des matières pulvérulentes en quantité significative (plateaux creux) ou uniquement massives (plateaux plats). Il faut cependant noter qu’ils n’adoptent jamais un profil à proprement parler concave. En effet, même les formes les plus creuses sont généralement caractérisées par un profil conique à peine marqué ce qui permet d’exclure leur utilisation pour peser des liquides (fig. 3-57). L’objectif de cette distinction est avant tout de tenter de catégoriser les types de produits pouvant être pesés avec ces balances. On dénombre 32 plateaux permettant d’apprécier une différence de concavité et 13 dont l’état ou le manque d’information empêche toute discrimination. On peut constater que les plateaux creux sont relativement plus nombreux (20 ind.) que les formes plates (12 ind. ; fig. 3-58).
Le deuxième et seul autre élément de catégorisation morphologique de ces plateaux de balance est le nombre de perforations de suspension qu’ils présentent. Nous avons distingué deux cas “réguliers” : les plateaux à 3 perforations et ceux à 4 perforations. Seuls les éléments CTes-1 et LS-1 se démarquent par un nombre de perforations périmétriques beaucoup plus important (respectivement 9 et probablement 16 perforations ; fig. 3-59). On compte 16 individus qui correspondent à des plateaux à 3 ou 4 perforations, 11 d’entre eux sont creux (9 avec 4 perforations et seulement 2 avec 3 perforations) alors que seulement 5 plateaux plats sont suffisamment bien conservés pour connaître leur nombre de perforations, toujours au nombre de 4 dans ce cas-là (fig. 3-60). Un dernier cas particulier est le plateau CL-T100-1 qui ne comporte aucune perforation périmétrique, mais une seule perforation centrale. Le plateau Bas-26-1 semble, quant à lui, comporter à la fois une perforation centrale et des trous périphériques (fig. 3-61). Il est évident qu’un tel dispositif est impropre à la suspension d’un plateau et nous reviendrons sur cette particularité plus loin.
Les deux dispositifs sont fonctionnels et facilement “équilibrables”, ils ne donnent donc pas, en tant que tels, d’information technologique. La datation des différents éléments ne permet pas non plus de distinguer de tendance chronologique particulière dans l’utilisation des variantes de plateaux (fig. 3-62). Il en va de même pour la répartition géographique des objets qui ne montre aucun indice de pratiques régionales, que cela concerne la concavité des plateaux ou le nombre de perforations de suspensions qu’ils comportent (fig. 3-63).
Si les plateaux sont relativement nombreux, les fléaux sont en revanche extrêmement rares. Dans l’état des connaissances, nous identifions un seul fléau avec certitude, découvert sur le site d’El Oral (San Fulgencio, Alacant). Le fléau d’El Oral correspond relativement bien, d’un point de vue purement morphologique, à ceux découverts en Charente et dans le Bassin Parisien pour le Bronze Final, ou au Cayla pour les VIe-Ier s. a.C., à la différence près que cet exemplaire est en alliage cuivreux (pl. 14-1-EO-1). Il correspond à une variante à extrémités discoïdes et mesure environ 18 cm de longueur pour un diamètre d’environ 0,5 cm dans sa partie centrale et légèrement plus de 1 cm pour ses extrémités. Il a malheureusement été découvert dans une structure dont il représente le seul élément de mobilier connu, ce qui nous empêche de préciser sa chronologie que nous fixons donc à celle du site, à savoir entre la fin du VIe et le dernier quart du Ve s. a.C.
Le plateau unique pour les peser tous
Si la balance à deux plateaux et bras égaux représente sans aucun doute le modèle le plus ancré dans l’esprit collectif et celui ayant la plus grande durée de vie, il est nécessaire, dans le cas de la péninsule Ibérique, de questionner la forme prise par cet outil. Nous avions d’ores et déjà, dans le cadre d’un mémoire de master, pointé la rareté des paires de plateaux de balance en contexte funéraire en péninsule Ibérique116. Dans la monographie du site de La Bastida de les Alcusses, Helena Bonet Rosado et Jaime Vives-Ferrandiz Sánchez observent également que les plateaux de balance sont, de manière systématique, retrouvés seuls et jamais par paire à l’échelle du site, ce qui les amène à suggérer l’utilisation d’une balance à un seul plateau dans la région entre le Ve et le IIIe s. a.C.117[117].
Dans un premier temps, nous pouvons constater que presque aucun contexte clair ne livre une paire de plateaux de balance au sein de notre corpus. En effet, trois plateaux sont identifiés dans le dépôt d’El Risco (Sierra de Fuentes, Cáceres), tout comme dans la tombe 118 de la nécropole d’El Cabecico del Tesoro (Verdolay, Murcia), tous trois retrouvés en position verticale. Seuls deux cas montrent l’association de la paire de plateaux nécessaires à la mise en œuvre d’une balance à bras égaux : la tombe 100 de Cabezo Lucero (Guardamar del Segura, Alacant) et la tombe 145 d’El Cigarralejo (Mula, Murcia).
Le premier cas a été largement décrit comme appartenant à un ensemble d’outils plus large destinés à la métallurgie des métaux précieux118. Pourtant, on constate que les deux plateaux en question, relativement bien conservés, présentent un aspect pour le moins étonnant. Le CL-T100-1, est un disque parfaitement plat, de moins d’un millimètre d’épaisseur et d’un peu plus de 7 cm de diamètre, dépourvu de perforations de suspensions périmétriques, mais troué en son centre (fig. 3-64-a). L’objet CL-T100-2, quant à lui, dépasse à peine les 4 cm pour une épaisseur de 2 mm. Malgré une légère lacune, on peut estimer qu’il n’est pas parfaitement circulaire. Il peut avoir eu au maximum deux perforations sur son pourtour (fig. 3-64-b). Dans l’ensemble, les deux objets nous paraissent particulièrement mal adaptés à une utilisation comme plateaux de balance et si, comme nous allons le voir, le premier pourrait avoir eu cette fonction, l’interprétation du deuxième est sans aucun doute à chercher ailleurs. Dans tous les cas, même en admettant que les deux objets soient effectivement des plateaux, le déséquilibre de leurs masses (20,62 et 9,51 g) les rend impropres à toute utilisation de part et d’autre d’un même bras de balance.
Le cas du lot de la tombe 145 d’El Cigarralejo est quelque peu différent. Tout d’abord, l’un des plateaux – Cig-T145-2 – est beaucoup plus dégradé que l’autre ce qui ne nous laisse qu’à l’état d’estimations certaines de ses caractéristiques. Le plateau Cig-T145-1, aujourd’hui dans un bon état de conservation, est un disque concave à quatre perforations équidistantes d’environ 7 cm de diamètre (fig. 3-65-a). Nous restituons pour Cig-T145-2 un diamètre légèrement supérieur, d’environ 8,3 cm, et un profil plus aplati, bien que l’objet soit très lacunaire (fig. 3-65-b). Rien dans le principe mécanique de la balance à bras égaux n’impose une uniformité morphologique entre les deux pendants. La seule exigence concerne le poids exercé de part et d’autre des bras qui doit être égal pour que la balance soit équilibrée et juste. Dans le cas du lot de la tombe 145, cette donnée est inaccessible en raison de l’état de dégradation de Cig-T145-2, mais, malgré des formes légèrement différentes, il est tout à fait possible que les plateaux aient eu la même masse.
L’existence d’un fléau à deux bras égaux à El Oral dès la fin du VIe s. a.C., n’implique pas nécessairement l’utilisation d’une balance à deux plateaux. Nous observons donc que le seul indice de l’utilisation d’une balance à deux plateaux est apporté par la paire de plateaux de la tombe 145 d’El Cigarralejo. Or, celle-ci est datée du dernier quart du IIe s. a.C. et les plateaux qu’elle livre sont donc particulièrement récents au sein du corpus. Par conséquent, si la balance à deux plateaux est utilisée en péninsule Ibérique, rien ne prouve que cette pratique soit antérieure à la fin du IIe s. a.C. H. Bonet et J. Vives-Ferrándiz envisage une chronologie quelque peu plus ancienne en raison de la présence de deux fragments de plateaux dans le departamento 1 du site de Puntal dels Llops (Olocau, València)119, cependant, ces deux fragments peuvent aussi bien appartenir à deux plateaux de même diamètre comme à un seul plateau comme nous le restituons (pl. 14-2).
La balance ibérique : propositions de restitution
Quelles informations les éléments vus jusqu’ici nous apportent-ils sur la forme et le fonctionnement des balances ibériques et quelles sont les perspectives pour les restituer ? Bien que de nombreux aspects de la balance, telle qu’elle est utilisée en péninsule Ibérique, échappent à l’observation du registre archéologique, nous pouvons lister un certain nombre d’éléments ayant trait à son utilisation :
- au Ve s. a.C., à l’embouchure du Segura, sur la côte valencienne, est utilisée une balance à deux bras égaux, connue par l’exemplaire en alliage cuivreux d’El Oral (EO-1),
- au minimum jusqu’au IIIe s. mais peut-être jusqu’à la fin du IIe s. a.C., aucun indice n’indique l’utilisation d’une balance à deux plateaux en péninsule Ibérique et les indices issus de sa zone la plus orientale montrent l’utilisation d’une balance à un seul plateau en alliage cuivreux,
- dans sa forme la plus répandue, le poids ibérique est perforé en son centre et cela, au moins en partie, dès l’âge du Bronze final (voir le chapitre “Présentation générale : contextes, types, chronologie et distribution”, p. 239). Le nombre de poids non perforés augmente à partir des environs du tournant entre les IIIe et IIe s. a.C.
Ces trois constats ne permettent pas de restituer avec certitude un modèle de balance pour cette aire chrono-géographique et rien ne prouve qu’un seul modèle ait été utilisé. Nous pouvons toutefois, à partir de ces éléments, proposer plusieurs hypothèses de restitution de la balance ibérique et discuter leur fiabilité. Nous tenterons également d’approcher la justesse de ces différentes restitutions, cependant, l’importante part de déduction de cette démarche nécessite de prendre ces résultats avec précaution.
Une première possibilité, que nous sommes obligés de considérer, est l’existence d’une balance entièrement réalisée en matière périssable, pour au moins une partie de la pratique pondérale. Cette balance peut alors, et avec vraisemblance, prendre la forme d’une balance à deux bras et deux plateaux égaux. Dans le cas d’El Oral, le fléau, traditionnellement en bois ou autre matériau périssable, est alors remplacé par un alliage cuivreux. Les tests de sensibilité montrent que pour un fléau de dimensions similaires, avec un support central assez haut (semblable à celui de nos restitutions), la balance perd en sensibilité si celui-ci est en alliage cuivreux plutôt qu’en bois120. On peut par exemple constater que, lors d’une utilisation à vide (les deux plateaux vides au départ), l’ajout d’une masse d’un gramme sur l’un des plateaux aura pour conséquence une déflexion d’environ 1,5 cm avec un fléau en bois et seulement 0,9 cm avec le même fléau fait en alliage cuivreux (fig. 3-66). En dehors d’une amélioration probable de la résistance, il est peu probable que le métal ait été préféré au bois pour des raisons fonctionnelles. On peut en revanche estimer que l’esthétique et la qualité ostentatoire de l’objet devaient s’en trouver sublimées.
Nous notons cependant qu’avec 45 plateaux pour 450 poids identifiés dans notre corpus entre le VIe et Ier s. a.C., nous disposons d’un ratio parfait de 10 poids par plateau. Il est probable que notre capacité à retrouver et identifier les poids de balance soit meilleure que pour les plateaux. Toutefois, dans l’optique où, comme nous le pensons, chaque plateau correspond à une balance, nous sommes en possession d’un nombre relatif de balances élevé dans notre corpus (une quarantaine en excluant la paire de la tombe 145 d’El Cigarralejo et les exemplaires dont le degré d’identification est faible). Comment restituer alors ces balances à un seul plateau ?
La première hypothèse est que ces balances possèdent en réalité deux plateaux au sens fonctionnel du terme. Le plateau en alliage cuivreux serait celui destiné à recevoir les poids de balance, d’où la faible concavité que nos exemplaires présentent. Un deuxième plateau ou panier, en matériaux périssables, est destiné à recevoir le produit à peser (fig. 3-67). Comme l’illustre bien notre restitution, qui respecte les notions de volumes, masses et densité relatives, l’avantage d’un tel procédé est de démultiplier la taille du réceptacle en matière périssable, sa densité étant beaucoup plus faible que les métaux (un rapport d’environ 1 : 10 entre du bois et du bronze). Dans cette restitution, la balance possède deux bras égaux et deux plateaux asymétriques.
Une autre solution pourrait être, selon nous, suggérée par les dépressions visibles aux coins des perforations centrales de certains poids (fig. 3-68). Ces marques donnent l’impression que les objets ont été enfilés de manière régulière sur une cordelette. Deux raisons semblent pouvoir expliquer une telle action : un dispositif de rangement et/ou le procédé même d’assujettissement des poids à la balance lors de la pesée. Dans cette hypothèse, le plateau en alliage cuivreux est alors destiné à recevoir le produit à peser alors que les poids sont suspendus ou enfilés le long d’une cordelette ou chainette au bras opposé. Dans ce cas de figure, il est absolument nécessaire de compenser le poids du plateau en alliage cuivreux. Deux solutions sont possibles, soit par l’adjonction d’un élément destiné à alourdir le bras opposé à celui recevant le plateau (fig. 3-69) soit en allongeant ce second bras (fig. 3-70).
Un élément qui nous vient du site de La Celadilla (Ademuz, València) vient probablement corroborer l’existence, au moins dans certains cas, de la première solution. Le contexte de sédimentation, sur lequel nous reviendrons plus loin, est tout à fait exceptionnel. Trois instruments de pesée en alliage cuivreux (un plateau et deux poids) ont été découverts dans l’effondrement de l’étage d’une maison suite à un incendie. Trois défunts, a priori morts peu de temps avant le drame, sont retrouvés dans la même strate dont l’un, par sa proximité topographique, est associable au lot de peseur. Le premier poids de balance est bitronconique globulaire (Cel-A), d’une forme assez classique dans la région, le deuxième est un peson piriforme à bélière sans surface de pose beaucoup moins fréquent121 (Cel-B). Il est à noter que, le poids bitronconique est considéré ici sans perforation centrale. Toutefois, il semble en avoir possédé une, aujourd’hui comblée. Nous reviendrons plus tard sur l’existence d’un certain nombre de poids de balance ibérique ayant subi des modifications dont certaines consistent justement à combler leur perforation centrale (voir le chapitre “Les transformations de poids de balance : entre modification morphologique et métrologique”, p. 352). Cependant, nous pourrions avoir affaire ici à un cas non anthropique, autrement dit, la fonte et/ou la sédimentation de certains éléments dans la perforation centrale lors de l’incendie.
Le contexte particulier de l’ensemble de La Celadilla permet d’affirmer un certain nombre de choses sur un processus de pesée qui semble ici avoir été figé dans un état actif, contrairement à ce que l’on peut voir dans d’autres exemples où les poids paraissent retrouvés en position de rangement ou de dépôt funéraire. Ici, tout porte à croire que l’opération de pesée fait intervenir un seul plateau, un seul poids – ce qui est particulièrement intéressant d’un point de vue métrologique et pratique – et un peson. La fonction de ce peson, aujourd’hui très corrodé, est de prime abord assez difficile à interpréter dans le cadre d’une pratique pondérale dont les poids adoptent une forme bien homogène. Cependant, comme nous l’avons dit, la mise à l’équilibre d’une balance à un seul plateau nécessite de contrebalancer la masse de celui-ci. Il est fort probable que ce soit exactement le rôle joué par ce peson. En effet, le plateau Cel-1, bien conservé malgré la corrosion, pèse aujourd’hui 54,91 g alors que le peson Cel-B accuse aujourd’hui une masse tout juste inférieure de 50,22 g. L’objet pourrait donc ici tout à fait faire office de peson au sens strict du terme : un artefact dont la fonction est de contrebalancer et non de mesurer une masse. De plus, par la possession d’une grande boucle en alliage cuivreux en son sommet, il se prête parfaitement à un positionnement d’équilibrage comme nous le restituons (fig. 3-69).
Une autre possibilité pour restituer cet ensemble est de proposer qu’il fonctionne d’une manière relativement similaire à une “balance romaine” avec un peson mobile (statera). Des exemples de “balance romaine” ainsi que des balances à deux bras égaux (libra) et peson mobile sont identifiés dès la fin du IVe s. a.C. en Étrurie, bien que la chronologie généralement admise pour les premiers objets de ce type soit plutôt autour du Ier s. a.C.122. À cela, nous pouvons ajouter le fléau en alliage cuivreux trouvé sur l’habitat de Hochdorf (Eberdingen, Bade-Württemberg Allemagne), daté du Ve s. a.C. qui possède deux bras égaux mais dont l’un est strié de marques équidistantes123 divisant le bras en six tranches égales (fig. 1-33). Ces stries laissent penser qu’il pouvait être utilisé en association avec un peson mobile permettant un fonctionnement hybride entre la balance à bras égaux et la balance à peson mobile. L’intérêt d’une telle balance est de pouvoir créer des subdivisions de la masse d’un peson sans avoir besoin de les créer matériellement sous forme de poids. Dans le cas du fléau de Hochdorf, si un peson de 60 g est placé à l’extrémité d’un bras, il faudra placer 60 g à l’extrémité du bras opposé pour obtenir l’équilibre. Avec le même fléau, 50 g seront suffisant en plaçant le peson à la première strie, puis 40, 30, 20 et 10 g en le rapprochant du centre (fig. 3-71).
Nous pouvons proposer une restitution similaire pour la balance de La Celadilla (fig. 3-72), mais c’est alors le poids de balance qui serait mobile, le “peson” devant rester fixe pour équilibre le poids du plateau. Cette balance, dans la configuration que nous lui connaissons, ne permettrait alors que de peser des produits inférieurs ou égaux à 6,35 g. Il reste très étonnant que l’ensemble du dispositif (plateau et peson) soit aussi lourd pour une pesée qui nécessite autant de précision.
Les pesons comme celui trouvé à la Celadilla sont toutefois extrêmement rares dans le registre archéologique du Levant ibérique. Aucun des autres ensembles stratigraphiques connus ne semble avoir livré à la fois un plateau de balance et un peson de masse équivalente ou tout autre objet ayant pu remplir le même rôle. Une réponse, bien qu’elle ne soit pas totalement satisfaisante, serait d’attribuer la création d’un peson dans le cas de la Celadilla à la masse particulièrement élevée du plateau (le plus lourd de notre corpus). Nous pouvons imaginer que dans le cas des plateaux de 10-20 g, comme c’est plus souvent le cas, d’autres solutions permettent d’alourdir le bras opposé au plateau. On peut toutefois s’étonner de n’identifier aucun artefact pouvant remplir correctement se rôle.
Une autre possibilité serait que l’un des poids de balance de chaque lot ait pour rôle premier de contrebalancer le plateau. On remarque par exemple que le poids Bas-16-A possède une masse restituée similaire à celle du plateau Bas-16-1 trouvé dans la même structure.
La dernière solution, comme nous l’avons dit plus haut, est de compenser le poids du plateau en allongeant le bras opposé. Il devient alors évident que dans ce cas de figure, un plateau est intrinsèquement associé à son fléau et la disparition de l’un nécessite nécessairement la fabrication d’une réplique afin de continuer à utiliser l’autre.
Une dernière hypothèse de restitution est d’envisager que les populations péninsulaires n’aient pas – ou pas exclusivement – utilisé la balance suspendue. Cette possibilité est peut-être celle qu’il est nécessaire de prendre avec le plus pincettes. Il semble en effet que, jusqu’à l’invention de la balance Roberval au tout début du XVIIe s., nous n’ayons pas connaissance de technologies de pesage autres que des modèles suspendus. Pourtant, rien ne fait réellement barrage à la conception d’une balance à pied qui pourrait alors fonctionner de manière similaire aux jeux de bascule.
Un tel dispositif peut prendre la forme d’un fléau dont la forme influe alors peu sur son utilisation. Celui-ci reposerait sur deux pieds par le biais d’un axe le traversant, et il serait pourvu d’un dispositif permettant de recevoir le plateau sur un bras et d’un clou destiné à enfiler les poids sur l’autre. Dans notre hypothèse, la masse du clou viendrait ici contrebalancer celle du plateau. Les perforations centrales des plateaux CL-T100-1 et Bas-26-1 pourraient correspondre au système d’accroche de ces éléments sur le fléau (rivet, tenon, cheville, clou… ; fig. 3-73). Dans l’autre cas, le plateau pourrait simplement être posé sur deux supports en croix à la manière des balances Roberval. Un tel instrument serait potentiellement moins sensible qu’une balance suspendue en raison de la friction plus importante entre l’axe et le fléau (bois-bois) qu’entre un quelconque élément de suspension et une cordelette (textile-bois ou textile-métal). Cependant, les quelques expérimentations effectuées tendent à affirmer que la fonctionnalité d’une telle balance est probablement effective124.
Il est possible que plusieurs de ces solutions, voire toutes, aient en réalité coexisté au cours de la période ibérique. Comme sembler l’attester la paire de plateaux trouvés dans la tombe 145 d’El Cigarralejo, les formes des balances changent à la fin de la période. Cette transformation pourrait soit correspondre à l’apparition et l’adoption d’un nouveau type, soit à la disparition d’un ou plusieurs autres au profit d’un seul.
3. Fabriquer des instruments de pesée “ibériques”
Il faut d’ores et déjà noter que les observations et interprétations suivantes se fondent sur des observations macroscopiques et qu’aucune analyse métallographique n’a été réalisée à notre connaissance. Cependant, les observations à l’œil nu autorisent certaines hypothèses qui serviront de base à notre interprétation.
Premièrement, les poids de balance ibériques métalliques sont obtenus par fonte. La déformation plastique est en effet inadaptée à de telles formes et ne permettrait pas, tout du moins pour les objets en alliage cuivreux, de fabriquer des objets massifs. Mais, comme cela a été dit, aucune analyse métallographique ne permet de confirmer cela.
Deuxièmement les perforations centrales des poids sont certainement obtenues dans la majorité des cas durant le processus de fonte et non pas après. Plusieurs raisons amènent à ce constat. Tout d’abord, le volume, et donc la masse, de métal qui sera retiré lors de l’opération est difficile à anticiper. Si la réalisation d’une perforation permet en effet d’ajuster une masse de métal, cela devient complexe lorsque celle-ci avoisine 15 % du volume total de l’objet (sur LS-H par exemple). Si tel était le cas, on pourrait s’attendre à trouver des poids dont la perforation est plus étroite que les autres ou inachevée, car la masse désirée a été obtenue avant la réalisation d’une perforation complète. De plus, perforer complètement un objet massif en alliage cuivreux doit être une opération longue et difficile, d’autant plus dans le cas de perforations quadrangulaires. Cela ne veut pas pour autant dire que la perforation elle-même n’est pas reprise dans un second temps pour ajuster métrologiquement l’objet.
Il est donc probable que les poids de balance ibériques, ou au moins la majorité d’entre eux, soient réalisés selon un procédé de fonte en une seule étape. Il convient donc de s’interroger maintenant sur les modalités de cette chaîne opératoire et sur ces implications dans la recherche de l’obtention d’une masse prédéterminée.
Les traces de fabrication observables
Certains éléments visibles à l’œil nu permettent, à défaut de donner des réponses, de se questionner sur la chaîne opératoire de fabrication des instruments de pesée et de proposer certaines hypothèses. Les observations macroscopiques de stigmates des étapes de fabrication peuvent être classées en deux catégories (fig. 3-74). Tout d’abord des tracés globalement coaxiaux à la perforation centrale ou légèrement désaxés toujours visibles sur une seule face de l’objet qui se présentent comme des incisions légères de faible épaisseur et profondeur (fig. 3-75-a à f). Deuxièmement des protubérances peu marquées, visibles sur une partie de la périphérie des perforations centrales, également visibles sur une seule face de l’objet (fig. 3-75-g à i).
Concernant la première manifestation, il semble possible d’écarter l’hypothèse d’une décoration. Tout d’abord, le tracé en question est observé au moins dans un cas sur la base de l’objet (Bas-118-E), autrement dit celle qui est vraisemblablement masquée lors du rangement comme de l’utilisation. De plus, elle est dans plusieurs cas légèrement décentrée par rapport à la perforation centrale. Dans les deux cas où un bourrelet est clairement observé (LS-O et Bas-16-D), on remarque qu’il est de forme circulaire alors que la perforation centrale est quadrangulaire. Il n’est en revanche dans aucun cas visible sur tout le pourtour de celle-ci. Ces deux phénomènes donnent la même impression d’artefacts de la chaîne opératoire qui ne sont normalement pas destinés à apparaître sur l’objet fini. Leur fonction reste cependant relativement difficile à interpréter en tant que telle, notamment en raison du faible nombre d’occurrences. Nous nous permettrons toutefois d’émettre quelques remarques et hypothèses.
Tout d’abord, les tracés s’adaptent mal à la forme générale de l’objet, et plus particulièrement à la perforation centrale, ce qui nous laisse penser qu’ils résultent d’une opération préalable à la fonte et non pas à une finition. Si une relation d’antério-postériorité devait être définie, on aurait plutôt tendance à déterminer que la perforation centrale est effectuée après ces tracés. Nous pouvons dans ce cas envisager qu’il s’agisse de tracés préparatoires, destinés au creusement de la perforation centrale. L’hypothèse du creusement de la perforation centrale après l’étape de fonte a parfois été suggérée, notamment afin de faciliter l’ajustement pondéral. Toutefois, une telle opération semble mal adaptée à des objets aussi massifs que les poids de balance. De plus, nous remarquons que les tracés sont souvent circulaires même lorsque la perforation est quadrangulaire. Les différentes observations présentées jusqu’ici tendent plutôt à corroborer l’idée d’une perforation dont le rôle est lié à l’utilisation et au rangement des poids de balance et rien ne vient réellement appuyer l’idée d’un ajustement pondéral par le bais de la perforation centrale. Il semble plus probable que la perforation centrale soit obtenue dès l’étape de coulée, au moins dans sa forme générale. Par conséquent, les tracés coaxiaux à cette perforation sont donc certainement liés à une étape de la mise en forme préalable à la fonte.
Les bourrelets, quant à eux, sont plus difficiles à interpréter de manière isolée. Il semble toutefois possible de proscrire l’idée qu’ils soient issus d’un processus volontaire. Leur présence peut donc être le résultat d’une dépression dans le moule autour de la perforation centrale ou d’une malformation lors de la fonte dans un moule ouvert. Nous proposons dans le paragraphe suivant une restitution hypothétique de la chaîne opératoire de confection des poids de balance qui pourrait expliquer ces différentes observations.
Proposition de restitution de la chaîne opératoire
La proposition de chaîne opératoire qui suit n’a pas pour vocation d’expliquer la conception de tous les poids de balance de la péninsule Ibérique, mais de restituer un schéma plausible pour certains d’entre eux, plus particulièrement ceux en alliage cuivreux trouvés dans le Levant, sur la base des observations décrites plus haut.
Le principal problème dans la confection d’un poids de balance métallique par fonte est l’estimation de la masse finale de l’objet. Le meilleur moyen de la contrôler est sans aucun doute par l’utilisation d’un modèle en cire et d’un moule semi-ouvert comme cela pourrait être le cas pour certains lingots ou poids125. L’idée, qui a été émise à de nombreuses reprises126, qui consiste à obtenir l’objet par une fonte à la cire perdue en calculant le volume du modèle en cire en fonction du ratio entre la densité de la cire et celle de l’alliage métallique est réalisable mais relativement peu précise même dans l’idée d’un ajustement en fin de processus (voir le chapitre “La péninsule Ibérique : un territoire à part ?”, p. 39). Le calcul de la densité d’un solide est particulièrement ardu et son approximation ne permettrait pas d’anticiper précisément la masse voulue, bien que certains poids, notamment du Bronze final dans le domaine nord-alpin (voir le chapitre “Chaîne opératoire : fondre un poids de balance”, p. 123) ont probablement été réalisés ainsi. L’idée d’un ajustement important par enlèvement de matière reste bien entendu envisageable dans de tels cas, et il n’est pas impossible que la pratique existe, mais d’une manière probablement plus empirique que théorique. De plus, les poids numérisés par photogrammétrie dans le cadre de ce travail présentent dans plusieurs cas des densités différentes au sein de mêmes lots. Cela peut laisser penser que le bronzier n’utilise pas un seul et même alliage pour réaliser tous les poids d’un lot.
Dans le cas d’une fonte en moule ouvert, l’approche de la masse est beaucoup plus simple, en particulier pour des formes centripètes massives comme les poids de type ibérique. Le principe repose alors sur la confection d’un moule plus haut que ne le sera l’objet final et la pesée de la masse de métal à fondre. Celle-ci est alors entièrement versée dans le moule et l’objet final pèse alors théoriquement la masse de métal calculée au départ. La réalité est bien sûr moins simple et le processus peut amener à des pertes de matière (coulures hors du moule, adhérences sur les bords du moule ou du creuset, chauffe excessive du métal, etc.) et il est probable que la masse soit légèrement surestimée au départ afin de pallier cela. On peut imaginer qu’un bronzier confirmé peut réduire la marge d’erreur de manière à n’avoir que peu d’ajustement, si ce n’est aucun, à faire après la fonte.
Dans ce scénario, comment est-il possible d’interpréter les stigmates décrites plus haut ? Nous avons dit que l’observation des tracés laissait penser que leur réalisation est antérieure à celle de la perforation centrale. Notre hypothèse est qu’un modèle en cire de l’objet est réalisé, mais pas dans l’optique de créer un moule pour une fonte à la cire perdue, mais pour une fonte en moule ouvert. L’objectif est donc de créer la forme générale de l’objet à l’exception de l’une de ses faces. Plutôt que de créer directement un modèle avec la perforation centrale, et de s’attacher à remplir celle-ci d’argile, l’emplacement est simplement indiqué par une incision circulaire sur la face présente dans le moule (fig. 3-76-2). La perforation centrale est ensuite obtenue par l’ajout d’un deuxième élément au moule afin d’obtenir directement l’objet dans sa forme quasi définitive (fig. 3-76-5). Deux hypothèses sont possibles. Soit la première moitié du moule est chauffée avec son modèle en cire, soit ce dernier est simplement retiré après séchage ce qui est plausible dans le cas d’un moule ouvert. De la même manière, la seconde partie peut être séchée ou cuite à part avant d’être raccordée ou au contraire, assemblée avant une chauffe simultanée des deux parties. La deuxième hypothèse paraît la plus probable, et l’ajout de la deuxième partie sur une argile encore relativement souple pourrait entrainer un enfoncement léger de la paroi du moule et créer ainsi lors de la fonte les bourrelets observés.
La dernière étape est la fonte elle-même qui permet ainsi d’obtenir un objet dont le fondeur anticipe la masse et non la forme exacte. La hauteur dépend ainsi de la quantité de métal fondu et non pas du moule. Comme nous l’avons dit précédemment, il est probable que la masse de métal à fondre soit légèrement supérieure à celle désirée pour l’objet afin d’anticiper les étapes de finition et d’éviter la réalisation d’un poids trop léger et donc plus compliqué à ajuster. Un poids légèrement trop lourd peut en revanche facilement être limé, une opération de toute manière nécessaire à l’obtention d’un objet fini, jusqu’à obtention de la masse exacte voulue (fig. 3-76-10).
Comme cela a été dit, cette restitution théorique de la chaîne opératoire de fabrication des poids de balance du Levant Ibérique s’appuie sur un nombre limité d’éléments observables à l’œil nu. Par conséquent, il est impossible à l’heure actuelle de la confirmer ou d’en étendre l’application à d’autres domaines. Elle explique cependant de manière satisfaisante un procédé relativement simple d’obtenir des poids de balance précis adoptant la forme de cylindroïdes perforés. D’autres caractéristiques observées pourraient également aller dans ce sens, comme l’existence de poids avec des bases légèrement bombées (ex : LS-P) ou dont les deux faces ne sont pas parallèles (ex : P-C). Dans ce dernier cas, un tel résultat surviendrait par exemple si l’objet était fondu dans un moule non parallèle au sol ; l’alignement d’une face serait obtenu par le fond du moule et l’autre par l’horizontalité de la surface du métal fondu.
L’application d’un tel modèle reste également réaliste pour tout poids en alliage fusible possédant une surface plane. Les poids discoïdaux en plomb, par exemple, peuvent être obtenus ainsi, voire de manière plus rudimentaire. Cependant, les surfaces des objets en plomb étant moins bien conservées, la confirmation d’un tel modèle reste difficile. Il est également envisageable qu’une chaîne opératoire similaire soit à l’origine de la fabrication des poids de l’âge du Bronze et du Premier âge du Fer vus dans la partie précédente (voir le chapitre “Chaîne opératoire : fondre un poids de balance”, p. 123). Toutefois, de telles hypothèses ne pourront être confirmées que par la réalisation d’analyses métallographiques ou par l’archéologie expérimentale, deux étapes qui n’ont pu être réalisées dans le cadre de ce travail.
II. La pratique pondérale ibérique dans l’espace :
de la macro-région au contexte clos
L’un des principaux héritages de l’historiographie de la métrologie pondérale est une certaine dichotomie entre d’une part les découvertes attribuées au territoire de la Contestanie, dans le centre-est de la péninsule, et de l’autre une aire, aux contours plus flous, dont le pôle d’attraction et meilleur représentant serait le palais-sanctuaire de Cancho Roano (Zalamea de la Serena, Badajoz). Cette image bipartite, nous l’avons vu, est héritée de deux dynamiques différentes de la recherche, une première initiée très tôt par Isidro Ballester127 et alimentée régulièrement par la suite128 et une deuxième fortement attachée à la recherche de traces de systèmes d’échange organisés avec les marchands phéniciens129. Cependant, comme nous l’avons vu, toute la pratique pondérale péninsulaire partage au Second âge du Fer de nombreux traits communs dans les modalités de fabrication et de constitution des outils pondéraux. Par conséquent, faut-il alors perpétuer un mur entre est et ouest ?
Par une analyse allant du “macroscopique” au “microscopique”, du géographique au contextuel, nous tenterons ici de mettre en évidence les variables de la pratique pondérale dans l’espace péninsulaire. Nous observerons la pratique à l’échelle de la péninsule avant de nous attarder sur les contextes des sites de découvertes puis à ceux des objets eux-mêmes.
1. Répartition géographique des instruments de pesée
Concentrations et vides : hétérogénéité de la pratique
ou état de la recherche ?
Nous pouvons en premier lieu constater qu’à l’échelle de la péninsule Ibérique, la répartition des poids de balance est loin d’être homogène. Cet aspect est aussi bien visible dans la répartition des sites qui en livrent (fig. 3-77) que du nombre d’instruments découverts par site (fig. 3-78-a) ou de la carte de chaleur que nous pouvons en tirer (fig. 3-78-b). Plusieurs zones vides de données sont clairement visibles. Certaines, comme le nord-ouest de la péninsule Ibérique, sont plus généralement mal connues par l’archéologie. Certains effets d’hétérogénéité sont peut-être également à mettre en lien avec une connaissance déséquilibrée, en fonction des territoires, des types de poids de balance utilisés à l’âge du Fer. Ainsi, si dans le littoral méditerranéen, les formes de poids sont bien connues depuis les travaux d’I. Ballester en 1930130, il n’en va pas de même pour les régions plus occidentales de la péninsule. On notera par exemple que les travaux récents d’Ana Sofia Antunes ont permis de mettre en évidence l’existence de poids de balance cylindroïdes perforés dans le sud du Portugal en reprenant des données de fouilles anciennes131. En revanche, l’absence relative d’instruments de pesée dans certaines aires géographiques très bien connues par l’archéologie, que ce soient les habitats ou les espaces funéraires, ne peut pas être mise sur le compte du seul état de la recherche. Le nord-est de la péninsule Ibérique est à ce titre très parlant.
Nous observons globalement trois zones de distribution relativement distinctes les unes des autres. Tout d’abord, le sud-ouest péninsulaire, aire généralement attribuée aux Tartessiens, moteur de la pratique pondérale durant la période précédente montre encore un nombre relativement important de découvertes (73 ind.). Les découvertes sont toutefois assez éparses, d’autant plus si l’on considère les différences chronologiques. Dans l’état actuel de la recherche, nous pouvons constater un certain hiatus géographique dans le triangle entre les provinces de Badajoz, Madrid et Murcia mis à part l’ensemble trouvé sur l’oppidum de Giribaile (Vilches, Jaén). Cela amène à se demander si cet état reflète une réalité de la pratique pondérale des sociétés anciennes ou un simple apport différentiel de la donnée archéologique. On remarque l’absence totale d’identifications d’instruments de pesée au nord du Tajo dans la partie occidentale de la péninsule. Une fois de plus, il est difficile de savoir s’il s’agit là d’un désintérêt pour la pratique pondérale des populations vivant dans cette région sachant que celle-ci est connue au moins dès l’âge du Bronze, ou si nous sommes confrontés à une mauvaise identification ou diffusion de la donnée.
