Depuis plus d’un siècle, les principautés du royaume de France et des espaces limitrophes (Navarre, Savoie, Pays-Bas bourguignons…) ont suscité de nombreuses études et débats, touchant aussi bien leur rapport à la monarchie que leur administration ou le discours idéologique justifiant leur existence. Si le terme de principauté s’est imposé dans l’historiographie, c’est sans doute grâce à un sens suffisamment souple pour permettre d’englober des réalités assez diverses, tant structurelle que chronologique. Les domaines de Guillaume le Grand, duc d’Aquitaine de l’an mil, sont en effet loin d’avoir les mêmes structures politiques que l’apanage d’Alphonse de Poitiers au XIIIe siècle, sans parler du duché d’Aquitaine du Prince Noir, principauté englobant elle-même d’autres comtés et seigneuries qualifiés de principautés (Béarn, Armagnac, Albret).
Malgré son manque de précision, le terme principauté est bien commode. Il est moins connoté et critiqué qu’État. Bien sûr, certains historiens parlent depuis longtemps d’État breton ou bourguignon et Pierre Tucoo-Chala pouvait aussi camper un “l’État pyrénéen” sous Gaston III dit Fébus1, non sans que cela soit parfois accompagné d’une connotation nationaliste ou régionaliste. Mais toute principauté a-t-elle vocation à être ou à devenir un État ? Parmi les acquis récents de la recherche, Olivier Mattéoni a remis en question l’État bourbonnais cher à Édouard Perroy et André Leguai, tandis qu’Élodie Lecuppre-Desjardin a invité à trouver d’autres formulations qu’État pour qualifier “le complexe multi-territorial” du Royaume inachevé des ducs de Bourgogne2. Elle suggère plutôt de parler d’État princier, mais l’expression implique des structures politiques plus précises qui la rendent inopérante avant la seconde moitié du XIVe siècle3. Or, les principautés de la fin du Moyen Âge sont les héritières de celles développées dès le XIIIe siècle4.
Une première définition de la principauté serait celle donnée par François-Olivier Touati, qui qualifie ainsi “les territoires dans lesquels le roi n’intervient que par l’intermédiaire du prince5”. Elle a le mérite de mettre en avant les deux éléments fondamentaux communs à toutes ces constructions politiques, à savoir la figure du prince et le territoire sur lequel il exerce son pouvoir. Mais est-ce le prince qui donne aux terres qu’il contrôle son statut, ou à l’inverse le territoire qui fait d’un comte ou duc un prince ? En d’autres termes, existe-t-il un seuil, soit hiérarchique et personnel, soit d’organisation territoriale, qui permettrait de qualifier assurément un ensemble politique de principauté ? Dans l’historiographie, pour qualifier les principautés, on trouve aussi bien la formulation d’État princier, dont “le dynaste [est] la clef de voûte” selon Élodie Lecuppre-Desjardin6, que celle d’État territorial (notamment en Italie7) pour qualifier une principauté. Selon les contextes, on peut préférer un terme à l’autre, mais aucun ne s’impose de manière englobante à toutes les situations.
Remarquons encore que le vocable prince n’est guère plus précis que celui de principauté8… Mais c’est là la force de ces deux mots, qui permettent de qualifier une réalité mouvante. Comme tout outil conceptuel historique, la principauté change de nature selon les lieux et les époques. La meilleure manière (et peut-être la seule) de déterminer précisément ce qu’elle est, est de se plonger dans le détail des structures, des hommes et de l’idéologie qui sous-tendent les ensembles politiques concernés. Ainsi, la question de la définition de ce mot apparaît comme en filigrane de toutes les contributions à cet ouvrage. Chaque auteur interroge et affine les attributs qui permettent de qualifier un ensemble politique de principauté à une époque donnée.
