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Une carrière scientifique en or

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C’est avec beaucoup d’émotion que nous rendons hommage à Béatrice, tant à la chercheuse qu’à la personne d’exception, en saluant une archéologue qui a marqué de son empreinte la recherche sur les mines et les métallurgies anciennes en France et en Europe. Si Claude Domergue a donné naissance à l’école toulousaine d’archéologie minière dans les années 70, Béatrice l’a développée, en ouvrant de nouveaux terrains, notamment sur le plan chronologique, en multipliant les angles de vue, en affinant les méthodes, et surtout en continuant toujours à renforcer le niveau d’exigence scientifique. Le souci de la précision caractérise bien Béatrice, autant que sa boulimie de travail, son enthousiasme, sa générosité et d’autres qualités humaines, plus personnelles.

Sa capacité et sa détermination à aller au fond des choses lui ont permis de renouveler profondément les connaissances sur l’exploitation minière ancienne. À l’issue d’une thèse sur les mines d’or romaines en alluvions dans le Bierzo (Espagne), Béatrice a été recrutée au CNRS au laboratoire d’archéologie de l’Université Toulouse-Le Mirail1 avec un projet de recherche novateur et ambitieux sur l’or des Lémovices. Ses travaux ont mis en lumière une phase de production gauloise auparavant insoupçonnée, qui s’étend du Ve s. a.C. à la période augustéenne. Avec plus de 250 mines identifiées, la production globale est estimée entre 74 et 297 tonnes d’or pendant ces cinq siècles, de quoi répondre à une demande qui dépasse largement les territoires du centre de la Gaule. Ce programme s’est conclu par un colloque qui s’est tenu à Limoges, rassemblant les spécialistes européens de l’or. Les actes, intitulés L’or dans l’Antiquité, de la mine à l’objet (1999), sont une référence dans le domaine à l’échelle européenne et cette publication a été rapidement épuisée après sa parution.

Ses recherches sur les mines d’or du Limousin, initiées dès le début de sa carrière, illustrent les caractéristiques cardinales de sa démarche : aborder les mines par le terrain, obtenir des données chronologiques directes par la fouille et s’attacher à restituer l’ensemble de la chaîne opératoire, de l’extraction du minerai à la production de métal brut. Béatrice l’a fait en développant des nouvelles méthodes d’archéologie minière, inspirées de celles des protohistoriens et adaptées au contexte minier, notamment en souterrain. C’est un apport majeur pour la discipline qui s’est de plus en plus spécialisée.

Après les Lémovices ont suivi les Cerretans, les Gabales, les Tarbelles, les Éduens… et les Daces ! Béatrice a en effet dirigé un programme de fouilles souterraines d’envergure dans les monts Apuseni en Roumanie, où elle a été la responsable de 1999 à 2013 d’une équipe internationale qui a étudié les mines romaines de Roșia Montană. Des dizaines de spécialistes et d’étudiants d’Europe (France, Allemagne, Suisse, Grande Bretagne, Espagne, Roumanie) ont eu la chance de travailler sur ce complexe minier emblématique de l’Empire romain. Là encore, la ténacité de Béatrice a porté ses fruits, avec la découverte de vestiges miniers exceptionnels dans les 7 km de réseaux datés de l’époque romaine. On mentionnera en particulier les systèmes d’exhaure par roues élévatoires en bois de Păru-Carpeni et Coș/Cătălina-Monulești, un type de découverte inédit depuis plus d’un siècle. Dans ce dernier cas, c’est un ensemble complet comprenant une roue élévatoire, son axe et le système de soutènement qui a pu être mis au jour in situ. 

Son travail est aussi le résultat de collaborations fructueuses avec d’autres spécialistes, notamment dans le domaine de la géologie, de la géochimie, de l’archéométrie et de l’archéologie expérimentale. La pluridisciplinarité a toujours existé en archéologie minière, et Béatrice a su la mettre en œuvre en constituant des équipes dans de nombreux contextes. Le dialogue avec les géologues en particulier a été intégré à son travail dès sa recherche doctorale. Par la suite, ces collaborations se sont poursuivies dans le Limousin, bien sûr, mais aussi en Roumanie (dans les mines d’or et d’argent romaines de Roşia Montană), sur le Mont Lozère (pour étudier l’extraction de galène argentifère), en haute Ariège (avec l’identification d’une petite exploitation gallo-romaine de l’or en roche), ou encore dans le Morvan (où les mines d’étain antiques et médiévales du sud d’Autun et les minières gauloises pour argent de Bibracte ont pu être mises en évidence). Cette approche renouvelée a permis d’enrichir les connaissances sur les productions minières anciennes en prenant en compte des différentes échelles de cette activité. 