Une partie du littoral méditerranéen se démarque très largement par l’abondance des instruments de pesée qu’elle livre et plus particulièrement la région habituellement identifiée comme la Contestanie132 qui regroupe à elle seule près de 300 individus. Nous pouvons observer une répartition plus lâche des poids de balance dans les zones limitrophes, notamment les provinces de Murcia, Castellón, Teruel ou encore la Catalogne.
Cette rareté des données en avançant dans les terres rend difficile l’observation d’une réelle limite avec une pratique plus occidentale ou plus caractéristique de l’intérieur des terres. Nous pouvons tout de même attribuer à l’aire celtibère, dans le nord-est de la Meseta central, mais également à des zones plus septentrionales correspondant à la Navarre et au Pays Basque, une trentaine d’individus.
D’un point de vue proprement géographique, et comme le montre la carte de chaleur (fig. 3-78-b), deux pôles semblent émerger en ce qui concerne la pratique pondérale. Le premier pourrait être “tartessien” et gravite autour de Cancho Roano (Zalamea de la Serena, Badajoz), dont le nombre de données pourrait fortement augmenter dans les années à venir, en particulier grâce aux fouilles des Casas del Turuñuelo (Guareña, Badajoz) voisin du précédent. Le site a déjà livré un lot de sept poids de balance dont les masses ne sont malheureusement pas publiées133. Le deuxième est “contestanien”, fruit du fort développement de la pratique pondérale sur au moins une quinzaine de sites. Ces concentrations sont toutefois le fruit d’un mélange de facteurs dans lesquels l’importance de la pesée est probablement significative, mais à laquelle s’ajoutent la connaissance ancienne des types de poids de balance et le grand nombre d’opérations archéologiques menées aussi bien sur les habitats, les sanctuaires que les nécropoles.
Ces deux aires de concentrations d’instruments de pesée sont séparées par plus de 500 km linéaires ce qui amène à s’interroger sur leurs caractéristiques respectives du point de vue de la pratique pondérale. Bien que ces zones aient eu des traditions de recherche différentes en matière de métrologie pondérale, il reste peu probable que le ramassage et la publication des données soient le facteur principal qui mène à cette vision bipartite de l’espace péninsulaire. Nous allons ainsi tenter de déterminer si des variables de la pratique pondérale permettent la distinction de différentes aires géographiques en péninsule Ibérique.
Formes de poids de balance :
des critères régionaux ?
L’un des marqueurs habituels qui permet de distinguer des habitudes régionales sur la base du registre archéologique est bien évidemment la forme et la typologie des objets. Nous observons en péninsule Ibérique un seul type principal, celui des cylindroïdes. Il est toutefois représenté par trois variantes majeures : les tronconiques, les bitronconiques et les discoïdaux ou cylindriques. Nous remarquons des différences dans la répartition de ces variantes au sein de l’espace géographique (fig. 3-79).
Pour commencer, nous pouvons voir que les tronconiques sont fortement représentés dans la zone de concentration orientale, jusqu’à l’Ebro au nord et jusqu’au sud de la province de Murcia pour ce qui est de leur extension méridionale. En revanche, ils sont relativement absents de l’intérieur des terres malgré quelques observations ponctuelles. Ils semblent en revanche bien représentés dans la Navarre et le Pays Basque. Les poids discoïdaux ou cylindriques suivent une répartition similaire bien qu’ils soient relativement mieux représentés dans les terres. Globalement, ces deux types se retrouvent assez peu dans le quart sud-ouest de la péninsule. Les poids bitronconiques, à l’inverse, sont bien présents dans ce territoire. Et, bien qu’on les trouve aussi dans les zones plus orientales, ils sont quantitativement beaucoup plus discrets dans ces dernières.
Nous pourrions donc avoir ici une relative distinction entre une prédominance des formes bitronconiques à l’ouest et tronconiques à l’est bien qu’il soit nécessaire d’aller plus dans le détail pour en comprendre les caractéristiques.
En analysant plus en détail, il est possible de dégager des tendances plus claires sur certaines variantes mises en évidence. Ainsi, les poids tronconiques à perforation quadrangulaires sont principalement concentrés dans la région de la Contestanie et plus particulièrement dans les actuelles provinces de València, Alacant et le nord de Murcia (fig. 3-80). Les seuls exemplaires qui dérogent à la règle sont le poids Risc-D du site d’El Risco (Sierra de Fuentes, Cáceres) et l’ensemble de 6 poids de l’oppidum de Giribaile.
Les formes hautes tronconiques et cylindriques à perforation centrale non quadrangulaire semblent montrer une distribution similaire, mais avec une présence légèrement plus marquée dans les terres, notamment dans la zone celtibère (fig. 3-80). L’objet isolé CCM-A à l’ouest est trop dégradé pour être réellement considéré dans l’analyse géographique.
Les poids à proprement parler bitronconiques à perforation centrale, en excluant les exemplaires les plus globulaires et certaines variantes plus atypiques, montrent une distribution essentiellement centrée sur le quart sud-ouest de la péninsule (fig. 3-81). Les trois seules exceptions à cela (Bas-129-A, Bas-273-B et Bas-273-C) sont trouvées sur le site de La Bastida de les Alcusses (Moixent, València) dont deux dans la même structure 273.
Nous pouvons sans aucun doute ici parler de véritable dichotomie entre une partie centro-occidentale qui utilise préférentiellement des poids de balance bitronconiques dont la perforation centrale est généralement de forme circulaire, et une zone littorale orientale qui préfère des poids tronconiques à perforation quadrangulaire. Il est intéressant de noter que ces formes sont déjà les mieux représentées au Bronze final et au début de l’âge du Fer dans le sud-ouest de la péninsule Ibérique, comme dans les dépôts de Monte do Trigo (Idanha-a-Nova, Beira Interior Sul, XIVe-Xe s. a.C.) ou de Baleizão (Beja, Baixo Alentejo, Xe-IXe s. a.C.). Il apparaît ainsi que les poids de balance ont peu évolué, morphologiquement, par rapport aux prototypes cylindroïdes du Bronze final qui adoptaient déjà une forme globalement bitronconique, bien que la perforation centrale n‘était alors pas systématique (voir le chapitre “Présentation générale : contextes, types, chronologie et distribution”, p. 239).
Nous pouvons remarquer que trois autres formes paraissent, dans l’état actuel des données, présenter des répartitions spécifiques (fig. 3-82). Ainsi, nous pouvons voir que les quelques exemplaires de poids cubiques, en plomb pour la majorité d’entre eux, sont trouvés sur le littoral à Alcácer do Sal, sur les sites du Castelo (ASC), du centre urbain (ASU) et la nécropole d’Olival do Senhor dos Mártires (ASN), ainsi qu’au Castelo de Castro Marim (CCM) et à La Pinilla (Pin).
Les poids de types pyramidaux ou quadrangulaires à bélière intégrée, quant à eux, sont tous regroupés dans l’aire de la Contestanie. Il pourrait toutefois s’agir là d’un artefact de la recherche. Ces objets ne sont pas traditionnellement considérés comme des poids de balance dans la littérature scientifique et tous ceux intégrés à ce travail ont été étudiés directement lors de déplacement dans des musées dont l’objectif premier était focalisé sur d’autres objets. La carte pourrait ainsi essentiellement refléter les déplacements liés spécifiquement à cette recherche, couplés aux efforts des conservateurs pour nous montrer tous les objets susceptibles d’être des instruments de pesée.
Le constat n’est pas le même pour les très rares poids ou pesons piriformes à bélière (5 ind.) qui montrent une répartition concentrée dans le nord-est de la péninsule (fig. 3-82). Avec seulement quatre sites de découvertes, il est impossible de tirer de conclusion, mais nous remarquons que ce type est également le seul de péninsule Ibérique à avoir des parallèles morphologiques au nord des Pyrénées antérieurement au IIIe s. a.C.
Numéroter les poids
Les marques numérales sont probablement le dernier élément à posséder une forte imprégnation géographique d’après nos observations. Nous pouvons en effet constater, d’après la carte de répartition de ces marques (fig. 3-83), qu’en dehors des sites les plus proches du littoral, tous ceux situés grossièrement à l’ouest d’une diagonale entre le Pays Basque et l’embouchure du Guadiana, ont livré des poids porteurs d’informations numérales.
Les poids à marques numérales mis au jour à l’est de cette diagonale sont en revanche beaucoup plus discrets. Tout d’abord, les trois poids bitronconiques perforés – un type que nous avons attribué plus haut au sud-ouest péninsulaire – trouvés à La Bastida de les Alcusses sont porteurs de marques numériques en forme de points (Bas-129-A, Bas-273-B et Bas-273-C) auxquels s’ajoutent sur le même site le poids tronconique Bas-129-A et le poids Bas-189-D aux marques en demi-lunes (fig. 3-46). Un autre exemplaire levantin (CL-B) est trouvé dans la tombe 100 de Cabezo Lucero – dite “de l’orfèvre” – et présente une forme discoïdale avec quatre points circulaires. Les deux derniers sont deux poids du site d’El Monastil (Elda, Alacant), de formes tronconiques, marqués par des traits radiants.
Le point le plus au nord de la carte sur le littoral méditerranéen correspond au site du Poblado de San Antonio (Calaceite, Teruel) qui a, entre autres, livré le poids SA-A avec cinq points sur sa base autour de la perforation centrale. Nous avons classé ces dernières dans les marques numériques bien que l’on puisse s’étonner de leur apposition sur la base de l’objet plutôt que sur son sommet.
Nous trouvons donc seulement 9 poids de balance à marques numérales sur la frange orientale de la péninsule Ibérique, retrouvés sur seulement 4 sites, dans une aire géographique livrant plus de 300 de ces instruments (soit 3 % d’entre eux qui fournissent une information numérale).
À l’inverse, nous comptons 33 poids à marques numérales trouvées à Cancho Roano, El Risco, El Turuñuelo, La Custodia (Viana, Navarra), La Hoya (Guardia, Araba), El Llano de la Horca (Santorcaz, Madrid), Munoaundi (Azkoitia-Azpeitia, Guipuzkoa), Azougada (Moura, Baixo Alentejo) et Haza del Arca (Uclès, Cuenca). Ils représentent ainsi environ un tiers des poids trouvés à l’ouest de la diagonale Pays Basque-Guadiana (fig. 3-83). À cela il faut rajouter les poids de Casas del Turuñuelo dont les radiographies ont montré que certains arboraient des marques numérales, bien que nous ne sachions pas lesquels ni combien d’entre eux sont concernés134. Nous pouvons aussi noter 5 poids sans provenance conservés au Museo Arqueologíco Nacional de Madrid, portant des marques numérales et dont l’origine est vraisemblablement à chercher dans les régions tartessiennes ou celtibères au vu de leur morphologie. Il semble également possible de distinguer une zone plus méridionale, autour de Cancho Roano, où l’on ne trouve que des marques de forme circulaire alors que la partie septentrionale présente à la fois des marques circulaires et des traits radiants, parfois associés comme sur les objets LlH-G et Mun-A. On ne trouve en revanche aucune marque en forme de demi-lune dans la moitié occidentale de la péninsule.
2. Des tombes, des habitats, des sanctuaires :
le contexte de la pratique pondérale
En péninsule Ibérique, les poids de balance sont retrouvés dans des contextes divers que l’on peut globalement classer en trois catégories : les habitats, les sanctuaires et les nécropoles. Ces trois composantes primordiales de l’implantation des populations ibériques sont dans plusieurs cas associées topographiquement par exemple sur le site d’El Cigarralejo. La carte de répartition des différents sites de découvertes en fonction de leur vocation montre qu’il est difficile de percevoir des logiques locales (fig. 3-84). La carte donne, au contraire, l’impression d’une relative homogénéité sur le territoire où les instruments de pesée peuvent aussi bien se retrouver abandonnés dans l’habitat, abandonnés ou déposés dans les sanctuaires et volontairement déposés dans des tombes.
Habitation, production et vocation cultuelle :
des aspects entremêlés
La grande majorité des sites livrant des poids de balance en péninsule Ibérique ont pour composante dominante une fonction d’habitat. Leurs modalités d’implantation et de protection peuvent varier, mais il s’agit généralement, lorsqu’ils sont bien connus, de sites d’habitats agglomérés de dimensions et d’importance relativement élevées, tout du moins dans leur environnement archéologique. Plusieurs d’entre eux, et comme souvent en péninsule Ibérique, présentent des traces d’activités de production, notamment métallurgiques, à l’intérieur de leur enceinte. Dans plusieurs sites, celle-ci semble prendre une magnitude importante comme sur le site de La Cervera (La Font de la Figuera, València)135, El Castañuelo (Aracena, Huelva)136, La Custodia (Viana, Navarra)137, l’oppidum de Giribaile (Vilches, Jaén)138 ou encore La Bastida de les Alcusses (Moixent, València)139.
Un seul ensemble cependant pourrait correspondre à une aire réservée préférentiellement à des activités spécifiques (production d’huile et activité textile) : le departamento 15 du site d’El Tossal de Sant Miquel (Llíria, València). La structure est fouillée en 1933 et se présente comme une maison de plan trapézoïdal à deux niveaux à soubassement de pierres et élévation en adobes. En son centre ont été trouvées les parties passive et active d’une meule ainsi qu’une vingtaine de pesons qui ont amené H. Bonet à interpréter le bâtiment comme un moulin à huile140.
La structure 301 qui livre les instruments de pesée du site de La Hoya est quant à elle interprétée comme un bâtiment à vocation commerciale – une boutique – en raison de la présence de poids de balance associés à de nombreuses céramiques de stockage141.
À l’inverse, on dénombre peu de sites à vocation cultuelle qui livrent des instruments de pesée. En effet, seuls quatre s’inscrivent à priori dans cette optique et l’interprétation est à prendre avec précaution dans plusieurs cas.
Le site de La Escuera (San Fulgencio, Alacant), occupé entre la fin du VIe et le IIIe s. a.C.142 est selon toute vraisemblance un site d’habitat. Cependant, dans la deuxième phase de son occupation, parallèlement à un agrandissement de l’ensemble, un bâtiment interprété comme un établissement à vocation publique ou cultuelle est élevé contre la porte ouverte dans la muraille. Le poids de balance Esc-A est trouvé dans le niveau 2 de la tranchée J qui semble correspondre à un espace ouvert ou de circulation directement lié à l’édifice public143.
Le site de Castelo de Castro Marim, occupé dès le Bronze final est généralement assimilé à un établissement à fonction cultuelle, tout du moins dans ses phases de l’âge du Fer auxquelles correspondent les deux poids de balance144. Il semble en aller de même pour les sites d’Alcácer do Sal (centre urbain et Castelo)145 bien que le site ne nous soit essentiellement connu que par des mentions.
Le site de Cancho Roano est très certainement le mieux connu de nos exemples, autant par les fouilles que par sa renommée. Dans sa dernière phase d’occupation, datée du Ve s., il se présente comme un édifice quadrangulaire flanqué d’habitations sur tout son périmètre, entouré d’un fossé et pourvu d’une entrée monumentale (fig. 3-85). Cette phase, qui trahit d’importantes influences proche-orientales, autant par le plan général que par les techniques de construction employées, est celle qui a livré les instruments de pesée qui nous sont connus. La présence d’éléments de mobilier métallique particuliers, comme la figurine d’un cavalier en alliage cuivreux, mais surtout la présence d’un autel au centre de la pièce H7, ont amené les fouilleurs à proposer une fonction religieuse à l’ensemble. Celle-ci se développerait cependant parallèlement à des activités de production (textile et métallurgique notamment), de stockage et d’un habitat élitaire. Ces différentes caractéristiques ont amené à proposer le terme de palais-sanctuaire pour décrire l’édifice146.
Il apparaît donc que la grande majorité des sites présentent au moins partiellement une dominante d’habitat et que l’aspect cultuel, s’il est bien attesté dans certains contextes, n’est peut-être pas à mettre directement en association avec la pratique pondérale. M. P. García-Bellido a notamment dressé un parallèle entre la tradition consistant à entreposer des poids de balance en bronze dans les temples en Grèce, afin qu’ils soient divinement protégés, et ceux découverts à Cancho Roano147. I. Grau et J. Moratalla, quant à eux, ont repris l’idée d’une distinction entre des poids officiels en alliage cuivreux et des poids “officieux” en plomb, toujours en s’inspirant du même modèle méditerranéen148. Si ces interprétations restent plausibles dans le cas de Cancho Roano, il ne semble toutefois se dégager aucune tendance de généralisation de ce genre de pratique, ni à l’échelle de la péninsule Ibérique ni même de la zone tartessienne.
Le monde des morts :
mise en scène d’instruments de pesée
La dizaine de nécropoles livrant des instruments de pesée apporte en revanche un autre type d’information. Contrairement aux contextes précédents et en l’absence de dépôts métalliques non funéraires pour cette période, les contextes funéraires sont les seuls découlant de la volonté de soustraction d’outils de la pratique pondérale de la sphère des vivants. La mise en scène funéraire est par essence performative et les instruments n’ont probablement jamais pour but de représenter une activité dans son intégralité, mais ils nous permettent toutefois d’observer les choix d’associations effectués dans le cadre de la mort d’un individu.
L’exhaustivité de la donnée contextuelle est relativement hétérogène, mais nous pouvons observer quelques caractéristiques communes aux ensembles les mieux connus. Pour commencer, toutes sont des crémations, comme de coutume en péninsule Ibérique à l’âge du Fer, et prennent placent dans des nécropoles d’extension plus ou moins grande. Un autre élément d’importance est que les tombes en question fournissent un mobilier qui, par son abondance et/ou ses qualités, laisse penser qu’il s’agit pour la plupart de sépultures d’individus de rang social élevé avec toute la prudence que nécessite une telle interprétation. Notons toutefois que le simple accès à la nécropole doit alors être en soi une marque de rang élevé dans la société et que le choix d’enterrer des outils et notamment des instruments de pesée, doit relever de rapports personnels importants entre le défunt et l’activité pondérale, mais également d’une ambition d’identifier clairement la pratique au moment des funérailles.
Mis à part les tombes 234 de Centenares, 115 et 119 du Cabecico del Tesoro et 574 de Villaricos pour lesquelles nous ne connaissons par le mobilier associé, la majorité des sépultures présentent un faciès que nous pourrions qualifier d’aristocratique. Si nous ne connaissons pas directement le mobilier associé aux poids de l’espace funéraire de Haza de la Arca (Uclés, Cuenca), la révision du matériel montre clairement le luxe général du mobilier d’accompagnement qui y est retrouvé149. Ainsi, sur 13 tombes, 12 d’entre elles présentent des armes, de la parure ou de la céramique d’importation (fig. 3-86), parfois dans des quantités impressionnantes comme dans la tombe 200 d’El Cigarralejo (7 éléments d’armement, près de 70 liés à la parure ou l’habillement et 17 céramiques importées, notamment des céramiques attiques à vernis noir et à figures rouges150) ou la sépulture 41 du Cabezo Lucero. (15 éléments liés à l’armement et 18 céramiques attiques à figures rouges, à figures noires et à vernis noir151). On note également dans le cas de la tombe 21 d’El Cigarralejo152 et dans la tombe 2 d’Orleyl153 l’association des instruments de pesée avec des feuilles de plomb portant des inscriptions en Ibère (3 exemplaires dans le cas de la seconde). La tombe 200 d’El Cigarralejo, en revanche, est la seule à livrer des éléments rattachés au harnachement équestre154. On trouve également dans plusieurs cas de l’outillage, généralement lié à l’activité textile (fusaïole, pesons ou éléments de métier à tisser), ce qui est loin d’être rare dans le contexte funéraire ibérique, mais ce présente dans certains cas dans des proportions élevées (jusqu’à 57 fusaïoles dans la tombe 200 d’El Cigarralejo155) ou de manière plus atypique, une grande panoplie d’outils destinés à l’orfèvrerie dans la tombe 100 de Cabezo Lucero156.
Finalement, la tombe 18 de la nécropole d’El Cigarralejo, a priori très dégradée, est la seule qui livre un mobilier funéraire dont aucun élément ne semble clairement rattachable à la sphère aristocratique157. Il ne faut toutefois pas oublier que notre vision du mobilier funéraire se limite aux matières non organiques et que certains produits aujourd’hui disparus, en particulier les étoffes, pouvaient vraisemblablement posséder une grande valeur. Pour conclure, ce sont en tout plus une trentaine d’instruments de pesée qui sont retrouvés en contexte funéraire en association avec du mobilier indiquant clairement le statut aisé du défunt.
3. Les activités associées à la pesée
Le nombre de contextes qui associent des instruments de pesée avec les traces claires d’autres activités est relativement réduit en comparaison à la quantité de données connues en péninsule Ibérique. Plusieurs raisons expliquent cela. Tout d’abord, en raison de l’ancienneté des fouilles, un grand nombre d’inventaires de mobilier par structures et d’associations sont manquants. Ainsi, même lorsque nous connaissons le carré ou la structure de découverte d’instruments de pesée, les éléments associés nous sont inconnus. Un autre problème vient de la configuration même des habitats de la péninsule Ibérique à l’âge du Fer. En raison de l’organisation architecturale interne aux sites, il est parfois difficile de délimiter les différentes unités domestiques en leur sein. Cela est renforcé par le fait que, dans ce cadre chrono-géographique, les activités de productions spécialisées sont traditionnellement déployées dans l’espace domestique. Même lorsque nous sommes en possession de tous les éléments archéologiques et stratigraphiques, il est donc parfois ardu d’associer clairement les différentes activités qui prennent place dans l’espace. Nous tenterons ici de traiter ce sujet au travers de quelques exemples bien documentés issus de contextes à vocation domestique mais également par le biais des contextes funéraires qui permettent d’enregistrer certaines associations volontaires de mobilier qui peuvent, dans certains cas, apporter des éléments complémentaires. Les deux cas particuliers que constituent Cancho Roano et La Bastida de les Alcusses seront traités séparément en raison de l’abondance de matériel qu’ils ont livré et de la complexité des associations qui y sont observées.
La pesée au sein des habitats
Au sein des habitats, les poids de balance n’apparaissent pas associés de manière privilégiée avec une activité plutôt qu’une autre. L’essentiel des poids de balance trouvés dans des habitats sont mis au jours dans des structures au moins partiellement à vocation domestique (céramique de cuisson, fusaïoles, foyer…). Cependant, comme nous l’avons dit, cela n’empêche absolument pas que des activités spécialisées soient développées dans les mêmes espaces. Ainsi, parmi les contextes les plus anciens (fin VIe-fin Ve s. a.C.), nous trouvons dans la pièce IVC du site d’El Oral (San Fulgencio, Alacant) un poids en plomb dans le même niveau que des fragments de céramique (ibérique, grise et de cuisine), une plaquette de bronze perforée mais également des scories de fer158. Pour le Ve s. a.C., nous identifions un poids en alliage cuivreux sur le site d’El Castañuelo (Aracena, Huelva). Bien que le contexte exact d’apparition du poids ne nous soit pas connu, le site est marqué par une importante pratique de la métallurgie, principalement le travail de l’or et de l’argent et il est possible d’envisager que la pesée serve dans ce contexte. Il est en revanche intéressant de noter que le site livre très peu de marqueurs de contacts avec la Méditerranée centrale et orientale mis à part deux plats en céramique à pâte grise et des amphores puniques qui représentent la totalité de la céramique tournée159.
Dans la première moitié du IVe s. a.C., un lot de 7 poids de balance a été abandonné dans une structure du site fortifié de La Hoya (Guardia, Araba) suite à une attaque armée s’achevant par un incendie (les corps de trois adultes décapités ont notamment été retrouvés dans une des rues ainsi qu’un troupeau de porcs dans une autre). Les poids ont été trouvé dans la pièce de fond d’une structure bipartite (num. 301), proche de l’entrée du site, interprétée comme un espace à vocation commerciale. L’argument principal à cela, en plus de la présence des poids eux-mêmes, est leur association avec de nombreuses céramiques de stockage ainsi que du matériel métallique sous forme de produits finis mais aussi de fragments, des manches d’outils en bois de cerf, de nombreuses sphères en calcaire160 ou encore des meules.
Nous avons déjà évoqué la taphonomie particulière du site de La Celadilla (Ademuz, València). Ce site de hauteur protégé est occupé durant le Ve s. et la première moitié du IVe s. a.C. où il est incendié, probablement suite à un épisode violent. Le site, fouillé depuis 2009, n’est pour l’instant que partiellement publié, il a toutefois livré un contexte particulièrement intéressant pour notre réflexion. Les squelettes de trois hommes adultes, morts peu de temps avant l’incendie, ont été retrouvés dans les niveaux de destruction de l’étage d’un bâtiment (la plupart des connexions anatomiques sont maintenues mais des dislocations dues à l’effondrement peuvent être observées). Il est également à noter que l’absence de contraction des extrémités (pieds et mains) a permis aux anthropologues d’écarter l’hypothèses que ces trois hommes soient morts asphyxiés par les gaz de l’incendie161. Associés à ces individus, plusieurs éléments de mobilier ont pu être mis au jour : un anneau à chaton encore inséré dans la phalange d’un des individus, une fibule et trois instruments de pesée (poids, peson et plateau) pour le premier ; un bracelet en fer, une petite figurine de terre-cuite (trouvant peut-être des parallèles dans certains exvotos) pour un autre ; le dernier n’est quant à lui associé qu’à un bois de cerf162. Avec toutes les précautions qu’il est nécessaire de prendre en raison de l’état encore initial des recherches sur le site et des données publiées, ce contexte est l’un des rares nous permettant de mettre en évidence une possible activité de pesée interrompue. Nous pouvons bien évidement envisager que les potentiels matériaux jugés précieux aient été récupérés avant l’incendie, toutefois ce contexte nous permet d’éliminer un certain nombre d’hypothèses. Nous avons déjà évoqué le cadre particulier de son utilisation, mettant en jeu un seul poids et un seul plateau, le peson servant probablement à compenser la masse du plateau sur la balance (voir chapitre “Les balances péninsulaires : une technique originale”, p. 294). Ainsi, nous pouvons admettre avec vraisemblance que ce lot n’était pas utilisé, pour ce contexte précis, dans le cadre d’une production pouvant laisser des traces matérielles (métallurgie, activité textile, mouture, stockage, etc.) et/ou impliquer des matériaux lourds. Une possibilité qui n’est pas à exclure serait que les instruments de pesée aient servi à mesurer une masse d’or ou d’argent et que ces derniers aient été récupérés par les probables assaillants. Le caractère atypique de la statuette en terre-cuite et du bois de cerf amène à se demander si, dans ce cadre précis, la pesée n’est pas réalisée dans un cadre religieux ou magique dont les éléments matériels pesés sont de nature périssable. Si tel est le cas, il est fort probable les cas similaires d’usage de la pesée, s’ils sont dépourvus d’une telle taphonomie, resteront malheureusement obscurs aux archéologues.
Les autres contextes bien caractérisés sont essentiellement datés des IIIe-Ier s. a.C. Au Tossal de Sant Miquel (Llíria, València), les instruments de pesée des departamentos 5, 15 et 27 sont essentiellement retrouvés dans des espaces où des activités textiles ont été réalisées (fusaïoles, poids de métiers à tisser, poinçons en os, aiguille en alliage cuivreux, ciseau en fer). Le cas du departamento 15 est toutefois particulier. La structure est interprétée comme un espace de production d’huile, notamment en raison de la présence des parties passive et active d’une meule et des caractéristiques architecturales (présence d’une plateforme surélevée en adobes pourvue d’une légère inclinaison pour procéder au pressage, bassins rectangulaires enduits de chaux pour la décantation). Les pesons de métiers à tisser trouvés dans la structure, entre la meule et la banquette, sont interprétés comme des éléments de la chaîne opératoire de la production d’huile dans ce cas précis163. Toutefois, nous trouvons également une vingtaine de fusaïoles dans la même pièce ce qui confirme la présence d’une activité textile dans cet espace. Sur le même site, deux poids sont issus du departamento 58, interprété comme un espace ouvert présentant une faible stratigraphie. Aucun des éléments de mobilier associés ne permet d’identifier la réalisation d’une activité spécifique à cet endroit164.
Sur le site du Puntal dels Llops (Olocau, València), occupé dès la fin du Ve s. et détruit violemment au début du IIe s. a.C., trois structures ont livré des instruments de pesée. Dans le departamento 4, un plateau de balance a été trouvé en association avec du mobilier varié. Il renvoie aussi bien à des activités traditionnellement rattachées à la sphère domestique, comme de la céramique de cuisine, des pesons et des fusaïoles ou du matériel de mouture, qu’à des domaines plus spécifiques comme le travail agricole, l’armement ou les activités métallurgique (notamment le stockage de semi-produits en fer)165. Un autre plateau a été mis au jour dans le departamento 16. Celui-ci est cependant très lacunaire et a livré peu de matériel166. C’est toutefois le departamento 1 qui présente le plus d’intérêt en ce qui concerne l’étude des instruments de pesée. Les fouilleurs y ont trouvé un lot de 8 poids de balance (PL-1-A à H) et les fragments d’un ou deux plateaux (PL-1) en association avec un grand nombre d’éléments de mobilier parmi lesquels des ex-voto, une situle, des jarres destinées à la libation, des ungüentaria, des lampes à huiles, des kernoi, des gutti ou encore un grill. Ces différents éléments ont amené les fouilleurs à l’interpréter l’édifice comme une structure à vocation cultuelle ou comportant une chapelle privée. Il s’agit également du contexte qui livre le plus grand nombre d’importations méditerranéennes à l’échelle du site, ainsi que du seul dans lequel a été trouvée une clé en fer. Les activités domestiques y sont également représentées puisque que nous y trouvons des pesons correspondant a priori à un métier à tisser en place, des fusaïoles ainsi que des céramiques de stockage. La céramique de cuisine y est en revanche totalement absente167.
Nous constatons ainsi qu’aucune activité n’apparaît particulièrement associée à la pratique pesée au travers du registre archéologique des habitats ibériques. Toutefois, l’absence d’information contextuelle pour certaines grandes séries comme celles de La Serreta (Alcoi-Concentaina-Penáguila, Alacant) ou de l’Alcùdia (Elx, Alacant) nous prive d’un grand nombre de données. Seules deux séries permettent de mieux appréhender les données contextuelles à l’échelle des sites : celles de Cancho Roano (Zalamea de la Serena, Badajoz) et de La Bastida de les Alcusses (Moixent, València). Ces deux cas particuliers sont très différents du point de vue de leur fonction, de leur organisation architecturale mais aussi de leur contexte chrono-culturel. Nous les traiterons par ordre chronologique.
Cancho Roano : rituels, productions et échanges
Le site de Cancho Roano a fait l’objet d’une si abondante bibliographie, étalée sur plusieurs décennies168, qu’il est uniquement possible ici d’en synthétiser les observations et conclusions principales. Il correspond à un édifice pour lequel nous identifions clairement trois phases de constructions. Dans ses deux premiers états (C et B), datés des VIIe-VIe s. a.C., il s’agit vraisemblablement d’un autel. Dans son dernier état, au cours du Ve s. a.C., il prend la forme d’un bâtiment flanqué de pièces sur trois de ses côtés, pourvu d’une entrée monumentale et entouré d’un fossé (fig. 3-87). La stratigraphie semble indiquer que l’édifice B a été rasé afin de construire le A et il en va peut-être de même entre les deux premiers états de construction. L’édifice semble volontairement détruit dans son état final sans tentative de récupération du matériel avant que ses ruines ne soient recouvertes et scellées par une épaisse couche de terre. Le plan (plan en U, podium et patio ouvert interne) et le mode de construction (sous-bassement de pierre semi-cyclopéen et élévation en adobes) trahissent des influences proche-orientales169. Le site a livré un mobilier luxueux, notamment des amphores et de la vaisselle provenant d’Afrique du Nord et de Grèce, des artefacts d’Égypte et de la péninsule Italique, mais également des vestiges plus hétéroclites tel que des outils et déchets liés à la métallurgie, aux travaux agricoles, à la production textile, mais aussi de la parure, des vases de stockage, de l’armement, de l’équipement d’harnachement équestre, des éléments liés à la prise de banquet ou encore des instruments à connotation cultuelle170. Le site de Cancho Roano est traditionnellement interprété comme un “palais-sanctuaire”, notamment sur la base de parallèles proche-orientaux, bien que ce schéma soit à nuancer, en particulier pour des raisons chronologiques171. Si les aspects religieux ou cultuels du site transparaissent à travers l’histoire des destructions et reconstructions du site, des aspects architecturaux et d’une partie du mobilier, il présente également des traits propres à un lieu de résidence mais aussi à un lieu de productions diverses. Son extension réduite et le faible nombre de pièces de taille adaptées à la vie quotidienne suggèrent toutefois qu’il ne devrait pas servir de lieu de vie à un groupe très important. Comme le soulignent très bien les auteurs dans la conclusion du dernier tome de la monographie du site, le principal problème provient de la difficulté d’interprétation qu’entraine sa taphonomie. En effet, l’édifice a été volontairement abandonné, brûlé puis recouvert d’un tumulus et se présente ainsi avant tout comme une grande offrande172 et ne peut donc pas être traité de la même façon qu’un habitat abandonné précipitamment en raison d’une catastrophe. Nous pouvons tout de même admettre que certaines associations doivent rester significatives et qu’il est donc intéressant de les détailler. Bien que les proportions de mobilier permettent de hiérarchiser les traces d’activités par pièce173, il ressort avant tout de l’observation des vestiges l’impression d’un important brassage à l’intérieur de l’édifice. Si certains auteurs restituent une population d’une cinquantaine de personnes vivant dans le bâtiment auxquels s’ajouteraient plus de 300 personnes vivant dans le territoire alentour174, les indices permettant une telle reconstitution sont toutefois maigres. Les traces de multiples activités sont clairement visibles mais celles que nous pouvons clairement associer à des espaces privilégiés du site sont en réalité peu nombreuses. En mettant de côté les activités de consommation alimentaire, de stockage et cultuelles, qui semblent déployées largement dans l’espace central, c’est clairement la production textile qui se démarque175. Plusieurs pièces, interprétées dans certains cas comme des gynécées176, montrent clairement des concentrations d’instruments propres à la production textile, notamment des fusaïoles en grand nombre et des pesons de métiers à tisser. Nous pouvons constater que la distribution dans l’édifice des traces de cette activité montre une forte corrélation avec les lieux de découvertes de poids et de plateaux de balance (fig. 3-88). Ainsi, de manière presque systématique, les instruments de pesée sont trouvés associés à des pesons ou, encore plus nettement, à des fusaïoles (fig. 3-89)177. Ainsi, parmi les espaces où nous trouvons le plus grand nombre d’instruments de pesée, la pièce N5 a livré 5 poids et 13 fusaïoles, le patio H12 a livré 2 poids, un plateau, 17 pesons et 72 fusaïoles tandis que la pièce O1 a livré 2 poids, 7 pesons et 14 fusaïoles. C’est toutefois dans la pièce H4 que nous trouvons le plus grand nombre de poids (6 ind.). Si celle-ci ne livre pas directement d’instruments liés à l’activité textile, elle semble, d’après son plan, fonctionner avec les pièces H6 (2 pesons), H5 (1 plateau, 1 peson et 7 fusaïoles) et H3 (1 peson et 25 fusaïoles)178.
Comme nous l’avons dit, la taphonomie du site implique que ces observations puissent être fortement biaisées par le mélange des vestiges provenant du rez-de-chaussée et de ceux de l’étage mais également en raison du ramassage sélectif et de la mise en scène qui ont pu précéder l’incendie du site. Toutefois, même en acceptant ces biais, nous pouvons considérer ces associations comme significatives en raison de leur répétitivité. Les produits textiles (fibres, fils ou produits finis) sont, avec les métaux, les principaux matériaux pesés en Méditerranée centrale et orientale depuis l’âge du Bronze179. Les associations observées à Cancho Roano n’ont donc rien d’atypique dans le cadre de la Méditerranée ancienne. Toutefois, dans la tradition historiographique de l’Europe occidentale, comme nous l’avons vu, la pesée est généralement rattachée à la production métallurgique. Cela s’explique probablement à la fois par le caractère féminin qui est attribué à l’activité textile mais aussi au rôle prépondérant accordé au métal dans la hiérarchisation sociale et la construction des réseaux à longue distance. Toutefois, les vestiges de Cancho Roano permettent de nuancer cette attribution et à interroger de manière plus approfondie le lien entre pesée et production textile.