La définition donnée par François-Olivier Touati mentionne aussi le rôle du roi. Marcel Pacault, lorsqu’il recherche l’origine des premières principautés à l’époque carolingienne, insiste lui aussi sur l’exercice par le prince des droits régaliens9. C’est donc naturellement que jusqu’au début du XXe siècle, les historiens ont principalement étudié ces ensembles politiques à travers leur lutte contre la monarchie, dans une histoire souvent téléologique de la construction de l’État central. Ce n’est qu’au milieu du siècle dernier que l’accent fut mis sur les principautés elles-mêmes, d’abord à travers leurs structures politiques, puis en mettant en avant les acteurs du gouvernement (notamment les officiers) et l’idéologie princière10. Toutefois, même avec ce prisme renversé qui consiste à centrer l’étude sur le point de vue princier plutôt que royal, le rapport à la monarchie française reste un élément incontournable des recherches actuelles. De fait, la royauté capétienne est à l’origine de plusieurs principautés via le système des apanages dont bénéficient les princes de la famille royale ; suzerain des princes, le roi leur impose un cadre géostratégique fait d’alliances et de guerres internationales dont même les plus puissants (Bretagne, Bourgogne) ne peuvent entièrement se débarrasser.
Cependant, si l’influence de la cour de France est à la fois incontestable et diverse, elle se fait plus ténue à mesure que l’on s’éloigne de Paris et au gré des contacts noués au fil du temps. Dans le sud du royaume, les principautés connaissaient bien sûr le modèle capétien, “exporté” en Languedoc au XIIIe siècle par Alphonse de Poitiers. Mais elles disposaient aussi de modèles concurrents et subissaient d’autres influences politiques, en provenance d’Italie (duché de Milan), du nord de la péninsule Ibérique – en particulier la Couronne d’Aragon – ou encore d’Avignon où s’exerçaient le gouvernement et l’administration pontificale. Aux marges du royaume existaient encore des principautés pleinement souveraines, comme le duché de Savoie, le comté de Provence. La situation de la Navarre relève d’un cas limite : vénérable royaume de péninsule Ibérique, il eut des souverains issus de plusieurs lignées princières françaises, et qui pour la majeure partie demeurèrent également des princes dans le royaume de France (comtes de Champagne au XIIIe siècle, Capétiens puis Évreux-Navarre au XIVe siècle, Foix-Béarn alliés aux Albret à la fin du XVe siècle). Véritablement à cheval entre deux mondes, respectivement ibérique et italien, Navarre et Savoie proposent des modèles de gouvernement originaux et durables.
Ce sont ces principautés méridionales – c’est-à-dire celles implantées au sud de la Loire, incluses dans le royaume de France ou limitrophes de celui-ci – que le présent livre étudie. Les grandes synthèses sur ces ensembles princiers sont souvent assez anciennes : c’est le cas des travaux fondateurs de Pierre Tucoo-Chala pour le Béarn, de Jean-Bernard Marquette sur les Albret ou d’André Leguai sur le Bourbonnais11… Depuis ces études pionnières et incontournables, les recherches ont grandement renouvelé les approches sur ces mêmes principautés, mais elles sont restées plus ciblées. Pour ne prendre que quelques exemples, l’usage de l’écrit par Fébus et dans son administration a été étudié dans l’ouvrage collectif dirigé par Véronique Lamazou-Duplan12 ; le rôle des officiers princiers a été mis en avant par les travaux d’Olivier Mattéoni13 ; de nouvelles sources ont été rendues accessibles (on pense notamment à l’édition en ligne des Gascon Rolls qui témoigne de l’administration par l’écrit14). Mais une synthèse comparative de ces avancées manquait encore cruellement.