Béatrice s’est aussi beaucoup investie dans l’administration de la recherche, au sein de son laboratoire toulousain UTAH, devenu TRACES par la suite. À l’origine de la création de l’équipe Métal, dont elle a assuré la direction pendant plusieurs années, elle s’est attachée à diffuser l’activité scientifique sur la thématique des mines et de la métallurgie à travers l’organisation de journées d’études régulières. Elle est aussi membre de la Société Archéologique Française d’Étude des Mines et de la Métallurgie, au sein de laquelle elle a été pendant plusieurs années référente pour les activités réalisées dans le Sud-Ouest de la France. 

Son expertise dans le domaine minier est reconnue à l’échelle européenne. Elle a ainsi été sollicitée pour des missions d’étude des mines d’or antiques de Dolaucothi (Pays de Galles) et de l’Ardenne belge. Elle a également été invitée à de nombreuses reprises à donner des cours d’archéologie minière dans plusieurs universités européennes : à Paris, mais aussi à Bochum, en Allemagne, pendant plusieurs années et à Fribourg, en Suisse. Elle a dirigé le programme ANR MINEMET Production et provenance d’or et d’étain dans l’Occident protohistorique et antique de 2012 à 2015. Elle est également membre du Conseil Scientifique de Bibracte.

Béatrice a toujours eu à cœur de transmettre les connaissances par la formation à l’étude des mines et de la métallurgie primaire. D’une part, elle a accueilli de nombreux étudiants sur ses chantiers de fouille, leur permettant de découvrir par la pratique les spécificités de la discipline. D’autre part, elle a encadré plusieurs mémoires de master et thèses de doctorat. Chacun de ses étudiants a pu compter sur son soutien indéfectible et bénéficier de son écoute attentive dans les situations difficiles.

La recherche de Béatrice, s’appuyant sur le terrain plutôt que sur les sources textuelles, livrant des résultats qui pouvaient bousculer des discours établis précédemment, a parfois tardé à être pleinement intégrée aux réflexions plus larges sur les périodes protohistorique ou antique. Mais, contre vents et marées, Béatrice a toujours su maintenir le cap de ses travaux. La fiabilité de ses résultats de terrain a suffi à l’émanciper d’une approbation qui se faisait parfois désirer (mais n’est-ce pas là le propre des pionniers ?). Cet ouvrage, riche de trente-six de contributions de la part de plus de soixante-dix auteurs, permet aujourd’hui de saluer son parcours exemplaire et précurseur guidé par la détermination, l’exigence scientifique, la générosité et le goût de la découverte. Que les auteurs qui y ont participé en soient chaleureusement remerciés.

Note

  1. Dénommé successivement “Archéologie Minière et Métallurgique de l’Occident Romain” (AMMOR), “Unité Toulousaine d’Archéologie et d’Histoire” (UTAH) puis “Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés” (TRACES).
ISBN html : 978-2-35613-537-7
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Chapitre de livre
EAN html : 9782356135377
ISBN html : 978-2-35613-537-7
ISBN pdf : 978-2-35613-539-1
ISSN : 2741-1508
2 p.
Code CLIL : 4117
licence CC by SA

Comment citer

Meunier, Emmanuelle, Fabre, Jean-Marc, Hiriart, Eneko, Mauné, Stéphane, Tămaş, Călin Gabriel, “Une carrière scientifique en or”, in : Meunier, Emmanuelle, Fabre, Jean-Marc, Hiriart, Eneko, Mauné, Stéphane, Tămaş, Călin Gabriel, Mines et métallurgies anciennes. Mélanges en l’honneur de Béatrice Cauuet, Pessac, Ausonius Éditions, collection DAN@ 9, 2023, 9-10, [en ligne] https://una-editions.fr/une-carriere-scientifique-en-or [consulté le 27/10/2023]
doi.org/10.46608/dana9.9782356135377.1
Illustration de couverture • de Paul Cauuet
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