La Bastida de les Alcusses :
un site exceptionnel du littoral méditerranéen
Le site de hauteur fortifié de la Bastida de les Alcusses (Moixent, València) est mentionné pour la première fois au début du XXe s. a.C. et fait l’objet de fouilles archéologiques, dirigées par Isidro Ballester Tormo et Luis Pericot García entre 1928 et 1930 avant une reprise des données et des recherches sous l’impulsion du Museu de Prehistòria de València à partir des années 1990. Le site est essentiellement occupé entre la fin du Ve et le troisième quart du IVe s. a.C. Il s’étend sur un éperon d’environ 4 ha, entièrement ceint d’une muraille et accessible par le biais de deux entrées fortifiées (fig. 3-90)180. Comme le souligne Jaime Vives-Ferrándiz, le site de La Bastida se prête bien à une analyse en extension de son organisation interne : il est occupé pendant une durée relativement courte, il est abandonné de manière précipitée et violente (incendie, mobilier laissé dans un état proche du quotidien), il ne présente pas d’indice de structures de deux niveaux ou plus et il a été fouillé en extension anciennement mais selon une méthode d’enregistrement moderne et minutieuse pour l’époque181. Les structures se présentent sur le site en quartiers agglutinés (conjuntos) de tailles et d’organisation interne diverses (fig. 3-91). Ces ensembles structurels peuvent, selon les fouilleurs, correspondre à des maisons (ex : conjunto 1) ou au regroupement de plusieurs maisons (ex : conjuntos 2, 3 ou 8)182. À cela, il faut rajouter deux ensembles interprétés comme des lieux à caractère communautaire : le conjunto 7, interprété comme un espace productif et commercial servant de grenier et de zone artisanale présentant des ateliers métallurgiques, et le conjunto 5 interprété comme un espace servant au moins partiellement aux assemblées et réunions publiques (en raison de l’absence de mobilier lié à la vie quotidienne et l’usage de techniques architecturales spécifiques)183.
En premier lieu, nous pouvons constater que nous retrouvons des instruments de pesée dans un très grand nombre de structures sur le site et que la quasi-totalité des quartiers sont concernés (fig. 3-92). Parmi les exceptions, nous comptons l’ensemble 5 (conjunto 5), interprété comme une résidence pouvant accueillir des évènements publics, ainsi que les ensembles 20, 12, 15 et 16 et 1 au sud-ouest du centre du site, et 18 au nord-est. Avec 105 instruments trouvés sur le site (96 poids et 9 plateaux), il est important d’adopter un mode de représentation spatiale de l’information qui soit significatif. En ne nous intéressant qu’aux lots de poids (considérés ici comme trois instruments ou plus découverts dans la même structure), nous pouvons observer que la distribution est beaucoup moins égalitaire que ce que l’observation du corpus entier peut laisser penser (fig. 3-92). Ainsi, ce sont essentiellement les ensembles 2, 3, 7, 8, 9 et 11 qui sont concernés. L’ensemble 8 est particulièrement intéressant car il livre un lot de 9 instruments dans la pièce 16 et 3 autres dans la pièce 11 qui lui est accolée. Ces pièces sont de taille réduite, en particulier la 16 (probablement moins de 2 x 2 m), et nous pouvons envisager que les poids y soient simplement stockés au moment de l’abandon du site. Il en va peut-être de même pour le departamento 174 du conjunto 2. En revanche, nous remarquons que quatre de ces lots sont trouvés à l’extérieur des bâtisses, dans des espaces ouverts ou semi-ouverts (dpt. 100, 118, 189 et 230). Nous pouvons émettre l’hypothèse qu’ils avaient été sortis pour être utilisés dans le cadre d’activités prenant place dans les espaces de circulation du site. À l’exception des 4 poids du departamento 189, nous remarquons que ces lots ne se trouvent pas sur l’axe de circulation principal que les fouilleurs restituent pour le site (fig. 3-92) mais que ceux des dpt. 100 et 118, séparés de quelques mètres, se trouvent sur une possible place publique184.
Toutefois, si nous considérons l’hypothèse que les quartiers architecturaux fonctionnent comme des ensembles, il est intéressant d’observer la répartition des instruments de pesée, et leur nombre, dans chacun des conjuntos (fig. 3-93). Nous nous apercevons alors que trois d’entre eux se démarquent largement : les n° 2, 7 et 8 (avec respectivement 21, 16 et 14 instruments) et que les n° 3, 9 et 11 en contiennent également un grand nombre (respectivement 11, 8 et 8).
Ces différentes observations suggèrent très clairement une utilisation de la pesée relativement bien répartie sur l’ensemble du site mais qui présente des spécificités en fonction des quartiers et que certains entretiennent vraisemblablement un rapport privilégié avec la pratique de pesée. Comme nous allons le voir, certains de ces ensembles présentent d’autres caractéristiques et associations de matériel spécifiques.
J. Vives-Ferrándiz s’est intéressé à la distribution des marqueurs d’activité au sein de l’habitat (en particulier à partir des outils agricoles, des marqueurs d’activités métallurgiques et des instruments de mouture)185. Il a pu observer que si de nombreux ensembles possèdent un ou deux araires (conjuntos 3, 6, 8, 11, 12 et 18), seuls les ensembles 7 et 10 en possèdent en plus grand nombre (5 dans chacun). L’auteur relie cette répartition à la propriété de la terre qui serait plus ou moins élevée en fonction des groupes vivant dans chaque ensemble186. Il met notamment en avant le fait qu’avec un soc d’araire tiré par deux bœufs, il est possible de cultiver environ 6-7 ha et de nourrir un groupe de 16-30 personnes en fonction de la céréale (blé ou orge)187. Nous n’observons pas de corrélation importante dans la distribution de ces outils et celle des instruments de pesée (fig. 3-94) et si l’association des deux activités existe, elle ne semble pas particulièrement privilégiée.
D’autres vestiges attestent d’une activité d’obtention d’argent à partir du plomb et de la galène sur le site (planchas de plomb, gouttes de plomb, oxydes de plomb et fonds de cuvettes, creusets). J. Vives-Ferrándiz observe que seuls certains ensembles accueillent des espaces de travail métallurgique : les 1, 2, 3, 7, 10, 11, 13 et 17 (fig. 3-95). Nous remarquons que, parmi ces derniers, seul le conjunto 1 n’a livré aucun instrument de pesée. Selon l’auteur, les conjuntos 2, 3 et 7 regroupent vraisemblablement la majorité des marqueurs de cette activité. Il est également intéressant de noter qu’au nord-ouest de l’ensemble 7, dans les structures 103-105, une céramique contenant cinq masses d’argent monétiformes a été trouvée (fig. 3-96). Leur masse oscillent entre 26,5 et 55,3 g pour un total de 207,3 g. Un autre artefact similaire, volontairement fragmenté et pesant 25,3 g, a été trouvé dans le departamento 232 du conjunto 3188.
Jaime Vives-Ferrándiz met également en avant que certains espaces, comme les conjuntos 3 et 4 (fig. 3-97) ne présentent aucun matériel de mouture et ses habitant devaient probablement se fournir – ou être fournis – en produits agricoles transformés ou accéder à des outils présents ailleurs sur le site189.
Une autre activité qu’il est intéressant de prendre en compte, de la même manière qu’à Cancho Roano, est la production textile. À la Bastida, les fusaïoles sont retrouvées en très grand nombre selon une répartition assez homogène qui laisse entendre que le filage pouvait aussi bien être réalisé en intérieur qu’en extérieur190. Dans certaines pièces, la concentration de fusaïoles (entre 12 et 39 individus) suggère qu’elles y étaient stockées. Les pesons de métiers à tisser sont plus à même de restituer des espaces de tissage. Plusieurs structures présentent ainsi un nombre significativement élevé de pesons et désignent probablement l’emplacement de métiers à tisser (fig. 3-98)191. Nous remarquons une corrélation relativement bonne entre la présence de lots d’instruments de pesée et les marqueurs d’une activité textile. Ainsi, le dpt. 16, qui livre 9 instruments de pesée a vraisemblablement abrité un métier à tisser ou un stock de pesons (12 ind.). De la même manière, le dpt. 100 livre un lot de 4 poids et 69 pesons (dont 12 regroupés). Dans le dpt. 118, où sont trouvés 6 poids, nous trouvons également l’une des rares paires de forces en fer du site. Les deux lots du conjunto 2, dans les dpt. 174 et 189 (6 et 4 poids), ne sont pas associés directement avec des marqueurs d’activité textile mais sont accolés à trois structures qui en livrent : le dpt. 169 (23 pesons et 1 paire de forces), 175 (17 pesons) et 185 (36 pesons).
J. Vives-Ferrándiz estime que les différents ensembles ont adopté des stratégies politico-économiques différentes, pour certaines fondées sur un contrôle de grandes surfaces de terres cultivables (ex : conjunto 10) et d’autres sur l’accès et la transformation de produits métallurgiques (ex : conjunto 3) ou d’autres savoir-faire spécialisés. Si une hiérarchie existe probablement au sein des occupants du site – qui se voit peut-être notamment dans la différence de taille de certaines maisons – la plupart des ensembles montrent surtout une position privilégiée marquée par le contrôle de ressources précieuses et l’accès à des produits issus d’échanges à longue-distance192.
L’un des serpents de mer de la métrologie ibérique, nous l’avons déjà plusieurs fois mentionné, est le rapport entre pesée et paléomonnaie. Ici, des artefacts semblent indiquer l’usage de l’argent sous une forme qui peut rappeler cette pratique (lingots d’argent dont un fragmenté). Le grand nombre d’instruments de pesée suggère que leur usage devait être relativement régulier.
Nous pourrions ainsi nous attendre à trouver un nombre conséquent d’éléments en argent sur le site, oubliés dans la précipitation ou perdus au cours de la vie du site de la même manière que les pièces de monnaie plus tard, or ce n’est pas le cas. Nous ne trouvons pas, à La Bastida de les Alcusses, une corrélation spécifique entre la pratique de la pesée et un autre aspect de la vie quotidienne des habitants du site. En revanche, nous observons une multitude de relations avec des activités propres à des populations exerçant un contrôle sur les ressources : agricoles, minérales/métalliques et textiles. La pesée est une technologie d’estimation et de mesure et renvoie avant tout au contrôle, quel que soit le matériau ou produit considéré. Nous pouvons donc envisager qu’elle ne soit pas, tout du moins dans le cas du site de La Bastida, associée de manière privilégiée à un type spécifique de matériau ou de produit mais à un statut social spécifique de détenteur des ressources.
Pesée et mise en scène funéraire
En dehors des habitats, une autre source d’information concernant l’association entre la pesée et des marqueurs d’activités est le domaine funéraire. Nous comptons 15 sépultures bien identifiées (dans 6 nécropoles) abritant des poids ou des plateaux de balance en péninsule Ibérique (fig. 3-84). Comme nous l’avons dit plus haut, ces sépultures sont généralement celles d’individus de rang très élevé qui, en plus d’avoir accès à la nécropole, sont enterrés avec du mobilier abondant et de qualité. La majorité de ces tombes sont datées de la fin du Ve ou du IVe s. a.C., mais certaines sont plus récentes et nous pouvons identifier des instruments de pesée déposé en milieu funéraire jusqu’à la fin du IIe s. a.C. (ex : tombe 145 d’El Cigarralejo, Mula, Murcia).
La mise en scène d’activités de production en contexte funéraire est très marginale dans le monde ibérique comme nous avions pu le mettre en évidence lors d’un travail de master193. Nous trouvons de tels potentiels marqueurs d’activités en association avec des poids ou des plateaux de balance dans seulement 6 sépultures issues des nécropoles de Cabecico del Tesoro (Verdolay, Murcia), Cabezo Lucero (Guardamar del Segura, Alacant), El Cigarralejo (Mula, Murcia) et Orleyl (La Vall d’Uixó, Castelló).
Comme dans l’habitat, le domaine funéraire ne permet globalement pas de mettre en évidence l’association de la pesée avec une activité particulière (fig. 3-99). Nous observons dans certains cas dans la même tombe des poids et des plateaux ainsi que des outils permettant le travail des métaux. C’est notamment le cas de l’or dans l’assemblage exceptionnel de la tombe 100 de Cabezo Lucero qui a livré une cinquantaine d’outils interprétés comme des instruments d’orfèvre (tas, enclumes, marteaux, pinces, ciseaux, matrices, chalumeaux…)194. Cet exemple reste unique et, mis à part une lime mise au jour dans la tombe 200 d’El Cigarralejo qui pourrait avoir servi dans le cadre d’une activité métallurgique – mais sans certitude – le travail du métal est rarement associé avec des instruments de pesée.
Nous pouvons également faire mention des deux poids de balance trouvés sur le site de hauteur de La Cervera (La Font de la Figuera, València). Ces derniers ont été a priori trouvé avec le mobilier d’une sépulture à crémation mal conservée qui se composait, en plus des instruments de pesée, d’une céramique zoomorphe et d’un artefact décrit par les fouilleurs comme un fragment de lingot en alliage cuivreux en forme de bracelet195. Nous pourrions possiblement y voir là une association avec l’activité métallurgique qui, qui plus est, semble prégnante sur le site d’habitat196.
Dans deux cas (tombe 21 d’El Cigarralejo et tombe 2 d’Orleyl), nous trouvons des poids et plateaux associés à des feuilles de plomb portant un texte en ibère. Ce support d’écriture est souvent associé à des procédés d’administration, de contrôle des échanges ou de témoignages de transactions et nous savons que certaines feuilles de ce type, trouvées dans d’autres contextes, portent des formules d’ordre métrologique (voir le chapitre “Les marques numérales et le système ibérique ‘a-o-ki’”, p. 287).
Nous remarquons toutefois que c’est l’activité textile qui apparaît comme la mieux représentée, en particulier dans la nécropole d’El Cigarralejo. Nous trouvons ainsi plusieurs plaques perforées en os, interprétées comme des éléments de métiers à tisser horizontaux (fig. 3-100)197 dans les tombes 21, 200 et 305 de la nécropole d’El Cigarralejo et un demi-peson dans la tombe 117 du Cabecico del Tesoro. Les fusaïoles sont également bien attestées (les sépultures ne livrant qu’une fusaïole ont ici été écartées). Toutefois, leur présence dans les sépultures ibériques est fréquente. Elle est traditionnellement rattachée à la sphère féminine ou à un rite funéraire particulier. Nous remarquons toutefois que, dans certains cas, leur nombre est élevé, jusqu’à 57 dans le cas de la tombe 200 d’El Cigarralejo. Le nombre élevé de fusaïoles dans certains cas, ainsi que leur association avec d’autres marqueurs de l’activité textile, amène à s’interroger sur la mise en scène que pouvait prendre la production textile dans le rite funéraire. Notre vision sur le sujet est généralement biaisée par une attribution genrée souvent forte ainsi que par le peu de vestiges matériels non périssables que laisse cette production en comparaison avec ce qui a disparu. La place des tissus et des fibres textiles (végétales ou animales) dans la mise en scène funéraire nous échappe notamment complètement. Il est très vraisemblable que la mise en avant d’un nombre important de fusaïoles ainsi que d’autres éléments rattachés à la sphère du tissage soient liés à la place importante des textiles dans le monde protohistorique. À ce titre, nous pouvons nous interroger sur la place de la fusaïole dans la tombe. S’il est souvent considéré qu’il s’agit de l’élément mis aux côtés du défunt, nous ne pouvons pas exclure la possibilité que ce soit en réalité la fusaïole, le fuseau et la pelote de laine qui soient à considérer. Dans un tel scénario, les 57 fusaïoles de la tombe 200 d’El Cigarralejo représenteraient avant tout une grande quantité de fil destiné à être tissé ou échangé.
Les différentes observations faites jusqu’ici montrent que la pesée, pour l’âge du Fer en péninsule Ibérique, revêt probablement un caractère multifonctionnel. Nous ne pouvons pas exclure que certaines activités y recourent plus que d’autres bien que les indices archéologiques ne permettent pas de la caractériser avec finesse. Comme dans le reste de la Méditerranée, il semble toutefois possible d’admettre que la production textile et la métallurgie soient les plus à même d’être mises en relation avec la pesée. Toutefois, notre capacité à mettre celles-ci en évidence est fortement liée à la conservation de certains vestiges par rapport à d’autres et à certaines idées reçues qui nous amènent à privilégier des pistes de recherches (les activités métallurgiques notamment) plutôt que d’autres. L’élément le plus visible reste toutefois le caractère vraisemblablement élitaire de la pesée, visible aussi bien dans le domaine funéraire que dans la relative rareté des vestiges des habitats. Même lorsque les poids de balance sont présents en grand nombre, comme à Cancho Roano ou La Bastida de les Alcusses, nous observons qu’ils restent spécifiquement associés à des marqueurs de statut social particulier (fonctions cultuelles, contrôle des productions agricoles, textiles ou métallurgiques…).
4. Des lots d’instruments de pesée :
anatomie de la boite à outils de pesée
Nous avons décrit au début de ce travail la différence que nous faisions entre séries, ensembles et lots d’instruments de pesée. Ce dernier type d’association, qui nous intéresse plus particulièrement ici, correspond à des instruments dont nous pouvons suspecter l’utilisation conjointe. Ce sont essentiellement les aspects taphonomiques qui nous amènent à proposer ici le regroupement de certains instruments en lots, globalement les découvertes en contextes stratigraphiques clos volontaires (les dépôts funéraires) et involontaires (les couches de destruction rapides). L’identification de ces dernières, que nous distinguons de couches d’occupation et d’abandon constituées sur le temps long et dont les artefacts retrouvés résultent plus vraisemblablement de pertes ou d’abandons, n’est pas toujours des plus évidentes, mais est relativement assurée dans un certain nombre de cas.
Les lots de peseurs
Nous comptons en tout 46 ensembles archéologiques qui mettent en association deux instruments de pesée ou plus. Il est toutefois difficile de considérer tous ces ensembles comme de véritables lots et seuls 17 contextes de découvertes permettent une telle interprétation.
Parmi ceux-là, on compte 8 sépultures, toutes à crémation : la tombe 2 d’Orleyl, les tombes 18, 145 et 200 d’El Cigarralejo, les tombes 117 et 118 du Cabecico del Tesoro, la tombe 100 de Cabezo Lucero et la tombe de Haza de la Arca. Dans chacun de ces cas, c’est l’association volontaire des instruments (poids et plateaux de balance) dans le cadre d’un dépôt funéraire ou de la constitution du mobilier d’accompagnement, qui nous permet d’envisager une utilisation conjointe des instruments. Toutefois, comme nous l’avons dit, la mise en scène funéraire est bien souvent une pratique hautement politique et performative, tout particulièrement lorsqu’il est question d’enterrer des individus occupant une place élevée dans la hiérarchie sociale. Il n’est donc pas impossible que ces lots précis montrent une certaine exagération ou accentuation de la réalité de la pratique pondérale.
Il en va probablement de même pour l’unique dépôt non funéraire abordé ici, celui découvert sur le site d’habitat d’El Risco. Il est de plus important de noter que les modalités de constitution dudit dépôt son mal caractérisées et qu’il est difficile de savoir s’il est composé à un seul moment donné ou si, au contraire, il résulte de différentes opérations étalées dans le temps.
Nous pouvons probablement considérer comme plus fidèles à la réalité d’un moment d’utilisation les instruments sédimentés dans des niveaux de destruction rapide. Le cas le plus connu et le premier documenté est bien évidemment celui de la construcción 27, du departamento b du site de Covalta (Albaida, València) qui a été au fondement de l’identification des poids de balance ibériques. Isidro Ballester décrit le niveau dans lequel sont trouvés les poids de balance comme appartenant à la dernière phase d’occupation du site dont la destruction est attribuée aux “invasions romaines”. Bien qu’aucune description des couches archéologiques ne permette d’assurer que les poids de balance soient trouvés dans des niveaux de destruction, leur proximité topographique ainsi que la découverte de leur dispositif de rangement en fer assurent avec suffisamment de certitude leur association comme lot de pesée198.
Deux autres contextes aux caractéristiques identiques livrent des instruments de pesée : le departamento 1 du site de Puntal dels Llops (Olocau, València) et la tranchée de fouilles K10-SIII-4 sur l’oppidum de Giribaile. Dans les deux cas, plusieurs instruments de pesée sont retrouvés associés – clairement empilés dans le second cas – vraisemblablement dans des niveaux pouvant être rapprochés de destructions violentes199.
Le cas très similaire du lot de La Hoya est encore plus parlant. Ici les poids de balance sont très clairement découverts dans des niveaux résultant de la destruction de l’habitat par le feu en “connexion anatomique” pourrait-on presque dire (fig. 3-101). Seul le poids le plus léger (LH-A) est retrouvé un peu plus loin dans les mêmes niveaux200.
Le site de la Celadilla (Ademuz, València), nous l’avons déjà mentionné plus haut, fournit l’une des taphonomies les plus intéressantes de notre corpus, tant par sa constitution que par les instruments de pesée qui y sont associés. Cet habitat fortifié de hauteur a été incendié vers le milieu du IVe s. a.C. ce qui a permis, comme dans d’autres cas, de sédimenter sur place une grande part des vestiges de la vie quotidienne. Malgré des opérations au cours des années 1990, le site fait surtout l’objet d’un projet de fouilles en extension initié en 2008 et dont seuls quelques résultats partiels sont à l’heure actuelle publiés201. En ce qui concerne notre propos, l’un des aspects les plus importants, comme nous l’avons dit plus haut, est la découverte de trois squelettes d’hommes adultes dans la même structure dont l’un à proximité immédiate de trois instruments de pesée (fig. 3-102)202. Les analyses taphonomiques et anthropologiques ont permis aux fouilleurs de déterminer que les individus se trouvaient à l’étage d’une maison au moment de l’incendie et qu’ils étaient vraisemblablement déjà morts lorsque celui-ci s’est déclaré203. Que nous estimions que l’un des individus ait été en train d’utiliser les instruments de pesée au moment de sa mort ou que ces derniers étaient seulement rangés à proximité, le contexte nous donne quoiqu’il en soit une bonne image d’un lot de peseur fonctionnel, composé de seulement trois éléments en alliage cuivreux : un plateau, un poids (6,35 g) et un peson (50,22 g) ; ainsi que des parties de la balance faites en matériaux périssables et dont nous ne gardons pas de trace.
Le cas de Cancho Roano est peut-être quelque peu différent. En effet, bien que nous sachions que le site a fait l’objet d’une destruction violente, celle-ci pourrait être le fruit d’un procédé rituel. Le site a notamment connu au moins deux précédentes phases d’occupation terminées par une destruction complète et une récupération du matériel204. Selon l’hypothèse retenue, il est donc possible que le site soit incendié dans son état d’utilisation ou qu’il ait fait l’objet d’une récupération sélective d’une partie de son mobilier. De ce fait, celle-ci pourrait soit refléter un état d’activité du site cristallisé archéologiquement – hypothèse privilégiée par les fouilleurs – soit une construction anthropique205.
La compréhension de la distribution des éléments de mobilier est, de plus, compliquée par l’existence probable d’un étage partiel. Les fouilleurs distinguent d’un côté les pièces latérales des Secteurs Nord et Ouest où les objets semblent abandonnés dans leur contexte d’utilisation. De l’autre, les zones intérieures de l’édifice présentent un certain “chaos” dans la répartition du mobilier et les couches stratigraphiques ne montrent aucun ordre apparent. Cela suggère le mélange de niveaux issus d’un rez-de-chaussée et d’un étage qui ne recouvrait vraisemblablement que les parties centrales206 (fig. 3-88 et 89)
Nous pouvons constater deux concentrations particulières d’instruments de pesée dans le site de Cancho Roano (pl. 13-2), la première dans la pièce H4, au centre de l’édifice et la deuxième dans la pièce N5 dans la périphérie nord. Le mobilier présent dans la pièce H4, comme nous l’avons dit pouvait se trouver au rez-de-chaussée et/ou à l’étage. Cependant, on note que les poids de la pièce N5 montrent une meilleure homogénéité morphologique que ceux de H4 ce qui pourrait venir conforter les interprétations des fouilleurs. Il est ainsi possible que seuls les 5 poids du contexte N5 soient à considérer comme un lot.
La boite à outils pondérale
Avec une centaine d’instruments de pesée concernés, nous pouvons estimer que les lots à notre disposition nous donnent une information significative sur la “boite à outils” du peseur. Nous remarquons par exemple que, mis à part trois lots trouvés dans des dépôts volontaires (la tombe 200 d’El Cigarralejo, la tombe 117 du Cabecico del Tesoro et le dépôt d’El Risco), cette boite à outils se compose d’un maximum de 8 poids de balance et d’un plateau (dans le cas du departamento 1 de Puntal dels Llops), mais le plus souvent d’un nombre total d’instruments inférieur à 7. Nous observons également une association entre plateaux et poids dans moins de la moitié des cas (fig. 3-103). Nous pouvons ainsi constater que la pesée, telle qu’elle est pratiquée en péninsule Ibérique au Second âge du Fer, ne paraît pas mettre en jeu un grand nombre de poids de balance et que les grands lots comme les 10 poids de la tombe 200 d’El Cigarralejo ou les 18 de la tombe 117 du Cabecico del Tesoro représentent plus l’exception que la règle (fig. 3-104).
Un exemple particulièrement édifiant est celui du lot de La Celadilla dont nous avons déjà souligné l’exceptionnelle taphonomie. Nous constatons que l’opération de pesée qui semble interrompue dans des conditions catastrophiques est effectuée avec pour seuls instruments un plateau, un poids et un peson. Nous avons déjà pu commenter l’association du peson et du plateau de même masse, qui nous permettent la restitution d’un type de balance à un seul plateau (voir le chapitre “Les balances péninsulaires : une technique originale ?” p. 294), mais nous souhaitons ici insister sur la mise en œuvre d’une pesée avec un unique poids de balance. Il est également envisageable, comme dit précédemment, que le peson soit mobile et que nous soyons en présence d’une “balance romaine” avant l’heure ou d’un procédé mixte. Mais la présence du poids de balance laisse penser que la pesée à un poids reste envisageable. Cela nous amène notamment à considérer différemment les découvertes associant un nombre réduit de poids de balance comme dans la tombe 18 d’El Cigarralejo, voire des poids isolés comme dans la tombe 100 du Cabezo Lucero. Si le contexte funéraire peut laisser présager une représentation de type pars pro toto, il est également possible, au regard des découvertes sur le site de La Celadilla, que ces objets soient à eux seuls représentatifs d’un type de pratique pondérale.
Au sein de notre corpus, un certain nombre d’ensembles d’instruments de pesée, dont la quasi-totalité nous vient du site d’habitat de La Bastida de les Alcusses, nous apportent un complément d’information significatif. Nous observons en effet plusieurs concentrations d’instruments de pesée qui corroborent en grande partie ce que les lots nous apprennent, autrement dit, des poids en nombre relativement réduit associés de manière ponctuelle à des plateaux de balance (fig. 3-105).
III. Métrologie(s) ibérique(s)
La pratique pondérale en péninsule Ibérique, comme nous l’avons vu jusqu’à présent, présente des tendances générales homogènes, mais également des particularismes régionaux qui se manifestent tant dans la morphologie des instruments de pesée que dans la présence d’informations numériques sur les poids. L’historiographie des recherches a amené à la proposition de nombreuses unités et systèmes métrologiques structurant cette pratique et tout autant d’origines (voir le chapitre “La péninsule Ibérique : un territoire à part ?”, p. 39). Dans l’optique d’aborder ce phénomène sous un œil nouveau et au travers de méthodes objectives, il est nécessaire d’analyser les données métrologiques selon différentes échelles d’observation, de la plus précise vers la plus générale, du lot vers la série.
L’important nombre de données implique ici une approche à plusieurs niveaux. Nous traiterons ainsi en premier lieu des informations apportées par la micro-métrologie fondée sur l’étude des lots et des marques numérales qui permettent d’aller le plus loin dans l’identification d’unités et de systèmes métrologiques. Nous aborderons ensuite la question des modifications de poids de balance dans l’optique de modifier leur masse et l’impact de celles-ci sur les systèmes métrologiques. L’étude des ensembles et des séries de poids (à l’échelle des sites) qui ne peuvent pas être abordée par la micro-métrologie sera séparée en deux périodes chronologiques : les VIe-IVe s. a.C. dans un premier temps et le IIIe s. a.C., qui voit l’émergence de mutations dans la pratique de pesée, dans un second temps. Quelques exemples de séries des IIe-Ier s. a.C. seront également analysées comme ouvertures.
1. Entre marques numérales et lots :
micro-métrologies multiples
Deux types d’information, déjà décrits plus tôt, nous renseignent sur la pratique pondérale à une échelle locale : d’une part les marques numérales et d’autre part les associations de poids formant des lots cohérents. Ils nous permettent d’appréhender l’organisation métrologique à un niveau très local, généralement intra-site.
Entre marques numérales et lots :
le système de Cancho Roano
La moitié des 26 poids découverts à Cancho Roano (Zalamea de la Serena, Badajoz) présentent une information numérale inscrite (pl. 13-2), faisant clairement de ce site une exception dans le panorama de la métrologie pondérale. Le thème du système métrologique employé à Cancho Roano a été largement traité par María Paz García-Bellido qui s’est appuyée notamment sur les nombreuses marques numérales que présentent les poids de balance du site, mais aussi sur une comparaison avec les unités pondérales connues dans le monde méditerranéen207. Son analyse l’a notamment amenée à proposer une reconstitution de quatre systèmes métrologiques interreliés et construits autour d’une unité de 9,2 g208 (voir le chapitre “Le ‘palais-sanctuaire’ de Cancho Roano”, p. 45). Il faut noter que plusieurs poids ont fait l’objet d’abrasions en vue d’analyses de composition et qu’il nous faudrait, en toute logique, préférer les masses publiées avant celles-ci plutôt que celles mesurées lors de notre déplacement pour étudier la collection. Cependant, en raison des déviations relativement faibles observées, nous préférons privilégier nos données acquises au moyen d’une seule et même balance, tout en pondérant nos résultats par l’état des objets.
Les marques numérales montrent toutefois une réalité relativement plus complexe que ce qui est résumé par M. P. García-Bellido, avec notamment la mise en jeu de différentes unités (fig. 3-106). Il semble en effet que nous puissions, d’après les marques, considérer trois unités principales : l’une comprise entre 30,6 g et 36,3 g, une deuxième d’environ 102,1 g uniquement signifiée par le poids CR-O et la troisième comprise entre 144,3 et 149,2 g, toutes trois peuvent entretenir un rapport d’environ 1 : 3 : 4. La question posée par M. P. García-Bellido209 est cependant de savoir si l’écart, de près de 20 %, que l’on peut voir entre deux exemplaires semblant renvoyer à la même unité (30,6 et 36,3 g) résulte d’une faible précision des balances ou de l’existence de deux standards distincts. À première vue, il semble difficile de percevoir une différence nette entre des poids proches d’une unité de 30 g et d’autres plus facile à associer à une unité de 36 g en ne se fondant que sur les marques numériques.
L’analyse des lots des pièces H4 et N5 du site nous permet ici d’y voir plus clair et de préciser quelque peu l’organisation de la pratique. Nous pouvons en effet voir que les poids de la pièce H4 présentent des ratios cohérents avec l’utilisation d’une unité structurante relativement légère malgré des déviations certaines (fig. 3-107). Si nous nous basons sur la masse du poids CR-Q, actuellement de 129,6 g et qui dévie peu de celle mesurée a priori avant le nettoyage de l’objet et son abrasion pour analyse (131,4 g), marqué de 4 points, nous obtenons alors une unité structurante avoisinant les 32,4-32,8 g. Nous pouvons ainsi reconstruire un système relativement cohérent pour ce lot (fig. 3-108) avec des déviations relatives assez réduites. L’objet présentant la plus grande déviation (11,6 %) est le poids CR-J, seul exemplaire en plomb et dont la corrosion est importante.
Dans la pièce N5, en revanche, les poids semblent organisés autour d’une unité plus lourde, comme le montrent les poids CR-I de 35,6 g, CR-N de 70,24 g, CR-O de 102,09 g et CR-P de 102,77 g, respectivement marqués d’un, deux, un (?) et trois points. Étant donné qu’aucun n’a fait l’objet d’analyses de composition et qu’ils présentent un ratio cohérent de 1 : 2 : 3 : 3 (fig. 3-109), nous pouvons sans risque nous en servir pour reconstruire le système du lot, en nous fondant sur une unité comprise entre 34,3 g (102,77 ÷ 3) et 35,1 g (70,24 ÷ 2 ; fig. 110). Le triple semble quant à lui servir de base à la création d’une nouvelle unité.
Du point de vue de la construction pondérale, le lot de la pièce H4 permet l’obtention de tous les multiples de l’unité jusqu’à 14 fois celle-ci, soit un intervalle mesurable théorique de [32,6 : 456,4 g]. De son côté, celui de la pièce N5 permet également d’aller jusqu’à un multiple de 14, soit un intervalle mesurable théorique de [34,3 : 480,2 g] ou [35,1 : 491,4 g].
Du fait des seules données de “micro-métrologie”, nous pouvons envisager l’existence d’au moins deux unités distinctes à Cancho Roano dont l’adéquation pourrait varier d’un lot à l’autre. L’usage d’une unité de 9,2 g, dérivée du shekel ougaritique, est uniquement suggérée de manière résiduelle par des relations arithmétiques, mais ne peut en aucun cas être rattachée à la construction pondérale ou aux marques numérales. L’unité d’environ 145 g, égale à 4,5 fois l’unité de 32,6 g pourrait correspondre à une unité de conversion, car elle détonne dans la suite de multiples entiers. Son double pourrait être représenté par le poids CR-U de 298,31 g, mais il faut noter que sa masse avant nettoyage et abrasion pour analyses est de 304,76 g et qu’il remplirait donc moins bien cette fonction.
L’intégration des marques numérales
dans l’axe de la Vía de la Plata
Nous comptons uniquement 34 autres poids de balance comportant des marques numérales dans le reste de la péninsule Ibérique. Comme nous l’avons dit plus tôt, nombre d’entre elles semblent être typiques d’un axe nord-sud entre la vallée du fleuve Guadiana et l’extrémité occidentale des Pyrénées (voir le chapitre “Les marques numérales et le système ibérique ‘a-o-ki’”, p. 287) ainsi que d’une partie de la Meseta Central. Cette aire géographique et la répartition d’instruments de pesée en son sein ont été, à de nombreuses reprises, associées à la Vía de la Plata, une voie de circulation dont la fonction majeure serait l’acheminement des métaux et des minéraux jusqu’à l’embouchure du Guadiana dans la perspective d’un commerce méditerranéen210. Toutefois on remarque que la répartition que Claude Domergue donne des gisements métalliques exploités en péninsule au cours du temps211 explique assez mal la répartition des instruments de pesée les plus septentrionaux dans le cadre d’un commerce des métaux. La Vía de la Plata relie théoriquement l’embouchure du fleuve Guadiana aux gisements métallifères galiciens (or, étain et cuivre), or les instruments de pesée que nous identifions se situent pour la période ibérique dans une diagonale passant largement plus à l’est, vers le Pays Basque (fig. 3-111). Les poids présentés ci-après sont avant tout ceux correspondant aux deux aires de répartition les plus occidentales identifiées plus haut qui se démarquent notamment par l’emploi privilégié de marques numérales.
Le poids isolé Tur-A, pour commencer, trouvé en prospections sur le site d’El Turuñuelo (Mérida, Badajoz) comporte vraisemblablement une unique marque en forme de point, bien que les imperfections de sa surface ne permettent pas d’en être certain212. Si cela est bien le cas, sa masse de 31,14 g l’inscrirait assez bien dans le système observé dans la pièce H4 de Cancho Roano.
Le site d’Azougada (Moura, Baixo Alentejo) a livré trois poids de balance marqués numéralement. Le premier, AZ-A, est en alliage cuivreux, de forme bitronconique à arrête émoussée et perforation circulaire, très proche morphologiquement de ceux vus précédemment. Il pèse 30,65 g et est marqué d’un point sur l’une de ses faces. Les poids AZ-F et AZ-H (27,43 g et 31,28 g) sont quant à eux en plomb, de forme discoïde à perforation centrale et sont marqués d’un point sur chacune de leur face. L’unité qui semble mise en évidence est donc comprise entre 27,4 et 31,3 g et apparaît très proche de ce qui est observé à Cancho Roano et à El Turuñuelo.
Morphologiquement, le poids Risc-F découvert dans le dépôt métallique d’El Risco (Sierra de Fuentes, Cáceres) s’inscrit également parfaitement dans la série découverte à Cancho Roano, El Turuñuelo et Azougada. Il porte également une information numérale sous la forme d’un point. Malheureusement, nous ne sommes pas en possession de la masse de cet objet et nous ne pouvons guère aller plus loin dans l’interprétation. Nous ne pouvons faire grand-chose non plus des trois seuls poids dont la masse est connue, les objets Risc-A, B et C qui pèsent respectivement 7,7 g, 15,2g et 25,2 g213 mis à part mettre en avant le rapport arithmétique de 1 : 2 des deux premiers (possiblement 1 : 2 : 3 pour le tout).