Cet ouvrage est précisément né de la volonté de rassembler des spécialistes de ces divers ensembles, afin de faire un bilan des recherches déjà entreprises, et de tracer les principaux chantiers en cours. Les bornes chronologiques retenues (fin XIIIe siècle – fin XVe siècle) débordent du seul long siècle de la guerre de Cent Ans. Si l’on ne peut nier que le règne de Charles V soit une étape fondamentale dans la construction des principautés, celui de Philippe le Bel et de ses successeurs immédiats n’est pas moins important15 (les premières chambres des comptes princières apparaissent dès le premier quart du XIVe siècle). Dès la seconde moitié et la fin du XIIIe siècle, de profondes réorganisations touchent les ensembles politiques au sud de la Loire. Il en est de même après la fin officielle de la guerre de Cent Ans (1453, Castillon et prise de Bordeaux) : l’ancienne Guyenne anglaise est recomposée, les Foix-Béarn et les Albret accèdent au trône de Navarre, construisent un pouvoir de part et d’autre des Pyrénées, avant de se replier à Pau en 1512. Voilà pourquoi nous avons poussé l’analyse jusqu’à l’aube du XVIe siècle.
Dans ce cadre chronologique restreint mais déjà suffisamment large pour couvrir de profondes évolutions, nous avons tenté de couvrir le plus amplement possible la variété des thèmes et des espaces. Des historiens médiévistes étrangers, anglais et espagnols, ont bien voulu contribuer à élargir nos perspectives en étudiant ces principautés d’un point de vue forcément différent, à l’aune de leurs écoles historiographiques nationales respectives. Outre les historiens, les archivistes de France, d’Espagne et d’Italie ont un rôle très important dans la mise en valeur des ensembles documentaires qui nous renseignent sur les principautés médiévales, parfois transnationales. C’est pourquoi nous avons sollicité les directeurs des archives d’un large Sud-Ouest (Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, Ariège, Vienne, Haute-Garonne) et de Navarre.
Il est de coutume pour une introduction de faire un point sur l’historiographie du sujet. Si la nôtre se permet d’ignorer cette étape, c’est que le présent ouvrage s’ouvre précisément par deux contributions qui retracent la genèse et l’évolution de la recherche sur les principautés médiévales. Olivier Mattéoni (“Une ‘histoire française’ ? Princes et principautés en France à la fin du Moyen Âge au prisme de l’historiographie”) fait le point sur l’historiographie française des principautés depuis le XIXe siècle, et sur l’évolution des centres d’intérêt des historiens, depuis la lecture “nationale et téléologique” du lent triomphe du roi sur les forces centrifuges, jusqu’à l’étude des structures politiques des principautés elles-mêmes. Il démontre aussi que l’historiographie française n’a guère soumis ses modèles à la comparaison avec d’autres espaces européens qui font face pourtant à des situations similaires (notamment la principauté de Tarente dans le royaume de Naples ou celle de Lancastre en Angleterre), et appelle à reconsidérer la place du sang royal dans la construction des principautés et leur rapport à la monarchie.
À ce premier bilan de l’historiographie centré sur la France succède un second, cette fois-ci plus international. Guido Castelnuovo (“Une principauté entre France et Italie : un siècle de lectures de la Savoie médiévale, 1918-2018”) propose de revenir sur l’historiographie de la principauté de Savoie, qui est hors du royaume de France et qui a la particularité d’être étudiée conjointement par des historiens français, suisses et italiens. Il souligne comment le contexte politique a pu fournir des lectures distinctes de chaque côté des Alpes. La fidélité à une dynastie régnante du côté italien impulse une histoire avant tout princière, là où du côté français l’histoire est d’abord locale. La chute de la monarchie italienne provoque ensuite un désintérêt pour le sujet en Italie, avant une renaissance dans les dernières décennies.
Après cette présentation historiographique, deux textes interrogent le rôle central du modèle et de l’impulsion monarchique dans la création des principautés et dans l’élaboration de leurs outils de gouvernement. Gaël Chenard étudie le cas d’Alphonse de Poitiers (“De Paris à Toulouse : les bases d’une principauté capétienne dans le Midi”), qui a, au milieu du XIIIe siècle, importé dans un midi rebelle, un modèle d’administration capétienne en rupture avec les pratiques de la principauté raymondine qui avait précédé. Le discours politique, la gestion administrative et l’exercice de la justice sont autant de points qui ont permis au frère de Louis IX d’unifier de vastes domaines autour de sa personne plutôt qu’autour d’un sentiment d’appartenance territorial. Dans un tout autre contexte, Anne Curry et Guilhem Pépin s’intéressent au sort de l’Aquitaine dans la France du traité de Troyes (“Les conséquences du traité de Troyes (21 mai 1420) sur le gouvernement du duché d’Aquitaine”). Le duché avait depuis longtemps un gouvernement autonome lié à son isolement géographique et au fait qu’il ne dépendait pas de la couronne d’Angleterre. Il avait même pu être érigé en principauté autonome pour le Prince Noir. Les conquêtes d’Henry V et l’accès à la couronne de France d’Henry VI posèrent la question de l’intégration ou non de l’Aquitaine au gouvernement anglais qui régissait le nord de la France. Dans la confrontation des modèles et des influences, Eloísa Ramírez Vaquero (“Los Evreux en el trono de Navarra: viejas y nuevas prácticas de gobierno”) propose une réflexion qui prend un cheminement inverse : comment des princes français, l’une fille de roi de France (Jeanne, fille de Louis X) et, l’autre grand baron du royaume, Philippe d’Évreux, son époux, puis leurs descendants, rois de Navarre de 1328 à 1425 (lorsque disparaît le dernier Évreux-Navarre en ligne directe, Charles III dit le Noble), ont-ils relevé et magnifié la royauté navarraise, entre permanences et nouveautés ?
L’expression territoriale du pouvoir princier, saisie par la résidence du prince, mais aussi par l’attention portée aux découpages administratifs, à la bonne gestion de circonscriptions diverses par des hommes qui sont les relais sur le terrain de l’autorité princière, est un axe de recherche plus ancien. Il a cependant été renouvelé en profondeur par les méthodes prosopographiques, les progrès de la cartographie, l’étude des hiérarchies sociales, des réseaux, qu’ils soient familiaux et/ou politiques. Frédéric Boutoulle questionne ainsi la présence symbolique d’un roi d’Angleterre absent à Bayonne, via ses officiers et surtout à travers l’aménagement urbain médiéval, qui reflète des rapports parfois conflictuels entre la ville et le prince (“Le prince en ville. Le Château-Vieux de Bayonne (XIIe-XVe siècles)”). Trois autres contributions s’intéressent au gouvernement territorial de principautés bicéphales dans lesquelles est interrogée la centralisation administrative et gouvernementale. Claudine Pailhès revient sur “L’administration du comté de Foix au temps des Foix-Béarn”, c’est-à-dire en un temps où les princes ont quitté Foix pour s’installer de façon privilégiée en Béarn. Elle démontre que loin de désorganiser les structures de l’ancien comté, l’éloignement de la personne du prince les a même renforcées, dans un modèle de gestion décentralisée où les pouvoirs locaux disposaient de privilèges renforcés. La situation de la vicomté de Limoges, analysée par Erika Graham Goering (“Une principauté décentrée ? Perspectives offertes par la vicomté de Limoges à partir de 1341”), présente bien des points communs, avec notamment l’absence du prince qui délègue son pouvoir à des représentants. Toutefois, si la vicomté était pour les Penthièvre une ressource financière et un héritage secondaire, ils surent y affirmer leurs droits et l’utiliser comme une sauvegarde face à leurs déboires en Bretagne. Dominique Bidot-Germa détaille le maillage territorial de la vicomté de Béarn (“Distribuer et subdiviser le territoire pour l’administrer : des vegaraus aux vics et aux bailliages en Béarn (XIIe-XIVe siècles)”), afin d’en dégager l’évolution au fil des siècles, depuis les circonscriptions féodales floues du XIIe siècle jusqu’aux baillages publics et bien mieux délimités du XIVe siècle, allant dans le sens d’une affirmation progressive du pouvoir du prince sur son territoire.