Le site de La Hoya (Guardia, Araba) a fourni un lot de 7 poids de balance, décrit plus haut, au sein duquel seul l’exemplaire LH-A est dépourvu de marque numérale. Ce lot est probablement l’un des plus intuitivement compréhensibles en raison de la quasi-omniprésence des marques numérales et a été plusieurs fois commenté214. La reconstruction permet sans réel problème de proposer une unité de structure avoisinant les 18-19 g et un système métrologique complet mettant en jeu les poids 1/4 : 1/3 : 1/2 : 1 : 2 : 3 : 5 (fig. 3-112). Nous pouvons constater que la précision des poids semble plus faible pour les valeurs inférieures à l’unité et il semble donc plus cohérent de restituer l’unité théorique à partir des masses de LH-D, LH-E, LH-F et LH-G. Leur somme équivaut à 11 fois l’unité pour une masse de 201,37 g, soit une unité théorique égale à 18,3 g un peu plus légère que celle proposée par F. Galilea à partir du seul poids LH-D215. Le lot ne permet pas de créer un multiple entier supérieur à 11 et il est probable que la seule fonction des fractions soit de mesurer de petits intervalles et des valeurs inter-multiples entiers sans vocation à être additionnées entre elles jusqu’à obtenir l’unité comme cela est observé ailleurs.
Le site de la Custodia (Viana, Navarra) a livré 4 poids de balance découverts en surface216 dont un seul porte des marques numérales. Bien qu’il présente une forme tronconique à bords concaves qui se distingue quelque peu des poids tronconiques à bords droits de La Hoya, les 5 points inscrits sur son sommet ainsi que sa masse de 89,24 g le rapprochent grandement du poids LH-G. L’unité que nous pouvons déduire de ces données est égale à 17,84 g et donc relativement proche de celle du site de La Hoya, distant d’une vingtaine de kilomètres seulement. Nous remarquons cependant que si le poids Cust-C, de forme cylindrique, s’insèrent bien dans un système employant cette unité, les poids creux Cust-A et Cust-B, dont la forme n’a pas de parallèle connu, semblent indiquer l’existence d’une autre unité multiple de 15,3-15,4 g (fig. 3-113).
Le poids de Munoaundi (Azkoitia-Azpeitia, Gipuzkoa), quant à lui, a été découvert dans un sondage et reste le seul instrument de pesée du site217. La marque qu’il porte (fig. 3-114-a) est constituée par trois segments, qui irradient depuis la perforation centrale, terminés par des cercles et rappelle ainsi à la fois le système de marquage employé à La Hoya et celui employé dans les zones plus méridionales de la péninsule. Il possède une masse de 45,94 g et pourrait donc correspondre au triple d’une unité de 15,31 g qui s’approche fortement de la masse des poids Cust-A et Cust-B cités plus haut. Il est à noter que ce poids présente une dépression à l’intérieur de sa perforation centrale. Si nous considérons que celle-ci est creusée dans un second temps de la vie de l’objet, sa masse originale aurait probablement approché les 49,65 g, soit une unité d’environ 16,6 g.
Le dernier poids marqué que l’on peut rattacher à cette zone géographique est l’artefact LlH-G de Llano de la Horca (Santorcaz, Madrid) qui, comme celui de Munoaundi, est à la fois marqué par des points et des traits radiants (fig. 3-114-b). En revanche, il apparaît clairement que l’un des marquages vient se superposer à l’autre à un moment de la vie de l’objet. Il s’agit également du seul poids en alliage cuivreux du site, les autres étant tous en fer. Il est possible que cela soit un indice de l’ancienneté de ce poids par rapport aux autres, sa longue durée d’utilisation aurait alors pour résultat le besoin de modifier l’information numérale suite à un changement de standard métrologique. La masse de l’objet est de 51,12 g et les trois traits radiants indiquent ainsi l’utilisation d’une probable unité de 17,04 g, vraisemblablement plus légère que celle ayant cours à La Hoya. En revanche, les 4 points, de moins bonne facture et qui semblent plus récents, suggèrent l’emploi d’une unité de seulement 12,78 g.
Nous avons eu la chance d’étudier au Museo Arqueolológico Nacional de Madrid une série de poids de balance, issus d’un don ancien, dont sept appartiennent vraisemblablement à un ensemble voire un lot et qui portent, pour trois d’entre eux, des marques numérales en forme de points. La provenance de ces objets reste inconnue, cependant, la présence de marques numérales en forme de points, essentiellement trouvés entre le Pays Basque et la vallée du Guadiana, nous laisse penser qu’ils pourraient appartenir à la même aire géographique. Leur forme tronconique les rapprocherait alors plus des exemplaires septentrionaux de La Hoya ou La Custodia que de ceux de Cancho Roano, El Risco ou El Turuñuelo. Les poids NI-PI-B et C étant aujourd’hui collés ensemble, probablement en raison de processus post-dépositionnels, leur masse d’origine a été obtenue par le biais du protocole de numérisation et de modélisation tridimensionnelle. La reconstitution du système grâce aux marques numérales montre l’usage d’une unité comprise entre 29,88 g et 31,38 g qui rappelle à la fois certains poids de Cancho Roano, mais également le double des unités observées à La Custodia et à Munoaundi (fig. 3-115). Le poids NI-PI-G est le seul exemplaire en plomb et nous ne l’avons intégré qu’en raison de son numéro d’inventaire qui peut indiquer une acquisition par le musée au même moment que les autres. Il est cependant possible qu’il soit issu d’un autre site, ce qui expliquerait les différences observées.
Au sein des mêmes collections, deux autres poids de balance sont probablement à rattacher aux mêmes horizons chronologiques et culturels bien qu’ils soient conservés avec les collections byzantines en raison de leur “adéquation métrologique”. Le premier est le poids NI-PI-J, de forme bitronconique à perforation centrale et marqué de cinq points, qui se rapproche clairement, par sa morphologie, des exemplaires trouvés à Cancho Roano et dans ses environs. Sa masse est de 226,53 g et il renverrait donc à une unité de 45,3 g que nous n’avons identifiée nulle part jusqu’à présent. Toutefois, on remarque une évidente relation arithmétique avec les poids Cust-A, Cust-B ou Mun-A et une unité structurante minimale légèrement supérieure à 15 g.
Le poids NI-PI-K est relativement similaire au précédent d’un point de vue morphologique, mais présente 3 cercles disposés en triangle tout autour de la perforation centrale, une configuration qui n’est observée sur aucun autre exemplaire, la norme étant généralement à un regroupement linéaire des marques numérales en forme de points. Sa masse est de 123,98 g et il semble donc renvoyer à une unité de 41,32 g, relativement proche de la précédente, mais qui rappelle toutefois plus le poids NI-PI-G de 41,44 g. Il faut rajouter que ces deux exemplaires, malgré leur attribution à la collection byzantine, possèdent des numéros d’inventaire similaires au NI-PI-A à G. Il est donc possible qu’ils aient tous été acquis au même moment.
Pour terminer à propos des marques numérales de l’ouest de la péninsule, il nous faut ici citer un vraisemblable lot de poids de balance trouvé anciennement dans une urne funéraire dont le lieu d’origine, d’après la reprise des données, correspond probablement à la nécropole de La Haza del Arca (Uclés, Cuenca)218. Les poids se présentent tous comme des doubles troncs de cônes en alliage cuivreux similaires à ceux trouvés à Cancho Roano ou Azougada dont 5 présentent des marques numérales (pl. 13). Les marques trahissent l’emploi d’une unité d’environ 34,7 g (fig. 3-116), semblable aux unités identifiées dans la zone, qui corrobore relativement bien les hypothèses émises jusqu’ici, mais laisse envisager une diffusion plus large des systèmes de pesée dans l’aire “celtibérique”.
Les marques numérales dans le Levant ibérique
et les ensembles de poids associés
Comme nous l’avons dit, en dehors de la zone centrale et occidentale de la péninsule Ibérique, les marques numérales sont beaucoup moins systématiques. Le seul ensemble qui présente une certaine cohérence est celui d’El Monastil (Elda, Alacant) qui a livré 4 poids de balance dont 2 sont marqués de traits radiants. Il apparaît assez clairement qu’ils transcrivent l’usage d’une unité d’environ 4,4-4,8 g (fig. 3-117), plus légère que celles observées jusqu’à présent, mais dont certains multiples rappellent des standards identifiés ailleurs, comme son triple, avoisinant les 15 g (et donc proche des unités de Munoaundi et La Custodia) ou son décuple d’environ 44/48 g qui montre de nombreux parallèles dans le reste du Levant comme nous le verrons.
L’objet CL-B est le seul poids trouvé dans la tombe 100 de Cabezo Lucero (Guardamar del Segura, Alacant). Par sa morphologie (un poids discoïdal épais, mais de profil légèrement globulaire qui rappelle certains poids bitronconiques), sa masse (9,37 g) et les quatre points qui figurent sur l’une de ses faces, il n’est pas sans rappeler le poids CR-C de Cancho Roano pesant 8,37 g aujourd’hui, mais 9,14 g avant analyse selon la bibliographie. Il pourrait donc, comme ce dernier, renvoyer à une unité d’environ 36 g (ici 37,48 g pour un quadruple exact de 9,37 g).
Nous avons également eu l’occasion de mentionner les poids Bas-129-A, Bas-273-B et Bas-273-C, trouvés sur le site de La Bastida de les Alcusses (Moixent, València) qui présentent également des parallèles certains avec les exemplaires trouvés dans la région de Cancho Roano. Le poids Bas-129-A est un bitronconique à arrête émoussée et perforation carrée de 40,34 g qui présente 2 points (soit une unité de 20,17 g). Le poids Bas-273-B, de forme bitronconique à arrête émoussée et perforation circulaire, pèse 63,41 g et présente également 2 points (soit une unité de 31,71 g). Le poids Bas-273-C, de même forme, a quant à lui une masse de 103,5 g et 5 points (soit une unité de 20,7 g).
Le site de La Bastida livre deux autres poids marqués, mais il s’agit alors de poids tronconiques marqués au moyen de dépressions en forme de demi-lunes. Le premier est le poids Bas-118-E de 8,5 g marqué de 5 triangles ou demi-lunes. Il est peu probable qu’il faille voir ici une marque de multiple, mais plutôt d’un diviseur qui renverrait alors à une unité de 42,5 g. D’un autre côté, le poids Bas-189-D présente une seule de ces marques en forme de demi-lune et pèse 41,73 g.
Nous constatons donc que les poids marqués de la Bastida renvoient à trois unités vraisemblablement différentes : environ 20,2-20,7 g ; 31,7 g et 41,7-42,5 g (fig. 3-118). On remarque toutefois que ces valeurs entretiennent un ratio de 1 : 1,5 : 2 et qu’elles ne montrent aucun type de ségrégation par espace, le departamento 273 comprenant selon toute vraisemblance deux poids attachés à des unités différentes. Il nous semble donc intéressant de voir ici comment ces différents poids marqués s’inscrivent dans leurs contextes de découverte respectifs.
Nous pouvons constater que tous les poids découverts à La Bastida dans des contextes où apparaissent des poids marqués s’intègrent bien dans un système métrologique d’interrelations de valeurs que nous fixons ici à environ 20,7 : 31,05 : 41,4 g pour faciliter les calculs, mais qui peuvent bien évidemment varier quelque peu (fig. 3-118).
Ce système nous apparaît relativement complexe, car il met en jeu de nombreuses unités, fractions et multiples non entiers. On remarque toutefois que les 5 poids marqués sont presque anecdotiques au sein de la centaine d’instruments de pesée qu’a fourni le site. Nous pouvons également constater que nous ne relevons pas deux fois la même marque dans cet ensemble. En effet, on trouve deux poids avoisinant les 41 g, mais l’un porte la valeur numérale d’une unité et l’autre d’un double alors que le seul autre élément renvoyant à un double pèse quant à lui 63,41 g. Ces inscriptions numérales sont sans aucun doute impossibles à comprendre intégralement dans la seule vision étriquée des quelques ensembles les ayant livrées et seule une vision à large échelle nous semble propice à les éclairer.
Nous ne développerons pas ici outre mesure la question des marques numérales “écrites”. Le poids Pin-A de 7,30 g, trouvé sur l’établissement phénicien de La Pinilla (Fuente Álamo, Murcia) porte une marque qu’il est possible d’interpréter comme un 20 (fig. 3-48). Le signe renverrait alors à 20 gerah (ou agorot), une unité équivalente au vingtième du shekel219. Ce poids de 7,30 g pourrait ainsi faire un bon candidat à la représentation d’un “shekel phénicien”. L’inscription en ibère du poids SGA-A de l’habitat de Santa Coloma de Gramanet est quant à elle plus difficile à interpréter, l’aspect métrologique de celle-ci n’étant pas assuré220, elle pourrait toutefois signifier en partie la notion de décuple de l’unité comme nous l’avons déjà précisé (voir le chapitre “Les marques numérales et le système ibérique ‘a-o-ki’”, p. 287). Elle renverrait alors à une unité d’environs 42 g, proche de celles identifiées à la Bastida.
Les lots de poids de balance en contexte d’habitat :
une donnée rare, mais précieuse
Les ensembles d’instruments de pesée retrouvés en contexte d’habitat et que l’on peut clairement attribuer à des lots de peseur sont rares. Cependant, l’information qu’ils nous fournissent est d’une importance primordiale dans la démarche d’analyse d’une pratique métrologique active. Nous l’avons dit, le lot le plus connu est celui de la construcción 27 du departamento b de Covalta (Albaida, València). Le tableau de division obtenu à partir des données de ce contexte nous montre que les 4 poids qui composent ce lot présentent un ratio assez net de 1 : 2 : 3 : 5 (fig. 3-119). Celui-ci avait déjà été bien mis en évidence par I. Ballester lors de la première publication de l’ensemble221. Lorsqu’il reprend le dossier dix-huit ans plus tard, P. Beltrán remarque que les différents poids permettaient l’obtention de tous les multiples de l’unité jusqu’à 11 fois celle-ci, soit 455,75 g réel. La somme des masses des objets divisée par le multiple correspondant permet de proposer une unité théorique d’environ 41,4 g pour ce lot (455,75 ÷ 11 ; fig. 3-120). Cependant P. Beltrán trouve incompréhensible l’utilisation d’un système numéral base 11, car “les anciens utilisent les systèmes décimal et duodécimal” et il émet donc l’hypothèse d’un dispositif de rangement qui ait la même masse que l’unité (41,4 g) et fasse partie intégrante du lot de poids de balance222. L’orientation de son travail est, comme nous l’avons déjà dit, fortement conditionnée par la recherche d’unités intégrées aux traditions proche-orientales sans réels arguments archéologiques pour l’étayer.
Mis à part le lot atypique de La Celadilla (Ademuz, València), dont nous avons déjà parlé et qui pourrait indiquer la pratique occasionnelle ou régulière de pesées ne mettant en jeu qu’un poids de balance (de 6,35 g dans ce cas précis) ou encore l’emploi d’une balance à peson mobile, les deux autres lots que nous connaissons sont datés de phases relativement récentes dans notre fenêtre chronologique.
Tout d’abord, un probable lot de 7 poids de balance a été découvert sur l’oppidum de Giribaile (Vilches, Jaén) dans des niveaux de la fin du IIIe ou début du IIe s. a.C. Le tableau de division, qui exclut le poids Gir-G très dégradé, nous montre que les relations arithmétiques entre les poids ne sont pas aussi intuitivement compréhensibles que dans les exemples précédents (fig. 3-121).
Un rapport assez clair transparaît entre les poids Gir-D, Gir-E et Gir-F, respectivement de 139,4 g, 282,82 g et 568,14 g qui équivaut à 1 : 2 : 4. Nous pouvons également voir que les poids Gir-B et Gir-C (83,49 et 111,46 g) peuvent correspondre avec une excellente précision aux 3/5 et 4/5 de Gir-D. Le poids Gir-A de 24,21 g est plus difficile à placer dans un tel système, mais pourrait alors équivaloir à 1/5 de Gir-D (fig. 3-122). Un tel système permet de créer les multiples entiers jusqu’à 8 fois l’unité uniquement (en combinant les poids Gir-A, C, D, E et F), ce qui équivaut en masse réelle à 1126,03 g, soit une unité théorique de 140,75 g (1126,03 ÷ 8). La déviation relative du poids Gir-A (14 %) nous paraît cependant très élevée dans cette restitution.
Une autre possibilité de restitution du système est de voir dans le poids Gir-C l’unité structurante. Le ratio complet serait alors de 1/4 : 3/4 : 1 : 1 1/4 : 2 1/2 : 5 (ou 0,25 : 0,75 : 1 : 1,25 : 2,5 : 5). Une telle construction peut paraître étonnante en raison du faible nombre de multiples entiers en jeu. Le multiple entier le plus lourd réalisable est 10 mais sans solution de continuité, certaines valeurs, comme trois fois l’unité, n’étant pas réalisable (à moins de peser négativement en mettant un poids sur le plateau opposé). L’unité théorique serait alors de 112,6 g, mais les ratios entre poids étant inchangés, les déviations relatives restent les mêmes (fig. 3-122).
La reconstruction du lot par l’observation des relations arithmétiques n’est pas pleinement satisfaisante en raison de notre difficulté à replacer Gir-A dans la construction. Il est toutefois possible que la difficulté d’observation soit le résultat de l’absence du poids Gir-G dans nos calculs. Cependant, son état avancé de corrosion empêche toute tentative d’estimation de sa masse originale. Dans l’état actuel des choses, l’unité la plus vraisemblable reste donc celle d’environ 140,8 g.
Le lot de poids de Puntal dels Llops (Olocau, València) est peut-être l’un des plus difficiles à aborder et il est nécessaire de s’attarder sur les particularismes qu’il présente. L’ensemble est daté entre le milieu du IIIe et le début du IIe s. a.C. et a livré 8 poids et 1 plateau de balance223. Deux des poids du lot (PL-E et PL-H) ont la particularité d’être creux et de posséder un couvercle. Ils représentent, en ce sens, des exceptions dans le corpus des poids protohistoriques d’Europe occidentale, tout du moins dans notre connaissance de l’état de la recherche. Pourtant, ils appartiennent morphologiquement, à la variante des cylindroïdes la mieux représentée en péninsule Ibérique, celle des tronconiques bas à bords droits et à perforation rectangulaire. Leur état actuel de conservation nous permet de relativement bien appréhender la manière dont ils pouvaient être utilisés.
Le couvercle du poids PL-E est en place et fixé par une bague métallique traversant la perforation centrale et refermée sur elle-même (fig. 3-123). Dans le cas du poids PL-H, cette attache est absente ou a disparu, ce qui nous permet d’apprécier l’intérieur de celui-ci. Bien qu’essentiellement vide, on y trouve ce qui semble être des restes de fragments métalliques, concentrés dans un quart de l’objet environ (fig. 3-124). Nous pouvons probablement souscrire ici à l’hypothèse déjà formulée que ces poids sont destinés, dès leur conception, à correspondre à deux systèmes métrologiques suivant qu’ils soient utilisés “à vide” ou remplis de métal224. En plus de cela, plusieurs poids du lot sont alourdis par le passage de fils métalliques ou de bagues dans la perforation centrale et enroulés autour d’un côté de l’objet, une pratique connue ailleurs en péninsule et sur laquelle nous reviendrons plus tard. Notre hypothèse de travail, en grande partie liée au fait que le site est détruit brutalement et que les poids semblent découverts dans ce contexte précis, est que ces instruments de pesée aient été utilisés, au moins à un moment donné, dans un état proche de celui qu’ils ont actuellement.
Le ratio qui nous apparaît le plus clairement au travers du tableau de division est celui qui unit les poids PL-C, PL-F, PL-G et P-LH (42,28 g, 84,23 g, 85,28 g et 130,71 g) et qui équivaut à 1 : 2 : 2 : 3. Un deuxième ratio assez clair relie PL-B (37,25 g) et PL-E (72,32 g) et égale 1 : 2. Il est également bien envisageable que le poids PL-A (7,15 g) soit le dixième de PL-E. Seul le poids PL-D de 46,69 g est relativement difficile à replacer dans l’une ou l’autre des constructions (fig. 3-125). Comme il semble clair ici que nous ayons affaire à un cas particulier de lot de poids à double système métrologique actif225, il semble essentiel de passer par les données que nous fournit la modélisation 3D pour aller plus loin.
Comme nous l’avons dit, les poids PL-E et PL-H sont vraisemblablement destinés à être remplis de métal. Dans le cas de PL-E, bien qu’il soit conservé en position fermée, sa faible densité (4,80) nous laisse penser qu’il est actuellement vide. D’un autre côté, le poids PL-H est seulement en partie rempli, soit parce qu’il a été utilisé dans cet état de remplissage partiel, soit parce qu’il s’est vidé d’une partie de son contenu. Nos calculs permettent d’estimer que sa masse totale doit approcher les 120,3 g lorsqu’il est totalement vide et les 166,8 g dans l’optique où il serait totalement rempli (fig. 3-126). Cependant, les éléments métalliques conservés à l’intérieur sont relativement gros et il est clair qu’avec un tel remplissage, des volumes vides perdurent et que le remplissage n’est donc jamais total. Il est difficile, voire impossible, d’aller plus dans le détail sans risquer de distordre la donnée à notre guise et nous nous en tiendrons donc là pour ce qui est de l’information volumique.
Nous pouvons toutefois faire plusieurs remarques. Tout d’abord, si l’on admet que le poids PL-E est vide et que son remplissage permet une augmentation relative de sa masse similaire à ce que nous observons pour PL-H (un peu plus de 38 %), nous pouvons estimer une masse maximale de l’objet rempli autour de 100,3 g (fig. 3-126). Il a donc tout à fait pu servir pour créer une valeur similaire à PL-F et PL-G (84,23 et 85,28 g). D’autre part, nous constatons que si nos calculs sont exacts, il devait être possible, en remplissant PL-H de lui faire approcher le double de la masse de ces deux derniers soit environ 170 g, un “hasard” que nous nous devons de signaler. Nous estimons ici que les bagues et fils métalliques enroulées autour des objets PL-D, PL-F et PL-G relèvent vraisemblablement d’un autre phénomène de modification métrologique que nous abordons plus loin. Par conséquent, il est probable que le lot soit destiné à fonctionner autour de deux unités structurantes, une première autour de 35-37 g et une deuxième autour de 42 g sans que nous soyons en mesure de détailler toutes les subtilités d’un tel système.
Les lots de poids de balance en contexte funéraire :
lots fonctionnels ou mis en scène ?
Comme nous l’avons déjà largement expliqué, les poids de balance regroupés en lots clairement identifiables comme tels sont d’un intérêt majeur pour la recherche métrologique, car ils nous renseignent sur un aspect très matériel de la pratique en plus de fournir d’excellentes informations métrologiques. Dans ce cadre, les deux poids de la tombe 18 de la nécropole d’El Cigarralejo forment censément un lot cohérent. Cependant, il s’agit sans aucun doute du lot le moins explicite porté à notre connaissance. Tout d’abord, nous ne pouvons accepter un ratio 1 : 16 entre Cig-18-K et Cig-18-L qu’au prix de très larges déviations (fig. 3-127). D’autre part, il est clair qu’aucune combinaison n’est possible avec ces deux objets. Mis à part en imaginant une situation très particulière de pesée qui ne ferait intervenir que ces deux valeurs de 5,56 g et 90,74 g, il semble plus probable qu’ils correspondent à une sélection d’instruments de pesée destinée à représenter la totalité de la pratique dans la tombe à la manière de la pars pro toto.
La tombe 200 de la même nécropole offre un aspect tout autre de la pratique de pesée qui a déjà largement été commenté dans la littérature scientifique226. Sans revenir sur tout le développement décrit ailleurs, nous pouvons identifier dans ce lot une unité structurante d’environ 20,7 g, représentée par le poids Cig-200-F en fonction de laquelle nous proposons un ratio général des poids du lot de 1/10 : 1/6 : 1/4 : 3/4 : 1 : 2 : 4 : 6 : 10 (fig. 3-128). Ce lot présente plusieurs caractéristiques exceptionnelles. Tout d’abord, il permet d’obtenir tous les multiples de l’unité jusqu’à 24 fois celle-ci (fig. 3-129). Nous avions pu remarquer que le poids Cig-200-D de 7,40 g était celui qui s’éloignait le plus de la norme de la reconstitution métrologique proposée. Un doute persistait notamment sur son attribution à un diviseur de 1/3 d’une masse 6,92 g ou de 2/5 pour une masse de 8,1-8,4 g, celui-ci pesant 8,2 g avant son nettoyage227. La recherche menée alors s’inscrivait essentiellement sur une observation à l’échelle de l’ensemble archéologique et nous verrons plus tard comment une analyse à plusieurs niveaux peut amener des éléments de réponse à cette interrogation.
Ce lot présente une séquence arithmétique particulièrement complexe qui repose sur un ensemble de dix poids de balance dont le début et la fin sont respectivement marqués par la fraction 1/10 et le multiple 10. L’emploi du système numéral décimal semble ici bien attesté et mis en exergue par la construction du lot alors que le multiple maximum réalisable (24) pourrait en revanche signifier l’usage conjoint du système duodécimal.
Le lot de la tombe 117 du Cabecico del Tesoro (Verdolay, Murcia) renvoie une image assez similaire de celui vu précédemment. Les deux lots sont d’ailleurs publiés ensemble par E. Cuadrado en 1964228 bien que ce deuxième exemple soit beaucoup moins bien documenté et décrit. Ainsi, nous savons qu’il est composé de 13 poids de balance en alliage cuivreux (CTes-A à CTes-M) dont les masses sont publiées pour la première fois par D. Fletcher et C. Mata en 1981229. La publication par Lourdes Roldán Gómez en 2007 des carnets des fouilles menées par Augusto Fernández de Avilés en 1935-1936 permet de constater que le lot en question est accompagné par un probable poids discoïde en alliage cuivreux perforé (“un disquito de cobre perforado” ; CTes-R) et de quatre poids en plomb perforés de formes cylindrique et discoïde (“quatro pesitas de plomo, cilíndricas y discoideas, perforadas” ; CTes-N, O, P et Q)230. Les masses de ces cinq derniers objets nous restent malheureusement inconnues n’ayant pas pu observer directement les collections de ce site. Enfin, la sépulture a également livré le plateau de balance CTes-1, à perforations périmétriques multiples, vu précédemment.
Comme nous pouvons le voir, la construction du lot est similaire en plusieurs points à celle d’El Cigarralejo, mais présente également plusieurs divergences. Tout d’abord, il apparaît très clairement qu’au moins une valeur, absente d’El Cigarralejo, y est représentée par le poids CTes-H équivalant à 36,25 g. F. Galilea propose que celle-ci égale celle du poids CTes-I de 39,44 g231. Le même phénomène se produirait entre les poids CTes-B et CTes-C, pesant respectivement 4 et 4,48 g et entre les poids CTes-L et CTes-M égaux à 197,5 et 209,5 g. Ce dernier cas est particulièrement étonnant, car il représente une erreur absolue de 12 g et une erreur relative importante pour des poids aussi lourds.
En raison de ces déviations, le tableau de division montre des relations arithmétiques relativement anarchiques et peu intuitives (fig. 3-130). Il est en réalité bien compliqué de restituer un seul et unique système métrologique à partir de ces données et l’on peut même se demander si cet ensemble n’est pas constitué d’un assemblage de différents lots de poids de balance reposant sur des unités distinctes, éventuellement 19,5 g, 20,15 g et 36,25 g (fig. 3-131). L’information manquante que constituent les cinq poids dont nous ne possédons pas les masses est peut-être ici la raison de notre incompréhension.
Le dernier lot associé à un contexte funéraire que nous pouvons étudier est celui de la tombe 2 d’Orleyl (La Vall d’Uixó, Castelló). Il est composé d’un plateau et de 5 poids de balance dont la particularité est d’être en plomb pour quatre d’entre eux et en alliage cuivreux pour le dernier (O-C). De plus, le poids O-A qui pèse actuellement 7,77 g, est lacunaire et la partie manquante, qui doit faire un peu moins de la moitié de la pièce restante, ne semble pas avoir été retrouvée dans la tombe. Deux restitutions ont été proposées pour la masse originelle, une première d’environ 11 g de manière vraisemblablement très approximative232 et une deuxième proposée par D. Fletcher et C. Mata en 1981, basée sur le dessin de l’objet, estimée à 12,71 g233. La restitution à 11 g a probablement été influencée par le poids O-B de 22,92 g pour faciliter la restitution d’un rapport 1 : 2 entre les deux pièces.
Les tableaux de divisions obtenus à partir de ces données montrent tout d’abord l’existence de ratios aux marges de précision assez faibles pour les poids les plus lourds. Ainsi, on peut estimer correct un ratio 1 : 2 : 4 : 6 entre les masses des objets O-B, C, D et E (fig. 3-132). On remarque que le poids O-C paraît toujours légèrement plus léger que ce qu’il ne devrait être. En réalité, il est possible qu’il faille considérer l’inverse. En effet, O-C étant en alliage cuivreux, il semble avoir moins subi les processus de corrosion et le plomb, dans certaines circonstances, peut voir sa densité moyenne augmenter en raison de son oxydation. Nous serions alors en mesure de restituer un système métrologique fondé sur une unité structurante de 21,85 g (43,7 ÷ 2) et constitué par ses multiples 2 : 4 : 6 et sa fraction 1/2 en imaginant que la restitution de 11 g est valable (fig. 3-133).
Il est bien difficile de trouver un ratio cohérent avec une masse de 12,71 g pour O-A et D. Fletcher et C. Mata ne parviennent à y trouver un sens, et un rapport à la drachme, qu’en acceptant des déviations particulièrement importantes (jusqu’à près de 50 % de la valeur de la drachme dans le cas de O-E)234. Nous pouvons en revanche imaginer, en particulier parce que nous nous trouvons en présence de mobilier funéraire, que le poids O-A a été utilisé volontairement dans cet état lacunaire et que c’est donc sa masse de 7,77 g qu’il est nécessaire de prendre en compte. Si cela est le cas et que nous gardons l’idée que O-C est l’artefact dont la masse a le moins évolué, la masse théorique de O-A serait alors de 7,28 g (43,7 ÷ 6) (fig. 3-134).
Peu importe l’hypothèse retenue, chacune implique d’accepter l’idée de poids en plomb légèrement plus lourds aujourd’hui que ce qu’ils ne devaient être au moment de leur utilisation.
Il apparait évident que les lots de poids trouvés en contexte funéraire, s’ils renvoient très probablement à de véritables pratiques métrologiques dans la plupart des cas, ne peuvent toutefois pas être considérés comme complètement représentatifs de la réalité quotidienne de cette pratique. Ils se caractérisent dans plusieurs cas par une surenchère du nombre d’éléments les composant en comparaison avec ceux trouvés en contextes “actifs”. Par définition, les lots trouvés en contexte funéraire n’ont pas vocation à être matériellement utilisés une fois déposés et cela explique probablement pourquoi les lots composés des nombres de poids de balance les plus élevés sont ceux retrouvés dans des sépultures et non en habitat. Cela n’empêche pas nécessairement leur fonctionnalité, comme le montre très bien l’exemplaire de la tombe 200 d’El Cigarralejo, mais leur caractère à la fois ostentatoire et symbolique semble décuplé. Il est probable qu’en temps normal, les lots de poids soient composés d’un nombre plus réduit d’éléments.
Nous terminerons ici par un probable lot de poids de balance étudié au Museo Arqueológico Nacional de Madrid mais dont l’origine est inconnue. Celui-ci a été classé et inventorié comme un lot de poids de balance punique daté entre le début du IIIe et le début du IIe s. a.C. mais dont la provenance est inconnue235 (NI-Pun-A à H). L’adéquation des différents éléments comme un tout cohérent ne fait guère de doute, notamment en raison de leur morphologie homogène (variante des tronconiques de forme haute aux parois concaves et à perforation centrale circulaire). En revanche, nous pouvons légitimement douter de la fiabilité de la chronologie qui semble essentiellement dépendre de l’origine punique attribuée à la métrologie du lot. Le tableau de division de l’ensemble montre une cohérence arithmétique importante (fig. 3-135) et il est aisé de restituer un système métrologique dont l’unité structurante minimale pourrait être égale à environ 3,52 g (fig. 3-136). Il serait alors possible avec ce lot de créer tous les multiples entiers jusqu’à 112 fois l’unité, soit environ 394,2 g.
2. Les transformations de poids de balance :
entre modification morphologique et métrologique
Nous l’avons déjà dit maintes fois, lorsqu’il s’agit de la pratique pondérale, la péninsule Ibérique affiche de nombreux particularismes en comparaison aux autres contrées d’Europe occidentale. L’un de ces atypismes est la présence d’un nombre important de cas de transformations des poids de balance postérieurement à leur confection. Ce dossier a récemment fait l’objet d’une synthèse centrée sur les poids du Levant ibérique236 dont nous allons résumer ici les principales observations.
Mise en œuvre des transformations
Ces transformations ou modifications morphologiques se présentent sous plusieurs formes dont la temporalité, la réversibilité et l’impact sur la métrologie diffèrent grandement. Nous les distinguons des marques que nous attribuons à l’utilisation (crevasses au coin des perforations centrales quadrangulaires) ou à la fabrication de l’objet, abordée plus haut (voir le chapitre “Les traces de fabrication observables”, p. 305). Ici, les modifications sont interprétées comme étant postérieures à la conception de l’objet et résultant d’une action volontaire. Nous pouvons considérer quatre catégories principales de modifications (fig. 3-137), auxquelles s’ajoutent quelques cas particuliers.
Tout d’abord, un certain nombre de poids de balance présentent ce que l’on peut appeler des abrasions légères, caractérisées par un léger enlèvement de matière, généralement autour de la perforation centrale. Ces abrasions sont toujours relativement discrètes et laissent au métal un aspect poli dans la plupart des cas, dépourvu de marques de travail (fig. 3-138). Pour cette raison, il est possible qu’elles aient, pour certaines, échappé à notre recensement. Il est notamment particulièrement délicat de faire la distinction – si celle-ci existe – entre ce type de modification et de simples usures dues aux manipulations successives des poids de balance. Douze poids présentant clairement ce type de modification ont été identifiés et ont pu faire l’objet de calculs de restitution. Il est toutefois possible que ce phénomène concerne d’autres poids pour lesquels la caractérisation d’un retrait de matière volontaire s’est avérée difficile. Cet échantillon apparaît toutefois suffisant pour appréhender l’impact de ces abrasions sur les masses des artefacts.
Une deuxième catégorie est beaucoup plus reconnaissable et concerne de profonds creusements visibles sur les faces (généralement sur leur base) de 24 poids, autour de la perforation centrale. Ce qui différencie profondément ce type de modification du précédent est le caractère intrusif de la modification qui s’accompagne souvent d’une facture grossière. En effet, dans la plupart des cas, le retrait de métal semble être effectué mécaniquement, probablement au ciseau, sans aucune volonté de finition une fois l’opération réalisée (fig. 3-139).
Une troisième catégorie est définie par l’ajout de bagues, de fils ou de feuilles métalliques (alliage cuivreux ou plomb essentiellement) venant entourer le poids de balance en passant par sa perforation centrale (fig. 3-140). Cette modification, contrairement aux deux précédentes, consiste à alourdir l’objet et est clairement visible sur 9 artefacts. Il faut toutefois noter que dans certains cas, nous constatons la dégradation partielle de la bague par corrosion, et il n’est donc pas à exclure que pour certains exemplaires, celle-ci ait totalement disparu, tout particulièrement si elle était constituée de plomb.
La dernière catégorie bien caractérisable ne concerne vraisemblablement que 4 poids de balance trouvés sur les sites de L’Alcúdia et de La Serreta. Ces exemplaires ont la particularité d’avoir leur perforation centrale obstruée par l’ajout d’un métal inséré ou coulé à l’intérieur de celle-ci (fig. 3-141) ; il s’agit de fer dans le cas de LS-H et LS-K ; de plomb pour LA-J et d’alliage cuivreux pour LA-AO. Il est intéressant de noter, et nous y reviendrons, que dans le cas de LA-J et LS-K, ce procédé est couplé avec un creusement de la base de l’objet. Il est également possible que le poids NI-Pun-F ait subi le même procédé, mais que le plomb ait été depuis récuré, peut-être lors de la restauration de l’objet.
À ces quatre groupes principaux, il faut ajouter plusieurs cas particuliers. Pour commencer, le poids Cov-D a été allégé par une série de rainures réalisées sur son pourtour. Le poids EM-A, quant à lui, a vu le sommet de sa perforation obstruée par l’ajout d’une pièce métallique subsphérique (peut-être du cuivre en raison de sa couleur rougeâtre). Le poids LA-K possédait au moment de sa découverte une pièce métallique soudée sur sa face sommitale. Celle-ci est décrite et pesée par I. Grau et J. Moratalla237 en 2003, mais malheureusement, depuis cette publication, la pièce ajoutée a été “retirée” suite à une restauration excessive de l’objet. Le poids Mun-A présente quant à lui une dépression à l’intérieur même de la perforation centrale. Il est toutefois bien difficile de dire par simple observation s’il s’agit là d’un enlèvement de matière, dans ce cas bien discret, ou du résultat d’un problème lors de la fonte de l’objet. Les poids PL-E et PL-H, comme nous l’avons déjà évoqué, se présentent quant à eux comme des poids creux à couvercle, vraisemblablement destinés à correspondre à deux systèmes métrologiques et sont fermés, comme l’atteste PL-E, par une bague métallique. Le poids TSM-5-A, quant à lui, présente en son sommet une profonde rainure à profil triangulaire qui passe par le centre de la perforation centrale. Dans la tombe 200 d’El Cigarralejo, le poids Cig-200-F est affublé de deux saignées parallèles sur son côté.