Le prince exprime son autorité en des lieux et au sein de ses domaines, mais il déploie également sa puissance dans ce qu’il donne à voir et lègue à ses successeurs. Le spectacle princier se nourrit d’un discours idéologique relayé par des expressions et représentations matérielles et symboliques, telles que, notamment, les titulatures, les sceaux, les devises mais aussi les commandes d’œuvres d’art. Laurent Hablot étudie “L’emblématique des princes méridionaux, un outil de gouvernement”, ou comment la mobilisation de tous les supports et moyens possibles (armoiries, cimiers, cris d’armes, ordres de chevalerie) conduit à se représenter en seigneurs-chevaliers et pour affirmer une idéologie princière propre. Paul Mironneau, au fil des divers inventaires des trésors accumulés par les comtes de Foix et rois de Navarre (“La maison de Foix et sa politique artistique de Gaston Fébus à Catherine de Foix : quelques caractères durables (fin du XIVe siècle – 1517)”), met en évidence une véritable politique culturelle menée par les princes, qui évolue au gré des alliances et du contexte politique.
Emboîtant le pas à des travaux fondateurs qui ont pointé l’importance et la conscience du poids de l’écrit dans les sociétés médiévales, les renouvellements historiographiques des dernières décennies du XXe siècle ont mis l’accent sur le rôle de l’écrit dans les administrations, y compris princières. En témoignent les nombreux travaux parus sur les cartulaires, les documents de chancellerie ou de comptes, les enquêtes, mais également sur les écrits des notaires, qu’ils soient au service du prince ou vivant au sein d’une principauté, ou encore sur les archives princières. Au-delà des simples données factuelles, sont scrutées la matérialité et la logique interne des documents, leur fonction et ce qu’ils nous apprennent sur les pratiques gouvernementales. Dans cette veine, Roland Viader analyse le Liber Redituum, une vaste enquête réalisée en 1272-1273, un an après l’acquisition par les rois de France de l’héritage des comtes de Toulouse (“Le domaine des comtes de Toulouse et son administration au XIIIe siècle : des Raimondins aux rois de France”). Derrière l’apparent désordre des 20 000 redevances listées dans le document, il montre que le texte peut fournir de nombreuses informations sur le système administratif très pragmatique des anciens comtes de Toulouse. Anne Goulet (“Enquêter pour réparer ? Étude de cas dans le domaine des Albret en 1374”) recense les méfaits commis par les troupes du comte de Foix. À mi-chemin entre le document comptable et l’enquête judiciaire, le registre inédit étudie dans la région de Casteljaloux, cœur des terres des Albret, dans les années 1370. Vu le faible nombre de documents d’archives laissés par les Albret à cette époque, son analyse des méthodes d’enquête et des liens tissés entre seigneurs, représentants du pouvoir et habitants permet d’éclairer les pratiques administratives de ces seigneurs. Anne Lemonde met en avant le rôle des notaires, qui représentent en Dauphiné un groupe social plus nombreux et important qu’ailleurs en France (“Notaires des champs et administration princière en Dauphiné (XIIIe-XVe siècles) : quelques problèmes”). À travers l’étude de la révision des feux, et grâce aux riches archives communales, elle montre leur implication dans la politique locale, soit aux côtés du prince, soit en résistance à son autorité. De même, l’étude des livres de comptes de Bernard VII d’Armagnac permet à Guilhem Ferrand de relever les indices comptables ténus qui pointent le rôle clé joué par l’épouse du comte dans la gestion des domaines comtaux (“‘Madama la comtessa’. Bonne de Berry, Bernard VII, la gestion des domaines et la politique”). Au contraire des précédentes comtesses d’Armagnac, Bonne de Berry tire profit de l’absence de son mari, retenu le plus souvent à Paris dans les années 1410, pour administrer ses terres et jouer un rôle politique de premier plan. Véronique Lamazou-Duplan propose une étude de la structuration des archives princières des comtes de Foix-Béarn à partir du début du XVe siècle (“Les chartriers des Comtes de Foix-Béarn à la fin du Moyen Âge. Des inventaires au service du pouvoir et de la mémoire du Prince”). Les premiers inventaires d’archives (conservés) permettent de mieux comprendre la culture de l’écrit des officiers comtaux et l’évolution des pratiques administratives, liées notamment à une thésaurisation et monumentalisation des documents d’archives.