Pour terminer, nous citerons trois poids de balance (LS-M, LS-P et X-A) dont le sommet, dans le cas des deux premiers, et le côté, pour le troisième, sont affublés d’une perforation secondaire (différente de la perforation centrale) remplie de plomb (fig. 3-143). I. Grau et J. Moratalla ont proposé de voir dans cet attribut, tout comme dans le remplissage des perforations centrales, une volonté d’attribution à deux systèmes métrologiques distincts. Cette hypothèse repose notamment sur la comparaison avec les poids PL-E et PL-H du Puntal dels Llops238. Nous allons toutefois voir que cette hypothèse apparaît peu vraisemblable, autant d’un point de vue mécanique que métrologique.
Modifications et impacts métrologiques :
entre ajustement et transformation pondérale
L’existence de poids ibériques modifiés n’est pas une nouveauté dans la littérature et avait déjà été mise en évidence par I. Ballester239 avant de faire l’objet d’une étude quelque peu plus détaillée par I. Grau et J. Moratalla240. Nous proposons ici d’explorer plus profondément ce dossier en employant des outils de numérisation et de modélisation 3D afin de caractériser l’impact de ces modifications sur la masse des objets et par conséquent sur leur intégration dans des systèmes métrologiques. Sur 64 artefacts concernés, seuls 6 n’ont pas fait l’objet d’une numérisation et d’une reconstitution en 3D241.
Le procédé de reconstitution des poids avant leur allègement ou alourdissement, sans revenir dessus, s’adapte ici aux différentes formes de modification. Les retraits de matière ne posent pas de réels problèmes et peuvent globalement être considérés comme très fiables. La forme d’origine est généralement aisément retrouvée et la densité du métal retiré lors de la transformation correspond avec celle du reste de l’objet. Les ajouts de matière sont plus problématiques, car ils impliquent d’utiliser des densités théoriques pour les métaux ajoutés, qui diffèrent généralement de ceux du corps principal de l’objet. Par conséquent, leur fiabilité est moindre, mais ils permettent très probablement une bonne approximation dans la plupart des cas.
D’une manière assez générale, nous pouvons remarquer une différence assez importante entre les abrasions et les autres types de modifications (sup. 10). En effet, celles-ci n’ont généralement qu’un impact anecdotique sur la masse totale de l’objet (entre 0,02 et 1,06 g). Il serait peu cohérent d’attribuer à ces abrasions une quelconque volonté de transformation métrologique. Nous pouvons probablement suggérer deux origines plausibles à de telles abrasions. La première est qu’il s’agisse de simples usures liées à l’utilisation répétée de ces objets, peut-être notamment en raison du mode d’enfilage de ces poids sur un axe de rangement ou sur une balance. L’impact des abrassions sur la masse étant réduit, elles n’entraînent pas la défonctionnalisation de l’instrument. L’autre possibilité est que nous ayons affaire à des traces d’ajustement qui suivent rapidement la confection des poids afin d’en affiner la précision, une étape vraisemblablement indispensable. Si tel est le cas, alors le degré de finition de ces poids est très élevé et les erreurs tolérées seraient vraisemblablement limitées à quelques décigrammes. En réalité, il est probable que notre catégorie englobe les deux cas, leur distinction étant difficile. De plus, une étude plus systématique de ces traces, doublée d’une observation microscopique, serait nécessaire afin de développer ces hypothèses.
À l’inverse, nous pouvons voir que les creusements modifient de manière plus drastique la masse des objets. En effet, le pourcentage moyen de métal retiré dans ce cas de figure avoisine les 10 % de la masse totale d’origine (27,4 % dans le cas de Cov-C ou plus de 19 g de différence absolue pour le poids NI-Pun-G ; sup. 10). Ces modifications ne peuvent donc pas être considérées comme anodines, elles relèvent nécessairement d’une volonté de modifier métrologiquement la masse de l’objet. Il est en revanche plus ardu de déterminer la raison d’un tel changement et le choix de la technique de transformation.
Tout d’abord, ces modifications sont particulièrement grossières et devaient être visibles. En effet, bien qu’elles soient dans la plupart des cas cantonnées à la base de l’objet, il est fort probable qu’elles soient difficiles à cacher lors de la manipulation des poids dans le processus de pesée. Nous ne pouvons pas écarter la possibilité qu’il s’agisse là d’une tentative de fraude, cependant, on pourrait s’attendre à plus de subtilité si tel était le cas et très vraisemblablement un nombre moins élevé d’artefacts concernés. Ce sont en effet ici 22 objets qui sont touchés par ce type de modification soit près de 5 % des poids du corpus de péninsule Ibérique pour les VIe-Ier s. a.C. Ce nombre est important, nous ne pouvons donc clairement pas parler ici d’un phénomène isolé.
Si ces modifications n’ont pas une vocation de fraude, alors elles servent à obtenir la masse désirée pour le poids de balance concerné. Deux solutions sont alors envisageables : soit leur but est d’ajuster un objet trop lourd après sa fabrication, soit elles permettent de l’intégrer à un système métrologique différent de celui de sa conception.
La probabilité d’un ajustement est faible. En effet, il serait bien étonnant qu’un spécialiste capable de créer plusieurs poids de balance avec une extrême justesse se fourvoie au point de créer un poids 20 % trop lourd. Il serait encore plus incongru qu’il décide de rattraper son erreur en entaillant ledit objet avec un ciseau sans accorder aucun soin à la finition de celui-ci une fois la masse désirée obtenue.
Par conséquent, si nous estimons que ces modifications ne sont liées ni à des ajustements ni à des fraudes, il est possible d’envisager qu’elles servent à modifier la place d’un poids dans un système métrologique ou de lui faire changer de système métrologique. La confirmation d’une telle hypothèse ne peut alors venir que de l’étude à grande échelle des différentes tendances métrologiques en péninsule durant le Second âge du Fer.
Le constat est le même pour les bagues ajoutées, moins nombreuses, qui ne peuvent être des fraudes à moins d’être considérées comme des tentatives manquant significativement d’habileté puisque la transformation de l’objet est ici évidente pour n’importe quel observateur. L’ajustement reste en revanche ici une possibilité. Si les pourcentages d’erreurs sont élevés et dans des ordres de grandeur équivalent à ceux des creusements (entre 1,24 et 9,76 g), la seule solution pour alourdir un objet en métal reste de lui assujettir une pièce supplémentaire ou de le refondre complètement. Un spécialiste peut ainsi faire le choix de la simplicité et de la rapidité en rajoutant une bague plutôt que de procéder à une nouvelle fonte. On peut toutefois s’étonner une fois de plus, en raison de la précision générale observée pour les poids ibériques, que de telles erreurs soient commises et tolérées.
Nous ne pouvons guère tirer de conclusion des cas particuliers. Notons seulement qu’en ce qui concerne Cov-D, Cig-200-F et TSM-5-A, le changement de masse est assez réduit et nous pourrions bien avoir à faire à des tentatives d’ajustement masquées par un certain esthétisme : des rainures périmétriques dans les deux premiers cas une et une tranchée sommitale dans le troisième. La modification du poids EM-A a la particularité de boucher partiellement la perforation centrale. L’objet ne devait plus alors pouvoir n’être rangé qu’en dernière position sur un clou si on admet le rangement en lot grâce à ce dispositif. Il est probable qu’il s’agisse là d’un ajustement, car le poids EM-B possède des dimensions identiques et pèse la même masse que EM-A après alourdissement. Il est inutile de revenir ici sur les cas particuliers des poids de Puntal dels Llops, déjà traités précédemment. Cependant, il faut admettre que nous ne sommes pas en mesure d’affirmer que la seule vocation de la bague de PL-E soit de maintenir le couvercle de l’objet en position fermée et non pas également d’alourdir celui-ci. Comme le poids semble vide dans son état actuel de conservation, l’hypothèse d’un dispositif de fermeture reste privilégiée.
Pour terminer, le poids de Munoaundi est le seul à présenter une dépression à l’intérieur même de la perforation centrale. Celle-ci est très difficile à déterminer, car elle oblige à proposer une modélisation sur la seule base des mesures effectuées sur l’objet. Globalement, il est possible de dire que si celle-ci avait été complètement comblée de métal, le poids aurait une masse maximale de 49,65 g. Toutefois, rien ne permet réellement d’assurer que cette dépression soit réalisée post-production. Il pourrait tout à fait s’agir d’un défaut de coulée qui serait passé complètement inaperçu dans le cas d’une fonte en moule semi-ouvert puisque la masse désirée aurait tout de même était atteinte. Si ce n’est pas le cas, le poids de Munoaundi pourrait alors être le seul cas avéré de modification ou de fabrication spécifique en vue d’une fraude.
Les Métamorphoses du Vide
Nous allons pour terminer nous arrêter sur les perforations, principales et secondaires, remplies de plomb. Tout d’abord, au vu des résultats obtenus, il apparaît très clairement que les perforations secondaires remplies de plomb ne peuvent pas être considérées comme des transformations métrologiques. Même en admettant l’idée proposée par I. Grau et J. Moratalla242 que le plomb est inséré et enlevé en fonction du système métrologique choisi (ce qui paraît technologiquement peu probable), l’allègement/ alourdissement s’avérerait très faible (sup. 10 ; un allègement de 3,4 % pour le poids X-A et d’à peine plus de 1 % pour les deux autres). Si on estime que le poids est perforé dans un second temps puis rempli de plomb, l’alourdissement qui en résulterait serait encore plus anecdotique (inférieur à 1 % dans les trois cas). Il nous semble donc ici possible d’abandonner totalement l’hypothèse d’une fonction métrologique de ces perforations secondaires remplies de plomb. Par conséquent, il est plus probable que leur rôle soit esthétique ou informatif.
La situation est beaucoup plus complexe concernant les poids dont la perforation centrale a été remplie de métal. Nous pouvons voir que les conséquences de ces modifications sont très variables alors même que peu d’exemplaires sont concernés nous contraignant à une vision au cas par cas.
Le poids LA-AO est celui pour lequel il est le plus difficile d’affirmer le caractère secondaire du remplissage. En effet, l’alliage utilisé semble être le même que pour le corps principal et la corrosion, bien que légère, ne permet pas de voir de véritables interfaces entre les deux. Pourtant la morphologie de l’objet laisse suggérer qu’il s’agit bien d’un remplissage postérieur à la fabrication du corps de l’objet dont la masse ajoutée serait cependant particulièrement réduite (environ 0,5 g). Il pourrait également s’agir ici d’un comblement sédimentaire, potentiellement mêlé de fragments métalliques corrodés, éventuellement les restes d’un fil en alliage cuivreux à l’intérieur de la perforation. Cela expliquerait notamment la densité moyenne très faible de l’objet (6,68). Quoi qu’il en soit, la masse fonctionnelle de l’objet se situe vraisemblablement quelque part entre 17,07 et 17,55 g.
Le poids LS-H voit en revanche une véritable modification de sa masse après le remplissage de sa perforation centrale avec du fer. Si nos calculs sont exacts, il passerait d’environ 35,2 g à 40,53 g soit un alourdissement d’environ 14 %. Nous sommes clairement ici en présence d’une modification volontaire dont l’impact métrologique est réel.
La situation est beaucoup plus complexe dans les cas de LA-J et LS-K. Comme nous l’avons dit, les deux poids ont la particularité d’avoir subi un creusement de leur base et un remplissage de leur perforation centrale avec du plomb pour le premier et du fer pour le second. Dans le cas de LA-J, nous pouvons distinctement apprécier la stratigraphie entre le corps principal de l’objet, le creusement de sa base et le plomb ajouté (fig. 3-144). Le poids voit donc dans un premier temps sa base être creusée avant que ne soit coulé du plomb243 dans la perforation centrale recouvrant ainsi partiellement le creusement. Les modélisations qui en résultent permettent de déterminer que lors de sa fabrication, ce poids est destiné à peser environ 197,1 g. À la suite de son creusement, sa masse descend à 179,6 g avant d’être rehaussée sensiblement jusqu’à 184,2 g après ajout du plomb. Nous ne connaissons évidemment pas la temporalité de ces différentes actions, qui peuvent tout aussi bien être espacées de quelques minutes comme de plusieurs générations.
Le cas du poids LS-K est peut-être encore plus troublant. Il est ici plus difficile de savoir qui du creusement ou de l’ajout de fer représente la modification la plus précoce, mais la situation semble tout de même identique à ce que nous avons observé pour LA-J. Ainsi, en admettant que la densité réelle du fer soit proche d’une densité théorique – soit environ 7,87 – le creusement de la base de LS-K ferait descendre sa masse à environ 38,1 g. Cependant, l’ajout du fer dans sa perforation centrale ferait remonter celle-ci aux alentours de 41,26 g, soit quasiment la même masse que celle d’origine calculée à 42,9 g.
Ces deux derniers exemples nous amènent à nous interroger sur la fonction de certaines de ces modifications. Le but principal est-il réellement métrologique ? Dans le cas d’un poids comme LS K, si les modifications sont faites dans un même temps, alors l’objectif de celles-ci n’est clairement pas métrologique, mais s’approcherait plus d’une sorte de défonctionnalisation partielle ou de désacralisation de l’objet passant par l’obstruction de sa perforation centrale. Il en va de même pour l’ajout de plomb dans la perforation centrale de LA-J qui n’a qu’un impact très mineur sur la masse de l’objet. Si les restitutions que nous proposons des balances ibériques sont justes, de telles transformations trahissent nécessairement l’abandon de certains types d’outils métrologiques dont, très certainement, la balance à un seul plateau. Or, dans le cas de La Serreta comme de L’Alcúdia, l’utilisation des poids dans leur dernier état modifié semble datable du IIIe s. a.C. pour le premier et probablement des IIe-Ier s. a.C. pour le second. Ces différents éléments viennent renforcer l’idée d’une modification de la pratique pondérale en péninsule Ibérique à partir du IIIe s. a.C.
De manière plus générale et synthétique, les transformations de poids de balance laissent, à l’exception des abrasions légères, des traces particulièrement visibles. Il semble évident que ces modifications métrologiques et morphologiques sont observées, reconnues et acceptées lors de la mise en œuvre de la pratique pondérale. À quelques exceptions près, la majorité de ces modifications semblent seulement se développer à partir du IVe s. a.C. sauf pour les perforations (principales ou secondaires) obstruées qui n’apparaissent qu’à partir du IIIe s. a.C.
3. Ensembles et séries de poids de balance
des VIe-IVe s. a.C. : reconstitutions de métrologies locales
L’objectif est ici de prendre un peu de hauteur sur les données métrologiques en abordant les poids de balance selon de grands ensembles et séries à l’échelle des sites. L’étude des lots et ensembles comportant des marques a montré que de nouvelles pratiques semblent émerger au moins dans la deuxième moitié du IIIe s. a.C. C’est en effet à partir de cette période que se multiplient à la fois les poids en plomb discoïdes avec ou sans perforation centrale, que nous trouvons des poids creux comme ceux de Puntal dels Llops ou que l’on observe l’apparition de lots destinés à de la pesée lourde comme celui de Giribaile, mais aussi, comme nous l’avons vu, que se multiplient vraisemblablement les transformations métrologiques. Il est également possible que la balance à deux bras et deux plateaux égaux apparaisse contemporainement à ces changements en péninsule Ibérique. Pour ces raisons, nous nous intéresserons dans un premier temps à la période allant du VIe s. à la fin du IVe s. a.C. afin de tenter de mieux caractériser l’existence d’un changement dans la pratique à partir des phases plus récentes. La taille de la donnée s’accroissant, nous nous appuierons essentiellement ici sur l’analyse quantale et les diagrammes de distribution pour l’observer tout en comparant les résultats à ceux apportés par les lots et les marques numérales.
La pratique pondérale de Cancho Roano
Nous avons pu déterminer que les ensembles des pièces H4 et N5 de Cancho Roano se structuraient respectivement autour d’unités théoriques de 32,6 et 35,1 g. Cependant, l’analyse quantale de la totalité des poids du site met en évidence une unité de 33,46 g (fig. 3-145) plutôt bien confirmée par le diagramme de répartition, notamment pour les valeurs hautes. Nous constatons toutefois que l’unité de 32,6 g peut également s’appliquer à ces dernières dans un intervalle d’erreur de 5 % (fig. 3-146). De plus, les poids CR-W et CR-Z, pesant respectivement (33,95 et 33,96 g), semblent directement rattachables à l’unité distinguée par l’analyse quantale. Les analyses effectuées avec les masses des mêmes objets avant leur nettoyage ou prélèvement métallographique éventuel (lorsqu’une réelle différence existe) ne montrent presque aucune différence, le pic de l’analyse quantale étant à peine alourdi de quelques milligrammes (33,85 g ; sup. 11). La table de division montre toutefois certaines relations arithmétiques plus de claires (sup. 12), notamment pour des objets que les analyses ont a priori grandement allégés (le poids CR-C qui passe de 9,14 à 8,23 g ; le poids CR-S de 170,01 g à 161,79 g et le poids CR-U de 304,76 g à 298,31 g). Cependant, comme nous l’avons dit, il n’est pas toujours aisé de prendre ces mesures au pied de la lettre et des abrasions pour une étude métallographique faisant perdre près de 10 g de métal paraissent étonnantes.
Toutefois, la donnée n’en est pas foncièrement modifiée et la principale question que pose la série de Cancho Roano reste de savoir si les populations qui y séjournent acceptent ou non les importantes déviations que nous observons pour des unités globalement similaires (entre 30,64 g et 35,6 g pour ce qui semble être la principale unité structurante). Une telle déviation, d’environ 14-16 % entre les deux extrêmes et d’un peu plus de 7 % entre une valeur médiane et les extrêmes, paraît élevée et sa répétition relativement homogène dans les multiples (57,61 -72,64 g pour le double de l’unité structurante) laisse penser qu’il ne s’agit pas que du résultat d’une erreur instrumentale.
L’intuitivité du système métrologique de Cancho Roano est donc inversement proportionnelle au nombre d’informations qu’il fournit. Nous y trouvons des ensembles de poids de balance trouvés dans de mêmes pièces, en grand nombre et dont la moitié fournissent une indication numérale. Pourtant, aucune restitution de système métrologique ne permet de lier tous ces critères entre eux (fig. 3-147). Nous voyons ainsi que les reconstructions métrologiques les plus cohérentes ont tendance à dissocier les poids appartenant à de mêmes ensembles. En prenant l’exemple de la pièce N5 du secteur nord, les poids présentent une véritable homogénéité morphologique, un métal présentant la même patine et nous remarquons que les poids CR-I, CR-N et CR-O sont les seuls dont les marques sont réalisées au moyen d’un poinçon creux ne laissant qu’une impression circulaire parfois non fermée (pl. 13-2). Pourtant, leur reconstruction théorique la plus plausible oriente, comme nous l’avons vu, vers une autre unité comprise entre 34,3 et 35,1 g.
Par conséquent, l’hypothèse retenue par M. P. García-Bellido apparaît comme la plus à même de refléter les données matérielles. Cette série de poids se caractériserait par une structuration autour d’une unité cible très peu précise. En d’autres termes, l’habitude serait d’employer une unité d’environ 30-36 g sans véritable effort d’ajustement. Cette unité pourrait être héritée de l’âge du Bronze, l’octuple de l’unité de 4,64 g identifiée par l’analyse quantale égalant 37 g. Ce multiple serait matérialisé dès les périodes anciennes par le poids MTrig-C de Monte do Trigo (Idanha-a-Nova, Beira Interior Sul).
En ne prenant en compte que les objets en alliages cuivreux, nous pouvons restituer un système métrologique très schématique (fig. 3-148) dont la fonctionnalité continue à nous échapper. Il reste en effet tout à fait étonnant que des poids comme CR-M et CR-S (61,96/63,1 g et 72,64 g), séparés de près de 10 g, puissent être utilisés comme une seule et même valeur au sein du même site alors même que n’importe quelle balance, aussi imprécise soit-elle, permettrait de s’apercevoir que leur masse diffère grandement. De plus, les masses de certains poids de la série sont inférieures à un tel écart.
Cependant, à l’échelle du site, et d’un point de vue purement métrologique et contextuel, aucun élément ne paraît abonder dans la sens de lots structurés autour d’unités réellement différentes. Les hypothèses préalables effectuées à partir des ensembles des pièces H4 et N5, qui supposaient déjà des déviations assez importantes, ne paraissent pas résister à l’analyse de la série entière qui apparaît beaucoup plus déstructurée que ce à quoi on pourrait s’attendre. Ces résultats amènent à s’interroger drastiquement sur la pesée pratiquée à Cancho Roano et nécessairement sur sa fonctionnalité. Une certaine dichotomie semble en effet apparaître entre le soin accordé à la réalisation des poids de balance, le caractère foncièrement élitaire et sacralisé du site, et le “brouillon” de métrologie que permet leur utilisation.
Le principal problème posé par les poids de Cancho Roano est la non-adéquation entre les marges de déviations des unités et de leurs multiples et diviseurs au sein des mêmes lots. Par exemple, dans le cas du lot de la pièce N5, nous sommes vraisemblablement face à des multiples de l’unité relativement lourde (autour de 36 g) sauf pour les poids CR-O et CR-P qui renvoient plutôt à des multiples de 34 g. Dans la pièce O1, on trouve le poids CR-Y de 31,55 g et le poids CR-X qui correspond au double d’une unité de 36,3 g.
Toutefois une mauvaise précision des instruments de pesée aurait tendance à créer des valeurs aléatoires autour de masses cibles. Ainsi, chaque multiple de l’unité se verrait reproduit avec des erreurs variables autour de la valeur ciblée. Ce n’est pourtant pas la situation observée. Certaines valeurs paraissent parfaitement reproduites, par exemple CR-O et P de 102,09 et 102,77 g, CR-S et CR-T de 170,01 et 171,77 g. Ce sont au contraire les poids les plus représentés qui montrent la plus grande variabilité. Il est possible que cette abondante reproduction joue en défaveur de la fiabilité métrologique. Nous avons en effet abordé, lors de nos interrogations initiales (voir le chapitre “Masse idéelle, masse réelle et masse actuelle”, p. 67), les différentes manières de créer des poids de balance et leurs multiples selon un processus de copie faisant ou non intervenir un poids ou un lot étalon. Or, dans une situation où les poids de balance sont tous recopiés en fonction d’exemplaires existants ou de mêmes moules (l’unité par rapport à l’unité, le double par rapport au double, etc.), les erreurs vont s’accumuler, mais de manière hétérogène sur les différents éléments du système métrologique. Si la cohérence arithmétique n’est pas vérifiée, il est alors possible de se retrouver avec une unité trop légère et un double trop lourd par exemple. Le résultat est alors une déviation anarchique des valeurs par rapport aux masses d’origine.
Nous savons que le site a une histoire particulière, marquée par trois destructions et deux reconstructions successives, vraisemblablement selon une démarche ancrée dans les pratiques cultuelles et symboliques. En théorie, une telle décadence du système métrologique devrait être rapidement perceptible. Cependant, rien ne nous assure que les poids de balance soient censés être utilisés dans le cadre d’une pratique commune. De plus, les marques numérales sont probablement un gage de confiance qui réduit la nécessité de vérifier par une double pesée la validité métrologique et arithmétique des poids.
Par conséquent, la série offerte par Cancho Roano, plus que la production officielle de poids étalons d’un palais-sanctuaire, comme cela a pu être écrit, est probablement le résultat d’une pratique de pesée et de reproduction des instruments de pesée un à un (fabrication des poids un à un ou réutilisation de mêmes moules). Dans le cas précis de ce site, la reproduction semble être faite, au moins en partie, avec un investissement limité dans la vérification de la cohérence métrologique. Il semble en effet que des accumulations d’erreurs entraînent des déviations fortes entre des unités et leurs multiples, même au sein de lots cohérents. Le système métrologique général nous apparaît ainsi confus et peu précis. Cependant, l’existence de poids dont la masse est identique à moins d’un pour cent près, bien qu’elle puisse être due au hasard, nous amène à fortement douter de l’absence totale de maîtrise de la précision dans le processus de pesée.
L’ensemble et la série du site d’Azougada
L’habitat de hauteur protégé d’Azougada (Moura, Baixo Alentejo), occupé au Ve s. et au début du IVe s. a.C., a fourni trois plateaux de balance et une série de 12 poids trouvés dans les différentes tranchées de fouilles réalisées sur le site dans les années 1940244. Les informations stratigraphiques sont cependant réduites à la profondeur de découverte des artefacts, qui n’est d’ailleurs pas toujours bien assurée, et il est impossible d’attacher une réelle information contextuelle aux objets.
L’analyse quantale de la série met en évidence un quantum à 33,07 g (fig. 3-149), cependant, l’histogramme de répartition et la table de division montrent bien que celui-ci résulte de l’assimilation de deux unités proches aux constructions métrologiques similaires, une légère et une lourde (fig. 3-150 et 151). La première avoisine vraisemblablement les 31 g et est matérialisée par les poids AZ-A et AZ-F, AZ-H, chacun marqué d’un point (30,65 g, 27,43g et 31,28 g), par les poids AZ-B et AZ-C équivalant à la double unité (63,11 g et 64,7 g) alors que son triple est représenté par le poids AZ-J (92,16 g). Les masses pondérées de ces différents artefacts permettent de proposer une unité de 31,3 g pour cette série, en mettant de côté le poids AZ-F qui paraît beaucoup plus léger. Le poids AZ-G de 28,11 g apparaît également trop léger dans cette série sans que l’on puisse savoir si cela est à rattacher à une mauvaise précision des instruments de mesure, à l’existence d’une autre unité ou à l’état de l’objet. Il est probable que le poids AZ-E de 6,44 g corresponde à 1/5 de cette même unité.
La deuxième unité est plus proche de 36 g et nous pouvons la déduire de la présence de son double (AZ-I ; 73,26 g et AZ-D ; 75,51 g) et de son triple (AZ-K ; 102,42 g). La pondération des masses par le ratio permet d’envisager une unité de 35,9 g, qui est grandement tirée vers le bas par le poids AZ-K. Ana Sofia Antunes arrive à cette même hypothèse de l’utilisation de deux unités distinctes245. Selon l’auteure, ces deux unités sont à rattacher à des shekels méditerranéens, le premier étant le shekel “phénicien” de 7,83 g (le quart d’une unité de 31,32 g) et le deuxième le shekel “ougaritique” de 9,4 g (le quart d’une unité de 37,6 g).
Le poids AZ-L, de 3,85 g, est le seul fabriqué en matériau lithique. D’un point de vue métrologique, il peut aussi bien correspondre à 1/8 de l’unité de 31,3 g, comme cela est proposé par A. S. Antunes246, ou à 1/10 de l’unité de 35,9 g.
Les ensembles et la série de La Bastida de les Alcusses
Avec plus de 100 instruments de pesée potentiels, le site de hauteur de La Bastida de les Alcusses (Moixent, València), occupé au IVe s. a.C., se démarque fortement dans le paysage de la pratique pondérale en péninsule Ibérique. Ce constat est d’autant plus vrai que la période d’occupation du site se concentre sur un siècle. Nous avons déjà pu voir une quinzaine d’objets du site, découverts dans quatre structures (departamentos) ayant livré des poids de balance à marques numérales. De leur étude s’est dégagé l’existence de trois unités potentielles avoisinant les 20,7 g, 31,05 g et 41,4 g et qui partagent un ratio 1 : 1,5 : 2.
L’histogramme de répartition des masses des 82 poids de balance entiers du site montre parfaitement la construction pondérale marquée par des convergences de valeurs et des intervalles de vide non représentés (fig. 3-152). Un intervalle apparaît particulièrement bien représenté, il s’agit de [7,8 : 8,8 g] qui, étonnamment, n’entretient pas de relation arithmétique directe claire avec les trois unités identifiées par les marques numérales. De la même façon l’analyse quantale tend à confirmer la validé d’une unité structurante de 20,7 g, mais les nombreux pics dans les valeurs basses de la courbe semblent montrer le caractère non exclusif de celle-ci (fig. 3-153). Il est ici nécessaire de catégoriser et de trier la donnée pour y voir plus clair et tenter de comprendre l’organisation de l’omniprésente pratique pondérale de ce site.
Nous comptons à La Bastida 14 structures – qui peuvent être interprétées pour l’essentiel comme des pièces internes ou des espaces ouverts externes rattachés à des unités domestiques – qui livrent deux poids de balance ou plus (fig. 3-92). Elles permettent d’observer de véritables ratios arithmétiques entre les masses d’instruments qui ont potentiellement servi, au moins à un moment donné, à une pratique conjointe. Leur observation permet de percevoir certaines habitudes de créations d’unités structurantes et les liens entre ces dernières (sup. 13).
La première unité bien définie est celle d’environ 41,2 g (milieu de l’intervalle [37,76 : 44,56 g] dans laquelle les masses de 7 poids de balance s’intègrent (fig. 3-154). Nous avons vu que les marques numérales permettent d’identifier cette unité (Bas-189-D ; 41,73 g) ainsi que l’utilisation de son diviseur par 5 (Bas-118-E ; 8,5 g). Les associations de poids entre eux permettent de valider l’utilisation de son double, son triple et son quintuple, en particulier dans le departamento 100 qui livre les poids Bas-100-A, B, C et D de masses respectives 41 ; 82,02 ; 124,2 et 207,94 g (sup. 13). L’utilisation du quadruple de cette unité peut être suggérée arithmétiquement par la présence du poids Bas-235-A de 164,79 g.
L’unité de 20,7 g (pic à 20,73 g sur l’analyse quantale de la série complète de la Bastida) est également bien attestée dans les ensembles. Les marques numérales des poids Bas-129-A (40,34 g) et Bas-273-C (103,5 g) font directement référence à l’emploi de son double et de son quintuple. Par association dans le departamento 16, on peut également déduire l’utilisation de son quadruple (Bas-16-E ; 82,38 g), de son sextuple (Bas-16-G ; 127,75 g) et de son décuple (Bas-16-H ; 209,61 g ; sup. 13). Le même ensemble suggère également l’usage de sa moitié (Bas-16-A ; 11,04 g) et de la fraction 8/10 ou 4/5 (Bas-16-B ; 16,54 g). Les relations arithmétiques permettent d’envisager l’usage de son quart (Bas-210-A ; 5,07 g et potentiellement Bas-A ; 4,92g et Bas-234-A ; 5,69 g), de son triple (Bas-273-B ; 63,41 g et dans une moindre mesure Bas-122-A ; 68,04 g) et son octuple (Bas-235-A ; 164,79 g). On remarque cependant qu’il ne semble pas y avoir d’association contextuelle claire entre l’unité de 20,7 g et la valeur 7,8-8,8 g (fig. 3-154).
L’unité d’environ 31,3 g, définie comme la médiane de l’intervalle [29,55 g : 33,10 g], est connue principalement par la marque numérale de son double Bas-273-B (63,41 g). Le contexte du departamento 273, comme nous l’avons vu, a livré un autre poids marqué renvoyant à l’unité de 20,7 g. De manière générale, l’unité de 31,3 g n’est pas abordable par l’observation des associations contextuelles. Elle est en revanche attestée par les poids Bas-218-A (29,95 g), Bas-183-A (31,32 g) et Bas-F (32,65 g) et son double est peut-être également perceptible au travers du poids Bas-122-A (68,04 g). Son triple est clairement absent de la série, mais son quadruple équivaut au triple de l’unité de 41,2 g et au sextuple de celle de 20,7 g, et est bien représenté. Les fractions sont toujours plus difficiles à caractériser car les limites qui permettent de les attribuer à l’une ou l’autre des unités sont toujours floues. Il semble cependant possible de percevoir la moitié de l’unité de 31,3 g (égale au 3/4 de celle de 20,7 g), à minima à travers les poids Bas-189-C (14,97 g) et Bas-243/245-A (15,78 g). Certaines valeurs parmi les plus légères de l’intervalle [7,8-8,8] pourraient également correspondre au quart de l’unité, comme le poids Bas-B de 7,65 g ou Bas-179-A de 7,85 g.
L’unité de 8,3 g (médiane de l’intervalle [7,81 : 8,83 g] avec 11 occurrences) n’est pas suggérée par une marque numérale – seul le poids Bas-118-E de 8,5 g présente une marque, mais qui correspond alors à une fraction d’un cinquième –, mais par l’importante concentration de masses autour de cette valeur qui laisse penser que son rôle dans la pratique est majeur. C’est sans conteste avec l’unité de 41,2 g qu’elle entretient le rapport le plus clair, de 1 : 5, qui nous permet dès lors d’envisager l’usage de ses multiples 10, 15, 20 et 25 (les multiples 2, 3, 4 et 5 de l’unité de 41,2 g). Son double (16,6 g) semble également bien représenté – même s’il est parfois difficile de le distinguer du quart de l’unité de 20,7 g – par les poids Bas-E, Bas-174-A, Bas-16-B et Bas-174-B (respectivement de 16,06 ; 16,31 ; 16,54 et 16,96 g). Sa moitié, quant à elle, pourrait transparaître au travers des poids Bas-155-A, Bas-70-B et Bas-118-C pesant 4,06 g, 4,22 g et 4,42 g (fig. 3-154).
Ainsi, à partir des poids entiers de forme cylindroïde, il nous est possible de restituer pour le site de la Bastida de les Alcusses un système métrologique fondé sur quatre unités arithmétiquement liées les unes aux autres (fig. 3-154) avec, comme à l’accoutumée, une certaine réserve concernant l’attribution de certaines des valeurs les plus légères. On remarque par exemple qu’il est particulièrement difficile de distinguer le quart de l’unité de 31,3 g et l’unité de 8,3 g, les valeurs comprises entre 7,9 g et 8,2 g pouvant se rattacher à l’une ou l’autre avec moins de 5 % de déviation relative. L’unité de 20,7 g est sans conteste celle qui doit permettre le plus de fluidité et de correspondances entre les différents systèmes en raison de son nombre important de diviseurs et multiples. Ce sont en effet 49 poids de balance dont la masse peut être assimilée à ce système.
Nous remarquons que de rares poids ne paraissent entrer dans aucun des systèmes à moins d’accepter des erreurs relatives de 10 % ou plus. C’est le cas de Bas-237-A (3,91 g), Bas-101-1 (4,6 g), Bas-70-D (5,97 g), Bas-230-D (11,98 g) et Bas-11-B (17,86 g). Si nous considérons leurs relations arithmétiques et la masse du poids Bas-80-A (9,38 g) qui s’insère dans le système avec des déviations proches de 9 %, il devient possible d’envisager l’utilisation à La Bastida d’une unité de 9,4 g qui rappelle immédiatement le shekel “ougaritique”. Les poids cités entretiendraient alors un rapport 1/3 : 1/2 : 2/3 : 1 : 1 1/3 : 2, bien que le poids Bas-237-A présente une très haute déviation et se rapprocherait plutôt du tiers de Bas-230-D (soit 11,73 g ; fig. 155).
L’une des questions que posait la série était l’identification comme des poids de balance d’un certain nombre d’objets de formes non cylindroïdes (pl. 12-4 à 12-6). Il apparaît clairement que la majorité d’entre eux peuvent s’insérer très facilement dans les différents systèmes métrologiques et ont même tendance à suivre les mêmes intervalles de concentration de valeurs (fig. 3-156). Les objets les plus douteux sont Bas-243/245-A de 15,78 g qui, bien qu’il puisse correspondre au quart de 20,7 g ou à la moitié de 31,3 g, possède peu de parallèles. Il en va de même pour Bas-59-A (37,46 g) bien qu’il soit égal au quadruple d’une unité de 9,4 g. L’objet Bas-68-A (193,82 g), en revanche, est largement plus léger que les poids avoisinant les 200 g et est l’artefact dont la fonction en tant que poids de balance est la moins assurée. Il est également le seul objet se présentant comme un peson avec bélière et son usage est peut-être similaire à celui de La Celadilla (voir le chapitre “Proposition de restitution de la chaîne opératoire”, p. 306), autrement dit un peson disposé à l’extrémité d’un bras de balance afin de contrebalancer le plateau suspendu au deuxième bras. En l’absence bon parallèle, il faut également envisager la possibilité que sa fonction ne soit pas métrologique. Il faut rappeler que c’est justement cet objet qui avait été initialement associé par I. Ballester à une masse de 493,3 g (probablement suite à une erreur dactylographique) et réutilisé dans les travaux postérieurs pour appuyer l’hypothèse d’un système métrologique structuré autour d’une mine d’un peu moins de 500 g (voir le chapitre “Isidro Ballester et les premières identifications”, p. 39).
La série de Covalta
L’habitat de hauteur protégé de Covalta est d’un intérêt majeur du point de vue de l’histoire de la recherche en métrologie archéologique, et il est aussi un de ceux qui livre les plus grandes séries de poids de balance avec 29 individus. Malheureusement, il s’agit également de l’un des contextes pour lesquels il a été le plus difficile de faire correspondre les objets étudiés dans les collections du Museu de Prehistòria de València avec les données bibliographiques. Cinq poids de balance du corpus n’ont ainsi, selon toute vraisemblance, pas été étudiés directement, mais sont connus par les différentes publications de poids de balance étalées entre 1930 et 2003. Pour éviter de fausser les résultats avec des doublons, nos analyses ne s’appuient ici que sur les masses mesurées directement sur 20 poids de balance. Nous y ajoutons les quatre poids de la construcción 27 du departamento b, connus par la bibliographie mais dont les masses nous paraissent sûres. Ces poids sont bien identifiables et connus par des photographies et nous sommes certains de ne pas les avoir étudiés directement.
Comme pour l’analyse globale ou pour celle de La Bastida, le test de Kendall renvoie à un quantum d’environ 20,7 g (20,68 g). Cependant le caractère anarchique de la courbe immédiatement en amont et en aval de ce pic peut laisser penser que cette unité n’est pas la seule qui structure la série (fig. 3-157). Cependant, il s’avère que la reconstruction d’un système pondéral autour de cette seule unité fonctionne globalement bien mis à part pour quelques exceptions (fig. 3-158 et 159). Si nous faisons abstraction de l’objet Cov-V de 13,9 g qui pourrait plutôt être une fusaïole d’après sa forme, ce sont surtout Cov-R, S et T (2,72 g, 2,76 g et 2,91 g) qui montrent peu d’adhésion au reste du système. Cependant, comme pour toutes les valeurs légères, nous pouvons difficilement les utiliser pour échafauder des hypothèses. Nous notons aussi que les masses de Cov-Y et Cov-F (16,37 et 17,16 g) sont sans aucun doute trop élevées pour correspondre aux 3/4 de l’unité de 20,7 g.
Intégration des séries restantes et bilan métrologique
d’un paysage pondéral des VIe-IVe s. a.C. en péninsule Ibérique
Seuls 19 objets dont les masses sont connues et dont l’identification comme des poids de balance est relativement bonne n’ont pas été intégrés dans les analyses précédentes (marques numérales, lots, ensembles et séries locales). Ils proviennent des sites d’El Castañuelo (Aracena, Huelva), Castelo de Castro Marim (Algarve), El Molar (San Fulgencio, Alacant), El Oral (San Fulgencio, Alacant), El Puig (Alcoi, Alacant) et Puntal de Salinas (Alacant). Leur analyse quantale montre globalement une adéquation aux systèmes métrologiques identifiés précédemment, à savoir la paire 20,7-41,2 g (fig. 3-160). Nous voyons notamment que c’est de très loin cette dernière valeur qui est la mieux représentée avec 4 individus (fig. 3-161). L’un des plus hauts pics est celui d’un quantum de 8,5 g, qui pourrait être lié à l’unité de même magnitude identifiée à La Bastida de les Alcusses.
L’utilisation prépondérante de la paire 20,7-41,2 g transparait également dans l’analyse de la totalité des séries de poids datés des VIe-IVe s. a.C. (228 ind. ; fig. 162 et 163). Nous avons vu plus tôt que deux pratiques se distinguent bien en termes de métrologie et d’usage de marques numérales, l’une centrée sur un axe entre l’embouchure du Guadiana et le Pays Basque (qui englobe une probable partie de “l’aire celtibère”) et l’autre globalement orientale. Cette dichotomie de pratiques apparaît également nettement dans les analyses métrologiques. L’analyse quantale des 55 individus de la zone occidentale montre clairement la prédominance d’une unité qui gravite autour d’un premier quantum de 33,3 g dont le quart apparaît au travers d’un quantum plus faible à 8,04 g (fig. 3-164). L’unité est bien marquée par une concentration de valeur dans un intervalle large. L’usage probable d’une double unité, légère et lourde, est également bien visible à travers la distribution des doubles et triples (fig. 3-165).
L’espace du Levant ibérique montre un faciès bien différent, avec des concentrations de valeurs plus nombreuses, mais également plus marquées (fig. 3-165) et une analyse quantale qui permet de bien mettre en évidence la paire 20,7-41,2 g (pics à 20,8 et 42,1 g) alors que l’unité de 8,3 g est probablement visible par un quantum à 4,12 g, soit sa moitié (fig. 3-164). L’unité de 31,3 g n’est pas perceptible directement, mais, comme nous l’avons vu, sa construction métrologique est fortement intégrée aux unités de 20,7 et 41,2 g.
Ce paysage métrologique semble se modifier entre la fin du IVe et la fin du IIIe s. a.C. Une partie des unités identifiées jusqu’à présent vont disparaître ou être intégrées différemment aux systèmes métrologiques pondéraux.
4. Le IIIe s. a.C. : période de mutation métrologique
La chronologie des ensembles archéologiques livrant des poids de balance est rarement définie avec précision et il en résulte une datation large de la plupart des artefacts. Cela s’accompagne probablement de la durée de vie assez longue des poids de balance dont la fonctionnalité ne diminue probablement pas tant que le système métrologique perdure. Cela est également vrai pour les balances elles-mêmes qui peuvent être utilisées avec n’importe quels poids de balance à condition qu’ils soient fonctionnellement compatibles. Il reste en effet impossible d’utiliser des poids très lourds avec des balances de précision et, dans le cas de la péninsule Ibérique, si des balances spécifiques sont liées à l’utilisation de poids perforés, l’usage des deux types d’instruments est alors fortement connecté.
Si une telle transformation dans la pratique pondérale voit le jour, il semblerait que cela soit le cas dans le courant du IIIe s. a.C. bien que nous puissions difficilement en dater le moment précis (ce qui n’aurait peut-être pas de sens puisque la transition peut tout à fait s’étaler dans le temps). L’analyse quantale des 95 poids de balance restant à étudier et datés du IIIe s. a.C. montre bien qu’une transformation d’ordre métrologique est à l’œuvre en cette fin d’âge du Fer (fig. 3-166). Il ne se dégage toutefois pas un seul quantum et il convient donc d’étudier les séries locales afin d’affiner l’analyse. L’approche micro-métrologique des lots de poids trouvés sur les sites de La Custodia, l’oppidum de Giribaile et El Puntal dels Llops ont d’ores-et-déjà permis de discerner l’émergence de nouvelles pratiques liées à la pesée au cours du IIIe s. a.C. Les sites de Tossal de Sant Miquel (Llíria, València), La Serreta (Alcoi-Concentaina-Penáguila, Alacant), El Tossal de Cala (Benidorm, Alacant), L’Alcúdia (Elx, Alacant) et El Llano de la Horca (Santorcaz, Madrid) livrent des séries de poids de balance qui permettent une approche mathématique et statistique de la métrologie pondérale entre le début du IIIe s. et la fin du Ier s. a.C.
El Tossal de Sant Miquel
L’habitat de hauteur protégé du Tossal de Sant Miquel (Llíria, València) est occupé entre le début du VIe et la fin du Ier s. a.C. mais c’est cependant la période entre les IIIe-IIe s. a.C. qui livre le plus de matériel. Il semble que les poids de balance puissent être datés de cette période voire plus récemment, jusqu’au changement d’ère pour certains. Dans le departamento 58, un terminus post quem est donné par une monnaie en bronze sarde datée de 216 a.C.247 de 5,46 g248 et la datation récente du departamento 27 est assurée par la présence d’un fragment de céramique Campanienne B249. Les deux poids du departamento 15 (TSM-15-A et TSM-15-B) sont clairement datés de l’extrême fin de cette période par une monnaie républicaine (un as d’une semi-once daté de 91-83 a.C. de 13,89 g250). Nous pouvons donc probablement accepter une chronologie postérieure à la fin du IIIe s. a.C. pour la série de poids de balance du Tossal de Sant Miquel et probablement du Ier s. a.C. pour au moins une partie d’entre eux.
La table de division montre un schéma pondéral très “traditionnel” construit autour de l’unité de 20,7 g attestée par les multiples habituels, à savoir 1 : 2 : 4 : 6 : 10 (fig. 3-167). On note toutefois que le double est présent en trois exemplaires : TSM-15-A, TSM-41-A et TSM-15-B, de masses respectives égales à 39,58 g, 41,15 g et 43,61 g. Les valeurs qui s’éloignent le plus de la norme correspondent donc aux objets des contextes aux datations les plus récentes. Le poids TSM-58-A de 13,99 g est le seul qui paraît exotique dans cette construction pondérale. On remarque toutefois que sa masse se rapproche fortement de celle de l’as du departamento 15 (13,89 g) et nous pouvons nous demander si cette relation métrologique est l’œuvre du hasard. Il est également à noter que le triple d’une telle semi-once équivaut à 41,67 g. Nous pourrions donc nous retrouver ici face à un système pondéral ancien, mais conservé en raison de son adéquation métrologique avec des monnaies en circulation.
La Serreta
L’habitat de hauteur protégé de La Serreta (Alcoi-Concentaina-Penáguila, Alacant) connait une première occupation au IVe s. a.C. mais c’est surtout dans le courant du IIIe s. a.C. que le site semble prendre un rôle majeur dans l’occupation du territoire, notamment caractérisée par une fonction cultuelle assurée par le sanctuaire topographiquement associé au site251. Plusieurs sites de la région, et notamment celui du Puig d’Alcoi, qui livre également quelques instruments de pesée, sont abandonnés au profit de La Serreta à la fin du IVe s. a.C.252.
L’analyse quantale des 21 poids de balance cylindroïdes du site de La Serreta montre plusieurs quanta dont ceux correspondant aux unités de 20,7 et 41,2 g identifiés pour la période précédente. Le pic le plus élevé correspond cependant à 8,07 g et on note de nombreux pics secondaires qui trahissent probablement l’usage de plusieurs unités (fig. 3-168).
En dehors des concentrations de valeurs habituelles du système 20,7-41,2 g, on perçoit à travers l’histogramme de distribution l’existence d’une valeur autour 150 g (LS-N ; 150,03 g), des valeurs autour de 7-8 g et de 15-17 g, assez difficiles à isoler les unes des autres (fig. 3-169). Nous pouvons probablement envisager ici l’usage d’une unité structurante avoisinant les 15 g, matérialisée par les poids LS-D, LS-Q et LS-E (14,52 g, 15,16 g et 15,3 g) dont on observe également la moitié (LS-U ; 7,02 g et peut-être LS-B ; 7,97 g) ainsi que le décuple (LS-N ; 150,03 g). Une telle unité entretient des relations arithmétiques avec certains multiples des autres unités : son octuple équivaut à environ 120 g et son multiple 14 à 210 g, respectivement 3 et 5 fois l’unité de 41,2 g (sup. 14). Le poids LS-A (3,33 g) pourrait également correspondre à 1/5 d’une telle unité.
Il est probable que l’unité de 8,3 g observée à La Bastida soit également présente. Le poids LS-C (8,63 g) la représenterait directement ainsi que peut-être le poids LS-B (7,97 g). Son double serait marqué par les poids LS-F et LS-R (16,39 g et 17,11 g).
Le site de La Serreta voit donc probablement l’utilisation d’au moins trois unités métrologiques d’environ 20,7 g, 15 g et 8,3 g. Celles-ci partagent entre elles des relations arithmétiques qui doivent permettre le passage aisé d’un système à l’autre (fig. 3-170).
El Tossal de Cala
L’échantillon de l’habitat de hauteur protégé de Tossal de Cala (Benidorm, Alacant) n’est pas évident à comprendre en tant que tel (fig. 3-171). Le site livre des vestiges du IVe s. a.C., mais la mince stratigraphie enregistrée sur le site, qui repose directement sur le substrat rocheux, présente une chronologie des IIe-Ier s. a.C.253. Toutefois, le poids TC-C (152,02 g) est proche du poids LS-N de La Serreta (150,03 g) ce qui pourrait indiquer l’usage d’une unité proche de 15 g. Ici, la restitution la plus probable du système métrologique montre une structuration autour d’une unité d’environ 74 g, dont le cinquième est plus léger de quelques dixièmes de grammes que l’unité de 15 g (fig. 3-172). Cependant, la différence de 10 g entre TC-E et TC-F (215,92 g et 225,11 g), qui correspondent vraisemblablement à la même valeur du système, pourrait indiquer que l’unité n’est pas clairement définie.
La série de L’Alcúdia d’Elx
Bien que l’habitat aggloméré de L’Alcúdia d’Elx (Alacant), l’Heliké mentionnée par Diodore, soit occupé durant toute la période ibérique, l’habitat est entièrement incendié et détruit, a priori dans le dernier tiers du IIIe s. a.C. Les poids de balance trouvés sur le site appartiennent vraisemblablement aux niveaux postérieurs à cet évènement, qui correspondent à une reconstruction fortement marquée par l’influence romaine254.
La courbe obtenue par le biais du test de Kendall à partir de la série de poids est relativement anarchique et seul un pic à 14,2 g semble de détacher, bien que le quantum maximum soit obtenu pour 1,84 g (fig. 3-173). Cette situation est éclairée par le diagramme de distribution dans lequel on peine à distinguer des concentrations autour de valeurs précises (fig. 3-174). Il est particulièrement difficile de distinguer les unes des autres les valeurs comprises au sein de l’intervalle [12,56 : 55,12 g]. Aucune valeur ne correspond exactement à 14,2 g ou à son double 28,4 g, et on peut suspecter une situation proche de celle de Cancho Roano dans laquelle le test de Kendall tend à renvoyer un quantum compris entre deux unités proches.
Nous ne connaissons aucun contexte clairement identifié au sein du site où ont été trouvés des poids de balance. Ce qui s’en rapproche toutefois le plus est une mention attachée aux poids LA-A, C, D, E et F qui indiquent qu’ils ont été trouvés “sous la rue romaine”. Bien que l’information soit particulièrement réduite, on peut suspecter une certaine proximité topographique des cinq artefacts. L’analyse de leurs relations arithmétiques est effectivement intéressante puisqu’elle montre deux valeurs clairement représentées (fig. 3-175). Tout d’abord, les poids LA-C et LA-F ont presque la même masse (25,77 et 26,03 g) et équivalent au double de LA-D (13,09 g). D’autre part, la masse des poids LA-A et LA-E est encore plus proche (31,44 et 31,48 g) bien qu’ici le rapport arithmétique soit moins clair (2,4 x LA-D ou 1,2 x LA-C et LA-F). Si les deux premières valeurs sont quasi absentes des séries vues jusque-là, la valeur de 31,4 g est en revanche très proche de ce que l’on a pu identifier dans la zone de Cancho Roano, à la Hoya ou encore à La Bastida.
Aucune méthode de regroupement, que ce soit par matériau de fabrication ou variante morphologique ne permet d’isoler des groupes de poids aux constructions pondérales cohérentes (sup. 15). Dans l’état actuel des choses, nous ne sommes donc pas en mesure d’éclairer réellement les choix métrologiques effectués à L’Alcúdia d’Elx. Il semble toutefois possible d’admettre l’existence d’une unité d’environ 13,2 g et d’une autre aux alentours de 31,5 g, comme nous l’avons dit plus tôt. De plus les poids LA-I et LA-J, aux masses respectives de 184,2 et 185,68 g, pourraient être les décuples d’une unité d’environ 18,5 g qui trouverait des résonnances dans certains poids : LA-AC de 18,05 g ; LA-G de 37,51 g ; LA-BA de 54,16 g ; LA-AB de 55,12 g ; LA-BB de 71,22 g et LA-H de 111,5 g qui entretiendraient alors un rapport de 1 : 2 : 3 : 3 : 4 : 6 : 10 : 10. De la même façon, le poids LA-K peut-être le décuple d’une unité de 17,6 g qui apparaîtrait alors au travers des poids : LA-AO de 17,55 g ; LA-T de 17,72 g ; LA-Y de 34,72 g ou encore LA-W de 87,91 g, autrement dit : 1, 2 et 5 fois une telle unité.
L’impossibilité d’aller plus loin peut à la fois dépendre des modalités d’adoption et d’usage de ces diverses unités, mais également de problèmes d’ordre chronologique qui nous échappent ici. Cependant, même si plusieurs poids s’approchent de 20,7 g (LA-Z de 20 g ; LA-AV de 21,7 g et LA-AP de 22,07 g) ou de 41,2 g (LA-P de 40,9 g ou LA-AG de 42,62 g), la construction régulière autour de ces unités, observable ailleurs, est ici complètement absente.
El Llano de la Horca
L’habitat de hauteur du Llano de la Horca (Santorcaz, Madrid) a livré 13 objets étudiés comme de potentiels poids de balance, datables des IIIe-Ier s. a.C., dont trois ont un degré d’identification bas (LlH-J, K et L) et un n’est connu que par la bibliographie (LlH-I255). Sur les 9 objets restants, 7 sont en fer et dans un état de corrosion souvent avancé.
Malgré cela, l’information numérale fournie par l’unique poids en alliage cuivreux (LlH-G) nous permet de reconstruire un système métrologique pondéral cohérent dans lequel s’inscrivent tous les objets (fig. 3-176). Nous constatons que c’est autour de l’unité de 12,78 g qu’est construite la série. Nous avions déjà remarqué que les marques numérales de LlH-G (3 traits radiants et 4 points) semblaient correspondre à deux états, les points étant vraisemblablement postérieurs. Cette hypothèse semble ici corroborée par les résultats métrologiques. Il est fort probable que le poids LlH-G soit dans un premier temps conçu et utilisé au sein d’un système métrologique fondé sur une unité de 17 g avant d’être réemployé au Llano de la Horca avec une unité de 12,78 g lui valant la rectification de sa marque numérale.
À partir du IIIe s. a.C., de nouvelles pratiques liées à la pesée semblent apparaître : l’usage de poids creux à couvercle au Puntal dels Llops, l’utilisation de poids lourds à Giribaile, les modifications impliquant le remplissage de la perforation centrale ou secondaire avec du fer ou du plomb, l’apparition des premières paires de plateaux de balance. Ces deux derniers phénomènes, qui peuvent être mis en relation avec la tendance observée d’une augmentation du nombre de poids sans perforation centrale durant les IIe-Ier s. a.C. (voir le chapitre “Prototypes ou évolutions : les types de poids de balance dans le temps”, p. 291), trahissent très vraisemblablement l’apparition de nouvelles formes de balance.
D’un point de vue métrologique, nous pouvons observer la persistance d’unités “traditionnelles” (env. 21/42 g, env. 15 g., env. 31 g, env. 18/36 g) mais également l’arrivée de systèmes métrologiques nouveaux marqués par des unités nouvelles (unité d’environ 13 g à l’Alcúdia ou au Llano de la Horca) mais aussi de nouvelles valeurs, absentes des systèmes précédents comme les poids d’environ 150 g de La Serreta ou du Tossal de Cala. Au cours des IIe-Ier s. a.C., les échantillons de l’Alcúdia d’Elx et du Tossal de Cala montrent très peu d’affinité métrologique avec les périodes précédentes et il est possible qu’une véritable transformation métrologique se soit opérée, entraînant l’abandon d’unités pondérales anciennes.
IV. Deux pratiques pondérales en péninsule Ibérique ?
Nous avons pu voir jusqu’ici que la péninsule Ibérique se distingue des régions plus septentrionales de l’Europe occidentale par le développement d’une pratique pondérale originale. Toutefois, il est également apparu que des différences macro-régionales voient le jour au cours du Second âge du Fer, en particulier entre une zone que nous appelons occidentale par commodité et une région orientale.
1. Articulations métrologiques
en péninsule Ibérique
Nos analyses de la métrologie pondérale pratiquée en péninsule Ibérique nous ont permis de distinguer différents unités et systèmes qui, comme nous l’avons constaté, entretiennent pour la plupart des relations arithmétiques relativement simples entre eux. L’objectif est ici de synthétiser ces données pour tenter d’approcher une vision globale de la pratique pondérale dans cette région entre les VIe et Ier s. a.C.
Unités métrologiques en péninsule Ibérique
Les différents niveaux d’analyse exposés jusque-là ont bien montré le caractère multipolaire des métrologies en péninsule Ibérique qui s’appuient sur un nombre conséquent d’unités majeures (fig. 3-177). Il apparaît très clairement qu’il est possible de distinguer deux grandes tendances géographiques. Sur l’axe Guadiana-Pays Basque, et probablement une partie de la Meseta, l’utilisation fréquente de poids à marques numérales s’intègre à l’emploi d’une unité d’environ 30-31,5 g et d’une autre, légèrement plus lourde qui avoisine les 36 g. Sur le site de Cancho Roano (Zalamea de la Serena, Badajoz), il est difficile d’assurer que deux unités, une légère et une lourde, sont utilisées ou qu’une seule unité mal définie comprise dans l’intervalle [31-36 g] structure la pratique. Cette faible précision métrologique pourrait résulter d’un manque de contrôle métrologique lors de la reproduction des poids de balance ou d’une assimilation confuse d’unités alentours au cours du temps. Cependant, sur d’autres sites, cette approximation semble disparaître. Le site d’Azougada (Moura, Baixo Alentejo) montre ainsi un profil assez similaire à celui de Cancho Roano, mais il semble plus évident de distinguer une unité légère et une unité lourde. Sur le site de La Hoya (Guardia, Araba), c’est clairement une unité de 18,5 g qui est employée, bien attestée par les marques numérales, soit la moitié de l’unité la plus lourde. À Munoaundi (Azkoitia-Azpeitia, Gipuzkoa), à l’inverse, c’est l’unité d’environ 31 g qui semble privilégiée et qui se manifeste par une structuration autour de sa moitié : 15,31 g. Cette tendance à une double métrologie semble perdurer longtemps puisque les deux unités repérées sur les sites La Custodia (Viana, Navarra), datés des IIIe-IIe s. a.C., correspondent à environ 15,3 et 17,8 g. Pour terminer le site de Llano de la Horca (Santorcaz, Madrid), daté des IIIe-IIe s. a.C., se fonde sur une unité différente, cependant, le seul poids en alliage cuivreux (LlH-G), qui fait l’objet d’un remploi, indique l’utilisation antérieure d’une unité de 17,04 g qui semble également correspondre à la moitié d’une unité lourde d’environ 34 g. Celle-ci est également attestée dans le lot “punique” sans provenance conservé au M.A.N. de Madrid, potentiellement par le biais de son dixième (3,5 g), mais également à l’intérieur de la nécropole de Haza del Arca (Uclés, Cuenca), alors que l’unité plus légère, d’environ 30-31 g, est celle qui structure le deuxième lot sans provenance conservé au M.A.N. Nous pouvons également noter que cette unité structure peut-être également la construction de trois poids de balance datés des IIe-Ier s. a.C. découverts à à Contrebia Belaisca (Cabezo de las Minas, Zaragoza)256.
Ces deux seules unités (env. 31 et 36 g) semblent donc structurer, directement ou par le biais de diviseurs, l’ensemble des pratiques pondérales dans un territoire centre-occidental de la péninsule, depuis l’embouchure du Guadiana jusqu’au Pays Basque et englobant vraisemblablement une partie ou la totalité de la zone attribuée traditionnellement aux Celtibères (fig. 3-178).
Dans le Levant ibérique, la construction pondérale prédominante se fonde sur deux unités qui entretiennent un rapport 1 : 2, l’une de 20,7 g et l’autre de 41,2 g. S’il est dans la majorité des cas difficile, voire impossible, d’attribuer les poids à l’une ou l’autre de ces unités, leur distinction apparaît toutefois assez clairement dans certaines constructions pondérales de lots, comme nous l’avons déjà observé (fig. 3-177). Cependant, les unités du centre de la péninsule Ibérique sont également présentes dans les régions orientales, bien qu’elles y soient plus discrètes et souvent attestées par des fractions et multiples ne correspondant pas aux systèmes principaux. On les retrouve ainsi au travers de l’unité de 8,3 g très présente à La Bastida de les Alcusses (Moixent, València), mais aussi à La Albufereta (Alacant) ainsi que d’une unité de 31,3 g identifiée à La Bastida et potentiellement dans les nécropoles d’El Cigarralejo (Mula, Murcia) ou Centenares (Luzaga, Guadalajara), au Cabeço de Mariola (Alfafara-Bocairent, València) ou encore El Oral (San Fulgencio, Alacant). L’unité d’environ 36 g pourrait également apparaître de manière assez discrète à Cabezo Lucero (Guardamar del Segura, Alacant), El Xarpolar (Vall d’Alcalà) ou dans la nécropole du Cabecico del Tesoro (Verdolay, Murcia).
Globalement, les poids de balance datés entre les IIIe et Ier s. a.C. semblent montrer une complexification et un entremêlement progressif des différents systèmes métrologiques. Ainsi, de nombreux poids semblent rappeler des unités ou des multiples d’unités utilisés antérieurement, mais les structures numérales changent et les valeurs structurantes proches semblent se démultiplier. Ainsi, les quelques sites échantillonnés (en particulier El Puntal dels Llops, La Serreta, Giribaile, L’Alcúdia d’Elx, Tossal de Cala ou el Llano de la Horca) permettent de bien mettre en évidence de profondes mutations métrologiques des pratiques qui émergent dans le courant du IIIe s. a.C. Le processus semble bien engagé aux cours des IIe-Ier s. a.C., le nombre d’échantillons bien datés de la seconde moitié du IIIe et de la première moitié du IIe s. a.C. est cependant insuffisant pour dater finement ces transformations. Les éléments sont trop peu nombreux pour bien caractériser ces changements, il semble tout de même possible de dire que certaines valeurs perdurent, bien qu’elles perdent leur fonction structurante première, comme les unités de 20,7-41,2 g ou 15-31,5 g. Il est difficile de dire si l’unité d’environ 13,2 g qui paraît ressortir partiellement à L’Alcúdia est la même que celle de 12,78 g identifiée à Llano de la Horca, mais il est clair que l’une comme l’autre sont absentes des registres antérieurs.
Les jalons géographiques et chronologiques
de la métrologie ibérique
La chronologie reste un problème récurrent lorsqu’il s’agit d’examiner la pratique pondérale en Europe occidentale et elle est ici un frein certain à l’élaboration d’interprétations fines. Il est tout de même possible de poser de grands jalons de cette pratique avec plus ou moins de précision afin de tenter de discerner son évolution globale. Les VIIe et VIe s. a.C. sont parmi les moins bien connus et il est ainsi difficile de comprendre l’articulation entre les pratiques pondérales du Bronze final et du Premier âge du Fer, et celles du Second âge du Fer. Mis à part les poids cubiques de facture phénicienne trouvés sur les sites d’Alcácer do Sal (Alentejo Litoral, Portugal), aucun poids n’est clairement daté du VIe s. a.C.
Ainsi, c’est au Ve s. a.C. que nous pouvons clairement attribuer les premières manifestations pondérales de l’âge du Fer. Il s’agit alors d’un phénomène géographiquement proche de ce qui est identifié pour le Bronze final et le Premier âge du Fer. Le site qui fournit le plus d’instruments de pesée est celui de Cancho Roano et on peut également dater de cette période les exemplaires du site d’Azougada (Moura, Baixo Alentejo, Portugal), Castañuelo (Aracena, Huelva, Espagne), El Turuñuelo (Mérida, Badajoz) et du dépôt métallique d’El Risco (Sierra de Fuentes, Cáceres, Espagne). Les poids sont pour la plupart de forme bitronconique à perforation centrale circulaire ou subcirculaire et les marques numérales tiennent un rôle important dans la pratique. Nous avons vu que l’unité fondamentale utilisée varie entre environ 30 et 36 g sans qu’il ne soit clairement possible de savoir si deux unités ont été utilisées à un moment donné, ou si la précision des instruments est alors très faible. Quoi qu’il en soit, il est fort probable que les systèmes métrologiques employés soient directement hérités de ceux de l’âge du Bronze final tout comme la forme bitronconique qui est privilégiée. Des poids de forme similaire sont notamment identifiés dans le dépôt de Baleizão (Beja, Baixo Alentejo, Portugal) daté autour du Xe s. a.C.
Le site d’El Oral (San Fulgencio, Alacant, Espagne) livre des instruments de pesée datés de la fin du VIe-Ve s. a.C. et donc parmi les plus anciens du littoral méditerranéen de la péninsule. On y connait un poids de balance qui par sa masse (15,41 g) et sa morphologie (un discoïde en plomb avec perforation circulaire) pourrait indiquer une parenté avec les systèmes en vigueur à Cancho Roano (Zalamea de la Serena, Badajoz) et dans ses environs. Le site livre également le fléau en alliage cuivreux EO-1 ce qui indique l’usage d’une balance à deux bras égaux à cette période. Il est possible qu’elle s’accompagne alors de deux plateaux égaux bien qu’aucun vestige ne vienne directement le confirmer.
Les deux poids cylindriques perforés trouvés dans la nécropole voisine d’El Molar (San Fulgencio, Alacant) sont datés entre le deuxième quart du VIe s. et le premier quart du IVe s. a.C., il est donc possible d’envisager qu’ils soient contemporains des instruments d’El Oral. Ils seraient alors les premiers poids de balance dont la forme s’éloignerait des canons habituels tout comme leur masse qui avoisine les 44 g. Cela pourrait également être le signe d’une première transformation des systèmes métrologiques, EM-A et EM-B seraient alors égaux à 1,5 fois une unité d’environ 30 g ou 3 fois une unité de 15 g égale au poids EO-A d’El Oral. Comme nous l’avons dit, il est peu probable que l’ajout d’une pièce métallique à EM-A soit à mettre en relation avec un changement de système métrologique, mais plutôt avec une tentative d’ajustement suite à une erreur lors de la mise en forme de l’objet. Ce dispositif, qui bouche la perforation centrale, pourrait également indiquer que le rôle fonctionnel de celle-ci soit encore réduit, soit que les poids ne soient pas rangés en enfilade soient que les balances utilisées n’impliquent pas sa présence.
Quelques instruments de pesée sont datables de la transition entre les Ve et IVe s. a.C. et permettent de se faire une idée des profonds changements qui semblent s’opérer à cette période. Nous datons en effet de cette période les lots de la tombe 2 d’Orleyl (La Vall d’Uixó, Castelló) et de la tombe 200 d’El Cigarralejo (Mula, Murcia) dans le Levant ibérique. Il s’agit des instruments les plus anciens attestant l’utilisation d’une unité nouvelle comprise vraisemblablement entre 20,7 g et 21,9 g. La structure numérale des deux lots est relativement similaire, notamment en ce qui concerne l’utilisation des multiples 1 : 4 : 6. Dans le cas de la tombe d’El Cigarralejo, on y retrouve également un décuple. Il apparaît clairement que l’unité d’Orleyl est légèrement plus lourde, ce qui transparaît de manière évidente dans les multiples les plus lourds (le multiple 6 est égal à 132,88 g à Orleyl contre 125 g à El Cigarralejo).
Le double de l’unité structurante d’Orleyl se rapproche fortement de la masse des deux poids de la nécropole d’El Molar, ce qui peut être interprété de deux manières différentes. Il est tout d’abord possible que les poids d’El Molar soient, comme nous l’avons dit, dérivés d’une unité de 15 g, moitié de celle de 30 g utilisée dans la région “tartessienne”, et identifiée à El Oral. L’emploi de ces poids d’environ 44 g pourrait évoluer vers l’utilisation d’une nouvelle unité structurante égale à leur moitié, soit environ 22 g, que nous retrouverions alors à Orleyl et à El Cigarralejo dans une version allégée. L’autre possibilité consiste à voir la chronologie de manière inversée et que l’unité de 20-22 g apparaisse ex nihilo (ou que nous ne disposions pas des éléments propres à son développement) et que les poids d’El Molar y correspondent directement. En l’absence de datations plus précises, nous ne pouvons pas préciser cette question à l’heure actuelle.
Il faut également rappeler que ces deux contextes sont des tombes et que, par définition même, les poids de balance que nous y trouvons ne sont plus utilisés. Nous ne pouvons pas déterminer avec précision combien de temps ils ont été en fonction avant d’être déposés, mais il est clair qu’ils renvoient à une pratique au moins antérieure à la mise en scène funéraire.
Dans un premier temps au moins, il semblerait que l’unité structurante d’environ 20,7 g, identifiée à El Cigarralejo, mais également par les analyses quantales des séries de La Bastida de les Alcusses (Moixent, València) ou La Serreta (Alcoi-Concentaina-Penáguila, Alacant) ne soit pas clairement définie et normalisée. Le lot de la tombe 117 du Cabecico del Tesoro (Verdolay, Murcia), daté de la première moitié du IVe s. a.C., est, à ce propos, bien parlant puisqu’il associe vraisemblablement des poids structurés autour d’une unité de 19,5 g (notamment attestée par un décuple de 197,5 g) et une autre d’environ 20,15 g (dont le décuple pèse 209,5 g). On remarque en revanche une construction numérale très standardisée, notamment pour l’unité de 20,15 dont les multiples 4 : 6 : 10 sont exactement les mêmes que ceux de la tombe 200 d’El Cigarralejo et qu’une partie de ceux d’Orleyl. L’ensemble du Cabecico del Tesoro montre également la continuité de l’emploi d’une unité d’environ 36 g, héritage du Bronze final et du sud-ouest de la péninsule Ibérique, dont les fractions semblent alors être privilégiées aux multiples, notamment son quart, qui se manifeste ici via le poids CTes-E de 8,64 g.
Le IVe s. a.C. est clairement une période de “foisonnement métrologique” autour du littoral méditerranéen de la péninsule Ibérique (fig. 3-179). Il semble évident que durant ce siècle, la pratique se développe, se standardise partiellement et évolue. Malheureusement, nous ne sommes pas encore en mesure d’établir une chronologie fine des changements qui se manifestent. Il semble toutefois qu’une des composantes majeures de la métrologie “ibérique” soit alors l’emploi d’un système numéral relativement stable marqué par l’emploi d’une séquence de multiples 1 : 4 : 6 : 10 pour l’unité de 20,7 g et 1 : 3 : 5 pour l’unité de 41,2 g. Nous retrouvons cette construction dans les ensembles des departamentos 16 et 100 de La Bastida de les Alcusses, dans la construcción 27 du departamento b de Covalta (Albaida, València), mais également en filigrane au travers de la distribution et des concentrations de masses des instruments des sites de La Bastida, Covalta, El Tossal de Sant Miquel (Llíria, València), El Puig (Alcoi, València) ou encore La Albufereta (Alacant).
Cette structuration numérale n’est pas alors propre aux unités de 20,7 g et 41,2 g puisqu’on la retrouve autour d’une unité de 18,5 g sur le site de La Hoya (Guardia, Araba) dans la première moitié du IVe s. a.C. et partiellement autour d’une unité de 35,2 g (décuple de l’unité minimale de 3,52 g) au sein du lot conservé au M.A.N. de Madrid interprété comme punique (NI-Pun) et d’une unité d’environ 31 g) dans le deuxième lot de provenance inconnue du même musée (Ni-PI).
Cette construction numérique particulière, qui permet la création de plusieurs multiples à partir d’un nombre réduit de poids, se distingue des choix effectués durant le Ve s. a.C., notamment à Cancho Roano. Il semble qu’au IVe s. soient préférés des lots composés d’un nombre relativement réduit de poids qui s’approprient, au moins en partie, une dimension personnelle et privilégiée comme cela est suggéré par l’augmentation du nombre de poids dans les tombes (toujours associés alors à du mobilier de statut social élevé) et la disparition quasi-totale des marques numérales. Il est ainsi probable que durant une partie ou la totalité du IVe s. a.C., le domaine funéraire enregistre le monopole que détient une partie de l’élite sur la pratique de la pesée. Nous pouvons envisager que celle-ci s’accapare, par sa capacité à compter et mesurer, le contrôle quantitatif de certains produits matériels.
Les modifications métrologiques qui apparaissent à cette période (creusement mécanique de poids et ajout de bagues métalliques) trahissent un désir d’uniformisation métrologique non attesté antérieurement. Le manque d’indices de ce type de modifications sur les poids de tombes datées entre la fin du Ve s. et le milieu du IVe s. a.C. indique peut-être la datation plus tardive de ces préoccupations de standardisation, postérieure alors au milieu du IVe s. a.C.
La majorité des transformations subies par les poids datés du IVe s. a.C. trahissent le rapprochement vers une unité d’environ 20-21 g. Le poids Bas-231-A, pesant initialement 137,29 g (peut-être 6 fois une unité de 22,89 g et/ou 4 fois une autre 34,3 g) est allégé à 123,14 g, soit le sextuple de 20,52 g. De la même façon, le poids Bas-16-D est allégé de 43,59 g à 41,46 g (2 x 20,73 g), le poids Cov-G passe de 22,29 g à 19,97 g, le poids Bas-16-E de 85,24 g descend à 82,38 g (4 x 20,56 g) et le poids Bas-16-H qui pesait 217,41 g est allégé à 209,61 g (10 x 20,96 g). Certaines modifications de poids plus légers sont difficiles à caractériser, mais pourraient également aller dans le sens d’un recentrage autour d’une unité standard. C’est aussi de cette période qu’est datée la quasi-totalité des poids présentant des abrasions d’ajustement, ce qui semble indiquer un soin plus important accordé à la précision métrologique.