Ce livre se clôt par une réflexion plus globale sur les pratiques et réalité du gouvernement princier. Pierre Courroux (“Peut-on parler d’une principauté d’Albret à la fin du Moyen Âge ?”) s’interroge sur le seuil à partir duquel une seigneurie ou baronnie peut être considérée comme une principauté. Il questionne les marqueurs administratifs (chancellerie), juridiques (cour d’appel), ou politiques (pouvoirs régaliens) associés au pouvoir princier, les mettant à l’épreuve du pouvoir longtemps informel et décentralisé des Albret.
Terminons en précisant que cet ouvrage, structuré autour d’un certain nombre de bouquets thématiques, ne se veut en rien rigide, exhaustif, ni encore moins définitif. À travers quelques exemples et dossiers, ce livre invite plutôt le lecteur à suivre les réflexions actuelles d’historiens et d’archivistes sur le gouvernement et l’administration de principautés méridionales, peu abordées de façon croisées dans les publications récentes, des principautés fort diverses, des Alpes aux Pyrénées, en un temps de réajustements constants (du XIIIe à l’aube du XVIe siècle). De ces résultats et comparaisons naîtront, nous l’espérons, quelques repères pour des pistes encore à explorer.
Bibliographie
- Contamine, P. et Mattéoni, O., dir. (1996) : Les Chambres des comptes en France aux XIVe et XVe siècles, Vincennes.
- Lecuppre-Desjardins, E. (2016) : Le royaume inachevé des ducs de Bourgogne (XIVe-XVe siècles), Paris.
- Leguai, A. (1969) : De la seigneurie à l’État. Le Bourbonnais pendant la guerre de Cent Ans, Moulins.
- Marquette, J-B. (2010) : Les Albret : l’ascension d’un lignage gascon (XIe siècle-1360), Pessac.
- Mattéoni, O. (1998) : Servir le prince : les officiers des ducs de Bourbon à la fin du Moyen Âge (1356-1523), Paris.
- Mattéoni, O. et Castelnuovo, G., dir. (2006) : “De part et d’autre des Alpes”. Les châtelains des princes à la fin du Moyen Âge, Paris.
- Pacaut, M. (1973) : Guide de l’étudiant en histoire médiévale, Paris.
- Touati, F.-O., dir. [1997] (2007) : Vocabulaire historique du Moyen Âge (Occident, Byzance, Islam), Paris.
- Tucoo-Chala, P. (1960) : Gaston Fébus et la vicomté de Béarn (1343-1391), Bordeaux.
Notes
- Tucoo-Chala 1960.
- Mattéoni 1998 ; Lecuppre-Desjardins 2016, 350 et sq.
- Voir la contribution d’Olivier Mattéoni dans cet ouvrage.
- Voir la contribution de Gaël Chenard.
- Touati [1997] 2007, 267.
- Lecuppre-Desjardins 2016, 351.
- Ibid., 352-353.
- Voir la contribution de Pierre Courroux.
- Pacaut 1973, 21-22.
- Nous nous contentons ici d’une présentation succincte de la bibliographie sur le sujet, la contribution d’Olivier Mattéoni y étant dédiée.
- Tucoo-Chala 1960 ; Leguai 1969 ; Marquette 2010.
- Lamazou-Duplan, dir. 2014.
- Voir notamment Contamine & Mattéoni, dir. 1996 ; Mattéoni 1998 ; Castelnuovo & Matteoni, dir. 2006.
- Projet mené de 2007 à 2019, rassemblant l’Université de Bordeaux et plusieurs universités anglaises (Liverpool, Oxford, Keele, Southampton, King’s College de Londres), dont l’édition est consultable à l’adresse suivante : https://www.gasconrolls.org.
- Une fois de plus, on se référera à la contribution d’Olivier Mattéoni dans cet ouvrage.