Les autres unités ne disparaissent pas complètement comme le montre bien la série de La Bastida où est toujours utilisée une unité d’environ 31,3 g et une autre d’environ 8,3 g. Cependant, ces unités sont plus discrètes et semblent prendre un rôle d’articulation entre systèmes métrologiques voire de conversion. En recentrant la précision et en choisissant des valeurs plus standardisées, il est probable qu’il devienne nécessaire de garder et consolider certaines unités qui demeurent dans la pratique traditionnelle, peut-être notamment lorsque la pesée fait intervenir des acteurs de régions éloignées.
Dans le courant du IIIe s., il apparaît clairement que de nouvelles mutations de la pratique pondérale voient le jour. La série de La Serreta montre une adhésion relativement bonne à l’unité d’environ 20,7 g et à la construction numérale traditionnelle. Il est donc probable que les pratiques métrologiques se maintiennent pendant au moins une partie de ce siècle. Les premiers poids dont la perforation centrale est obstruée (LS-H et LS-K) montrent des modifications métrologiques qui vont toujours dans le sens de la recherche d’une unité d’environ 20,7 g (les poids pèsent respectivement après modification 40,53 g et 41,26 g, soit 2 x 20,26 g et 20,63 g). Cependant leur présence prouve que cette perforation centrale perd sa fonction ou qu’elle ne revêt plus autant d’intérêt. Comme nous l’avons dit, son rôle est lié au moins en partie au rangement des poids, mais pourrait également être partie prenante du processus de pesée lui-même et au type de balance utilisé. Il se pourrait donc qu’un nouveau type de balance, probablement à deux bras et deux plateaux égaux, commence à être utilisé sur le littoral méditerranéen de la péninsule au cours du IIIe s. a.C.
Ces mutations sont vraisemblablement accentuées dans la deuxième moitié du siècle. Les ensembles des sites de Puntal dels Llops (Olocau, València) et de Giribaile (Vilches, Jaén) montrent de nouveaux usages métrologiques. Dans plusieurs cas, les poids de Puntal dels Llops présentent une perforation de taille réduite ou partiellement bouchée par des bagues, ce qui suggère la baisse de fonctionnalité de celle-ci.
Entre la fin du IIIe s. et le début du IIe s. a.C., la structure numérale “classique” semble définitivement abandonnée et les unités antérieurement employées n’apparaissent plus qu’en filigrane sans que l’on puisse dire si elles gardent un rôle structurant. Le nombre de poids sans perforation centrale augmente drastiquement (passage de moins de 7 % avant le IIIe s. a.C. à plus de 40 % après) et il est probable que les usages de rangement changent. Nous savons grâce au dépôt funéraire de la tombe 145 d’El Cigarralejo, qu’au moins à la fin du IIe s. a.C., la balance à deux plateaux égaux est connue et utilisée. Il est probable, au vu des différents éléments exposés, que la disparition de la fonction de la perforation centrale des poids ibériques soit directement liée à l’usage grandissant de la balance à deux plateaux.
Ces quelques jalons géographiques et chronologiques, malgré leur faible nombre, permettent de comprendre les grandes lignes du développement de la pratique pondérale en péninsule Ibérique au Second âge du Fer. Il apparaît assez clairement que celle-ci est un héritage à la fois morphologique et métrologique des usages du Bronze final et du Premier âge du Fer. Son développement se fait selon deux axes, depuis le sud-ouest péninsulaire, l’une vers le nord et l’autre vers l’est. À partir du IVe s. a.C., c’est clairement cette seconde zone géographique qui devient le foyer du développement et de la complexification des processus de pesée et c’est essentiellement là que l’on peut en discerner les traits d’évolution chronologique.
Il demeure une distinction réelle entre le paysage métrologique dans l’axe Guadiana-Pays Basque et celui de la côte méditerranéenne de la péninsule. Le premier est caractérisé par des formes de poids relativement peu nombreuses, l’emploi de marques numérales et de deux unités structurantes principales d’environ 31 et 36 g qui tendent à s’entremêler sur certains sites comme Cancho Roano. L’est de la péninsule est, quant à lui, marqué par l’utilisation de poids essentiellement non marqués, bien qu’une certaine abondance d’unités distinctes soit constatée, et dont les formes sont plus nombreuses malgré une prédominance des troncs de cône. L’absence d’information numérale, le dépôt dans les tombes et la constitution de lots aux constructions numérales stables laissent envisager un caractère privé et élitaire de la pratique de pesée dont certaines constantes sont partagées à grande échelle.
2. Des pratiques au fonds culturel commun
Une toile de fond pondérale à défaut
d’être métrologique
Bien qu’il soit impossible de parler d’un système métrologique commun, ni même d’une pratique pondérale commune, en péninsule Ibérique au Second âge du Fer, il est clair qu’un fonds traditionnel commun existe et se maintient durant toute la Protohistoire. Cette toile de fond est constituée tout d’abord par les poids eux-mêmes dont la forme doit être associable à la fonction pondérale dans toute la péninsule alors même qu’elle doit paraître inintelligible à bien des marchands étrangers. Cette forme singulière véhicule avec elle des pratiques de stockage des outils et probablement, au moins pendant un temps, un type de balance et de pesée bien particulier.
À cela il faut ajouter une utilisation dans des intervalles de mesures similaires sur toute la péninsule entre au moins le Ve et le milieu du IIIe s. a.C. Dans la plupart des cas, l’unité structurante est relativement lourde (15-35 g) et le maximum mesurable dépasse rarement les 500 g. On trouve des fractions, mais en nombre réduit, et elles paraissent être les éléments les moins standardisés de la pratique. Ces caractéristiques rapprochent plus entre eux, en termes de conception de la mesure pondérale, les différents groupes de la péninsule utilisant des instruments de pesée, que de n’importe quelle population étrangère avec laquelle ils peuvent commercer. Nous avons notamment pu voir dans le chapitre précédent la mise en œuvre bien différente des poids du navire d’horizon phénicien qui a sombré au Bajo de la Campana (San Javier, Murcia).
Durant la période ibérique, les contacts avec les populations puniques et grecques sont réguliers et intenses. Ils s’appuient sur des échanges de produits et de matériaux mais aussi sur l’installation de colonies phénico-puniques dans le sud-est de la péninsule (La Fonteta, La Picola, Carthago Nova) et grecques dans le nord-est (Emporion, Rhode ; fig. 3-1)257. L’état de la recherche montre les nombreuses tentatives de rattachement de l’origine des systèmes métrologiques péninsulaires à ceux de Méditerranée centrale258, en particulier ceux fondés sur le shekel ougaritique de 9,4 g et sur la drachme athénienne de 4,36 g.
À ce titre, les travaux sur la langue ibère montrent qu’il existe vraisemblablement un certain consensus dans l’écriture de trois valeurs métrologiques, marquées a, o et ki qui pourraient entretenir un rapport décimal entre elles et correspondre respectivement à environ 420 g, 42 g et 4,2 g. Nos propres analyses des poids de balance apportent un certain nombre d’éléments qui corroborent ces hypothèses. En effet, nous avons pu constater qu’une unité d’environ 41-42 g, et parfois sa moitié, structurent fortement la majorité des poids de balance trouvés sur le littoral méditerranéen de la péninsule Ibérique. Nous avons également pu constater que la construction quinaire (base 5) ou décimale base (10) sont de loin les plus fréquentes dans la construction métrologique des lots de poids dans l’ensemble de la péninsule.
Il nous faut toutefois nuancer le degré de normalisation de telles unités et leur mise en relation avec d’autres système (J. Vidal compare notamment l’unité ki d’environ 4,2 g à une drachme259). À ce jour, nous ne connaissons que deux poids pouvant correspondre à l’unité a : le poids SCG-A piriforme en pierre et bélière en fer, de 423,78 g, mis au jour à Santa Coloma de Gramanet (Barcelona) et qui sert de support à la restitution du système a-o-ki (voir le chapitre “Numéroter les poids”, p. 313) ; et le possible poids tronco-pyramidal en plomb LA-AW de 424 g trouvé à l’Alcúdia (Elx, Alacant). Pour ce qui est de l’unité ki, qui correspondrait selon certains auteurs à la drachme260 et serait à l’origine du système, notre corpus ne contient que 7 poids (sur 438) compris entre 4 et 4,5 g (environ 4,2 g +/- 5 %). De plus, les seuls poids qui portent des marques numérales du système a-o-ki sont le poids SCG-A, déjà mentionné, daté très largement entre la fin du VIe et le début du IIe s. a.C.261 et un poids en pierre découvert au Puig de la Misericòrdia (Vinaròs, Castelló), a priori daté de la fin du IIe s. a.C.262. Ces deux artefacts partagent peu de points communs avec la majorité de ceux traités dans ce chapitre. Tout d’abord, d’un point de vue chronologique, celui de Puig de la Misericòrdia est plus récent que ceux de notre corpus, ce qui a justifié le fait de ne pas l’y intégrer, et la datation de celui de Santa Coloma de Gramanet reste approximative. Morphologiquement, il s’agit de deux poids dont le corps est en pierre, un procédé que nous n’observons que très rarement en péninsule Ibérique, et ils n’appartiennent pas réellement à la catégorie des “poids ibériques”. Le poids SCG-A se rapproche clairement plus de production que nous avons vu plus tôt pour l’âge du Bronze et l’âge du Fer en Europe moyenne et dans les îles Britanniques et le celui du Puig de la Misericòrdia, bien que cylindrique, ne présente pas de perforation centrale. Enfin, c’est leur distribution spatiale qui finit de les mettre en marge du phénomène observé ici. En effet, le poids SCG-A correspond au point le plus au nord-est de notre corpus en péninsule Ibérique. Le Puig de la Misericòrdia se trouve plus au sud mais dans une zone également vide de données mis à part les deux poids de San Antonio (Calaceite, Teruel ; fig. 3-180).
Par conséquent, nous constatons que si les textes portant des formules métrologiques liées au système a-o-ki sont trouvés sur le littoral du domaine valencien et de la Catalogne, les poids portant de telles marques n’apparaissent que dans les zones les plus septentrionales. Nous pouvons ainsi nous demander à quel point ce système métrologique écrit correspond à une réalité de la pratique ibérique ou résulte d’une clarification des informations métrologiques. En effet, notre étude met en avant la très faible nécessité d’indiquer les valeurs des poids de balance le long du littoral méditerranéen de la péninsule (ou tout du moins dans une zone large autour du valencien). Nous pouvons nous demander si l’apparition de poids portant des marques métrologiques issues du système écrit dans le nord-est de la péninsule, et donc plus proches des colonies grecques, ne correspond pas au besoin de rendre visible à d’autres une information qui va de soi pour les populations ibériques.
Dans les zones plus occidentales de la péninsule, nous avons pu voir que les constructions métrologiques, bien qu’elles soient globalement convertissables les unes vers les autres, sont moins homogénéisées que sur le littoral méditerranéen. Le rapport avec un shekel d’environ 9,4 g est envisageable d’un point de vue mathématique, mais les systèmes numéraux sont clairement locaux et présentent une grande variété. Cet éclatement de l’architecture métrologique est probablement l’un des meilleurs arguments pour penser que la pratique de la pesée mise en œuvre dans ces régions, à l’âge du Fer, n’a pas pour vocation de copier ou de s’adapter à un système endogène. En revanche, le véritable facteur d’homogénéité est la visibilité de l’information numérale. Ainsi, nous trouvons de manière systématique des poids dont la valeur sur le système métrologique est indiquée au moyen de marques simples depuis les embouchures des fleuves Guadiana et Guadalquivir jusqu’à l’ouest des Pyrénées. L’usage d’un marquage des valeurs numérales des poids pourrait correspondre ici à une solution de fluidification de l’information dans un contexte où plusieurs unités et structures métrologiques, globalement convertissables, existent.
Nous avons pu constater que peu de tentatives de véritable normalisation pondérale ne laissent de traces antérieurement au milieu IVe s. a.C. et il s’agit alors plus d’une standardisation de pratiques existantes que de l’établissement d’une quelconque norme. L’utilisation de mêmes unités métrologiques, qu’elles soient de capacité, de longueur ou de masse, n’ont jamais posé problème dans la mise en œuvre d’un processus de mesure comparative. Le plus important est l’inter-intelligibilité des outils et du procédé de la part des acteurs. Or, c’est exactement ce qui est observable en péninsule Ibérique : une pratique non standardisée, mais homogénéisée et donc compréhensible par tous ses acteurs.
Une histoire de réseaux
Si les procédés et les outils de pesée sont probablement intelligibles de la part de tous les “peseurs” de la péninsule, la question demeure de savoir si une réelle utilisation dans le cadre de contacts intra-péninsulaires a existé. La pesée est souvent associée au commerce, mais on aurait tort de vouloir attribuer une fonction commerciale systématique à des outils dont l’attribution première est d’estimer une masse. En effet, si le développement des instruments de pesée dans tout le monde méditerranéen central et oriental est fortement attaché à des activités commerciales, il ne faut pas négliger le poids de l’administration et de l’imposition dans ce processus263. La nécessité de compter, de comptabiliser, de mesurer prend alors une dimension incontournable et toute transaction se doit d’être commensurable. Nous venons notamment de voir que l’information métrologique contenue par les poids de balance est peu intuitive depuis l’extérieur, notamment sur le littoral méditerranéen de la péninsule.
Dire que nous ne connaissons peu l’organisation politique, économique et administrative de la péninsule Ibérique protohistorique est un euphémisme. Nous savons toutefois que la pesée n’y acquiert jamais le degré de démocratisation et l’omniprésence qu’on lui trouve dans le Bassin égéen264, en Mésopotamie265 ou sur la côte Syro-Palestinienne266 depuis au moins le IIe millénaire a.C. Dans ces régions, de nombreux systèmes métrologiques pondéraux sont utilisés dans des contextes précoces d’échanges commerciaux267 et de systèmes administratifs complexes268, le tout fondé sur l’usage d’un moyen d’estimation de la valeur sous la forme d’étalons métallique et l’existence d’une monnaie d’argent non frappée269. La majorité de ces systèmes sont facilement convertissables et sont utilisés dans le cadre de pratiques commerciales à large échelle. Toutefois, cette situation résulte d’un développement précoce de la métrologie pondérale, peut-être dès le IVe millénaire a.C., et d’un système politique, économique et administratif propice à une telle évolution. La situation est différente en péninsule Ibérique où les premiers vestiges d’une pratique de pesée sont bien plus récents.
La pratique de la pesée atteint progressivement au cours de l’âge du Fer une complexité et une homogénéisation que nous ne retrouvons nulle part ailleurs en Europe occidentale (poids de balance en alliage cuivreux d’une forme originale, balances d’un type particulier, systèmes métrologiques complexes dans des ordres de valeur similaires). Elle s’appuie essentiellement sur des structures relativement répétitives du point de vue de la construction numérale (nombres réduit de poids, généralement pas de multiple supérieur au décuple, peu de fractions) et des intervalles mesurables assez légers (inférieurs à 500 g pour la totalité des lots connus). La situation semble relativement stable jusqu’aux alentours de la deuxième moitié du IIIe s. a.C. où nous voyons apparaître les premiers marqueurs de changements (disparition de la perforation centrale des poids, utilisation de poids creux à Puntal dels Llops, pesée de matériaux plus lourds à Giribaile).
Cette constance dans le temps et dans l’espace montre une utilisation de la pesée complètement intégrée au sein de la société ibérique – ou d’une part de celle-ci – et non pas une réponse à des sollicitations exogènes (adaptation ou adoption de systèmes métrologiques étrangers dépendant des relations extra-péninsulaires) qui seraient hétérogènes dans le temps et dans l’espace (contacts et échanges privilégiés avec les populations phénico-puniques dans les zones méridionales et avec les Grecs dans l’est et le nord-est de la péninsule) à partir des VIe-Ve s. a.C. Cependant, le nombre d’instruments de pesée reste assez faible et il est difficile de considérer la pratique de la pesée comme un procédé quotidien et démocratisé. Il apparaît plutôt que cette pratique n’est partagée que par une sphère sociale élevée. Les instruments de pesée retrouvés au sein de dépôts métalliques ou en contexte funéraire tendent à confirmer le caractère privilégié de la pratique de la pesée. Dans l’habitat, il est rare d’en trouver plus de quelques exemplaires, à quelques exceptions près, même lorsque les sites sont détruits violemment et ne font pas l’objet d’une récupération de matériel. Ces différents éléments corroborent l’idée d’une pratique pondérale maniée uniquement par une frange réduite de la population dont le statut social est vraisemblablement élevé. Sans pouvoir dire avec certitude quelle fonction remplit la pesée, nous remarquons une association ponctuelle avec des marqueurs d’activités de production telle que la métallurgie (La Cervera à La Font de la Figuera, València270, La Bastida de les Alcusses à Moixent, València, la tombe 100 “de l’orfèvre” du Cabezo Lucero à Guardamar del Segura, Alacant271) ou l’activité textile (Cancho Roano272, La Bastida de les Alcusses273, tombe 200 de la nécropole d’El Cigarralejo274).
Nous savons que dans des cultures chrono-géographiquement bien éloignées, la civilisation inca en particulier, des systèmes d’imposition et de redistribution s’appuient sur les fibres textiles, les tissus et les vêtements275. Plusieurs contextes anciens attestent de l’utilisation de la pesée afin de quantifier des matières textiles, comme dans l’Égée276 ou le Proche-Orient277 de l’âge du Bronze par exemple, et il est tout à fait possible que cela ait également été le cas en péninsule Ibérique. De plus, il faut noter que ces deux activités productives – métallurgique et textile – prennent souvent place au sein même de l’habitation ibérique et vraisemblablement dans des proportions qui dépassent le simple cadre de l’unité familiale278.
L’analyse des instruments de pesée des VIe-IIIe s. a.C. en péninsule Ibérique montre une cohésion morphologique à l’échelle du territoire qui s’associe d’une conception relativement homogène de la pratique pondérale : les lots sont composés d’un petit nombre d’éléments, ils permettent de peser des valeurs relativement réduites (jusqu’à 500 g au maximum) et sont fondés sur l’usage d’un système de comptage quinaire/décimal. En revanche, nous constatons que plusieurs unités coexistent durant toute la période bien qu’au cours des IVe-IIIe s. a.C., certains efforts soient vraisemblablement réalisés pour homogénéiser les systèmes et les équivalences métrologiques. Malgré l’orientation de la tradition historiographique, nous observons peu d’indices suggérant que ces systèmes soient alignés volontairement sur ceux des Puniques ou des Grecs. Les quelques fenêtres ouvertes sur les IIe et Ier s. a.C. laissent penser qu’aucun alignement réel avec le système métrologique romain ne voit non plus le jour avant le changement d’ère. Ces observations n’impliquent pas, en tant que telles, que la pesée se fasse dans des contextes uniquement “intra-péninsulaires” et il est tout à fait envisageable que des pesées aient été réalisées entre Ibères et Grecs ou entre Ibères et Puniques, en utilisant les instruments des uns et/ou des autres. Il est peu probable que cela ait posé le moindre problème étant donné la grande souplesse qui est généralement accordée par la pesée commerciale, comme le montrent aussi bien les exemples archéologiques, historiques qu’anthropologiques.
Les différentes observations faites montrent que la pesée a probablement pu être utilisée, comme c’est le cas de nos jours, dans des contextes très variés allant de la sphère de la production au domaine cultuel. Il ressort en revanche une certaine homogénéité dans le statut social des individus associés à la plupart de ces instruments : dans les sépultures aisées des nécropoles, associés à un individu portant un anneau à chaton à La Celadilla, dans les quartiers contrôlant les ressources à La Bastida de les Alcusses ou à Tossal de Sant Miquel, dans un “palais-sanctuaire” à Cancho Roano, dans une maison où la sphère cultuelle est fortement marquée à Puntal dels Llops… Sur la base de ces éléments, nous pouvons vraisemblablement admettre que la pratique de la pesée en péninsule Ibérique, pour les VIe-Ier s. a.C., est rattachée de manière privilégiée à une sphère dominante de la population : celle qui possède les ressources agricoles et minérales, qui contrôle la production métallique et textile, qui assure à titre privé ou public des activités religieuses ou magiques. Par conséquent, si la pesée est intégrée dans des réseaux, il est probable que ces derniers soient avant tout inter-élitaires et internes à la péninsule Ibérique avant d’être tournés vers le commerce méditerranéen.
Un millénaire de pesée
en Méditerranée occidentale
La péninsule Ibérique représente, par bien des aspects, une particularité au sein de l’Europe occidentale protohistorique. À la différence de ce que nous avons pu observer dans le nord-ouest de l’Europe (actuels territoire français, suisse et anglais), il s’y développe une pratique de la pesée dont nous pouvons identifier des marqueurs archéologiques relativement homogènes depuis les environs du XIe s. a.C. jusqu’au changement d’ère. Bien que certaines périodes et certains lieux soient plus riches en vestiges que d’autres, il est possible de dresser un bilan assez complet de ses principales caractéristiques et tendances.
I. Innovation ou adaptation, nouveautés
ou persistances ?
L’une des principales clés de compréhension des enjeux de la pratique de la pesée en péninsule Ibérique durant la Protohistoire repose sur la caractérisation de ce qui est à mettre sur le compte de la nouveauté et de ce qui tient de la tradition. L’un des paradigmes de la recherche sur le sujet a clairement été d’attribuer un poids majeur aux apports extérieurs au détriment des impulsions locales. L’une des particularités de la péninsule Ibérique a en effet été son intégration continue à des réseaux de contacts et d’échanges atlantiques, continentaux et méditerranéens depuis le Bronze ancien jusqu’au changement d’ère. Dans ce cadre, l’implication des populations péninsulaires dans les processus a souvent été minorée voire déniée et il est le plus souvent admis qu’elles utilisent des systèmes métrologiques alignés ou dérivés de ceux employés par les marchands phéniciens, puniques ou grecs qui commercent avec elles.
Nous avons constaté que l’analyse des vestiges les plus anciens de la pratique de pesée, observables par l’archéologie, et leur évolution dans le temps permet de reconsidérer en grande partie ce schéma. Les plus anciens instruments de pesée connus en péninsule Ibérique sont attribués à des contextes autochtones du sud-ouest de la péninsule, comme par exemple à Monte do Trigo (Idanha-a-Nova, Beira Interior Sul), datés entre la fin du XVe et la fin du Xe s. a.C. ou dans le dépôt de la Ría de Huelva, daté de 1004-926 cal. BC. Il est alors assez évident que, dès ses premières manifestations archéologiques, la pesée prend en péninsule Ibérique vers une forme qui n’a pas de parallèle en Méditerranée. Les poids sont systématiquement fabriqués en bronze, alors que la grande majorité des poids utilisés en Méditerranée sont en pierre ou en plomb, et ils adoptent des formes singulières (bitronconiques, biconiques ou octaèdriques). La période, où ces poids apparaissent, correspond clairement à celle des premiers contacts avec des navigateurs phéniciens. Toutefois, il ne s’agit pas, loin de là, des premiers contacts des populations du sud péninsulaire avec des étrangers par le biais de relations maritimes. Avant les Phéniciens, ils sont en contacts avec les Chypriotes, avant eux avec les Mycéniens probablement279, et avant cela, ils sont connectés par le biais de réseaux atlantiques à des populations dont l’origine est probablement à faire remonter jusqu’à à la Scandinavie280 vers le nord.
Par conséquent, si un changement se produit à l’époque où apparaissent les premiers poids de balance dans le registre archéologique, il n’est pas de l’ordre de l’apparition d’étrangers auprès de populations isolées, à la manière de ce qui a pu se passer à la fin du XVe s. dans les Amériques, mais avant tout d’un changement d’interlocuteur. Cela se caractérise peut-être par une modification dans la régularité et l’intensité des échanges, dans leurs modalités ou encore par la nature des produits échangés. C’est notamment à partir de ce moment que vont apparaître dans le sud-ouest de la péninsule de nouvelles technologies comme la fonte à la cire perdue, la fonte additionnelle ou le tour de potier ainsi que de nouveaux matériaux comme le fer, le verre, l’ambre ou l’ivoire, toutefois certains sont déjà connus en Europe atlantique et pourraient donc arriver par des réseaux nord-sud281. Il est en revanche peu probable que les premiers contacts avec des populations phéniciennes aient entrainé la transformation profonde des structures et des pratiques socio-économiques des populations locales dans ces premiers temps.
L’idée que les instruments de pesée apparaissent à la suite des contacts avec les Phéniciens plutôt qu’avec d’autres populations étrangères est donc envisageable. Toutefois, comme nous l’avons, dit les matériaux et formes adoptés par ces poids sont clairement originaux. En termes de métrologie en revanche, nous observons clairement des parallèles possibles avec une unité utilisée en Méditerranée : le shekel “ougaritique” de 9,4 g. À Monte do Trigo, nous pourrions ainsi avoir très précocement quatre poids correspondant à un ratio 1/10 : 1 : 2 : 4 d’un tel shekel. Il est également possible qu’une autre unité, correspondant peut-être au shekel de 8,3 g ait été employée à la même époque, le poids de la Ría de Huelva pourrait notamment lui correspondre. Pourtant, à partir du VIIIe s. a.C., les établissements phéniciens installés sur la côte de la péninsule Ibérique livrent des poids de balance qui présentent des constructions différentes de celles employées par les populations locales. Les poids sont cubiques et en plomb, mais surtout, ils présentent une plus grande complexité métrologique et ne s’appuient que ponctuellement sur un possible shekel de 9,4 g.
Le schéma linéaire d’une adoption d’un système métrologique exogène s’applique en résumé assez mal à ce que nous observons dans le sud-ouest de la péninsule Ibérique au Bronze final et au début de l’âge du Fer. Si les populations locales adoptent potentiellement certaines des caractéristiques du système métrologique fondé sur le shekel de 9,4 g, cela ne peut en aucun cas être comparé à une véritable adoption de système métrologique. Nous savons notamment par les différentes découvertes et études faites en Méditerranée centrale et orientale qu’une grande partie des poids de balance utilisés au cours de l’âge du Bronze sont destinés à peser des matériaux lourds et que les systèmes métrologiques comportent plusieurs unités telles que des mines d’environ 500 g ou des talents de plusieurs kilogrammes qui sont largement supérieures à ce que nous trouvons en péninsule Ibérique où le poids local le plus lourd pèse 37 g (MTrig-C). Au contraire, nous tendons plutôt à observer une adaptation de la pratique de pesée phénicienne en péninsule Ibérique où nous ne trouvons, dans les établissements phéniciens, que des poids légers : les deux plus lourds, trouvés à La Fonteta (Guardamar del Segura, Alacant), pèsent 59,8 g (LF-V) et 36,7 g (LF-U).
Il est peu probable qu’il nous faille inverser totalement le paradigme interprétatif de l’usage des instruments de pesée en péninsule Ibérique au Bronze final et au début de l’âge du Fer. Il est en revanche certain qu’une reconsidération du rôle des populations péninsulaires dans le processus est nécessaire. Une hypothèse qu’il est possible d’envisager est qu’au moment des premiers contacts entre les navigateurs phéniciens et les habitants du sud-ouest de la péninsule Ibérique, ces derniers maîtrisent déjà certains aspects de la pratique de pesée. En raison de l’intérêt récent porté sur le sujet, pour les périodes anciennes, il est probable que de nombreux marqueurs d’une telle activité soient encore à identifier. Il est également possible que la pesée soit effectuée selon des modalités laissant peu de vestiges matériels. Ce serait notamment le cas d’une pratique ne mettant pas en jeu d’importantes quantité de poids de balance voire aucun système métrologique matériellement fixé. Une telle pratique peut par exemple servir dans le cas, souvent mentionné, d’une calibration pondérale de produits finis métalliques. Un tel résultat peut aisément être obtenu en se contentant de peser l’objet à reproduire et la masse de métal nécessaire pour en réaliser une copie. Il faut notamment considérer le fait que nous connaissons un fléau de balance dans l’ouest de la France (Grotte des Perrats, Agris) dès le Bronze moyen, soit au moins trois siècles avant les plus anciens poids identifiés en péninsule Ibérique.
Nous pouvons donc envisager que les interactions avec les populations phéniciennes créent un double processus. D’une part, ces nouveaux rapports amènent les populations péninsulaires à fabriquer leurs propres poids de balances selon des procédés qu’ils maîtrisent peut-être déjà : la calibration de métaux fusibles. De manière opportuniste ou afin de faciliter certaines circulations d’informations de grandeurs ou de valeurs, ils adoptent l’unité de 9,4 g pour créer leur propre système ou adaptent une unité locale afin de créer un système facilement intelligible dans le cadre des échanges avec les Phéniciens. D’autre part, ces derniers privilégient alors la fabrication de poids de balance de petits calibres sur les comptoirs plutôt que les poids lourds habituellement utilisés et dont l’existence persiste dans leurs échanges commerciaux comme nous le prouve l’épave du Bajo de la Campana. Cette hypothèse permettrait également d’expliquer l’emploi massif de l’unité de 9,4 g plutôt qu’une autre dans le navire, celle-ci présentant alors une meilleure adéquation avec des pratiques indigènes.
Le contexte d’apparition des premiers instruments de pesée connus par l’archéologie en péninsule Ibérique, et du système métrologique qui lui est attaché, permet également de mieux comprendre l’évolution des pratiques métrologiques en péninsule Ibérique à partir du VIe s. a.C. Nous avons pu distinguer deux zones d’utilisation d’instruments de pesée. La première, qui s’étend de l’embouchure du Guadiana aux environs du Pays Basque, montre le plus d’affinités avec les pratiques locales antérieures. En effet, les formes de poids sont majoritairement bitronconiques, comme la plupart des formes cylindroïdes qui apparaissent au Bronze final, et les systèmes métrologiques montrent une bonne affinité avec une unité d’environ 9-9,4 g. En revanche, celle-ci n’est jamais structurante des systèmes. L’habitude devient alors de construire des lots autour d’unités plus lourdes, globalement entre 15 et 36 g et les intervalles mesurables augmentent. En plus de cela, cet espace géographique est caractérisé par l’emploi de marques numérales qui facilitent le repérage au sein de chaque système métrologique. Le parallèle avec le shekel de 9,4 g est traditionnellement considéré dans la littérature comme une marque du maintien d’une homogénéité métrologique avec les Phéniciens282. Pourtant, les populations de l’Orient méditerranéen ont de nombreux siècles de tradition de la pesée et n’ont jamais montré le moindre signe d’une réelle tentative d’uniformisation métrologique entre des populations commerçant ensemble. La raison principale à cela est que l’usage de systèmes métrologiques différents ne réduit pas réellement la fluidité des mesures et des échanges dans le commerce. Au contraire, nous observons que même lorsqu’ils s’installent sur les côtes ibériques, ils n’adoptent pas un seul système métrologique dans leurs établissements. L’argument de l’usage du shekel de 9,4 g à Cancho Roano (Zalamea de la Serena, Badajoz), par exemple, comme marqueur de la régularité des échanges avec les Phéniciens ne nous semble donc guère recevable. Il semble plus probable d’envisager que nous observions à partir du VIe s. a.C., de l’embouchure du Guadiana au Pays Basque, mais également au Portugal (ex : Azougada, Moura, Baixo Alentejo), une évolution des pratiques héritées du Bronze final dont il nous manque quelques jalons chronologiques. Elles sont alors très probablement mieux connectées à ce qui est pratiqué dans le reste de la péninsule qu’aux problématiques des navigateurs de la Méditerranée.
Les vestiges archéologiques étant plus rares dans les sites locaux des VIIIe-VIIe s. a.C., nous ne pouvons pas restituer avec finesse les phénomènes qui amènent à l’adoption, sur le littoral méditerranéen de la péninsule Ibérique, de poids et balances de morphologie similaire à ceux qui existent vraisemblablement au moins dès le XIe s. a.C. dans le sud-ouest. Deux scénarios peuvent globalement être envisagés. Le premier est que cette diffusion se fasse par le prisme des commerçants phénico-puniques. Nous avons notamment pu remarquer, que bien que ténus, les indices les plus anciens de la pratique dans la région semblent apparaître autour de l’embouchure du Segura où certaines de leurs caractéristiques peuvent amener à les rapprocher de ce que nous connaissons plus à l’ouest : poids de formes cylindriques (pas encore de tronconiques) ; possibles multiples d’une unité d’environ 15 g à El Molar et El Oral (San Fulgencio, Alacant) ; emploi d’un fléau à deux bras égaux en alliage cuivreux à El Oral entre la fin du VIe et la fin du Ve s. a.C. Toutefois, ces modalités sont plus proches de ce qui est connu dans les sites autochtones du sud-ouest de la péninsule que dans le site phénicien voisin de La Fonteta (Guardamar del Segura, Alacant).
À la Fonteta, la plupart des poids sont de forme plano-convexe ou cubique et alignés sur un shekel de 9,1-9,4 g. Si cette unité est peut-être représentée à Cabezo Lucero, c’est uniquement pour le poids CL-B de la tombe 100, daté du milieu du IVe s., notamment par une céramique attique à vernis noir283. De plus, les marques numérales (4 points) que porte le poids indiquent qu’il correspond probablement au quart d’une unité d’environ 37 g, comme ce que nous connaissons à Cancho Roano. Cette sépulture ayant livré des matrices de décoration probablement plus anciennes que la tombe d’au moins un siècle284, il n’est pas impossible que d’autres éléments, comme les instruments de pesée, le soient également.
Cela nous amène donc à un deuxième scénario, qui nous paraît plus vraisemblable au vu des données disponibles : l’idée d’une diffusion de la pratique de pesée du sud-ouest vers le sud-est selon des réseaux indigènes. Nous pouvons envisager que cet axe de communication suive globalement l’axe du Guadalquivir et du Segura (fig. 3-181), bien que nous disposions d’un nombre limité de données et qu’un corpus plus étoffé sera nécessaire pour l’affirmer. Dès la transition entre le Ve et le IVe s. a.C., plusieurs indices montrent que la pesée est bien intégrée et utilisée de façon complexe, au moins par certains individus particulièrement aisés et/ou haut placés dans la hiérarchie sociale (tombe 200 d’El Cigarralejo, tombe 2 d’Orleyl). Le territoire concerné est peut-être dès ce moment vaste puisque les deux sites sont séparés par environ 300 km et qu’ils indiquent une probable diffusion des pratiques vers le nord. Dans les décennies qui suivent, la pesée prend vraisemblablement une place de plus en plus grande dans certaines pratiques sociales comme le suggère leur identification régulière sur les sites d’habitats (29 sites péninsulaires à vocation domestique livrent des poids dont la chronologie est postérieure à la transition Ve-IVe s. a.C.). Ce constat est probablement particulièrement vrai pour l’est de la péninsule, et surtout autour des provinces de Castelló, València, Murcia et Albacete. Pour la même période toutefois, nous identifions également des poids de balance dans le Pays Basque (La Hoya, Munoaundi) ce qui suggère une utilisation sur une très large zone géographique dès les premières décennies du IVe s. a.C. selon des modalités propres à chaque région malgré un schéma général homogène : intervalle mesurable qui ne dépasse pas 500 g, unités structurantes relativement lourdes (env. 15-40 g), lots composés d’un nombre réduit de poids. À la même période, les marqueurs d’une persistance des pratiques métrologiques dans l’ouest de la péninsule sont plus discrets. Toutefois, l’étude récente des poids d’Azougada (Moura, Baixo Alentejo), datés du Ve ou début du IVe s. a.C., dont les caractéristiques morphologiques et métrologiques les rapprochent grandement des exemplaires de Cancho Roano, laisse penser que cet effet de vide pourrait principalement résulter de l’état de la recherche.
Certaines régions à l’intérieur des terres sont plus difficiles à documenter, peut-être pour les mêmes raisons. Nous savons grâce aux instruments identifiées dans la nécropole de Centenares (Luzaga, Guadalajara), à Llano de la Horca (Santorcaz, Madrid), Giribaile (Vilches, Jaén), Haza del Arca (Uclés, Cuenca)285, Villanueva de la Jara (Cuenca)286, San Antonio de Calaceite (Teruel) qu’entre le début du IVe et la fin du IIIe s. a.C., la pesée est pratiquée dans une grande partie de la moitié orientale de la péninsule Ibérique, selon des modalités qui évoluent relativement peu. Faute de données abondantes, il est plus difficile de savoir de quelle manière et quand sont adoptés les instruments dans ces régions.
Les contacts et les échanges avec le reste de la Méditerranée jouent un rôle majeur, dès le Bronze final, dans la constitution des cultures matérielles en péninsule Ibérique. Nous pouvons toutefois constater que les caractéristiques et le schéma évolutif de la pratique de la pesée dans cet espace géographique s’adapte relativement mal à une théorie de réception ou de réaction à la colonisation phénicienne, punique et grecque et montre en revanche une forte interconnexion et homogénéité du cadre général de la pratique selon des réseaux intra-péninsulaires. Sans qu’il ne faille complètement remettre en question l’impact des relations avec les navigateurs méditerranéens dans le développement d’une pratique de la pesée, les résultats que nous apportons semblent éclairer une importante dynamique interne aux populations péninsulaires.
II. Peser quoi ou peser pourquoi ?
L’interrogation sur les matériaux pesés par les populations anciennes sont nombreuses, aussi bien au sein des travaux antérieurs que dans celui présenté ici. Cependant, il s’agit peut-être de la mauvaise question. En effet, elle implique que la pratique de pesée soit intrinsèquement liée à certains matériaux ou certains produits. Bien que cela soit probablement partiellement vrai, poser une telle question tend à nous éloigner d’un problème qui nous semble plus important et plus accessible : le cadre social de cette pratique dans les communautés locales de la péninsule Ibérique. Nous avons en effet pu constater que les instruments de pesée semblent revêtir un statut particulier dès les premiers moments où ils sont identifiés dans le registre matériel. À Monte do Trigo (Idanha-a-Nova, Beira Interior Sul, v. XIVe-Xe s. a.C.), ils sont trouvés dans un probable dépôt de fondation, lié à la construction de la muraille du site287. Dans la Ría de Huelva (Xe s. a.C.), un poids est associé à un dépôt d’artefacts métalliques prestigieux288. Un autre élément allant dans ce sens est la représentation de possibles poids de balance sur des “stèles de guerriers” des vallées du Guadiana et du Zújar (fig. 3-182). Ces stèles en pierre représentent des silhouettes anthropomorphes généralement associées à des marqueurs de statut privilégié, essentiellement liés à la sphère guerrière (lances, épées, boucliers, casques, arcs, cuirasses et chars) mais auxquels s’ajoutent des rasoirs, des miroirs, des peignes, des pincettes, des fibules ou encore des instruments de musique289. Plusieurs d’entre elles présentent des séries de points, parfois de taille croissante, qu’il est vraisemblable d’interpréter comme des poids de balance290. Ces stèles sont souvent trouvées hors contextes mais leur datation est généralement établie au Bronze final, notamment sur la base du mobilier représenté291.
Cette dimension sociale particulière semble perdurer dans les siècles suivants que ce soit au travers des nombreux dépôts qui contiennent des poids de balance durant le Bronze final et le début de l’âge du Fer, dans leur utilisation dans des sites à forte vocation cultuelle et élitaire comme Cancho Roano (Zalamea de la Serena, Badajoz) ou dans les sépultures élitaires de la période ibérique l’est de la péninsule. Même lorsqu’ils sont trouvés en abondance sur des sites, les contextes de découverte permettent de relier les instruments de pesée à des activités élitaires de contrôles des matériaux et des productions, comme le démontrent l’exemple de La Bastida de les Alcusses (Moixent, València, IVe s. a.C.) ou les poids du departamento 1 de Puntal dels Llops (Olocau, València, deuxième moitié du IIIe ou début du IIe s. a.C.). Ce sont ainsi les indices d’un usage quotidien ou uniquement technologique (dans le sens où ils seraient partie intégrante de l’équipement d’un spécialiste) qui sont exceptionnels. L’un des rares cas d’une utilisation technologique de la pesée à avoir été proposé concerne les poids trouvés dans la “tombe de l’orfèvre” de Cabezo Lucero (Guardamar del Segura, Alacant). Cependant, même s’il a bien été mis en évidence qu’une partie du mobilier déposé au côté du défunt correspond à des outils de travail de l’or292, il ne s’agit pas de l’unique identité mise en avant dans ce contexte. Le défunt est également enterré avec un armement conséquent : un soliferreum, des éléments de boucliers, un couteau une falcata dans son fourreau et une pointe de lance. Ainsi, si cet individu était probablement bel et bien un orfèvre, il était également, et peut-être surtout, un guerrier.
L’essentiel de la documentation suggère donc que la pesée est essentiellement développée dans un cadre privilégié en péninsule Ibérique, tout du moins chez les populations locales. Durant le Bronze final et le début de l’âge du Fer, les contextes de découverte ne nous permettent pas d’appréhender la dimension que peuvent avoir ces instruments dans le corps social. Ils revêtent toutefois un statut suffisamment particulier pour être déposés au milieu d’autres artefacts métalliques porteurs d’une valeur sociale importante qui sont également, pour la plupart, ceux représentés sur les stèles de guerriers du sud-ouest de la péninsule. À partir du VIe et du Ve s. a.C., la situation évolue probablement. L’hypothèse que nous proposons ici est que la pesée se développe, durant la période ibérique, dans un contexte qui est essentiellement celui de relations inter-élitaires et qu’elle n’en sort que de manière ponctuelle avant une période récente, aux alentours de la deuxième moitié du IIIe s. a.C. Les relations entre élites à l’échelle macro-régionale sont probablement d’une extrême importance durant les âges des Métaux. Les réseaux qui en résultent assurent probablement l’établissement de voies commerciales, mais également des relations d’hospitalité et de confiance. Dans un monde où la communication ne semble pas assurée par des flux maintenus de manière systémique, il est primordial d’assurer la viabilité de ces réseaux pour éviter l’isolement dont les conséquences peuvent être désastreuses en termes économiques, politiques et sociaux. Il s’agit probablement tout à la fois de maintenir des alliances politiques et des routes d’échange. Ce phénomène est comparable à celui qui transparait lorsque Bronislaw Malinowski décrit le cercle de la Kula dans les Îles Trobriand293, c’est-à-dire des routes qui ne sont pas tant commerciales que sociales et politiques. Les élites des populations de cet archipel d’îles lancent de manière régulière d’importantes expéditions cérémonielles, qui prennent la forme d’un itinéraire maritime circulaire (fig. 3-183), dont le vecteur principal est l’échange de deux types d’objets : un soulava (collier) contre une paire de mwali (brassard), le premier circule dans un sens du “cercle de la Kula” et le deuxième dans le sens opposé. Dans un cadre très ritualisé, un soulava ne peut être échangé que contre un mwali et vice-versa. En revanche, ces expéditions servent également de support à des échanges d’ordre plus utilitaire et économique (biens de consommation, nourriture, poteries…) appelé le gimwali294. La Kula, en plus de permettre ces échanges ritualisés ou utilitaires, est avant tout un moyen d’assurer des contacts sur une base régulière entre des populations séparées géographiquement par la mer.
L’hypothèse que nous proposons ici est qu’en péninsule Ibérique, la pesée participe d’une manière ou d’une autre à la matérialisation de ces réseaux inter-élitaires entre des groupes humains séparés parfois de plusieurs centaines de kilomètres par une topographie montagneuse. Il est possible que l’inter-commensurabilité de biens soit régie par le partage d’étalons et de systèmes pondéraux communs ou convertibles les uns vers les autres à l’échelle macro-régionale et que leur maîtrise soit, en tant que telle, un privilège des classes élitaires. Il est en revanche difficile de dire si la pesée a ici un rôle de facilitation d’échanges à visée commerciale ou bien le contrôle de produits échangés à des fins politiques et sociales. Ce deuxième scénario pourrait se matérialiser par le contrôle de la quantité d’un bien donné et d’un bien reçu, il devient ainsi possible de mesurer une dette de manière objective. À ce titre, certaines sources écrites nous renseignent peut-être sur de tels usages chez les populations anciennes : “Mesure bien ce que tu reçois de ton voisin et rends-le-lui exactement, dans la même mesure et plus encore, si tu peux, afin que, plus tard, tu trouves, toi aussi, en cas de besoin, une aide sûre” (Hésiode, Les Travaux et les Jours v. 349-351, trad. E. Bergougnan). Les instruments de pesée étudiés ici ne permettent pas de procéder à des échanges de grosses quantités et ils paraissent mieux adaptés au calcul de la valeur de produits relativement légers (moins de 500 g dans la plupart des cas ; fig. 3-177).
À l’échelle macro-régionale, un tel pouvoir pourrait permettre d’assurer et d’estimer objectivement des dons et contre-dons, aussi galvaudés que puissent être ces termes, possiblement dans le cadre de pesées de cadeaux échangés. De la même manière que d’autres systèmes de dons et contre-dons connus pas l’anthropologie, comme le potlach, il est possible que de telles actions prennent alors une forte dimension publique et performative, ce qui conforterait la position des instruments de pesée comme des outils de pouvoir. Il est possible que la pesée soit réalisée par les deux acteurs, avec leurs propres instruments bien que la plupart des valeurs des différents systèmes métrologiques soient convertissables. Dans un tel contexte, créer un lot de dix poids de balance comme celui de la tombe 200 d’El Cigarralejo (Mula, Murcia), dont le nombre élevé d’éléments est exceptionnel, reviendrait alors à montrer sa capacité à mesurer avec une fluidité et une précision importante. L’absence de lots de taille équivalente (à part peut-être dans la tombe 117 du Cabecico del Tesoro, Verdolay, Murcia) laisse penser qu’une telle stratégie était peut-être plus performative que fonctionnelle et que l’utilisation normale des lots de poids de balance ne nécessitait pas une telle complexité. Dans un tel cadre, nous pouvons imaginer que le vase en argent de la Granjuela, qui semble arborer l’indication de sa masse en argent, reflèterait parfaitement la situation ou un objet est offert tout en indiquant ostensiblement sa valeur (sous la forme de la masse d’argent mise en forme). Dans notre société, nous pourrions rapprocher cela du fait d’offrir un cadeau tout en laissant volontairement le prix dessus.
Malgré les particularismes régionaux, ce sont probablement ces relations inter-élitaires qui amènent à la persistance du partage de certaines unités métrologiques entre les différentes aires géographiques de la péninsule alors même que les systèmes numéraux diffèrent (fig. 3-184). Nous pouvons alors nous demander si un site comme La Bastida de les Alcusses, qui détonne clairement dans le paysage par le nombre d’instruments de pesée qu’il livre, ne possède pas un rôle de plaque tournante, de nœud de réseaux. Nous avons notamment pu voir que certains poids du site, en particulier dans le departamento 273, correspondent par leur morphologie, leur métrologie et l’utilisation de marques numérales, à des habitudes clairement attribuables à l’axe central nord-sud de la péninsule. Pourtant, le poids Bas-273-C fait clairement référence à une unité d’environ 20,7 g, typique de la région valencienne et de ses environs. Nous pouvons nous demander alors si nous ne sommes pas en présence de poids de balance spécifiquement destinés à un usage mettant en contact un acteur du site de La Bastida avec un autre venant d’une région plus occidentale, peut-être dans le cadre d’échanges à la temporalité régulière entre deux membres de l’élite en relation étroite. Cette métrologie adaptée à des réseaux à moyenne distance est alors probablement intégrée à des fondements plus locaux bien mis en évidence par les tendances régionales. Nous pouvons probablement considérer que la pratique pondérale fait partie intégrante, au moins entre le Ve et le IIIe s. a.C. d’un arsenal de savoir-faire conceptuels qui participe à la fois à la légitimation de la position de l’élite et au contrôle économique et politique qu’implique ce rôle.
L’intégration dans les réseaux à longue distance apparaît en revanche plus discrètement au travers des instruments de pesée en péninsule Ibérique. Il est possible que l’usage de certaines unités, comme celle de 8,3 g égale à l’unité mésopotamienne bien répandue en Méditerranée dès l’âge du Bronze, soient une matérialisation de tels contacts. Cependant, comme nous l’avons vu, les composantes de la pratique pondérale diffèrent entre la péninsule Ibérique et les sociétés administrativement et politiquement fortement structurées que nous trouvons alors en Méditerranée centrale et orientale, au nord comme au sud.
Il est toutefois peu probable que l’appareil pondéral ne soit dévoué qu’à de telles préoccupations, comme le suggèrent les découvertes nombreuses dans certains habitats comme La Bastida de les Alcusses. Un emploi à l’échelle des sites ou du territoire est par conséquent fortement envisageable. Cela expliquerait notamment les homogénéités régionales constatées et surtout le processus d’homogénéisation autour d’une unité de 20-21 g qui semble se mettre en place au cours du IVe s. a.C. Un outil de contrôle quantitatif dans les mains d’une sphère réduite de la population peut difficilement être mis en relation avec des procédés d’échanges à l’intérieur du site ou à l’estimation d’une monnaie sous forme de métal pesée ou tout autre matériau précieux, sauf si nous acceptons l’idée que celle-ci ne circule de manière fluide qu’à l’intérieur de cette sphère. Nous avons pu noter la capacité des élites de la péninsule Ibérique à gérer et stocker les ressources et à contrôler les moyens et/ou savoir-faire de production. En raison de cela, il nous semble cohérent d’envisager que les instruments de pesée revêtent un rôle dans ces processus. S’ils sont relativement peu adaptés à de la gestion de stock, en raison des faibles intervalles de mesure, ils pourraient en revanche servir à des formes d’administration pouvant passer par l’imposition et/ou la redistribution (fig. 3-185). Cela pourrait notamment expliquer que nous n’observions pas dans le registre archéologique une association privilégiée entre la pesée et un type particulier d’activité spécialisée ou de matériaux. Une autre possibilité, qui n’exclut pas la précédente, est l’utilisation de la pesée comme une forme de rétrocontrôle de la quantité de matière impliquée à différents moments d’une chaîne opératoire. Un tel procédé n’est pas applicable à tous les matériaux mais s’adapterait parfaitement à une gestion de quantités de métaux confiées à un spécialiste pour la confection d’un produit et à la vérification de l’inaltération de cette quantité une fois le processus achevé. Les situations sont très vraisemblablement multiples et complexes et ces deux scénarios ne suffisent probablement pas à toutes les expliquer. Leur cadre d’utilisation semble toutefois être, pour l’essentiel, élitaire et couvrir l’estimation de la masse d’un champ relativement large de ressources et de produits.
Certaines des caractéristiques de la pratique de pesée semblent changer entre la fin du IIIe s. a.C. et le changement d’ère : augmentation de l’intervalle mesurable à Giribaile, utilisation de poids creux au Puntal dels Llops, changement de standard métrologique au Llano de la Horca, diminution puis disparition partielle de la perforation centrale, augmentation du nombre de poids en plomb discoïdes, disparition progressive des standards métrologiques fondés sur la paire d’environ 21-42 g. Toutefois, nous ne disposons pas de contextes clairs pour les comprendre et saisir la relation entre les éléments persistants et les nouveautés. Les raisons qui peuvent expliquer la transformation de la pratique au cours du IIIe s. a.C. sont nombreuses. Le contexte social et politique change alors grandement. Tout d’abord, au cours du IIIe s. a.C., la péninsule Ibérique est le théâtre de conflits majeurs entre Carthaginois et Romains. L’expansion des premiers dans le sud de la péninsule, qui fondent Carthago Nova aux alentours de 227 a.C., et prennent Saguntum en 219 a.C. avant de tenter de gagner l’Italie par voie de terre, marque le début de la deuxième guerre punique (218-201 a.C.). En plus de se retrouver au centre des confrontations, l’est et le sud de la péninsule Ibérique se voient, à l’issue de la guerre, annexés par les Romains qui y créent les provinces d’Hispanie ultérieure et citérieure en 197 a.C. Le contexte socio-politique de la péninsule Ibérique se voit donc fortement bouleversé à partir de la fin du IIIe s. a.C. De plus, bien que des monnaies circulent dans et depuis les colonies grecques dès la fin du VIe s. a.C., ce n’est qu’à la fin du IIIe s. a.C. que sont frappées localement les premières pièces (à l’exception de celles d’Arse-Saguntum, València, qui semblent frappées dès la deuxième moitié du IVe s. a.C.). La nécessité de réguler pondéralement ces nouvelles frappes a forcément un impact sur la conception de la pesée qui, jusqu’alors est essentiellement centrée sur la pesée de masses supérieures à celle d’une pièce de monnaie. Les premières émissions s’appuient notamment sur des divisions inférieures au gramme alors que nous n’identifions qu’un seul poids inférieur à 1 g pour la période des VIe-IIIe s. a.C.295. Ces différents éléments ont très probablement eu un impact direct ou indirect sur bon nombre de pratiques sociales et économiques. Mais nous aurions probablement tort de vouloir attribuer à l’une ou l’autre de ces raisons la seule paternité des changements observés et il est plus vraisemblable que ce soit un concours de circonstances qui soit à l’origine de ces derniers.
Notes
- Vilaça 1995 ; Vilaça 2003 ; Vilaça 2011.
- Vilaça 2011, 164.
- Brandherm 2007 ; Burgess & O’Connor 2008, 47-55 ; Ling et al. 2013 ; Ling et al. 2014 ; Brandherm 2017.
- Mederos Martín 2017, tableau 1.
- García Alonso 2010, 21 ; Mederos Martín 2017.
- Mederos Martín 2017, 31-36.
- García Alonso 2010, 22.
- García Alonso 2010, 22.
- Aubet 2008, 250.
- García Alonso 2010, 21-22.
- González de Canales Cerisola et al. 2004 ; González de Canales Cerisola et al. 2006, 107 ; Torres Ortiz 2008.
- Torres Ortiz 2008.
- Torres Ortiz 2008, 80-82 ; Celestino Pérez & López-Ruiz 2016, 154-156.
- González de Canales Cerisola et al. 2006, 122-123 ; Morley 2007, 11 ; García Alonso 2010, 22.
- González de Canales Cerisola et al. 2006, 123.
- Aubet 2008.
- González de Canales Cerisola et al. 2006, 123-125 ; Nijboer & Van der Plicht 2006.
- Rouillard et al., éd. 2007.
- Celestino Pérez & López-Ruiz 2016, 157.
- Morley 2007, 20.
- Celestino Pérez & López-Ruiz 2016, 151-152.
- García Alonso 2010, 22.
- Morley 2007, 32.
- Idem.
- Vilaça 2011, fig. 10.
- Elayi & Elayi 1997, 319.
- Elayi & Elayi 1997.
- Blanco et al. 1970 ; Pellicer 1983 ; Aubet et al. 1999 ; Aubet 2002 ; Fernández Jurado 2003 ; Valério et al. 2003 ; González de Canales Cerisola et al. 2004 ; Barros & Soares 2004 ; Rouillard et al., éd. 2007 ; González Prats 2011 ; Vilaça et al. 2012 ; Toscano et al. 2014 ; González Prats & Miguel Ibáñez, éd. 2014.
- Martín Ruiz 2012.
- Blanco et al. 1970 ; Pellicer 1983.
- Vilaça 2011, 139, 164.
- Vilaça 2011.
- Vilaça 2011, 143.
- Blanco et al. 1970, 23.
- Vilaça 2011, 143.
- Torres Ortiz 2008, 64.
- Ruiz-Gálvez Priego 1995 ; Brandherm 2007 ; Torres Ortiz 2008 ; Toscano et al. 2014.
- Celestino Pérez & López-Ruiz 2016, 170-171.
- Almagro Basch 1961.
- Vilaça & Lopes 2005, 178.
- Information communiquée par Raquel Vilaça.
- Information communiquée par Raquel Vilaça.
- Ruiz-Gálvez Priego 1995 ; Torres Ortiz 2008 ; Toscano et al. 2014, 141.
- Toscano et al. 2014, 154.
- García Sanz 1990 ; Fernández Jurado 2003, 41-42.
- González de Canales Cerisola et al. 2004, 145-155.
- Valério et al. 2003 ; Barros & Soares 2004.
- Rouillard et al., éd. 2007 ; González Prats 2011 ; González Prats & Miguel Ibáñez, éd. 2014.
- Aubet et al. 1999.
- Aubet 2002, 29-31.
- Aubet 2002, 30.
- Vilaça 1995 ; Vilaça 2003 ; Vilaça 2011 ; Vilaça et al. 2012.
- González de Canales Cerisola et al. 2004, 154.
- Vilaça 2011, 141.
- Vilaça 2011, 141.
- Vilaça 2011.
- Planas Palau & Martín Mañanes 1992, 77-85.
- Aubet 2002, 33.
- Elayi & Elayi 1997, 161 et 298 ; Aubet 2002, 33.
- Aubet 2002, 33-34.
- Petruso 1992.
- Elayi & Elayi 1997, 298 ; Aubet 2002, 33.
- Pulak 1996, 281.
- Aubet 2002, 33.
- Pulak 1996 ; Pulak 2000.
- Mederos Martín & Ruiz Cabrero 2004, 265 ; Polzer 2014, 230.
- Polzer 2014, 230.
- Mederos Martín & Ruiz Cabrero 2004, 265.
- Polzer 2014, 230.
- Polzer 2014, 231-235.
- Polzer 2014, 235-239.
- Mederos Martín & Ruiz Cabrero 2004, 277 ; Polzer 2014, 239.
- Mederos Martín & Ruiz Cabrero 2004, 277-278 ; Polzer 2014, 241-242.
- Pulak 1996.
- Pulak 1996, 54-55.
- Pulak 1996, 487-489.
- Pulak 1996, 278-283.
- Ascalone & Peyronel 2006, 23-24 ; Alberti et al., éd. 2006, 1-2.
- Pulak 1996, 281-283.
- Pulak 1996, 279-282.
- Pulak 1996, 280-281.
- Le détail des masses nous a aimablement été communiqué par Raquel Vilaça.
- Vilaça & Lopes 2005, 178.
- Pulak 1996, 280-281.
- Crappier 2016.
- Van Driessche 2009, 72-73.
- Vilaça 2007, 136 ; Vilaça 2013, 41.
- Almagro Basch 1940 ; Coffyn 1985, 7-8 ; Brandherm 2007.
- Ballester Tormo 1930.
- Idem.
- Idem.
- Ballester Tormo 1930, 10-11.
- Galili et al. 2016, 14-22.
- Elayi & Elayi 1997, 380 ; García Bellido 2013, 44-45.
- Ferrer i Jané 2013, 143-144 ; Vidal 2017.
- Poigt & Ruiz Darasse 2020.
- Orduña Aznar 2005 ; Ferrer i Jané 2009 ; Ferrer i Jané 2011.
- Oroz Arizcuren 1979b ; Oroz Arizcuren 1979a ; De Hoz 1981 ; De Hoz 2011, 191-194.
- Ferrer i Jané 2011, 101.
- Oroz Arizcuren 1979b ; Oroz Arizcuren 1979a ; Ferrer i Jané 2009 ; Ferrer i Jané 2011 ; Vidal 2017.
- Oroz Arizcuren 1979b ; Fletcher Valls & Silgo Gauche 1995 ; Torija López 2003 ; Ferrer i Jané 2011.
- Torija López 2003, 170.
- Torija López 2003, 175.
- Torija López 2003.
- Tovar 1955 ; Torija López 2003, 173.
- Torija López 2003, 171.
- Ferrer i Jané 2011, 108.
- Ferrer i Jané 2011, 111-115.
- Ferrer i Jané 2011, 118-121.
- Ferrer i Jané 2013.
- Vidal 2017, 173.
- Vidal 2017, 122-124.
- Vidal 2017, 127-143.
- Ferrer i Jané 2013, 145-146.
- Lucas Pellicer 1990.
- Poigt 2013, 76.
- Bonet Rosado & Vives-Ferrándiz Sánchez 2011, 191-193.
- Graells 2007 ; Perea & Armbruster 2011.
- Bonet Rosado & Mata Parreño 2002, 156-157 ; Bonet Rosado & Vives-Ferrándiz Sánchez 2011, 193.
- Sperber 1988a, 160.
- Giner Iranzo et al. 2014 ; Giner Iranzo & Creus Gispert 2015.
- Maggiani 2001, 67-68.
- Biel 1995, 21.
- Je remercie ici mon frère Damien qui a eu la gentillesse de recréer un modèle entièrement en bois de ce type de balance et dont les essais ont permis d’observer le trébuchement pour une surcharge à vide de l’ordre du décigramme.
- Kubyshev & Chernyakov 1985.
- Voir par exemple : Galilea Martínez 2004, 241.
- Ballester Tormo 1930.
- Beltrán Villagrasa 1948 ; Cuadrado Díaz 1950 ; Fletcher Valls & Mata Parreño 1981 ; Fletcher Valls & Silgo Gauche 1995 ; Grau Mira & Moratalla Jávega 2003.
- García-Bellido 2003 ; Vilaça 2011 ; García Bellido 2013.
- Ballester Tormo 1930.
- Antunes 2017.
- Grau Mira & Moratalla Jávega 2003 ; Abad Casal et al. 2005.
- Celestino Pérez & Rodríguez González 2019, 355-356.
- Celestino Pérez & Rodríguez González 2019, 355-356.
- López Serrano et al. 2013 ; López Serrano et al. 2018.
- Del Amo 1978 ; Pérez Marcías & Gómez Toscano 1999 ; Jiménez Avila 2010.
- Labeaga Mendiola 1999.
- Gutiérrez Soler 2002 ; Gutiérrez Soler 2011.
- Fletcher Valls et al. 1965 ; Pla Ballester 1977 ; Bonet Rosado et al. 2005 ; Bonet Rosado & Vives-Ferrándiz Sánchez 2011.
- Bonet Rosado 1995, 108-118.
- Galilea Martínez & Llanos Ortiz de Landaluze 2002, 132, 139 ; Peñalver & San Jose 2011, 129.
- Nordström 1967 ; Abad Casal & Sala Sellés 2001.
- Abad Casal & Sala Sellés 2001, 224-226 ; Grau Mira & Moratalla Jávega 2003, 30-31.
- Arruda 2008 ; Arruda et al. 2009 ; Vilaça 2011, 160.
- Vilaça 2011, 149.
- Celestino Pérez 1992 ; Jiménez Ávila & Celestino Pérez 1993 ; Celestino Pérez 1996 ; Celestino Pérez, éd. 2003 ; Celestino Pérez & Gracia Alonso, éd. 2003.
- García-Bellido 2003, 148-149.
- Grau Mira & Moratalla Jávega 2003, 41.
- Lorrio 2007.
- Cuadrado Díaz 1987, 355-374.
- Aranegui Gascó et al. 1993, 201-206.
- Cuadrado Díaz 1987, 123.
- Lazaro Mengod et al. 1981 ; Melchor Montserrat et al. 2010.
- Cuadrado Díaz 1987, 355-358.
- Cuadrado Díaz 1987, 358-364.
- Graells 2007 ; Perea & Armbruster 2011.
- Cuadrado Díaz 1987, 118-120.
- Abad Casal & Sala Sellés 1993, 106-107.
- Del Amo 1978 ; Pérez Marcías & Gómez Toscano 1999 ; Jiménez Avila 2010.
- Dans le cadre de notre déplacement au Museo de Arqueología de Vitoria-Gasteiz, Bibat, nous avons pu procéder à la pesée et à l’analyse métrologique d’un échantillon-test de 108 de ces sphères en pierre. Il n’a pu être fait état d’aucun indice d’une construction pondérale claire de ces objets.
- Giner Iranzo & Creus Gispert 2015, 92.
- Giner Iranzo et al. 2014, 56-58 ; Giner Iranzo & Creus Gispert 2015, 92.
- Bonet Rosado 1995, 108-119.
- Bonet Rosado 1995, 204.
- Bonet Rosado & Mata Parreño 2002, 55-68.
- Bonet Rosado & Mata Parreño 2002, 89-90.
- Bonet Rosado & Mata Parreño 2002, 38-42.
- Jiménez Avila 2012.
- Maluquer de Motes & Pallarés Comas 1981 ; Maluquer de Motes 1983 ; Maluquer de Motes et al. 1986 ; Celestino Pérez 1992 ; Jiménez Ávila & Celestino Pérez 1993 ; Celestino Pérez 1996 ; Celestino Pérez & Gracia Alonso, éd. 2003 ; Jiménez Avila 2012.
- Celestino Pérez et al. 2003, 309.
- Celestino Pérez et al. 2003, 341.
- Celestino Pérez et al. 2003, 341-342.
- Celestino Pérez et al. 2003, 312-327.
- Almagro Gorbea et al. 2011.
- Berrocal-Rangel 2003.
- Almagro Gorbea et al. 2011.
- Berrocal-Rangel 2003.
- Berrocal-Rangel 2003, tableaux 2 et 15.
- Petruso 1978 ; Parise 1991 ; Petruso 1992 ; Alberti et al. 2006, 1 ; Ialongo 2018, 4.
- Bonet Rosado et al. 2005 ; Grau Mira & Vives-Ferrándiz Sánchez 2018, 83-84.
- Vives-Ferrándiz Sánchez 2013, 97.
- Vives-Ferrándiz Sánchez 2013, 98.
- Bonet Rosado & Vives-Ferrándiz Sánchez 2011, 88-90 ; Vives-Ferrándiz Sánchez 2013, 98.
- Bonet Rosado & Vives-Ferrándiz Sánchez 2011, 63-93.
- Vives-Ferrándiz Sánchez 2013.
- Vives-Ferrándiz Sánchez 2013, 99-101.
- Alonso 1999 ; Foxhall 2003 ; Vives-Ferrándiz Sánchez 2013, 101.
- Bonet Rosado & Vives-Ferrándiz Sánchez 2011, 189-191.
- Vives-Ferrándiz Sánchez 2013, 102-104.
- Bonet Rosado & Vives-Ferrándiz Sánchez 2011, 167.
- Bonet Rosado & Vives-Ferrándiz Sánchez 2011, 168-170.
- Vives-Ferrándiz Sánchez 2013, 104.
- Poigt 2013.
- Uroz Rodríguez 2006 ; Graells 2007 ; Perea & Armbruster 2011.
- López Serrano et al. 2013, 83 ; López Serrano et al. 2018, 63.
- López Serrano et al. 2013 ; López Serrano et al. 2018.
- Jimeno, éd. 2004, 284 ; Bonet Rosado & Vives-Ferrándiz Sánchez 2011, 168-169.
- Ballester Tormo 1930, 4-6.
- Gutiérrez Soler 2002 ; Bonet Rosado & Mata Parreño 2002 ; Gutiérrez Soler 2011.
- Galilea Martínez & Llanos Ortiz de Landaluze 2002, 132.
- Giner Iranzo et al. 2014 ; Giner Iranzo & Creus Gispert 2015.
- Idem.
- Giner Iranzo et al. 2014, 60-65.
- Jiménez Avila 2005.
- Celestino Pérez 1996, 141-142.
- Celestino Pérez 1996, 133.
- García-Bellido 2003.
- García-Bellido 2003, 142, 155.
- García-Bellido 2003, 144.
- García Bellido 1999, 375 ; García-Bellido 2003, 155 ; Calvo García 2006, 40 ; García-Bellido 2011, 124 ; Callegarin & García Bellido 2012, 121 ; García Bellido 2013, 41.
- Domergue 1990.
- Jiménez Avila & Domínguez de la Concha 1995, 140.
- Martín Bravo 1999, 84.
- Galilea Martínez & Llanos Ortiz de Landaluze 2002 ; Galilea Martínez 2004, 132-134 ; Peñalver & San Jose 2011, 129.
- Galilea Martínez 2004, 235.
- Labeaga Mendiola 1999, 132.
- Peñalver & San Jose 2011, 129.
- Lorrio 2007, 255-256.
- Elayi & Elayi 1997, 380, fig. 12 ; García Bellido 2013, 43-44.
- Ferrer i Jané 2013, 143-144.
- Ballester Tormo 1930, 4-7.
- Beltrán Villagrasa 1948, 133.
- Bonet Rosado et al. 1981, 148-150 ; Bonet Rosado & Mata Parreño 2002, 156-157.
- Bonet Rosado & Mata Parreño 2002, 156 ; Grau Mira & Moratalla Jávega 2003, 43.
- Il diffère donc d’un lot de poids qui répond à deux systèmes sans modifications nécessaires ou dont les modifications sont permanentes et permettent de passer d’un système à un autre.
- Cuadrado Díaz 1964 ; Fletcher Valls & Mata Parreño 1981 ; Cuadrado Díaz 1987, 355-374 ; Fletcher Valls & Silgo Gauche 1995 ; Grau Mira & Moratalla Jávega 2003 ; Poigt 2015a ; Poigt 2018.
- Poigt 2015a, 144-147.
- Cuadrado Díaz 1964.
- Fletcher Valls & Mata Parreño 1981, 168.
- Fernández de Avilés & Roldán Gómez 2007, 186.
- Galilea Martínez 2004, 218-219.
- Lazaro Mengod et al. 1981, 44.
- Lazaro Mengod et al. 1981, 169.
- Pellicer i Bru 1982 ; Alfaro Asins 2000, 59.
- Pellicer i Bru 1982 ; Alfaro Asins 2000, 59.
- Delanaye & Poigt 2020.
- Grau Mira & Moratalla Jávega 2003, tableau 2, fig. 2.5, pl. 1.3.
- Grau Mira & Moratalla Jávega 2003, 43-44.
- Ballester Tormo 1930.
- Grau Mira & Moratalla Jávega 2003.
- Seuls 5 poids ne permettent pas une estimation de leur masse originelle puisque celle du poids Bas-16-A est approchée par le biais de la masse du fragment de bague restant.
- Grau Mira & Moratalla Jávega 2003, 43-44.
- Deux calculs différents ont été effectués en faisant varier la densité du plomb. Dans le premier cas, la densité du métal est fixée à 11,35 g (plomb pur) et permet d’obtenir une masse intermédiaire de 179,2 g et une masse originelle de 196,6 g.
- Antunes 2017.
- Antunes 2017, 914-915.
- Antunes 2017, fig. 1.
- Bonet Rosado 1995, 204.
- Bonet Rosado 1995, 478.
- Bonet Rosado 1995, 151.
- Bonet Rosado 1995, 119.
- Grau Mira et al. 2008.
- Grau Mira & Segura Martí 2013, 289.
- Tarradell 1985 ; Bayo Fuentes 2010.
- Ramos Folques & Ramos Fernández 1976 ; Ramos Fernández 1994.
- Ruiz Zapatero 2012, 358.
- Medrano Marqués 1987 ; Medrano Marqués 1990 ; Díaz Sanz & Medrano Marqués 2001.
- Dietler 2009.
- Cuadrado Díaz 1964 ; Fletcher Valls & Mata Parreño 1981 ; Fletcher Valls & Silgo Gauche 1995 ; García Bellido 1999 ; García-Bellido 2003 ; García Bellido 2013 ; Vidal 2017 ; Martínez Chico & González Garcia 2018.
- Vidal 2017, 131-132.
- Cuadrado Díaz 1964 ; Fletcher Valls & Mata Parreño 1981 ; Fletcher Valls & Silgo Gauche 1995 ; Martínez Chico & González Garcia 2018.
- Sanmartí et al., éd. 1992 ; Vidal 2017, 113.
- Ferrer i Jané 2013, 138.
- Peroni 2001 ; Michailidou 2005 ; Ascalone & Peyronel 2006 ; Alberti et al., éd. 2006 ; Michailidou 2010 ; Rahmstorf 2010.
- Petruso 1992 ; Alberti 2017.
- Powell 1979 ; Chambon 2006 ; Proust 2010b.
- Parise 1984 ; Peyronel 2010 ; Rahmstorf 2010.
- Pulak 1996 ; Pulak 1998 ; Pulak 2000.
- Chambon 2006 ; Alberti et al. 2006 ; Ascalone & Peyronel 2006 ; Peyronel 2010.
- Heymans 2018 ; Ialongo et al. 2018.
- López Serrano et al. 2013 ; López Serrano et al. 2018.
- Graells 2007 ; Perea & Armbruster 2011.
- Celestino Pérez 1992 ; Celestino Pérez 1996 ; Celestino Pérez, éd. 2003 ; Celestino Pérez & Gracia Alonso, éd. 2003 ; Almagro Gorbea et al. 2011.
- Bonet Rosado & Vives-Ferrándiz Sánchez 2011 ; Vives-Ferrándiz Sánchez 2013.
- Cuadrado Díaz 1987, 355-374.
- Murra 1962.
- Petruso 1978 ; Petruso 1992 ; Michailidou 2010, 75 ; Alberti 2017.
- Parise 1986 ; Parise 1991.
- Gorgues 2010, 129.
- Torres Ortiz 2008.
- Coffyn 1985 ; Brandherm 2007 ; Burgess & O’Connor 2008 ; Ling et al. 2013 ; Ling et al. 2014.
- Vilaça 2013, 45-46.
- García Bellido 1999 ; García-Bellido 2003 ; García Bellido 2013.
- Graells 2007, 146-147.
- Uroz 1992, 45 ; Lorrio & Sánchez de Prado 2000, 131 ; Graells 2007, 150.
- Lorrio 2007.
- Martínez Chico & González Garcia 2018.
- Vilaça 2011, 140.
- Ruiz-Gálvez Priego 1995, 224 ; Vilaça 2011, 152-154.
- Celestino Pérez 2001.
- Celestino Pérez 2001, 181-185 ; Vilaça 2011, 162-163.
- Celestino Pérez 2001.
- Perea & Armbruster 2011.
- Malinowski 2007.
- Smith 1983 ; Malinowski 2007.
- Ripollès 2004 ; Ripollès 2005 ; Ripollès 2011 ; Ripollès 2013.